Apprendre : une action volontaire et responsable :

énoncé d'une politique globale de l'éducation des adultes dans une perspective d'éducation permanente :

Partie 5

Partie 1, Partie 2, Partie 3, Partie 4, Partie 5, Partie 6, Appendices

Commission d'étude sur la formation des adultes (CEFA), 1982

 

TABLE DES MATIÈRES

Introduction

Notes

CHAPITRE PREMIER

5.1 La participation à la formation en milieu de travail

Introduction

5.1.1 Positions des entreprises sur la participation à la formation en milieu de travail

5.1.1.1 Segmentation du marché et des pratiques de formation des entreprises

5.1.1.2 Deux types d'approche en ce qui concerne la formation en entreprise

5.1.1.3 Pour ou contre la participation à une formation au sein de l'entreprise et la concertation en général

5.1.2 Positions des travailleurs, des travailleuses, et de leurs représentants, sur la participation à la formation en milieu de travail

5.1.2.1 La formation reliée à l'emploi: un enjeu important pour les travailleurs et les travailleuses

5.1.2.2 La formation reliée à l'emploi: une responsabilité des organisations de travailleurs

5.1.2.3 Positions des syndicats face à la participation à la formation en milieu de travail

5.1.3 D'autres organismes interviennent sur le sujet

5.1.4 Survol de quelques expériences étrangères en termes de participation à la formation reliée à l'emploi

5.1.4.1 La Norvège

5.1.4.2 La Suède

5.1.4.3 Le Japon

5.1.4.4 La France

5.1.5 Les positions de la Commission sur la participation à la formation en milieu de travail

Recommandations

Notes

CHAPITRE 2

5.2 La participation des adultes dans le monde de l'éducation

Introduction

5.2.1 Je me souviens...

5.2.2 L'éducation participative

5.2.2.1 La participation, une politique pédagogique à développer

5.2.2.2 La relation éducateur-étudiant

5.2.3 Les associations étudiantes

5.2.4 Un ombudsman de l'éducation

Conclusion

Recommandations

Notes

CHAPITRE 3

5.3 La participation dans le monde de la vie sociale, culturelle et associative

5.3.1 Pour les organismes de promotion sociale et culturelle : une idée-clé, la concertation

5.3.1.1 La situation actuelle

5.3.1.2 La participation à l'éducation des adultes dans le secteur de la vie sociale et culturelle

5.3.1.3 La participation, ses formes et ses modalités

5.3.2 La vie associative

Recommandations

Notes

CHAPITRE 4

5.4 La participation des différents « mondes » à la gestion de l'éducation des adultes: la concertation

Introduction

5.4.1 Des expériences de concertation

5.4.1.1 La concertation interinstitutionnelle intraniveau

5.4.1.2 La concertation interinstitutionnelle interniveaux

5.4.1.3 Les tables de concertation des institutions et autres intervenants usagers

5.4.1.4 La concertation des institutions et des syndicats

5.4.1.5 La concertation de l'école et de l'entreprise

5.4.1.5.1   Des expériences américaines

5.4.1.5.2   Et au Québec?

5.4.1.6 La concertation scolaire-municipale

5.4.1.7 La concertation des groupes de la vie associative et du monde scolaire

5.4.1.8 La concertation intraministérielle, interministérielle et intergouvernementale

5.4.2 La concertation, un outil de développement

5.4.2.1 La région, espace de concertation

5.4.2.2 Le développement, valorisation de la région

Conclusion

Recommandations

Notes

Cinquième partie

La participation des adultes: une action déterminante et responsable

La participation à la formation en milieu de travail

La participation des adultes dans le monde de l'éducation

La participation dans le monde de la vie sociale, culturelle et associative

La participation des différents « mondes » à la gestion de l'éducation des adultes: la concertation

Introduction

Les illusions du passé, les promesses de l'avenir...

Le contexte économique, social, politique et culturel des années 80, relatif à la participation des adultes aux activités éducatives, s'annonce à la fois difficile et prometteur. Cette ambivalence s'explique principalement par l'évolution du système économique et social depuis les deux dernières décennies. Des phénomènes comme l'apparition de la culture de masse, la consommation de masse, le vedettariat dans la culture et le sport, la surorganisation sociale juxtaposée à l'isolement social, la montée des pratiques superstitieuses, des sectes religieuses, la prolifération des mondes parallèles et de la contre-culture, ont suscité des valeurs nouvelles, ont bouleversé l'organisation sociale et fait surgir des attentes nouvelles de la part des individus et des collectivités. Ces nouvelles attentes ne sont pas sans effet sur la participation des citoyens et citoyennes. Elle se fait plus difficilement dans les assemblées générales des différentes associations organisées. Lors des consultations populaires proposées par l'État, les gens sont plus méfiants. Dans les autres milieux: syndical, coopératif, professionnel, elle varie selon l'importance de l'enjeu. Depuis les années 70, la participation au sein des diverses structures a connu un certain désenchantement.  Participer ne signifie plus s'approprier un certain pouvoir mais correspond de plus en plus à un consentement à la technocratisation et à la bureaucratisation « consultatives ».   .

Ces dernières années ont donné lieu à une multiplication d'organismes voués à la participation: C.L.S.C., conseils de la culture, comités de citoyens, organisations coopératives, syndicats, groupes populaires, groupes religieux, comités d'école et de parents, de locataires ou de quartier. Les citoyens réinvestissent leur énergies dans de plus petites unités, plus facilement contrôlables, là où il est encore possible de s'assurer d'un certain pouvoir et non plus, de façon un peu idéaliste, du Pouvoir.

La participation devient souvent, comme le fait remarquer le sociologue Fernand Dumont, comme une sorte de récupération en esprit de ce qui a été perdu en fait. (1) Elle est apparue, au cours des dernières années, un peu comme un outil du savoir et de la rationalité précieusement conservés entre les mains de « ceux et celles qui savent », c'est-à-dire des administrateurs et des experts de tout genre. Ce pouvoir technocratique a donc envahi la conception et la pratique participatives, accentuant le clivage entre les experts et les gens désireux de participer mais sans pouvoir.(2) Or, depuis quelques années, le réflexe technocratique et les pratiques de bureaucratisation sont de plus en plus pris à partie. Des groupes organisés développent des projets de « recherche participative » afin de produire de nouveaux savoirs, utiles à la transformation de leur situation de vie et de travail et au rajustement à de nouveaux styles de vie plus communautaires. Les pressions en vue d'une nouvelle affectation du temps se font grandissantes. La décentralisation des pouvoirs décisionnels est un sujet remis à l'ordre du jour. Les différentes conceptions du militantisme font l'objet de profondes réflexions au sein des groupes populaires, des comités de citoyens, des syndicats, etc. Le bilan de la participation au cours des années 60 et 70, a été dressé et débouche sur une réelle volonté de dépasser les imbroglios auxquels elle a donné lieu.

Dans le secteur de l'éducation, l'évolution des mécanismes de la participation a été similaire. C'est surtout depuis ce qu'il est convenu d'appeler la Révolution tranquille, que les théoriciens et les praticiens en collaboration avec des étudiants, ont commencé à s'interroger sur sa signification et sur sa mise en oeuvre. S'inscrivant dans cette période de réformes plus ou moins fécondes et durables, la Commission Parent s'interrogeait à son tour sur la validité des mécanismes traditionnels de la participation. C'est à partir de cette période qu'on a constaté une recrudescence des organisations étudiantes d'abord, puis des remises en question plus fréquentes de l'enseignement et une volonté de participation accrue des étudiants dans la conception, la planification et l'administration des programmes scolaires.

Au cours des dernières années, dans le domaine de l'éducation comme dans d'autres domaines, les adultes ont été conviés à participer aux conseils d'administration, aux comités de parents ou aux tables de concertation. Par contre, chez les étudiants, il semble que l'on revienne à une participation de plus en plus réduite: Bien que, dans plusieurs établissements, on ait déjà prévu la présence d'étudiants à des comités, commissions ou autres instances institutionnelles, dans l'ensemble il ressort que leurs voix exercent peu d'impact sur les décisions qui sont prises. (3)

En effet, dans les faits, les décisions échappent aux étudiants, jeunes et adultes; les propositions ou les recommandations qu'ils acheminent aux instances décisionnelles ne sont considérées, la plupart du temps, qu'à titre consultatif. Leur participation n'est pas réelle et n'assure en rien la reconnaissance de leurs droits. Elle n'intègre pas non plus les modalités qui leur permettraient de jouer un rôle actif dans la prise de décision.

Ce que les étudiants, jeunes ou adultes, revendiquent aujourd'hui, à la lumière des expériences du passé, c'est une participation réelle, décisionnelle et une reconnaissance du rôle qu'ils ont à jouer au sein des institutions scolaires et des autres lieux de formation. Récemment, cette préoccupation à fait l'objet de discussions et de revendications sur des questions reliées à la définition d'une charte des droits de l'étudiant, à la reconnaissance des associations existantes et à leur participation réelle à la prise de décision(4)

La participation aux décisions: un droit à acquérir pour les adultes comme pour les jeunes.

Dans le domaine de l'éducation des adultes, comme dans le domaine de l'éducation des jeunes, les revendications sont du même ordre. En tant que décideurs de leur formation, les adultes revendiquent le droit de participer aux décisions qui les concernent. En tant qu'individus ou groupes, certains veulent intervenir et avoir voix au chapitre et intervenir dans la définition des activité « académiques » et des conditions de leur réalisation (règlements, programmes, cours, etc.), de même que dans l'élaboration des politiques qui les touchent directement en tant qu'étudiants (horaires, financement, transport, garderies, etc.).

Plus que les jeunes, les adultes ont le sentiment de pouvoir agir efficacement même si, comme les jeunes, ils ont été quelquefois confrontés à des obstacles tels que: le manque de connaissances, les relations entre enseignants et élèves, qui se fondent sur les diplômes et l'autorité, l'éducation traditionnelle que les élèves reçoivent dans leur famille, etc. (qui) ont fait ceux-ci n'ont souvent été que des témoins passifs de la planification de l'enseignement et de la prise de décisions dans les écoles.(5)

II ne suffit plus de préconiser la participation dans le domaine de l'éducation des adultes comme on l'a fait pour d'autres secteurs dans les années passées. Encore faut-il qu'elle débouche sur un pouvoir réel ; elle ne doit pas rester une illusion de contrôle laissée aux classes défavorisées ; elle ne peut pas se limiter qu'à institutionnaliser le poids de certains groupes déjà influents; enfin et surtout la participation ne peut être assimilée à la simple consultation.(6)

Notre système social et politique n'a jamais encouragé les gens, en général, à participer et à intervenir réellement sur le développement de leur milieu. D'ailleurs, l'État a pris une place prépondérante, non seulement dans la gestion de la chose publique, mais également dans l'organisation même de la vie des citoyens. Certains y voient, comme Illich, une ingérence qui ne peut conduire qu'à une dépersonnalisation et à une dépendance de plus en plus dramatique des individus et des groupes. À cet effet, les échecs budgétaires de la plupart des gouvernements des pays industrialisés vont peut-être freiner cette tendance à l'État-providence et à l'État-entrepreneur et offrir une occasion pour les individus d'une reprise en main et d'un certain contrôle sur les décisions concernant l'avenir sociétal. Il ne s'agit pas non plus, à l'autre extrémité, de préconiser le « laissez-faire » mais plutôt le « rapatriement » graduel de certaines responsabilités sociales pour les individus et les groupes.

Dans le milieu scolaire, au cours des dernières années, la participation étudiante s'est étiolée. Comme le faisait remarquer un récent avis du Conseil des universités: c'est presque devenu un lieu commun — surtout depuis la disparition volontaire d'un certain nombre d'associations étudiantes, à la fin des années 60 — de déplorer la désintégration du milieu étudiant, sa relative apathie accompagnée de soubresauts sporadiques et son absence presque complète de la structure de décision de l'université et partant, des principaux débats qui s'y déroulent.(7)

L'homme ou l'enfant d'aujourd'hui ne peut plus seulement obéir pour obéir, apprendre pour apprendre. Il faut une « participation », une éducation active.

Source: J.W. Botkin, W. Elamnadjra et M. Molitza, On ne finit pas d'apprendre, rapport au Club de Rome, 1980, p. XV.

Un action déterminante et responsable

Où faut-il en chercher les raisons? Certains diront que les étudiants n'ont pas su utiliser les occasions offertes par la participation, au sein des conseils de faculté, de départements ou d'ailleurs. Ne serait-il pas plus juste de s'interroger sur certaines résistances de la part des institutions scolaires? Résistances qui se sont manifestées sous plusieurs formes, pas toujours évidentes, par exemple en négligeant d'informer adéquatement les étudiants et surtout en ne leur accordant, tout au plus, qu'un pouvoir consultatif sur les décisions importantes à prendre.

Il faut se demander comment leur donner dans l'avenir la chance de participer en tant que partenaires égaux aux mécanismes décisionnels. L'un des buts principaux de la Commission est effectivement d'examiner ce qui pourrait encourager une actualisation efficace de la participation dans le domaine de l'éducation des adultes. Il faut donc viser à inventer de nouveaux modèles car, contrairement aux années 60 et même 70, la seule promesse d'une consultation et « la pseudo-participation » ne peuvent plus suffire. Il incombe aux gestionnaires et décideurs de tous les milieux éducatifs de la concrétiser, d'y croire, de l'inciter, et d'assouplir les tendances bureaucratiques de plus en plus menaçantes à la libre participation des gens.

La tâche ne sera pas facile car si l'éducation des adultes s'oriente, dans une perspective d'éducation permanente et de démocratisation, vers l'autogestion de la formation, c'est-à-dire vers plus d'autonomie et de prise en charge, l'organisation sociale et économique, elle, reste encore fondée sur des principes hiérarchiques. Cette contradiction est d'ailleurs relevée dans un document du Conseil de l'Europe qui rappelle qu'il y a contradiction entre la tendance à l'autogestion (self management) dans l'éducation des adultes et le pouvoir technocratique au nom de l'efficacité (autorité des compétences, rapidité et précision des décisions); ici s'opposent le spontanéisme et la rationalité organisatrice.(8)

L'éducation permanente, qui veut favoriser la prise en charge de son éducation par l'intéressé lui-même, individu ou groupe, suppose que la participation à toutes les étapes du processus éducatif soit non seulement reconnue mais surtout recherchée.

Source: Québec, Conseil supérieur de l'éducation, Pour le vrai monde et pour tout le monde, contribution à une politique québécoise de l'éducation des adultes, rapport d'étape 78-79, juin 1979, p. 73.

(...) assurer le plein exercice de droits démocratiques, en matière d'éducation, c'est aussi garantir aux intéressés leurs droits dans la gestion même de l'entreprise à laquelle ils sont associés, et leur participation à la définition des politiques d'éducation.

Source: Edgar Faure, Apprendre à être, Payard, UNESCO. 1972, p. 90.

Participer: un acte volontaire, conscient et « d'égal à égal ».

La Commission a, pour sa part, associé étroitement les adultes de tous les réseaux à sa démarche lors de ses consultations régionales en les conviant à participer au débat sur l'éducation des adultes. Elle avait pour le faire, mis en place, dans les régions, une équipe d'agents de liaison chargés de faire connaître son existence et son mandat à la population et d'« habiliter » les adultes à venir s'exprimer en ateliers. Elle a pu ainsi rencontrer près de 6 000 adultes qui ont eu l'occasion de mettre en commun leurs idées et leurs opinions. Cette démarche, un peu inusitée dans le cadre de l'élaboration d'une politique d'ensemble a, d'une part, fait prendre conscience des exigences et des possibilités de la participation, et a révélé d'autre part, la volonté des Québécois de participer activement au processus et d'y apporter une contribution significative lorsqu'on leur en donne les moyens. Un examen de la situation actuelle en éducation des adultes montre qu'il est manifeste que l'on doit (sic) améliorer les qualités nécessaires à une participation efficace et que le droit de participer devra être assorti d'une obligation d'accepter — de part et d'autre — les responsabilités qu'il implique.(9)

La participation en éducation des adultes requiert que l'on fasse confiance aux capacités potentielles et à la volonté des individus de progresser et de s'engager durant toute leur vie, tant au niveau de leur développement personnel que par rapport à leur intervention sociale. Par conséquent, il faut éveiller et soutenir l'intérêt des adultes en formation, faire appel à leur expérience, affermir leur confiance en eux-mêmes, et assurer leur participation active à tous les stades du processus éducatif qui les concerne(10). Bref, l'éducation des adultes doit replacer ces derniers, en tant qu'individus et en tant que groupes, au centre du processus éducatif comme sujets de leur éducation et non comme objets. La participation des adultes au maximum de responsabilités n'est pas seulement un gage de démocratie, elle est aussi une prise de pouvoir quotidienne sur les pratiques et les activités éducatives, une manière de prouver son autonomie, sa prise en charge et son refus à la délégation de ses pouvoirs. En extrapolant au-delà du domaine de l'éducation, cela signifie pour l'adulte, ne plus abdiquer et ne plus laisser à d'autres le soin d'exercer ses propres responsabilités, mais les exercer à tous les niveaux de la vie sociale, économique, politique et culturelle.

Postulats et préalables

Parler de la participation dans le domaine de l'éducation des adultes signifie, de prime abord, que l'on conçoive celle-ci comme une entreprise de conscientisation (11), ce qui mène à envisager l'action éducative en termes de contestation et de remise en question par rapport à la société. La volonté de rendre les individus et les groupes plus responsables et plus autonomes devant leur devenir collectif pose, comme postulat, le développement d'une conscience sociale critique. Aussi, toute activité éducative devrait s'attacher à développer le jugement indépendant et critique et à créer ou renforcer les compétences nécessaires à chaque personne pour assumer la maîtrise des changements qui affectent ses conditions de vie et de travail par une participation effective à tous les niveaux dans le processus de décisions à la gestion des affaires de la société. (12)

« J'ajouterais que l'éducation des adultes a aussi contribué à relativiser la notion de professeur et de l'étudiant. Des hommes et des femmes qui n'auraient jamais enseigné à l'université participent, grâce à l'éducation des adultes, à un enseignement pour lequel ils peuvent puiser dans leur expérience vécue. De son côté, la notion d'étudiant a été élargie au-delà de celle d'un diplômé de collège ou de cégep, au-delà de celle du carabin traditionnel qui avait exclusivement cours il y a quelques années à peine. L'enseignement du soir rassemble des étudiants d'une grande variété d'âges, d'expérience, de motivations, de centres d'intérêt. On parle même de plus en plus de la relation dialectique qui doit s'instaurer entre les rôles d'enseignant et d'enseigné: enseignant qui devient parfois enseigné et enseigné qui devient enseignant »

Source: Dr. Camille Laurin, L'éducation permanente projet de société, A.C.D.E.A.U.L.F., causerie prononcée dans le cadre du colloque, septembre 1977, p. 13.

Or, le secteur de l'éducation des adultes doit conduire à une participation enrichie, en offrant aux adultes le plus grand nombre possible de rôles. L'idéal de l'enseignement participatif est que chaque élève puisse avoir l'occasion de jouer les rôles de président, de capitaine et de chef, aussi bien que ceux du citoyen, d'adhérent et de disciple, et de faire ainsi V expérience du plus grand nombre possible de rôles (13)

Ce que nous entendons par l'expression « d'égal à égal », c'est une reconnaissance des expériences vécues et de la culture de chaque adulte, qui permettant d'être simultanément l'enseigné et l'enseignant dans le processus éducatif auquel il participe, et mettant fin à l'éternel lien de dépendance, car dans le procès de formation, les rapports de formation sont pour l'enfant et l'adolescent fondamentalement des rapports de dépendance, rapports qui limitent de tous côtés son appropriation des objets et moyens de formation.(14)

Autant l'enseigné a à apprendre de la part de l'enseignant, autant ce dernier, dans une perspective de développement du potentiel des individus et des groupes, ne pourra faire abstraction des expériences et des aspirations de chaque individu. Les deux y gagnent. Dans cette veine, des mesures devraient être prises afin d'encourager les intervenants, les institutions, les organismes qui concourent à l'éducation, les groupes populaires, les syndicats, etc., dans le cadre d'une participation directe, à collaborer ensemble à titre de partenaires égaux, à la définition et à l'articulation des objectifs et des pratiques dans le domaine de l'éducation des adultes.

S'outiller, d'abord...

En ce qui concerne les personnes ou les groupes demeurés analphabètes, ainsi que les personnes ou les groupes qui, du fait de leur faible niveau de ressources, d'éducation ou de participation à la vie collective, connaissent des difficultés d'adaptation sociale, les actions d'éducation des adultes devraient tendre non seulement à leur permettre d'acquérir des connaissances de base (lecture, écriture, calcul, initiation à la compréhension des phénomènes naturels et sociaux) mais encore à favoriser leur accession à un travail productif, à susciter leur prise de conscience et leur maîtrise des problèmes d'hygiène, de santé, d'économie domestique et d'éducation des enfants, à développer leur autonomie et leur participation à la vie collective.

Source: Unesco, Recommandation sur le développement de /'éducation des adultes, février 1980, p. 21.

Une information adéquate et accessible: une clé indispensable.

Il va de soi que pour que chaque individu et chaque groupe puissent participer pleinement, il est absolument essentiel de leur fournir les outils nécessaires. Ces outils, ce sont les apprentissages de base qui vont leur permettre toute l'autonomie, la flexibilité et la polyvalence requises. Par ailleurs, le droit à l'éducation ne se limite pas à la possibilité de fréquenter l'école ; il se définit plutôt comme le droit de chaque individu de recevoir un minimum de formation de qualité pour assurer son épanouissement et sa participation à la société à laquelle il appartient. (15)

De ce point de vue, deux préalables importants s'imposent si nous voulons, idéalement, que tous les citoyens puissent influencer les décisions qui affectent directement leur vie, du point de vue de l'éducation et de la formation. Fournir aux adultes intéressés les connaissances nécessaires pour comprendre et expliquer la vie politique, économique et sociale de notre société serait un premier objectif. Assurer un système d'information adéquat permettant de vraiment débattre leurs problèmes en toute connaissance de cause, en serait un autre.

La recherche d'une société démocratique de participation exige donc, d'une part, de rendre publique l'information, de la diffuser de façon organisée et de s'assurer que les citoyens ont les connaissances nécessaires pour interpréter ces informations et, d'autre part, de fournir à toutes les collectivités ou groupes les moyens de s'organiser. Entre ces deux conditions essentielles à une politique de participation existent des relations de complémentarité. Une politique d'information si bien organisée soit-elle, ne peut être un stimulant à la participation que si les communautés de base sont suffisamment organisées pour accueillir les informations, les discuter et prendre position. De même, des communautés de base, si bien organisées soient-elles, sont inefficaces si elles sont coupées des informations nécessaires pour éclairer leurs discussions et décisions.(16)

Ceci résume bien l'un des problèmes majeurs auxquels sont confrontés de nombreux citoyens. Il faut mettre en place des mécanismes de façon à diffuser l'information plus largement et à donner aux adultes, qui ont le goût de s'engager dans le processus de décision, le maximum de connaissances nécessaires pour interpréter cette information. Nos consultations régionales nous ont d'ailleurs permis de constater un certain désenchantement face à la participation; c'est ce qui nous incite à préconiser une meilleure organisation de l'information. De l'aveu même des participants, une absence de connaissances de base pour s'approprier les dossiers et délibérer en assemblée les empêchent de maîtriser les mécanismes de consultation.

De plus, les adultes s'estiment souvent mal informés de leurs droits et des recours possibles. Nous croyons que l'adulte devrait avoir accès à une information précise sur ses droits et, comme le souligne le Conseil des universités, sur les options qui lui sont offertes quant à sa formation, sur la qualité relative des programmes, leurs conditions d'accès, leurs avantages comparatifs et le degré de succès des étudiants qui y ont déjà cheminé, à la fois en termes de succès scolaires et d'intégration au marché du travail.(17)

Il importe surtout pour l'adulte, en formation scolaire ou extra-scolaire d'être informé des mécanismes qui sont prévus, à l'intérieur du milieu éducatif qu'il fréquente, lui permettant d'intervenir directement dans le processus décisionnel, et des mécanismes de recours lui permettant d'en appeler éventuellement des décisions qui le touchent.

S'organiser en fonction de ses intérêts

Des conditions favorisant la participation

Une autre condition à la participation effective des adultes est qu'ils puissent s'organiser en fonction de leurs intérêts. Étant donné qu'il faut souvent se regrouper

pour défendre des droits et des intérêts, les adultes seront amenés à le faire d'abord à partir d'une base commune de revendications. Parler en leur nom propre et ne plus noyer leurs propositions parmi une multitude de demandes, effectuer eux-même les pressions auprès des instances décisionnelles, se donner une structure organisationnelle représentative, sont des tâches de premier ordre s'ils veulent que leurs voix soient entendues. Bien sûr, il existe déjà des regroupements, des comités et des associations dont le mandat est justement de représenter et de défendre les droits des étudiants, jeunes ou adultes; il est important de les utiliser comme des véhicules de revendication tout en travaillant à raffermir leurs rôles et leurs mandats et à mettre sur pied, là où il n'existe à peu près rien en ce sens, des mécanismes ou des lieux de participation.

La participation est un processus actif qui exige effort et travail.(18) Encourager la participation suppose de revoir les conditions matérielles qui ont pour effet assez souvent de la limiter. Nous pensons particulièrement aux horaires de travail et d'étude souvent inconciliables, au mode et au volume de financement inadéquats, au transport et aux garderies dont l'accès, les horaires et le coût incitent peu les gens à consacrer de leur temps à une participation volontaire. Ces obstacles, d'ordre strictement matériel, sont actuellement des enjeux majeurs de la participation et, qui plus est, ont eu pour effet de diminuer les efforts, les investissements d'énergie des individus, étudiants ou travailleurs. Ils ont souvent eu pour conséquence directe de diminuer les performances ou encore de décourager les initiatives de tous ceux et toutes celles qui ont eu à les subir. En faire abstraction serait confiner à nouveau les gens à leur rôle de spectateurs et non d'acteurs dans les milieux éducatifs. Il faut concevoir des moyens concrets pour faciliter un engagement dans le milieu. Lever les nombreux obstacles est un préalable indispensable à la participation efficace des adultes.

Ce bref tableau, qui sera plus longuement détaillé dans les chapitres qui suivent, revendique pour les adultes le droit de participer aux prises de décision. Toutefois, les canaux et les mécanismes favorisant cette participation sont, à toutes fins utiles, absents des structures décisionnelles, autant dans le milieu scolaire que culturel et encore davantage dans celui de l'entreprise.

Nous proposons certains mécanismes susceptibles d'encourager et de souligner la nécessité de cette participation des individus et des groupes. Notre objectif de démocratisation, en vue du développement du potentiel des gens, nécessite la révision des structures actuelles, qui sont le plus souvent fermées ou, à tout le moins, limitatives quant au pouvoir de l'adulte d'intervenir efficacement sur les organisations et les institutions qu'il fréquente.

Notes

  1. Fernand Dumont, « L'idée de développement culturel: esquisse pour une psycho analyse », Sociologie et sociétés, vol. XI, no 1. avril 1979.
  2. Jacques Grand'Maison, « Une société à deux étages », Prospectives, avril-juin 1975.
  3. Québec, Conseil des universités, Les droits des étudiants dans l'université, avis no 81.1, Québec, 17 sept. 1981. p. 4.
  4. Ibid., p. 1.
  5. Charles Hummel, L'éducation d'aujourd'hui face au monde  de demain, Unesco, p. 119.
  6. Guy Bourassa,  « Modernisation des mécanismes de participation » dans La modernisation politique du Québec, en collaboration, Montréal, éd. Boréal Express, 1976, p. 146.
  7. Conseil des universités, op. cit., p. 3.
  8. Conseil de l'Europe, Développement de l'éducation des adultes, Strasbourg, 1980, p. 48.
  9. J.W. Botkin et al., op. cit., p. 41.
  10. Unesco, Recommandation sur le développement de l'éducation des adultes, février 1980, p. 19.
  11. Expression empruntée à Paulo Freire.
  12. Unesco, op. cit., p. 20.
  13. Ibid., p. 43.
  14. Gaston Pineau, « Les possibles de l'autoformation » dans Éducation permanente, no 44, octobre 1978, p. 23.
  15. Québec, Conseil supérieur de l'éducation, L'égalisation des chances en éducation, énoncé de principe adopté à la 223e réunion le 25 avril 1980, p. 7.
  16. G. Daoust, Amyot, Fortin et Harvey, Éducation et travail, HMH, Montréal, p. 220.
  17. Québec, Conseil des universités, op. cit., p. 8.
  18. Botkin et al., op. cit.. p. 43.

Chapitre premier

5.1 La participation à la formation en milieu de travail

Introduction

La formation reliée à l'emploi constitue un enjeu majeur à la fois pour l'entreprise et pour les travailleurs et les travailleuses.

Le monde du travail est éminemment concerné par la question de la formation de la main-d'oeuvre. Aux prises avec des changements technologiques accélérés qu'une vive compétition impose comme règle du jeu, la plupart des entreprises reconnaissent l'obligation de transformer sans cesse leur système de production. En conséquence, les adultes sur les marchés de travail voient leur rôle évoluer et leurs tâches modifiées, de sorte que le maintien de l'emploi exige une mise à jour constante de leurs qualifications et compétences, voire même une réorientation complète. À défaut de quoi, ils risquent fort de subir les effets négatifs des changements technologiques et de la réorganisation des systèmes de production: déqualification et déclassement professionnels, parcellisation et banalité des fonctions, absentéisme et manque de motivation, licenciements, chômage, pauvreté, dépression...

* Une population qui se déqualifie perd la possibilité de proposer à son pays des objets nouveaux, originaux, variés. Or la concurrence ne s'exprime pas seulement par les coûts de production (...). L'économie pour survivre doit être Imaginative. Je suis convaincu qu'elle ne peut l'être qu'à condition que les travailleurs de ce pays soient conscients du rôle qu'ils jouent dans leur entreprise et se voient reconnaître une capacité de proposer (...).

Source: Raymond Barre, ex-premier ministre français, discours inaugural, Colloque « Formation '80 », Paris, juin 1980.

** La pratique de formation et la pratique de division du travail ne peuvent être comprises dans leurs relations mutuelles, qu'une fois replacées dans le cadre des formes sociales globales et spécifiques que sont les rapports sociaux de production à tel ou tel stade du développement du système productif(...).

Source: Nicole de Maupeou-Ableige, « Division du travail et formation », dans La division du travail, Colloque de Dourdan, Éditions Galilée, Paris, 1978, p. 139.

D'une part, les entreprises ont tout intérêt sur le plan de l'expansion économique et de la concurrence internationale à pouvoir compter sur une main-d'oeuvre qualifiée, expérimentée, apte à vivre des processus de changement*; d'autre part, les travailleurs ont forcément à coeur d'acquérir une plus grande qualification qui deviendra pour eux un bien, une richesse permettant une mobilité et une sécurité d'emploi accrue et favorisant l'amélioration des conditions de travail.

Dans cette optique, la formation reliée à l'emploi doit nécessairement réviser les principes sur lesquels elle repose actuellement et dépasser la fonction de simple réponse à des besoins ponctuels d'adaptation de la main-d'oeuvre aux changements technologiques. Nous croyons que la formation reliée à l'emploi s'inscrit dans une dynamique beaucoup plus globale et plus évolutive qui devrait l'amener à agir sur les conditions et les politiques de l'emploi, sur la nature et les modalités d'application des changements technologiques et, à la limite, sur les systèmes d'organisation du travail eux-mêmes.

En effet, pratiques de formation et organisation du travail ont toujours été intimement liées**. Depuis quelques années au Québec, nous pouvons constater que cette interinfluence se manifeste sous un jour nouveau et témoigne d'une volonté de redéfinir la nature et les fonctions de la formation reliée à l'emploi. En remettant en question des objectifs étroits, strictement utilitaristes à court terme de la formation, en préconisant un certain décloisonnement entre les types de formation et une déscolarisation des pratiques pédagogiques qui s'appuie sur la participation active des travailleurs et travailleuses, certaines entreprises se sont engagées à repenser la notion de productivité en lui attribuant une composante à la fois sociale et économique, à repenser également la planification et l'évaluation des besoins des entreprises en y intégrant également les besoins des travailleurs. Pour ces entreprises, la formation devient un élément-clé d'un nouveau type de gestion du personnel qui fait dorénavant appel à la motivation, à l'implication et à la participation des employés.

Ces remises en question ne sont pas étrangères à un courant international qui se réclame de la « démocratie industrielle » et d'un mouvement pour « la qualité de vie au travail ». En réalité il s'agit là de diverses réponses des entreprises à ce que d'aucuns appellent la crise actuelle de la division du travail: celle du taylorisme(1). Nous y reviendrons.

La participation des travailleurs et des travailleuses à leur formation va occasionner la remise en question des objectifs et des pratiques de la formation reliée à l'emploi

C'est également dans le contexte de cette crise que sont remis en question au Québec comme à peu près dans toutes les sociétés industrialisées, les objectifs et les pratiques de la formation reliée à l'emploi. La Commission, quant à elle, estime que la formation en entreprise est concernée elle aussi par les objectifs de démocratisation de l'éducation des adultes: l'adulte doit devenir le sujet et non l'objet de la formation; l'adulte réclame qu'on le considère autrement que comme un simple rouage de la machine. La qualification et l'accomplissement personnel et collectif des adultes qui travaillent doivent être perçus comme des atouts pour l'entreprise. Du point de vue de l'innovation, de la recherche, de la qualité de la production, de la motivation des employés, l'entreprise a tout avantage à favoriser le développement des pleines capacités des travailleurs par des programmes de formation qui font appel à l'autonomie, au sens des responsabilités et à l'intelligence de ces derniers. En retour, une formation conçue en fonction du double objectif des intérêts économiques de l'entreprise et des multiples besoins de formation des travailleurs exige la participation effective des partenaires de l'entreprise. Cette perspective engage également la mise sur pied de mécanismes de concertation à divers paliers (sectoriel, régional) et entre divers intervenants.

Au Québec, un tel projet se heurte à de multiples difficultés. Pour l'illustrer, nous ferons d'abord état des résultats de la consultation menée par la Commission sur la question de la participation à la formation reliée à l'emploi. Après avoir pris connaissance de certaines expériences étrangères, nous ferons part des principaux éléments de la politique que nous préconisons sur la participation dans le monde du travail. Tout en affirmant une volonté ferme en ce qui regarde la nécessité de la participation des adultes à leur formation, la Commission entend proposer des formules suffisamment souples et diversifiées pour rendre compte des multiples facettes de la réalité économique et sociale du Québec.

5.1.1 Positions des entreprises sur la participation à la formation en milieu de travail

5.1.1.1 Segmentation du marché et des pratiques de formation des entreprises

Quand nous parlons des entreprises au Québec, il est évident que nous traitons de réalités fort diverses: petites, moyennes et grandes entreprises, du secteur privé, public ou para-public, à l'oeuvre dans des domaines d'activités de pointe ou davantage traditionnelles, des secteurs primaire, secondaire, tertiaire. Les travailleurs de ces entreprises bénéficient de conditions de travail et de rémunération très variées; 36% sont syndiqués, 64%, non-syndiqués.

Rappelons quelques données du sondage de la Commission sur les pratiques de formation des entreprises (voir le chapitre 3 de la troisième partie)

83,3% des entreprises donnent une formation ;

Mémoires et consultations font état de plusieurs millions. Strictement à titre indicatif, voici quelques cas :

Une approche conservatrice et une approche innovatrice : la conception étroite et unilatérale de la formation, ou la conception intégrée et dynamique.

Dans la troisième partie traitant de l'accessibilité à l'éducation des adultes, nous décrivions les incidences de la segmentation du marché du travail (segmentation qui se produit aussi à l'intérieur des entreprises) sur les possibilités d'accès des travailleurs et des travailleuses aux activités de formation.* La structure des entreprises (taille, secteur d'activités, position sur les marchés internes et externes) est ici un facteur majeur de différenciation. La situation des entreprises face aux marchés (secteurs très concurrentiels/situation de monopole) influence l'importance que l'on accorde à la formation, les objectifs qu'on lui reconnaît et les moyens dont on dispose à cet égard. Les positions des entreprises sur la participation des employés à la formation peuvent varier en conséquence, quoique l'on ne doive pas en déduire un lien direct de cause à effet. La réalité est plus complexe.

Règle générale, la formation offerte dans les entreprises est de courte durée et très liée à la tâche (voir chapitre 4.3.3.4 pour une description plus complète). C'est le cas surtout dans les petites et moyennes entreprises qui jouissent de peu de ressources de formation (ressources financières d'abord et avant tout). Plus un travailleur a un emploi peu qualifié, plus la formation sera « étroite »: ce principe vaut pour tous les secteurs mais s'applique davantage à la P.M.E. Les grandes entreprises, elles, ont très souvent des programmes ou des politiques de formation et affectent du personnel à cet effet. Elles investissent déjà de fortes sommes* pour la formation de leur personnel spécialisé ; certaines se prévalant de programmes subventionnés à cet effet, d'autres préférant la financer.

5.1.1.2 Deux types d'approche en ce qui concerne la formation en entreprise

L'analyse des positions qui ont été soumises à la Commission par les moyennes et grandes entreprises et par les associations patronales concernant les objectifs de la formation reliée à l'emploi et la pertinence ou non de la participation des employés à cette formation, fait ressortir des distinctions qu'il nous semble important de relever. D'un point de vue global, il est possible de schématiser à cet égard deux types d'approche. Les schémas représentant toujours des dangers, il faut réaliser que de nombreuses positions intermediaires existent entre les deux pôles que nous allons décrire.

D'une part, des positions qu'on peut qualifier de conservatrices adoptent la conception d'une formation étroite, strictement utilitariste, à court terme, et exclusivement contrôlée par l'entreprise. D'autre part, des positions plus innovatrices s'affirment ici et là: la formation, en faisant appel à la participation de tous les intéressés, devient un instrument dynamique de gestion du personnel; elle constitue un élément important du succès économique et de la bonne marche de l'entreprise.

* Des entreprises expliquent que même si on arrivait à établir des prévisions à long terme, la situation concurrentielle de la libre entreprise inhiberait les initiatives de formation susceptibles d'indiquer au concurrent des changements technologiques significatifs.

Source: Consultation des 28-29 janvier 1981 avec les représentants des grandes et moyennes entreprises. Rapport synthèse, C.É.F.A., p. 17.

Ces deux approches génèrent, bien sûr, des pratiques de formation différentes. Le premier cas représente à l'heure actuelle les positions de la majorité des entreprises. On considère que la formation relève de la seule entreprise qui connaît les besoins dictés par sa stratégie économique. La formation est conçue comme un outil concurrentiel au même titre que la publicité, etc.* Les intérêts à court terme de l'entreprise prévalent sur tout autre considération et, dans ce contexte, les intérêts des employés sont facilement perçus comme contraires à ceux de l'entreprise. Celle-ci se définit comme le seul maître d'oeuvre à l'intérieur de ses murs.

Il peut être particulièrement difficile pour une entreprise, isolément, d'établir des prévisions globales en terme d'évolution et de besoins de main-d'oeuvre et de planifier en conséquence un programme de formation, surtout si elle appartient à un secteur économique fortement concurrentiel. Bien que les grandes entreprises et les secteurs monopolistiques soient davantage en mesure de le faire, cela ne signifie pas pour autant que ces entreprises aient à coeur de préparer leur personnel à des changements technologiques qui sont prévisibles (cette dernière remarque peut s'appliquer au secteur des banques actuellement). On préfère concevoir la formation de façon étroite et cloisonnée: ce qui se traduit par la scission absolue entre la formation strictement reliée à la tâche et la formation qui ferait appel à des compétences plus générales. Dans cette optique, l'entreprise ne devrait assumer que la part de formation spécifique à ses besoins, le développement dit « personnel » étant laissé à l'individu qui va chercher ses ressources où et quand il peut. Sur le plan du contenu de formation comme sur celui des pratiques pédagogiques (voir le chapitre sur la déscolarisation en milieu de travail), cette conception de la formation reliée à l'emploi se situe à l'opposé des objectifs de l'éducation permanente qui prône le développement de la personne dans sa totalité, le décloisonnement et la prise en charge collective des problèmes et des situations de vie de l'adulte.

Par ailleurs, une conception beaucoup plus dynamique du rôle et des fonctions de la formation se développe dans certains milieux des affaires. Dans ces cas, la formation est un élément intégré d'une politique de gestion de la main-d'oeuvre qui postule l'interdépendance des problèmes et des intérêts en cause. Les programmes de formation s'articulent autour de deux axes: les besoins de l'entreprise et ceux de l'individu. En d'autres mots, l'employé doit pouvoir s'adapter aux changements dans l'entreprise, mais celle-ci doit aussi stimuler son goût pour le développement personnel, pour un changement planifié auquel il est associé et ainsi susciter son intérêt pour le perfectionnement.

La formation est devenue un baromètre, un instrument qui permet a" identifier dans une certaine mesure où, quand, comment, pourquoi des améliorations doivent être introduites dans la gestion de la main-d'oeuvre.(2) La participation des employés devient une condition sine qua non de la réussite de ces programmes. Cette conception préconise une « formation continue » qui exige une transformation des approches pédagogiques. En conformité avec le principe de la participation, celles-ci doivent tenir compte du bagage d'expériences de l'employé (âge, scolarité, etc..) et de ses aspirations, des besoins actuels et futurs de l'entreprise, déterminer le temps disponible et nécessaire à la formation, viser la transférabilité des connaissances d'une fonction à une autre.

* (...) la polyvalence est une notion relative qui s'oppose à son inverse et complémentaire : la spécialisation. La polyvalence répond à un choix patronal et à ce titre constitue un axe particulier d'une politique de gestion de la force de travail. Le terme de polyvalence peut cependant recouvrir des réalités bien différentes selon les orientations de la politique d'organisation du travail des employeurs.

Source: Mireille Dadoy, « La polyvalence ouvrière et sa rémunération », dans La division du travail, Colloque de Dourdan, Éditions Galilée, Paris, 1978, p. 91.

** Comme c'est pratiquement le cas dans d'autres pays: nous citerons plus loin les expériences françaises, suédoises, japonaises...

Le dossier du congé-éducation est à peu près gelé au Québec.

Des entreprises prévoient que le décloisonnement des tâches traditionnelles (au moins dans certains secteurs de l'industrie) exigera une plus grande polyvalence* de la part de l'employé et justifiera par le fait même une conception plus élargie de la formation reliée à l'emploi. Sans entrer de plein pied dans les débats qui entourent la notion de polyvalence, mentionnons que ce terme a qualifié les pratiques patronales les plus diverses. Dans certains cas, ces pratiques ont entraîné la déqualification du personnel, suscitant les critiques et les réactions syndicales. Dans d'autres cas, elles ont remis en question la « spécialisation taylorienne » et ont abouti à conférer aux employés visés une qualification réelle et relativement autonome par rapport à l'industrie, assurant des avantages certains pour ces derniers(3). Le vice-président aux ressources humaines d'une grande entreprise du Québec s'exprime sur le sujet: ... on reconnaît que les organisations modernes de travail seront de plus en plus flexibles, et seront basées sur un regroupement de tâches plus variées que ce que nous connaissons aujourd'hui. Ce décloisonnement des tâches traditionnelles offrira au travailleur et à son équipe une plus grande autonomie de prise de décisions et de fonctionnement mais, en retour, exigera de chacun une plus grande polyvalence et, par conséquent, un plus grand éventail de connaissances et d'expérience.(4)

Il est prévisible qu'une part grandissante des intervenants du monde des affaires sera amenée à partager ces vues**. Notons que déjà un certain nombre de mémoires soumis à la Commission développent des positions qui à certains égards indiquent une volonté de repenser la formation reliée à l'emploi. Ainsi, Rolls-Royce est d'avis qu'un certain type de formation générale peut être associé aux activités de l'entreprise (5). Le mémoire du Centre des dirigeants d'entreprise affirme qu'une politique de formation professionnelle des adultes doit présenter une structure suffisamment souple pour permettre le transfert d'une discipline à l'autre et le recyclage des travailleurs en fonction des goûts personnels ou de l'évolution du marché du travail(6). Pour sa part, la Chambre de commerce du district de Montréal a fait état de l'obligation pour les entreprises d'aider à l'actualisation des connaissances devant contribuer à l'avancement professionnel et à l'enrichissement personnel des employés.(7)

II paraît certain qu'un courant, davantage novateur sur le plan de la gestion et de la formation du personnel, se rattache à une certaine stratégie patronale de dimension internationale, qui cherche à réagir et à trouver des issues à la crise du taylorisme et qui expérimente diverses options en vue d'améliorer la production et la performance de l'entreprise sur la scène internationale. Concurremment et simultanément, de nouvelles formes d'organisation du travail s'élaborent: on met à l'ordre du jour des objectifs de démocratisation industrielle, de qualité de vie au travail, de revalorisation du travail, etc. Il est généralement estimé que ces initiatives dans le domaine de l'organisation du travail conduisent à hausser la productivité de ces entreprises. Les syndicats réagissent de façons diverses à ces expériences où la question de la participation se trouve intimement imbriquée.

Un autre dossier qu'on ne saurait ignorer avant d'aborder comme telle la question de la participation à des comités de formation en entreprise est celui du congé-éducation, ne serait-ce que parce que les syndicats en font généralement un mécanisme devant être géré par d'éventuels comités de formation. Il importe de se rappeler les positions des parties patronale et syndicale à ce sujet. Ce dossier est abondamment traité au chapitre 3 de la troisième partie de ce rapport, laquelle porte sur les inégalités d'accès à l'éducation des adultes dans le monde du travail.

Rappelons ici les propos du Conseil du patronat du Québec qui résument bien la position majoritaire du patronat: Cette proposition reviendrait à faire porter encore une fois par l'entreprise le coût de mesures sociales qui devraient être supportées par l'État, c'est-à-dire par l'ensemble des citoyens, si tant est que ces mesures soient jugées nécessaires socialement. (...) Même en admettant que, comme société, le Québec doive se donner de tels objectifs de développement social (ce qui est loin d'être évident), où est le lien qui rattache de telles mesures à la responsabilité de l'entreprise? (...) De plus, dans le domaine de la formation « socioculturelle », nous ne voyons pas sur la base de quel principe de justice on imposerait aux entreprises de financer une forme d'éducation qui est de la responsabilité des individus ou bien de tous les contribuables.(8)

5.1.1.3 Pour ou contre la participation à une formation au sein de l'entreprise et la concertation en général

En dépit de plusieurs voix favorables à la participation des employés à une formation, plusieurs entreprises sont réfractaires à une législation devant créer des comités de formation en entreprise.

C'est principalement lorsque l'on envisage la participation des employés à une formation sur les lieux mêmes du travail que celle-ci pose un problème aux employeurs. Comme nous l'avons vu, un certain nombre de dirigeants d'entreprise vont juger que la participation des employés au programme de formation est souhaitable et même indispensable. Ceci dit, on peut se prononcer sur un principe, mais la question des modalités concrètes offre plusieurs possibilités. Ainsi, si certaines entreprises envisagent l'implication des employés dans le choix des programmes, des techniques pédagogiques et des mesures d'apprentissage, elles ne souhaitent pas forcément que les comités de formation aient un rôle de gestionnaire de budget de formation ou qu'ils fonctionnent sur une base paritaire.

Pour Rolls-Royce, les comités de formation devraient être les vrais responsables de la formation au niveau de l'entreprise. Ils devraient offrir une représentation équitable (pas forcément égale) aux parties, mais on devrait éviter qu'ils se transforment en second comité de négociation. Consolidated-Bathurst affirme, pour sa part, que la concertation avec le syndicat est devenue la façon habituelle de fonctionner et croit que l'entreprise qui n'associe pas le travailleur à l'élaboration de ses programmes risque de passer à côté de la voie... Canadair déclare avoir pris soin d'associer les travailleurs à la définition et à l'orientation des activités de formation qu'elle décrit dans son mémoire à la Commission. La Direction régionale du Québec de l'Institut des banquiers canadiens formule toute une série de recommandations dans le sens de la participation, par exemple:

Dans le but de favoriser l'accès à l'éducation des adultes, le gouvernement devrait encourager et favoriser tout projet ou formule d'éducation récurrente faisant appel à une participation et à une collaboration des travailleurs, des employeurs et des institutions d'enseignement.

Toute formule éventuelle de coordination du secteur de l'éducation des adultes devrait non seulement tenir compte des réalités régionales et leur permettre de s'exprimer, mais aussi assurer la participation des usagers à la production du savoir et des connaissances. Il importe que les travailleurs soient associés à la définition et à l'orientation de la formation professionnelle.(9)

* 74,5% des entreprises ne font aucune consultation à propos des activités de formation durant les heures de travail ; le pourcentage s'élève à 87,5% pour ce qui est de la formation sur le tas.

Source: Annexe 3, Sondage sur les pratiques de formation en entreprise, C.É.F.A., 1981.

D'autres mémoires provenant d'entreprises suggèrent que le gouvernement favorise et initie des formules de concertation entre les divers partenaires. Il ne faudrait pas croire pour autant que la participation des employés à des comités de formation dans l'entreprise trouve l'assentiment général des entreprises*. La majorité d'entre elles, principalement par la voix de leurs associations, se sont prononcées contre toute législation devant créer des comités paritaires et, en général, contre l'imposition de mesures uniformes pour toutes les entreprises de tous les secteurs. Nous constatons que les P.M.E. sont en général absentes du débat sur la participation, ce qui reflète bien les inégalités de ressources et les effets de la segmentation du marché sur les pratiques de formation.

Une opinion généralement favorable à la concertation

À peu près tous les intervenants du monde des affaires affirment que la Loi 49 sur la formation professionnelle au Québec n'a pas donné les effets escomptés et que les processus de consultation prévus à cet effet n'ont pas fonctionné. En dépit de ce bilan négatif, la proposition de la Commission, contenue dans le document Hypothèses de solutions, de former des comités sectoriels sur une base régionale ou provinciale est généralement bien accueillie. On estime que ces derniers peuvent jouer un rôle utile en termes d'analyse des besoins des marchés du travail (en liant formation et emploi) et en terme de planification de la recherche. Les entreprises reconnaissent généralement le bien-fondé de structures régionales reflétant des dynamismes spécifiques.

Plusieurs mémoires insistent pour que la structure d'élaboration et d'implantation des programmes soit telle qu'elle permette la participation de tous les partenaires sociaux. Le mémoire du Centre des dirigeants d'entreprise recommande « que soit assurée par des mécanismes adéquats la présence active du patronat et des entreprises à tous les paliers de la structure de gestion du système de formation professionnelle des adultes »(10). Lors de la consultation de janvier 81, les moyennes et grandes entreprises ont souhaité que l'on multiplie les mini-sommets par secteur économique et se sont dites prêtes à participer à des tables de concertation (institutions, syndicats, etc ...) dans la mesure où ces échanges donneraient des résultats satisfaisants. La mise en commun des ressources pour des entreprises d'un même secteur est apparue comme une solution possible aux problèmes des entreprises qui ne peuvent isolément assurer de façon efficace une formation de leur personnel. C'est surtout le cas des P.M.E. pour lesquelles il n'est pas rentable de mettre sur pied des programmes de formation spécialisée à l'intention de quelques employés, ce qui représente évidemment un coût prohibitif à l'unité. Mettre en commun des ressources éducatives permettrait à ces entreprises à la fois de répondre à leurs besoins et de réaliser des économies d'échelle substantielles.

Dans la même veine, les entreprises en général ne sont pas réfractaires à la concertation. Au contraire, plusieurs suggestions sont faites en ce sens. Tous les intervenants en éducation des adultes tireraient avantage, par exemple, d'une meilleure coordination entre le milieu scolaire et le milieu du travail. Même si les griefs sont nombreux face au système scolaire (voir le chapitre 4.3.3.4: La formation en milieu de travail), les entreprises souhaitent collaborer avec les institutions à l'édification de programmes mieux adaptés à leur réalité et à leurs besoins. L'idée d'un comité tripartite (ministère, monde scolaire, monde professionnel) visant l'élaboration d'un code d'éthique sur la formation professionnelle en milieu de travail est soutenue par plusieurs mémoires des grandes entreprises.

5.1.2 Positions des travailleurs, des travailleuses, et de leurs représentants, sur la participation à la formation en milieu de travail

5.1.2.1 La formation reliée à l'emploi: un enjeu important pour les travailleurs et les travailleuses

Une situation inquiétante sur le plan de l'emploi

Depuis 10 ans, il ne s'est pas donné de formation professionnelle adéquate et adaptée aux besoins du marché.(11) Voilà qui résume la pensée de nombreux organismes syndicaux en la matière. Selon la Fédération des travailleurs du Québec, aucun organisme national, de l'entreprise privée ou du gouvernement, ne possède des renseignements statistiques valables sur les besoins présents et futurs des marchés du travail. L'inexistence d'une politique québécoise de main-d'oeuvre, alliée à l'absence de consultation des partenaires sociaux dans le cadre de la Loi 49 ont rendu impossible l'identification des besoins. Situation particulièrement inquiétante et dramatique pour les travailleurs qui voient se dessiner un certain nombre de tendances en matière d'emploi :

Pour contrer ces tendances, il est nécessaire pour certains d'associer les travailleurs à l'élaboration des programmes de formation; pour d'autres, il faut renforcer le contrôle de l'école publique sur les programmes.

* La loi de l'aide à l'apprentissage de 1945 avait mis sur pied des comités paritaires (147 au Québec en 1964) et des Commissions d'apprentissage dans les régions. Dans l'industrie de la construction, par exemple, les principales décisions relatives à la formation appartenaient aux comités paritaires. Le Bill 49, adopté en 1969, remplace cette loi, crée les Commissions de formation professionnelle et instaure au Québec un système beaucoup plus centralisé qui assure l'uniformité des normes et conditions de la formation. Devant favoriser en principe une meilleure perspective d'ensemble, on juge cependant ce système beaucoup moins fonctionnel. Certains syndicats de métiers se réfèrent avec nostalgie à la période d'avant 1969 (voir chapitre 3, troisième partie).

Peu de mesures efficaces sont prises dans le domaine de la formation reliée à l'emploi pour contrer ces tendances. Au contraire, la formation dispensée en entreprise s'inscrit généralement dans ce courant et, selon les syndicats, les rapports fédéraux Axworthy-Dodge et Allmand risquent d'entériner cette situation.

Les syndicats déplorent que les programmes soient faits sans consultation auprès des travailleurs et sans tenir compte des besoins de main-d'oeuvre. Les conséquences en sont multiples, tant sur le plan de l'orientation, du contenu, que des approches pédagogiques. Contrairement à ce qui existait jadis, les syndicats et les employeurs sont exclus de la programmation et de la participation relative aux cours d'apprentissage. (...) Les centres d'apprentissage ont été remplacés à la baisse par les centres de formation professionnelle qui insistent trop peu sur la pratique, qui enseignent le métier d'il y a dix ans avec de l'équipement dépassé (...).(14)

Le mémoire de la Centrale des syndicats démocratiques suggère que la formation poursuive les objectifs suivants :

La C.S.D. affirme qu'on ne pourra y arriver qu'en associant les travailleurs à l'élaboration des programmes et en tenant compte des spécificités de leurs besoins (sur le plan régional, sur le plan des populations cibles). La Centrale de l'enseignement du Québec, pour sa part, craint que l'on ne soit en train d'assister à un processus de réduction des contenus de formation qui aboutirait à des formations incomplètes non transférables: Au niveau des cégeps, le nouveau mode d'intervention, la formation sur mesure, se développe presque exclusivement dans une perspective d'adaptation de la main-d'oeuvre au marché du travail. La formation professionnelle par certificat ou sur mesure est en voie de devenir le cheval de Troie des orientations prônées dans les rapports GTX et Nadeau tendant à réduire les programmes collégiaux professionnels à un enseignement étroitement technique et à amputer la formation collégiale, initiale et ultérieure, de ses garanties de formation générale.(16)

Les organisations syndicales perçoivent donc des enjeux importants autour de la formation reliée à l'emploi. Il s'agit maintenant de voir comment elles définissent leur rôle en rapport avec ces problèmes.

5.1.2.2 La formation reliée à l'emploi: une responsabilité des organisations de travailleurs

La syndicalisation semble avoir peu d'effets sur la présence ou non de pratiques de formation en entreprise.

Intérêt des syndicats pour la formation : distinguons ici la formation syndicale, la formation générale et la formation reliée à l'emploi.

Le sondage sur les pratiques de formation des entreprises révélait que le facteur de la syndicalisation des employés avait très peu d'effets sur celles-ci. Serait-ce que les syndicats ne s'intéressent pas suffisamment à cette question ou que les conditions actuelles ne leur permettent pas d'intervenir efficacement sur les centres de décision? La deuxième hypothèse influence peut-être la première. De toute manière, nous constatons que 67% des entreprises déclarant des activités organisées de formation ont des employés syndiqués, contre 61% là où il n'y en a pas, et que le pourcentage de bénéficiaires dans les entreprises où les travailleurs ne sont pas syndiqués (28%) est très voisin de celui des entreprises où le personnel est syndiqué (30%). Dans le secteur public, cependant, les possibilités d'accès à la formation sont supérieures si l'employé est syndiqué. D'autres données du sondage démontrent que :

Lorsqu'il s'agit de mesurer l'intérêt des organisations syndicales envers la formation, des distinctions s'imposent. Sur le plan de la formation syndicale, nous savons que le milieu syndical a généré à l'intérieur de ses rangs, et ce, depuis plusieurs décennies, des pratiques de formation riches et diversifiées, dans la lignée d'une tradition pédagogique et d'une orientation non scolaire (voir le chapitre 4.3.3.2). Une conscience encore plus large de la nécessité de la formation syndicale s'est développée depuis le début des années 70, occasionnant des investissements de plus en plus importants, la mise sur pied et l'expérimentation de nouveaux programmes (l'information, la condition féminine, la santé et la sécurité au travail, l'assurance-chômage, etc.), la multiplication de comités de formation à la base, la négociation de plusieurs clauses de convention collective touchant la formation (permis d'absence: contribution financière de l'employeur), etc. Dans beaucoup de milieux syndicaux, on ne craint pas d'affirmer que la formation syndicale est devenue une priorité pour les membres.

La situation est différente en ce qui concerne la formation reliée à l'emploi. Certains syndicats avaient déjà, sous ce rapport, une forte tradition d'implication, par exemple les syndicats de la construction engagés dans des comités paritaires et des commissions d'apprentissage. Même si, historiquement, les organisations syndicales se sont préoccupées de formation, aussi bien de formation générale (la lutte pour l'école publique et l'instruction obligatoire) que de formation dite professionnelle (représentations, mémoires, participation à des instances de concertation, négociation de programmes d'apprentissage en usine), l'on constate que, traditionnellement, pour bon nombre de travailleurs, la formation « professionnelle » est l'affaire des entreprises.

Les positions des syndicats évoluent ces dernières années : la participation à la formation en milieu de travail s'impose comme une nécessité.

Une revendication privilégiée cependant : le congé-éducation payé

La situation économique actuelle (licenciements, fermetures d'usines, changements technologiques, chômage, déclassification et déqualification) est en voie de changer les mentalités. Dans certains secteurs de l'économie, les syndicats s'intéressent et suivent de près des programmes favorisant la mobilité du personnel. D'autres, du privé comme du public, participent à des comités conjoints de recyclage, de perfectionnement, etc. Certains sont directement interpellés par des programmes mis sur pied par l'entreprise, par exemple la prévention en santé-sécurité, où le patronat sollicite leur participation (ce fut le cas dernièrement à Black Lake à la compagnie du Lac d'Amiante).

La création de la Commission d'étude sur la formation des adultes a également incité les organisations syndicales à faire le point sur la conjoncture et à réexaminer leurs positions traditionnelles en cette matière. Aussi pouvons-nous estimer qu'au plan de la responsabilité des syndicats et de leur volonté de s'impliquer dans le dossier de la formation reliée à l'emploi, du chemin a été parcouru ces dernières années. On perçoit de plus en plus les énormes enjeux de cette formation pour les travailleurs et travailleuses et on est conscient de la nécessité d'intervenir dans le dossier. Certains parlent de consultation, d'autres, de participation ou de droit de veto, d'autres encore, des recours à la convention collective: les débats s'amorcent sur ce sujet.

Face à l'entreprise, une revendication fait toutefois l'unanimité des syndicats, c'est celle du congé-éducation payé. Toutes les organisations syndicales désirent que ce droit soit inscrit dans une législation, certaines modalités pouvant faire l'objet d'entente formelle entre les parties. On en fait une condition essentielle de démocratisation de l'éducation des adultes. Actuellement, un faible nombre d'établissements, concentrés surtout dans le secteur de l'enseignement, offrent à leurs salariés des congés de formation avec rémunération durant les heures de travail. Sauf lorsqu'il s'agit d'absence pour formation syndicale, l'attribution du congé est sous contrôle quasi exclusif de l'entreprise qui décide de la durée, de la nature du congé, et qui désigne les employés qui peuvent en bénéficier. D'après les syndicats, ces mesures ne respectent en rien les aspirations des travailleurs et elles accroissent de fait les écarts de formation et les inégalités entre les employés. Cependant, comme nous l'avons signalé, ces dispositions, en faveur d'un contrôle par l'employeur, font partie de la quasi-totalité des clauses de congé-éducation négociées dans le cadre de conventions collectives.

Les organisations syndicales se sentent de plus en plus concernées et préoccupées par la formation reliée à l'emploi. Jusqu'ici, elles ont surtout des réticences à porter leur action sur le terrain de la concertation avec l'entreprise, axant davantage leurs revendications sur le congé-éducation payé et diverses clauses de conventions collectives touchant à la formation. Les propositions de la Commission ont cependant amené les syndicats à se prononcer sur des mécanismes concrets de participation à la formation en milieu de travail. Sans y retrouver une parfaite homogénéité, nous constatons néanmoins qu'une grande majorité de voix s'annonce favorable à ce principe.

Même si la participation des adultes à leur formation est jugée indispensable, les syndicats ont des réticences à se définir comme partenaires dans l'entreprise.

*  ... contrairement au sentiment courant, il n'est pas du tout certain que les syndicats partagent l'enthousiasme, parfois délirant, de ces experts en gestion nouvelle en ce qui concerne notamment la prise en charge par les employés de l'organisation de leur travail: ils s'en tiennent généralement à des revendications beaucoup plus classiques, comme la sécurité d'emploi, la réduction du temps de travail et l'augmentation des rémunérations. Le partage des responsabilités entre cadres et exécutants, une certaine forme de participation à la gestion de l'entreprise au niveau stratégique, et même organisationnel, ne sont guère des formules prisées par beaucoup d'exécutifs syndicaux. Soit qu'ils trouvent que le pouvoir leur échapperait, soit qu'ils estiment que de telles procédures émanant de la direction ou d'experts universitaires, ne sont en fait que des procédures de récupération subtiles de la force de travail. La plupart du temps, ils n'y voient qu'une tentative patronale destinée ultimement à les court-circuiter et à endormir les travailleurs.

Source: Gilbert Tarrab, Le Devoir, 24 octobre 1981, à propos du livre de Maurice de Montmollin, Le taylorisme à visage humain, P.U.F., Paris, 1981, 168 p.

5.1.2.3 Positions des syndicats face à la participation à la formation en milieu de travail

Même si, nous l'avons vu à de multiples reprises, la participation des adultes est jugée indispensable pour changer le caractère, l'orientation et les méthodes de la formation reliée à l'emploi, les syndicats commencent à peine à prendre position sur des modalités concrètes de participation. Leurs positions sont souvent empreintes de méfiance et de réticence. La situation est jugée complexe et contradictoire à plusieurs égards.

Déjà, sur le plan international, de nouvelles expériences d'organisation du travail requerrant la participation des employés ont suscité de nombreuses mise en garde quant à leurs résultats. Pour André Gorz, le remplacement du despotisme d'usine par la « démocratie industrielle » constitue une manipulation pour réconcilier les ouvriers avec le travail.(17) En fait, un certain nombre d'expériences de réorganisation du travail, fondées entre autres sur la polyvalence et la constitution d'équipes semi-autonomes de travail, semblent avoir débouché sur une exploitation plus grande des travailleurs(18): déqualification, mobilité interne et augmentation de la charge de travail totalement incontrôlable, mise au « rancart » du syndicat, etc.

Les organisations syndicales, tout au moins en Occident et surtout en Amérique, manifestent généralement beaucoup moins d'enthousiasme que la partie patronale à s'engager dans des modèles participatifs de gestion et de prise de décision: on estime que les travailleurs, ce faisant, assument les responsabilités du patronat sans en retirer les fruits.*

En réalité, les travailleurs peuvent également tirer profit de ces réformes: une plus grande autonomie dans le travail, des tâches enrichies, des qualifications accrues, une amélioration des conditions de travail en général. Dans certains cas, les ouvriers sont encouragés à prendre leurs propres décisions et la production dépend de leur consentement et de leur initiative. Étant donné la marge de manoeuvre et le pouvoir que ces réformes peuvent conférer aux employés, Paul R. Bélanger estime que: les nouvelles formes d'organisation du travail sont placées devant un dilemme et ne sont pas généralisées même si les expériences indiquent qu'elles accroissent la satisfaction des travailleurs en même temps que la production et les profits, elles ne sont introduites que là où le patron est forcé de remédier aux effets du taylorisme.(19)

Peut-être devrait-on plutôt dire que ces expériences ne sont pas « encore » généralisées. Au Québec, elles sont peu nombreuses. Les syndicats ne sont pas vraiment préparés sur ce terrain, d'où leur attitude généralement défensive. Cette analyse des modèles participatifs en entreprise et de leurs effets influence sans conteste (plus ou moins selon le cas) les positions actuelles des syndicats sur la participation des travailleurs et des travailleuses à des comités de formation en entreprise. Néanmoins, malgré certaines réserves, cette proposition reçoit l'appui général du mouvement syndical, comme en témoignent les positions prises par les principaux intervenants du milieu syndical au Québec.

La F.T.Q. suggère qu'une loi-cadre en éducation des adultes prévoie la mise en place de structures décisionnelles, opérationnelles et efficaces, reconnaissant le principe d'une participation des travailleurs, à travers leurs organisations syndicales, à l'élaboration, à la définition des politiques et des contenus de formation, au niveau des lieux même du travail et à l'intérieur des grands secteurs(20). Différents syndicats de la F.T.Q., surtout dans la construction, insistent pour qu'on réanime des comités sectoriels régionaux et/ou provinciaux sur une base paritaire.

La C.S.N. pour sa part propose la mise sur pied, sur la base des unités d'accréditation, de comités syndicaux de formation permettant « si nécessaire » de négocier adéquatement dans des comités paritaires. Les comités syndicaux auraient aussi pour fonction de négocier à la table de concertation régionale.(21)

Le Syndicat des professionnels du gouvernement du Québec, tout en appuyant le principe des comités de formation, prévoit des difficultés de fonctionnement dans le cas où plusieurs syndicats d'une même entreprise siégeraient sur le même comité. D'autre part, il ne recommande pas, pour des raisons de lourdeur et d'inefficacité, de s'en remettre au comité sectoriel en cas de conflit au niveau local. (22)

La C.E.Q. est d'avis que les comités devraient fonctionner au choix des parties concernées, soit sur la base des unités d'accréditation, soit sur la base de l'entreprise. Pour elle, les comités sectoriels régionaux rattachés à l'emploi risqueraient d'enfermer la formation dite professionnelle dans une logique trop étroite d'adaptation aux marchés de travail (par exemple, inaccessibilité à des métiers jugés non nécessaires dans la région). Elle recommande donc que l'école, le réseau public de l'éducation des adultes, demeure garante des normes provinciales assurant la transférabilité de la formation et la reconnaissance des acquis. Dans cette optique, les comités paritaires devraient passer par le réseau public pour une partie de l'élaboration et pour la réalisation de leur programme.(23)

Les syndicats soulignent tous leurs inquiétudes pour ce qui est de l'application des mécanismes de participation aux secteurs non syndiqués. Plus de 60% des employés sont dans cette situation et ont généralement peu ou pas de tradition de vie associative; ils seront, de l'avis des syndicats, à la merci des politiques patronales.

Dans l'ensemble, nous pouvons donc conclure que le milieu syndical, en dépit de certaines mises en garde, est majoritairement favorable à ce que soient mis en place au niveau de l'entreprise d'abord, mais aussi aux paliers sectoriel et régional, des mécanismes de participation à la formation reliée à l'emploi. Cette décision provient de la volonté de remédier aux problèmes d'emploi qui sont de plus en plus cruciaux pour les travailleurs et les travailleuses. On réclame, en conséquence, que soient mis entre les mains des premiers intéressés (employeurs et employés) la responsabilité, le contrôle, la surveillance et l'exécution des programmes de formation reliée à l'emploi.

5.1.3 D'autres organismes interviennent sur le sujet

D'autres organismes sont concernés par les problèmes entourant la formation reliée à l'emploi et ont soumis à la Commission leurs commentaires sur la participation et la concertation dans le monde du travail. Citons quelques aspects de ces commentaires.

L'Institut canadien d'éducation des adultes propose que l'on reconnaisse le droit de veto des employés sur la gestion et l'utilisation des fonds alloués à la formation et que des mécanismes assez souples soient mis en place pour que les différents groupes d'employés puissent faire valoir leurs besoins. Il suggère de ne pas continuellement recourir à la médiation des structures régionales et des comités sectoriels et que des projets de concertation à la base s'élaborent entre l'école publique et les comités de formation en entreprise.

Les Commissions de formation professionnelle souhaitent, quant à elles, une étroite collaboration entre l'État et le monde du travail (employeurs et salariés). Les comités sectoriels régionaux devraient appliquer les politiques de formation reliée à l'emploi (contrôle et gestion de budgets), et les C.R.É.A. (Centres régionaux d'éducation des adultes) devraient être responsables du bon fonctionnement des comités sectoriels. Il est nécessaire, selon eux, de préconiser des mesures spéciales pour les petites entreprises.

Le Conseil du statut de la femme a porté à l'attention de la Commission les points suivants:

que les C.R.É.A. soient chargés de régler les litiges au sein des comités paritaires. Que la Commission prévoie les mécanismes permettant de s'assurer que ces litiges seront effectivement soumis à un tiers ;

que soit assurée une représentation proportionnelle selon le sexe et l'ethnie au sein de toutes les instances de concertation/participation ;

que, pour les milieux non-syndiqués, les C.R.É.A. prévoient des mécanismes de soutien (information, organisation...), sans quoi la participation recherchée risque d'être sérieusement compromise.(24)

Voilà, à notre avis, le portrait général de la situation et des positions des différents partenaires sociaux en ce qui concerne la participation à des comités de formation en milieu de travail. Tel que nous l'annoncions, il n'y a pas consensus, mais des efforts significatifs sont déjà engagés sur ce point. Ce tableau ne saurait être complet sans la référence à certaines expériences étrangères qui nous ont inspiré pour la politique que nous proposons en matière de participation en milieu de travail.

5.1.4 Survol de quelques expériences étrangères en termes de participation à la formation reliée à l'emploi

Il est impossible de rendre compte de la complexité des expériences étrangères en les situant dans leur contexte historique, social, économique et politique. Nous voulons cependant, en introduisant des exemples et des informations d'ailleurs, rappeler que les principes d'une éducation permanente, gérée en fonction des besoins des individus et des collectivités, trouvent des applications diverses dans les milieux de travail et peuvent répondre aussi bien à des objectifs de rentabilité qu'à des aspirations de démocratisation et d'épanouissement personnel.

5.1.4.1 La Norvège

Dans l'entreprise, un organisme paritaire décide du programme de formation et de ses modalités d'exécution et est responsable de la gestion des subventions gouvernementales.

La loi norvegienne du 18 mai 1976 définit les mécanismes de participation dans l' Industrie et les priorités d'un programme d'éducation.

The financial priorities are based on the overall development in the direction of lifelong learning without any special priority being given to education which gives formal competence or economic profit (...).

Industries and national associations of industries do not normally satisfy the general conditions of the law's stipulated organizational structure. However, subsidies for industrial training will still be given on certain conditions. Such subsidization is dependent upon a positive decision by a body in each company which has equal representation from the employer and employees' sides and furthermore that the training is relevant for the work of the company. A further ruling will be made about which body shall be given the above mentioned responsibility.

Such training can be organized in different ways: The industry concerned can co-operate with the public educational institutions, folk high schools, approved organizations or national associations of industries, or the company can organize the course itself. The two parties on the company level will make a joint decision about which of the forms of co-operation they consider suitable in each case. The principle of participant influence shall also apply-to the training organized by Industry.

Labour market courses can also be organized in co-operation with Industry. In the same way, industrial training prescribes a joint forum of opinion between the parties in the company about the course program.(25)

5.1.4.2 La Suède

Participation directe, à tous les niveaux, des partenaires des marchés de travail pour tout ce qui concerne l'emploi et les politiques de main-d'oeuvre, la formation dite professionnelle, les mesures sociales et économiques liées au travail.

La politique suédoise des marchés de travail agit sur deux plans simultanément et la question de la formation est intimement liée à l'objectif de la sécurité d'emploi. Les problèmes doivent être abordés sur le lieu même du travail. Les organisations locales de tout genre jouissent donc d'une liberté considérable de prise de décisions. La concertation est un rouage indispensable de cette politique.

Le principe moteur de la politique suédoise du marché du travail d'aujourd'hui est que, lorsque apparaissent des problèmes de l'emploi, ceux-ci doivent en premier lieu être attaqués sur le lieu du travail, ceci dans le but de sauvegarder les emplois et de prévenir les fermetures d'entreprises et les licenciements susceptibles d'entraîner le chômage. La législation sur la sécurité de l'emploi joue ici un rôle d'importance vitale. Celle-ci fait supporter aux employeurs le poids principal de la responsabilité sociale des revenus et emplois du personnel. Cette législation a été complétée par diverses mesures visant à stimuler les investissements, la production et la formation professionnelle. On peut mentionner en la circonstance les décisions concernant le déblocage des réserves statuaires d'investissement et de l'environnement du travail, les subventions à l'investissement, l'aide à la constitution de stocks et diverses mesures de soutien à la formation professionnelle sur le lieu de travail.

Même dans les cas où des lois ont été instituées pour promouvoir le bien-être des travailleurs (horaires, congés, pensions, sécurité, environnement du travail, sécurité de l'emploi, formation professionnelle), des rôles importants sont laissés aux organisations dans l'exercice de leurs activités. L'objectif de la plus grande partie des travaux de réforme est basé sur la participation directe des organisations représentant les parties du marché du travail. Dans certains cas, la législation est impérative, mais dans d'autres elle est facultative et peut être remplacée ou complétée par des accords.(26)

Une action rapide contre les effets négatifs des variations de l'emploi nécessite aussi une centralisation des ressources de formation (centres de formation permanents ou temporaires, banque de ressources...). La formation dite professionnelle étant reliée à une politique d'emploi, la concertation doit également porter fruit au niveau national: la Direction nationale du travail est ainsi un organisme public administratif, sous contrôle des parties patronale et syndicale. La Direction élabore et coordonne toute la politique de main-d'oeuvre (placement, formation, développement régional, etc.). Elle intervient également dans les politiques économiques et sociales nécessaires au maintien de l'emploi.

Soulignons, par ailleurs, que des comités paritaires d'adaptation, dont la tâche est de promouvoir l'adaptation du lieu de travail aux besoins et désirs des travailleurs existent dans à peu près 4500 entreprises, soit plus de la moitié des entreprises de plus de 50 employés.

5.1.4.3 Le Japon

La concertation : une des clés de voûte de la productivité japonaise

* Quelques aspects de ce type de gestion :

l'emploi à vie pour les employés des grands groupes industriels ; une situation beaucoup plus précaire pour les autres catégories de main-d'oeuvre;

évaluation et promotion tiennent compte à la fois de l'ancienneté et de l'opinion du groupe ;

carrière non spécialisée où la rotation est la règle ;

système de contrôle implicite, qui vient davantage de la pression du groupe que des supérieurs hiérarchiques ;

responsabilité et prise de décision collective qui n'abolit pas la hiérarchie, etc.

Source: Pierre Doumergues, « La théorie « Z » et la fascination japonaise », dans Le Devoir, 7 novembre 1981, p. 9.

Hausse de qualité et amélioration de la productivité résument la fulgurante progression de l'industrie japonaise. La croissance économique du Japon est deux fois plus rapide que celle de l'Amérique; sa productivité deux fois supérieure. Si ces tendances se maintiennent, ce petit pays jadis ravagé et détruit par la guerre, dénué de source énergétique et de matières premières, occupera en l'an 2 000 le premier rang des pays industrialisés dans le monde.

C'en est assez pour que les experts de tout genre se penchent sur le « miracle japonais » dans l'espoir d'en exporter les leçons. Nous ne prétendons certainement pas, à l'instar de certains auteurs(28), réduire à quelques recettes de gestion du personnel*, l'ensemble des facteurs historiques, sociaux et politiques qui expliquent cette situation. Il demeure indéniable, cependant, que la concertation, pensée à l'intérieur d'un système original de gestion, est, avec la formation interne à l'entreprise, l'une des clés de voûte de la productivité japonaise.

Mis à l'école des managers américains après la deuxième guerre mondiale, les Japonais ont généralisé de façon systématique et ordonnée la méthode des « boîtes à suggestion » pour les employés. Par exemple, en 1980, le groupe Toyota met en oeuvre 500 000 suggestions de progrès venant du personnel et élaborées dans des processus de travaux de groupe.(29) Aujourd'hui, on estime qu'il existe au Japon un million de « cercles de qualité » mobilisant huit millions de « collaborateurs d'entreprise » (c'est ainsi qu'on appelle les employés).

Innovation technologique et formation sont l'enjeu d'un débat social et de négociations permanentes dans l'entreprise.

Au Japon, il n'y a pas de gestion paritaire de la formation. Le patronat paye une formation et met en place des programmes, mais il le fait sous le couvert d'une négociation permanente avec les syndicats. Par exemple, la sidérurgie japonaise s'est automatisée sans un seul licenciement, et les négociations sur les plans de réaffectation du personnel et les programmes de formation ont duré plusieurs années. Au Japon, les entreprises visent la mobilité professionnelle et préparent leur main-d'oeuvre à une polyvalence d'affectations: la formation n'est pas conçue strictement en fonction de la tâche immédiate mais poursuit des visées à plus long terme. Formation initiale et formation dite professionnelle se rejoignent dans un plan de développement social et économique et dans un plan de carrière pour les travailleurs: un an avant la sortie du système scolaire, par exemple, garçons et filles ont trouvé une place dans l'entreprise. Il n'est pas rare que ce soit la même que celle où travaillent déjà leurs parents. Évidemment, ceci s'inscrit dans un contexte et des traditions assez éloignés des nôtres. Cependant de plus en plus d'observateurs estiment que les pays industrialisés, qui font face à une crise de la productivité et du taylorisme en général, ont des leçons à tirer de l'expérience japonaise.

... cela est devenu vrai aussi pour les pays occidentaux, privilégier strictement le profit économique seul, n'entraîne plus l'adhésion, pas plus que de multiplier seulement les avantages sociaux : il faut une politique globale, volontaire couvrant simultanément le progrès social et économique.(30)

5.1.4.4 La France

Depuis 1971, la loi oblige la création de commissions de formation dans les entreprises de plus de 300 employés ; les commissions sont facultatives dans les autres types d'établissements.

Les comités d'entreprise n'ont qu'un rôle consultatif sur la formation donnée en entreprise.

En juillet 1970, était signé en France le premier accord paritaire interprofessionnel consacré à la formation. La loi de juillet 71 venait poser les bases du droit de la formation dite professionnelle en obligeant, entre autres, les entreprises à consacrer un pourcentage de leur masse salariale à la formation et en créant des commissions de formation dans les entreprises de plus de 300 employés.

Tout comité d'entreprise ou d'établissement est libre de constituer une commission de formation. La loi rend obligatoire la constitution de cette commission dans l'entreprise ou établissement de plus de 300 salariés. Cette commission est chargée d'étudier « les problèmes généraux relatifs à la formation et au perfectionnement professionnels ainsi qu'à leur adaptation à l'emploi compte tenu de l'évolution des techniques »..., de plus, la commission est particulièrement chargée des questions relatives « à l'emploi et au travail des jeunes, des femmes et des handicapés » (art. L 432.1.5 du Code du travail).

Que la constitution de cette commission soit obligatoire ou non, elle reste pour le comité d'entreprise une commission d'étude. La commission ne peut donc être consultée à la place du comité d'entreprise (art. L 434.3 du Code du travail).(31)

La commission de formation est donc une commission d'étude qui ne détient aucun pouvoir de décision.

Les compétences des comités d'entreprise à l'égard de la formation ont été définies d'abord par l'ordonnance du 22 février 1945, puis modifiées par la loi du 18 juin 1966. Les règles relatives à cette consultation ont été finalement harmonisées suite à la Loi du 17 juillet 1978. En France, la moitié des employés travaillent dans des entreprises où il existe un comité d'entreprise. Le comité donne son avis sur le plan de la formation du personnel de l'entreprise (art. L 432.16 du Code du travail). Cette disposition du Code du travail implique qu'un plan soit soumis au comité. Celui-ci ayant à donner son avis est habilité à faire les propositions de modifications. La consultation correspond à la délibération du comité sur les questions relatives à la formation rendue obligatoire par l'article L 950.3 du Code du travail.

Pour les P.M.E., un fonds d'assurance-formation

Le plan de formation contient les formations décidées par l'employeur; il doit être soumis au comité d'entreprise dans le cadre d'une consultation annuelle. Une autre des attributions du comité d'entreprise touche l'administration du congé de formation. Le CE. doit être obligatoirement consulté sur les problèmes généraux relatifs à l'application du congé de formation (art. R 960.5 du Code du travail). Cette consultation peut notamment porter sur les modalités pratiques de gestion du congé (effectifs simultanément absents, délai de franchise, etc.).

Un fonds d'assurance-formation (le F.A.F.) fait l'objet par ailleurs d'une concertation très large entre représentants des P.M.E. et représentants des employés. Grâce à son caractère interprofessionnel et interrégional, le F.A.F. facilite pour chacune des P.M.E. l'utilisation de sa contribution obligatoire à la formation professionnelle.

Beaucoup de questions se posent sur le fonctionnement des comités d'entreprise en matière de formation. Les syndicats en général réclament un contrôle accru sur les programmes de formation et sur la pédagogie. Comment dépasser les procédures de consultation formelle ou de simple information? Comment articuler le rôle du comité et celui du syndicat? À quelles conditions est-on un véritable partenaire ? Des développements sont à prévoir de ce côté. Le colloque « Formation 80 », réunissant tous les partenaires sociaux concernés, venait tirer, dix ans plus tard, quelques éléments de bilan de cette expérience riche en enseignement. Nous sommes contraints de les résumer fort schématiquement.

Après dix ans, des éléments de bilan concernant la formation reliée à l'emploi: nécessité d'un projet social de formation qui implique la concertation des différents partenaires (...).

...la participation à la formation dans l'entreprise doit être la base du système...

...les comités d'entreprise doivent posséder davantage de pouvoir: il faut établir les conditions d'un équilibre entre partie patronale et partie syndicale.

Le président de la Confédération générale des cadres (C.G.C.) déclarait: En 1980, personne ne devrait plus essayer de former des salariés sans leur demander leur participation active, ne serait-ce que pour des raisons de simple efficacité(32). Il est reconnu maintenant en France que l'élaboration d'un projet social de formation continue implique la concertation des différents partenaires à la définition des objectifs et des moyens.

L'efficacité et l'essor de ce programme dépend de la façon dont chacun y situe ses intérêts. Pour M. Gabriel Ducray (et son point de vue est repris par quantité d'intervenants, y compris des représentants d'entreprise), « il est évident que la formation continue ne peut plus fonder ses programmes sur une définition empirique ou trop immédiatement utilitaire des besoins de l'entreprise ».(33) Ses réflexions l'amènent à remettre en question la notion de productivité (productivité apparente et productivité globale).

M. Ducray estime que la participation à la formation dans l'entreprise demeure la base du système. La « négociation » entre les partenaires impliqués doit partir des réalités de l'entreprise pour ensuite se situer à un niveau qui reste significatif pour les entreprises, c'est-à-dire le secteur professionnel. Les principes de la formation « professionnelle continue » doivent être négociés au niveau national, des applications concrètes se définissant sur la base de la problématique des secteurs et des régions(34).

Ces quelques éléments de bilan sont inspirés par au moins dix années d'expérimentation d'un système de formation reliée à l'emploi qui a révélé bien des lacunes et généré passablement d'insatisfaction, en dépit du fait qu'il a permis l'ouverture de nouvelles perspectives. M. Jacques Delors, nouveau ministre français des Finances, soulignait en 1979 les faiblesses de la politique de formation dite professionnelle sur le plan de la participation/concertation.

Pourtant le fonctionnement du système présente de très sérieuses imperfections. La majorité de salariés ont de plus en plus une attitude de consommateurs vis-à-vis de la formation. Au mieux, ils attendent que leur entreprise s'occupe d'eux et prenne en charge leur demande de formation. Bien souvent, ils n'expriment ni intérêt, ni motivation, faute d'une stimulation efficace (...)

Au total, les formations à caractère strictement opérationnel l'emportent largement. Elles ont fait perdre de vue l'idée de l'épanouissement et de la promotion culturelle des personnes : aujourd'hui, les salariés ne peuvent guère se former que par rapport au projet professionnel tracé pour eux par la collectivité entreprise. (...)

Depuis quelques années, c'est peu de dire que le débat entre les partenaires sociaux est politiquement et techniquement mal organisé.

Du côté des chefs d'entreprise persiste une double attitude: une attitude défensive vis-à-vis de ce qui est perçu comme une revendication syndicale — et une conception de la formation-investissement. Cela ne facilite ni le dialogue, ni les réalisations. Dans le même temps, le patronat a largement mis la main sur le dispositif: les services de formation des entreprises se sont étoffés. Ils disposent seuls, des moyens de coordonner les interventions, de sélectionner les informations, de définir les orientations des politiques et de veiller à l'application de ces actions.

De leur côté les organisations syndicales et les représentants du personnel sont en grande partie exclus du débat. Certes, ils n'ont pas toujours su démontrer, au moment de l'action l'attachement qu'ils affirmaient porter à cette politique. En particulier, ils ont trop rapidement relégué au second plan leurs revendications dans ce domaine, dès l'émergence des difficultés économiques. Mais, les quelques études disponibles montrent que sans véritables pouvoirs, ils se sont vite retrouvés démobilisés et impuissants : bien des chefs d'entreprise ne se formalisent pas d'un avis défavorable des représentants de leur personnel. Et même les comités d'entreprise les plus motivés se sont vite usés dans des « batailles » inégales.

Désormais, rien ne peut s'améliorer si l'on ne rétablit pas les conditions d'un équilibre. La loi du 17 juillet 1978 y apporte un début de réponse. Mais cette loi ne peut, à la limite, et si elle tient ses promesses, que contribuer au développement de congés individuels. Cela ne sera guère suffisant pour donner du dynamisme au couple antagoniste patrons-salariés, pour permettre une authentique négociation sur les plans de formation.

Il faut à l'avenir que le comité d'entreprise puisse exercer un droit de veto si le plan de formation présenté par le chef d'entreprise ne lui convient pas. Et qu'en cas de veto, une procédure de négociation s'engage, de manière à aboutir à un compromis acceptable par les deux parties.(35)

Ce bref survol de quelques expériences étrangères a pour but de nous amener à élargir nos horizons. La participation des adultes à la formation reliée à l'emploi est à l'ordre du jour et des expériences diverses se vivent en ce sens un peu partout dans le monde. Nous entendons contribuer à consolider les assises de ce mouvement au Québec.

5.1.5 Les positions de la Commission sur la participation à la formation en milieu de travail

La participation: une condition essentielle au renouvellement de la formation reliée à l'emploi

Les mécanismes de participation doivent être prévus en premier lieu dans l'entreprise ou l'établissement, et également au niveau sectoriel, au palier régional et /ou provincial. La formation reliée à l'emploi constitue l'un des rouages essentiels de toute politique de démocratisation de l'éducation des adultes; à ce titre, elle réclame la participation de tous les partenaires concernés. Ce n'est qu'à cette condition que pourront se concrétiser et prendre racine nos volontés de changements : assurer une plus large accessibilité à la formation, favoriser ainsi les groupes d'adultes les plus démunis sous ce rapport, décloisonner et transformer nos pratiques pédagogiques, redonner aux adultes la place qui leur revient en terme de pouvoir de décision. En ce qui concerne plus particulièrement la formation reliée à l'emploi, deux défis sont à relever: enrichir cette formation et l'élargir à d'autres horizons que celui de la tâche immédiate; il faut également que les entreprises discernent leur intérêt à investir à long terme dans ce projet.

La formation reliée à l'emploi peut aussi contribuer, à travers des mécanismes de participation et de concertation à définir une véritable politique d'emploi et de main-d'oeuvre au Québec. En ce sens, la Commission estime que cette orientation devrait servir à la fois les intérêts de l'entreprise et ceux des travailleurs. Dans ce premier cas, on convient généralement que les besoins de formation existent dans toutes les entreprises, quelles que soient leur taille et leurs capacités d'investissement. Ces dernières souhaitent améliorer leurs possibilités de planification en terme de main-d'oeuvre et elles ont tout avantage à bénéficier d'un personnel compétent et motivé.

Des enjeux économiques importants pour les entreprises

Les enjeux économiques rattachés à la participation des employés à la formation et à la concertation en général sont très importants pour l'entreprise. Il est démontré que là où les travailleurs se sont vus revalorisés dans leurs fonctions et où les conditions de travail se sont améliorées, la productivité a également suivi un mouvement à la hausse. Associer les travailleurs à des décisions critiques qui les concernent au plus haut point, par exemple, la préparation à des innovations technologiques, ne peut que faciliter les processus de changement dans l'entreprise. Les associer à l'élaboration et à l'exécution de programmes de formation constitue la condition principale de réussite de ses programmes.

Malgré les investissements financiers des entreprises en ce domaine, il est reconnu, aussi bien par les Commissions fédérales, Adams, Axworthy-Dodge ou Allmand, que ces efforts restent minimes et sans perspective d'avenir. La situation économique actuelle exige, entre autres, l'élaboration d'une politique de main-d'oeuvre et de sécurité de l'emploi que des mesures isolées et particulières ne peuvent satisfaire. Lors d'une entrevue avec la Commission, M. Jean Sexton, professeur en relations industrielles à l'Université Laval, constatait l'absence d'informations sur les marchés de travail au Québec. Il estimait que les comités sectoriels, composés de représentants du patronat et des employés, pouvaient jouer un rôle important dans l'évaluation de besoins de formation qui seraient conformes à la réalité économique du Québec et de ses régions(36). Les P.M.E., particulièrement dans les régions éloignées des grands centres, trouveraient également leur compte à mettre en commun des ressources éducatives leur permettant de multiplier les possibilités de formation de leur personnel et d'améliorer ainsi leur compétitivité sur les marchés. Il est de plus en plus accepté que les partenaires de l'entreprise ont des intérêts convergents à investir en temps et en argent, afin d'améliorer leurs capacités d'agir sur les nouvelles conditions de la production, leurs capacités aussi d'influer sur ce développement, contribuant ainsi à l'essor de la société entière. Les entreprises seront appelées, pour ce faire, à concilier leurs plans de développement avec les plans de carrière de leur personnel, à assumer leur part de responsabilité sociale et à développer une vision plus globale des notions de productivité, d'innovation et de rendement. C'est dans ce contexte que la participation des travailleurs à leur formation pourra prendre un véritable sens.

Pour les travailleurs et les travailleuses, les enjeux sont énormes, comme nous le mentionnions préalablement: sécurité d'emploi, amélioration des conditions de travail, possibilités de mobilité, d'enrichissement des tâches, épanouissement personnel et prise en charge collective des problèmes. Pour ces derniers, la formation n'est pas un luxe mais une nécessité, surtout dans une conjoncture de crise économique et de transformation des systèmes de production. Les adultes exigent de plus en plus d'être associés à la définition des objectifs et à la réalisation de la formation reliée à l'emploi. Conséquemment, les syndicats doivent s'engager à reconnaître et à définir leurs rôles et leurs responsabilités en cette matière.

En recommandant la création de comités de formation en milieu de travail, la Commission tient à préciser ses intentions. Le tour d'horizon que nous avons fait des positions actuelles des représentants des entreprises et des travailleurs concernant la participation à la formation en milieu de travail indique tout le chemin qui reste à faire pour la concrétisation de nos objectifs. Bien que, de part et d'autre, les voix favorables à la participation et à la création de comités de formation conjoints se multiplient (à l'occasion en bonne partie du débat lancé par les propositions de la Commission contenues dans son document d'Hypothèses de solutions et aussi à l'occasion du colloque qui ponctua cette démarche de consultation), le défi reste encore à relever. La Commission croit que les changements d'envergure qui s'imposent dans l'organisation, l'orientation, la gestion, le financement de l'éducation des adultes ne pourront être le fruit que d'efforts progressifs et concertés. La mise sur pied de comités de formation en entreprise, composés à parts égales de représentants des employeurs et des employés, heurtant de plein fouet certaines pratiques de formation autoritaires et autocratiques, ne pourra qu'enclencher une dynamique de transformation dans tout ce champ de l'éducation des adultes reliée à l'emploi. Employeurs et employés sont appelés à endosser ce défi et à s'engager dans ce processus.

* Le gouvernement fédéral s'engage aussi à soutenir financièrement des programmes de « qualité de vie au travail ». Un des éléments de ces programmes touche la participation des employés à certains niveaux de décision dans l'entreprise.

Source: Gérald Regan, ministre fédéral du travail, « The Quality of Working Life and the 80's », allocution à la conférence internationale sur le même sujet, Toronto, 30 août 1981.

Par ailleurs, les politiques de main-d'oeuvre du gouvernement fédéral, récemment dévoilées dans le rapport Axworthy-Dodge, vont avoir des incidences certaines sur la scène provinciale, puisque les comités consultatifs qui y sont proposés, à la fois sur une base locale, régionale et nationale, ont pour objectif d'améliorer la rapidité et la coordination des mécanismes d'adaptation industrielle. Leur optique strictement utilitariste, fort éloignée des orientations sociales et économiques de la Commission, risque d'accroître encore les inégalités d'accès des travailleurs à la formation.*.

Ceci dit, nous jugeons important d'affirmer des principes généraux en termes de participation à la formation en entreprise. Les recommandations touchant la création et le fonctionnement de comités sectoriels seront traités dans la sixième partie du rapport.

Recommandations

La Commission recommande :

  1. Qu'à l'intérieur de la loi-cadre soit établie la responsabilité des entreprises en matière de formation de leur personnel.
  2. Que, par loi, soit créé un comité de formation au sein de chaque établissement d'une entreprise privée, publique et para- publique ;
    • obligatoirement,  si plus de 20 employé(e)s sont dénombrées ;
    • à la demande de l'employeur et de la majorité des employées, si moins de 20 employé(e)s y travaillent.
  1. Que les employeurs et les employé(e)s des petites entreprises, les artisan(e)s, les travailleurs et les travailleuses autonomes, puissent avantageusement s'adresser à l'un ou l'autre des comités  sectoriels  régionaux, selon  leurs  affinités,  et ainsi bénéficier d'activités de formation.
  2. Que le comité de formation créé au sein d'un établisse ment  soit  composé  d'un  nombre  égal  de  représentants  de l'employeur et de ceux des employé(e)s désignés respective ment par l'employeur et l'association syndicale ou, à l'occasion d'une assemblée du personnel, lorsqu'il n'y a pas de syndicat. Le nombre de représentants variera selon la taille de l'entreprise.
  3. Que, dans le cas d'entreprises composées de plusieurs unités d'accréditation syndicale ramifiées en plusieurs établissements au sein desquels se rencontrent diverses catégories d'employés syndiqués ou non syndiqués, les représentants de l'employeur et des employé(e)s de ces entreprises décident du nombre de comités de formation que requièrent la taille des établissements et la nature des activités de l'entreprise. Que, dans la détermination du nombre de ces comités, l'on tienne compte du fait que, pour être efficaces, ils doivent se rapprocher le plus possible des situations quotidiennes vécues par les employé(es) dans les milieux de travail.
  4. Que le personnel cadre d'un ou de plusieurs établissements d'une entreprise convienne avec l'employeur de l'opportunité de créer un comité de formation distinct ou de se joindre au(x) comité(s) de formation existant(s), ceux-ci ayant donné leur accord.
  5. Que le comité de formation se voit confier les responsabilités suivantes:

A) déterminer les besoins de formation en fonction :

B) établir un plan de formation sur une base annuelle, en superviser la gestion et l'évaluer; ce plan incluera les programmes gouvernementaux d'aide à la formation et les ententes avec les institutions.

  1. Qu'il soit du ressort du comité de formation de chaque établissement de décider des types de collaboration qu'il souhaite établir avec d'autres organismes ou institutions susceptibles de l'assister dans ses projets de formation.
  2. Que les comités de formation d'entreprise confient l'exécution de leurs programmes de formation au personnel déjà affecté à ces tâches dans l'entreprise.
  3. Que le comité de formation de l'établissement ait un rôle décisionnel selon la méthode de la double majorité.
  4. Que le comité de formation se dote des règles de fonctionnement interne qu'il jugera appropriées en vue d'assumer ses responsabilités. Que le comité se réunisse au minimum une fois l'an.

Les changements technologiques

  1. Que le comité de formation accorde une attention toute particulière aux besoins de formation des employé(e)s touché(e)s par des changements technologiques.
  2. Que les travailleurs et travailleuses affecté(e)s aient priori té en ce qui a trait à la formation préparant à ces nouvelles tâches.
  3. Qu'en conséquence, l'entreprise fasse connaître au comité de formation ses besoins de main-d'oeuvre dans des délais raisonnables avant la mise en oeuvre de tels projets de changements technologiques.
  4. Que l'organisme central mette sur pied un programme de soutien financier approprié, de façon à ce que les travailleurs et les travailleuses mis à pied à la suite de changements technologiques et non recyclés dans l'entreprise puissent acquérir la formation nécessaire en dehors de l'entreprise.

Notes

  1. Claude Durand, « Avant-propos », dans La division du travail. Colloque de Dourdan, Éditions Galilée, Paris, 1978, p. 13.
  2. Groupe formation et main-d'oeuvre, Prospectives '80: plan directeur, usine Alcan-Vaudreuil, décembre 1979, p. 27.
  3. Mireille Dadoy, « La polyvalence ouvrière et sa rémunération », dans La division du travail, op. cit., p. 107.
  4. Jean Minville, « Une politique de formation intégrée à la gestion de la main- d'oeuvre », dans Le Devoir, 28 août 1981.
  5. Rolls-Royce, Lettre à la Commission d'étude sur la formation des adultes, 2 juin 1981, p. 4.
  6. Centre des dirigeants d'entreprise, Mémoire soumis à la Commission d'étude sur la formation des adultes, janvier 81, p. 11.
  7. La Chambre de commerce du district de Montréal, Lettre du 29 mai 1971 et mémoire à la Commission d'étude sur la formation des adultes.
  8. Conseil du patronat du Québec, Mémoire à la Commission d'étude sur la formation des adultes, p. 14, 17.
  9. Institut des banquiers, Direction régionale du Québec, Mémoire soumis à la Commission d'étude sur la formation des adultes, décembre 1980, p. 51-52.
  10. C.D.E., op. cit., p. 9.
  11. Fraternité inter-provinciale des ouvriers en électricité, Mémoire soumis à la Commission d'étude sur la formation des adultes, p. 7.
  12. F.T.Q., Mémoire à la Commission d'étude sur la formation des adultes, p. 57.
  13. Ibidem, p. 52. On y fait référence à l'étude suivante du ministère de la Main- d'oeuvre et de l'Immigration: Case Studies on Aspects of Training Upper Skilled Blue Collar Industrial Workers — the Analysis.
  14. Conseil du travail de Montréal, Mémoire à la Commission d'étude sur la formation des adultes, p. 5.
  15. Confédération des syndicats démocratiques, Mémoire à la Commission d'étude sur la formation des adultes, p. 16.
  16. Centrale de l'enseignement du Québec, Mémoire à la Commission d'étude sur la formation des adultes.
  17. Cité dans Paul R. Bélanger, « La F.T.Q. devant la réorganisation du travail », La division du travail, op. cit., p. 252.
  18. Mireille Dadoy, op. cit., p. 107.
  19. Paul R. Bélanger, op. cit., p. 245.
  20. F.T.Q., Mémoire, p. 59-60.
  21. C.S.N., Recommandations suite au colloque, juillet 1981.
  22. S.P.G.Q., Commentaires du S.P.G.Q. sur les Hypothèses de solutions de la C.É.F.A., novembre 1981, p. 8-9.
  23. C.E.Q., Réactions au document d'Hypothèse de solutions, juin 1981. p. 11.
  24. Conseil du statut de la femme, Documents déposés à la Commission d'étude sur la formation des adultes, 25 mai et 18 juin 1981.
  25. Ake Dolin, The Norwegian Adult Education Act, Norwegian Institute of Adult Education, oct. 1979, p. 6-17-18.
  26. Institut Suédois, Feuillet de documentation sur la Suède, Stockholm, Suède, p. 1-2.
  27. Institut Suédois, Feuillet de documentation sur la Suède, Stockholm, Suède, p. 1-2.
  28. Deux ouvrages sont cités dans cette veine: 1) William Ouchi, Theory Z. How American Business Can Meet the Japanese Challenge, Addison-Wesley Publishing Company, Reading, Mass., 1981. Traduction française: Théorie Z., Éditions Inter- Edition; 2) Richard  Tanner  Pascale  et  Anthony  Athos, The Art of Japanese Management, Application for American Executives, Simon and Schulter, New-York, 1981.
  29. Jean Poulain,  « La productivité japonaise est née de la concertation », La Presse, 21 novembre 1981, p. C8, inspiré de Georges Archier, Le soleil se lève à l'Ouest, Sofedir, Paris.
  30. Idem.
  31. Code du travail livre IV, Loi no 78-754 du 17 juillet 1978 (J.O. no. 166 du 18 juillet 1978); Décret no 79-252 du 27 mars 1979 (J.O. no 75 du 30 mars 1979); Avenant du 9 juillet 1976 à l'accord national interprofessionnel du 9 juillet 1970 sur la formation et le perfectionnement professionnel.
  32. Jean Menu, président de la C.G.C., Intervention au Colloque « Formation 80 . » Bilan et propositions, Unesco, juin 1980, p. 5.
  33. Entretien avec la Commission d'étude sur la formation des adultes,  14 mai 1981, G. Ducray était directeur du Centre français d'études et de recherches sur les qualifications (C.E.R.E.Q.).
  34. Idem.
  35. Jacques Delors et Didier Jeanperrin, « Une déception diffuse », dans la revue Droit social,  numéro spécial: « La formation professionnelle continue », no 2, février 1979, Paris, p. 196-197.
  36. Jean Sexton, professeur au département des relations industrielles, Université Laval,  Entretien  avec la Commission d'étude  sur la formation des adultes,  8 septembre, p. 3-6 (document interne, C.E.F.A.).

Chapitre 2

5.2 La participation des adultes dans le monde de l'éducation

Introduction

La participation, pour une école écologique.

La participation est l'une des dimensions principales de toute démocratisation de l'éducation. Il ne peut y avoir de démocratie éducative sans participation. Mais il est étrange de constater qu'actuellement, cette participation est beaucoup plus objet de réflexions philosophiques, de discours idéologiques ou de déclarations d'intention que de préoccupations d'ordre pratique. « La plupart des pays sont en situation de recherche sur la participation dans l'enseignement », a dit récemment un participant à un colloque européen.

C. Hummel, L éducation d'aujourd'hui face au monde de demain, Unesco, Paris, 1977, p. 119.

L'éducation permanente, qui veut favoriser la prise en charge de son éducation par l'intéressé lui-même, individu ou groupe, suppose que la participation à toutes les étapes du processus éducatif soit non seulement reconnue mais surtout recherchée.(1)

Devenue réellement accessible aux adultes, l'école, si elle remplit bien son rôle en rendant les individus autonomes, capables de prendre en main leur propre développement et celui de la collectivité, doit conséquemment appuyer cette autonomie et cette prise en charge en faisant une large place aux adultes dans les processus de décision. Elle ne peut ignorer en effet que les « élèves » ou les « étudiants » sont les premiers agents de leur formation. Pour former les individus à la « participation », l'école doit elle-même se transformer en lieu de participation réelle, car il ne faudrait pas oublier que sans l'étudiant l'école n'existerait pas! Cette ouverture à la participation est d'autant plus urgente que les adultes occupent une part grandissante dans les clientèles des institutions scolaires. Cependant, le droit à la participation n'est pas l'apanage des clientèles adultes non plus que celui des clientèles « jeunes ». Mais si l'on veut développer le goût et le sens de la participation : (...) l'un des objectifs de l'école est de développer la responsabilité, l'autonomie, l'engagement social et le sens démocratique. En fait, cette formation commence dès le jeune âge, et se poursuit tout au long du cheminement scolaire en fonction de vicissitudes de la vie.(2)

Mais les étudiants, adultes ou autres, veulent-ils « participer »? La participation a été galvaudée dans tous les sens et les gens sollicités de toutes parts pour participer à la chose scolaire, à la chose paroissiale, à la chose municipale, à la chose syndicale, à la chose pédagogique, à la chose politique, etc...(3) Chacun a, de la participation, une expérience plus ou moins heureuse. Et nous ne sommes pas loin de penser, comme J.-M. Carreau, que la participation crée une illusion de conscience(4). Quand on parle de participation, on a souvent en tête quelque chose qui ressemble à la drogue la plus en demande. Les leaders de toutes espèces ne jurent que par elle. Les autorités l'emploient beaucoup pour endormir les consciences et créer beaucoup d'illusions (5)

Consciente de ces difficultés, la Commission tient quand même à s'engager dans une proposition de participation des adultes à la vie de l'école. Qu'au moins la participation soit rendue possible et opérante, afin que l'adulte puisse faire valoir ses droits à l'éducation.

La participation a trop souvent été récupérée.

Le mouvement étudiant a connu, au cours des dernières décennies, une évolution importante. À la fin des années 50, ce mouvement se caractérise surtout par des revendications qui s'inscrivent avec force dans les réformes majeures alors réclamées pour corriger le « retard » économique et social de la société québécoise. Le déblocage des années 60, suscite un espoir chez les étudiants et les incite à la construction d'une société moderne. Se percevant nettement comme des groupes de pression ayant un rôle précis à jouer au sein de cette société, les nouveaux étudiants s'organisent et posent les premiers jalons du syndicalisme étudiant.

Commission d'étude sur les universités, Comité sur l'organisation du système universitaire, Partie III, Les étudiants à l'université, Rapport, mai 1979, p. 149.

5.2.1 Je me souviens...

Le Québec, tout comme bon nombre de pays, a connu une période d'intense mobilisation des mouvements étudiants. C'est vers la fin des années 60 que le grand débat sur la participation s'est engagé de manière explosive.(6) Nous nous souvenons des « sit-in » à la Faculté des sciences sociales de l'Université de Montréal, des longues assemblées générales et de l'occupation des bureaux du recteur à l'Université Laval, de la manifestation pour un « McGill français », de la défenestration des services informatiques de l'Université Sir George Williams, de la disparition volontaire d'un certain nombre d'associations étudiantes (U.G.E.Q.) à la fin des années 60, de la dissolution du Quartier latin à Montréal et du Carabin à Laval, des grèves ou des débrayages des étudiants de certaines facultés ou universités de même que de certains cégeps. Les derniers « gradués » des collèges classiques ont laissé leur marque sur cette période de l'histoire étudiante.

Les étudiants réclamaient de pouvoir prendre part aux décisions, à la définition des orientations et à la gestion des affaires des institutions scolaires. Celles-ci acceptèrent d'intégrer des représentants des étudiants à leurs différents comités. Mais les étudiants s'aperçurent bientôt que leur pouvoir était restreint, parce qu'ils étaient minoritaires au sein de ces comités plus consultatifs que décisionnels, ou encore que leurs voix étaient couvertes par celles des ténors du pouvoir. Pseudo-participation? L'histoire dira peut-être un jour si le modèle de gestion participative a eu pour effet d'assimiler la contestation et s'il a contribué à affaiblir /'organisation politique des étudiants.(7)

Quoi qu'il en soit, la mobilisation a cédé la place au désabusement. On a alors contesté la participation elle-même. « Dialoguer, c'est se faire avoir », disait-on. On n'a pas voulu se compromettre dans les décisions officielles pour se réserver un pouvoir de contestation subséquente.(8)

Les premières désillusions passées et la désaffection plus ou moins généralisée, les organisations étudiantes se sont orientées vers une participation d'un tout autre ordre, leur militantisme se tournant vers des groupes plus proches des lieux du travail scolaire. C'est la phase que nous vivons présentement. (...) il a semblé que se dégageait, dans le mouvement étudiant un intérêt marqué pour des structures et des objets rapprochés des problèmes quotidiens et susceptibles d'une intervention efficace. Même s'il est possible d'identifier des signes de recrudescence d'intérêt pour des questions politiques plus vastes touchant l'ensemble d'un campus ou la condition étudiante à l'échelle québécoise (question des frais de scolarité, des prêts et bourses), c'est au niveau des associations locales (facultés, écoles, départements, modules) que l'action étudiante semble désormais se situer.(9)

Nous constatons maintenant, avec bien d'autres, une relative apathie des étudiants, un sentiment d'impuissance et un désintéressement face à une certaine participation. Nous ne pouvons nous permettre ici de dresser un tableau complet de la participation des étudiants, jeunes et adultes, dans le monde scolaire, de ce qu'elle fut, de ce qu'elle est actuellement. Une analyse de cette situation nous apparaît cependant importante et elle devra se faire.

Conscients de la situation qui prévaut dans le monde de la participation étudiante et de ce qui l'a provoquée, nous croyons, malgré tout, qu'il faut susciter et encourager la participation des adultes dans le monde de l'éducation, faute de quoi les principes de démocratisation et de développement du potentiel humain sont des discours vides de sens. Et nous pensons que les possibilités de transformation de ces institutions, si elles existent encore, viendront surtout des étudiants adultes et jeunes. Tout comme la participation des citoyens est le garant de la vie démocratique dans une société, de la même façon, la qualité (d'une institution scolaire) ne peut manquer d'être affectée par le rôle qu'y jouent les étudiants dans son orientation et dans son organisation.(10)

Nous nous attarderons donc, dans la suite de ce chapitre, sur ce que nous entendons par la participation des adultes dans le monde scolaire. Cette participation se développe à deux niveaux. Le premier implique un changement quasi radical de la relation éducateur-étudiant; le second insiste sur la reconnaissance du droit d'association et de la représentativité de ces associations étudiantes. Il va de soi que nous parlerons ici autant des étudiants « jeunes » qu'adultes et que les recommandations que nous ferons pour les adultes valent également pour les « jeunes ».

Le droit de participer est intégralement lié au droit d'apprendre. Les individus apprennent en participant à des interactions avec la participation des groupes et des individus à ses activités. Une mesure du potentiel de l'apprentissage innovateur au sein d'une société est le degré de participation efficace qu'on y rencontre.

Botkin et alii, On ne finit pas d'apprendre, Rapport au Club de Rome, Pergamon Press, Paris, 1980, p. 40.

5.2.2 L'éducation participative

Comme artisan de sa formation, l'étudiant a le droit de participer aux décisions qui le concernent. (11) Si l'étudiant est un artisan de sa propre formation, il importe alors de lui reconnaître des droits et des responsabilités analogues à ceux des autres partenaires de la communauté (12) à laquelle il appartient.

5.2.2.1 La participation, une politique pédagogique à développer

Cela est vrai pour le jeune et pour l'adulte, l'étudiant apprend mieux lorsque sa contribution personnelle est mise en valeur, lorsque l'éducation fait appel à son vécu. La matière première, l'étudiant, est aussi facteur de production ; il fait partie de la technologie puisqu'il est son propre agent déformation. (13) Or, plus souvent qu'autrement, les orientations et les objectifs sont définis, les programmes élaborés, sans aucune participation des étudiants, et ce, à tous les niveaux d'enseignement. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, d'entendre ceux-ci déplorer le fait qu'un grand nombre de programmes institutionnels ne répondent pas à leurs besoins et à la réalité qu'ils vivent. Préconiser la participation à ce niveau-ci, c'est accepter que les étudiants adultes sont capables d'assumer eux-mêmes le projet global de leur existence (14), et c'est également comprendre et admettre que les adultes (...) apprennent vraiment quand ils peuvent partager avec le responsable de la formation la responsabilité de définir les besoins de formation, d' en formuler les objectifs, d'en planifier le déroulement et l'évaluation.(15)

Les adultes doivent se reconnaître et être reconnus capables, au sens juridique du terme, d'intervenir dans ce processus de formation, autrement que comme récepteurs passifs du savoir.

Conseil de l'Europe, Organisation, contenu et méthodes de l'éducation des adultes, Rapport, Strasbourg, 1977, p. 27.

À cet égard, les protocoles d'entente qui existent entre des centrales syndicales et des universités sont assez éloquents. On a élaboré des programmes de formation centrés sur les besoins des travailleurs, plutôt que sur les ressources. Dans une perspective de démocratisation du savoir, l'Université se devait de reconnaître le dynamisme que constituait cette prise en charge par les travailleurs de leur formation, et de collaborer avec le groupe sur une base d'égal à égal, en respectant son indépendance.(16)

Déjà privé(e)s au départ de tout contrôle sur la formation dans l'entreprise et dans les écoles privées commerciales, les travailleurs et les travailleuses et la population en général ont encore peu de prise sur les décisions touchant l'éducation des adultes dans les institutions publiques. Au niveau des commissions scolaires, malgré une modification relativement récente de leur pouvoir, l'éducation des adultes échappe pratiquement au contrôle des commissaires, à cause du type de financement parallèle qui la caractérise. Le cadre permettant la participation syndicale aux Commissions de formation professionnelle reste formel et est critiqué par les Centrales syndicales. Des tentatives de regroupement des étudiants adultes ont échoué à plusieurs reprises (1968, 1970 et 1975).

I.C.E.A., L'école publique et la promotion collective, no 2, octobre 1980.

Note : Une seule association est demeurée: celle des étudiants adultes de la Rive-sud inc. qui regroupe des étudiants inscrits à temps plein dans le cadre du P.F.M.C.

Cette prise en charge réelle par l'étudiant lui-même de sa formation est fondamentale dans le type de formation que nous avons appelé formation par projet(17), puisque ce type de formation doit répondre spécifiquement à des besoins exprimés par des individus ou des groupes. L'activité de formation est alors définie, planifiée par ceux qui en ont fait la demande. Par exemple, une négociation peut s'effectuer entre un groupe d'adultes et un établissement scolaire dans le cadre d'une formation sur mesure. Ceci peut être fait soit dans le cadre de protocoles, comme il en existe déjà, soit dans le cadre des comités de formation en entreprise prévus dans la politique globale. Ici l'adulte participe activement à la construction des savoirs. Il doit être associé à l'identification des besoins et au développement des stratégies et des moyens de formation. Ce rôle ne devrait pas se limiter à une simple consultation mais à une intégration à des équipes de travail (18). Il faut insister sur le fait que participation veut dire aussi pouvoir et responsabilité et comprendre que la formation doit être confiée au contrôle de l'adulte. C'est dans l'action même d'apprendre que l'on doit avoir du pouvoir. (19) C'est pourquoi nous proposons la création de mécanismes favorisant la participation des adultes, individus et groupes, aux niveaux local et régional, afin de leur permettre d'exercer réellement le pouvoir.

Dans le type de formation que nous avons appelé académique, la participation de l'adulte peut être plus limitée. Elle se situe à deux niveaux. Premièrement, au moment de l'élaboration des programmes, les instances concernées (syndicats, monde du travail, monde scolaire) auront été consultées: c'est aux instances qui le représentent qu'il peut adresser ses recommandations. Deuxièmement, l'étudiant adulte inscrit à une activité de formation de type académique devrait pouvoir négocier avec l'éducateur, selon les objectifs définis, une démarche pédagogique, qui tienne compte de son vécu, et participer à l'évaluation. Cela est valable aussi pour le « jeune » inscrit à l'enseignement dit « régulier ».

La pédagogie du contrat, c' est-à-dire un accord passé entre élèves et enseignants pour arriver à un certain résultat, pédagogie développée par Bertrand Schwartz, va dans le sens de cette conception de la participation. Cette pédagogie n'est pas synonyme de laisser-faire ; elle est un engagement que prennent l'élève et l'enseignant en vue d'obtenir un certain résultat. Une telle participation à un projet éducatif dont les finalités sont décidées de commun accord est d'abord de nature pédagogique .(20)

Quel que soit le type de formation choisi, les institutions scolaires doivent créer un univers de participation en impliquant directement dans l'activité éducative, les étudiants de même que les éducateurs, les professionnels et le personnel administratif. Nous croyons que c'est là que la participation peut avoir son véritable sens et sa dimension réelle, beaucoup plus que dans une représentation à un conseil d'administration, sans nier que cette dernière ait également un rôle à jouer.

Pour qu'une telle participation soit réelle, l'étudiant a besoin d'une information la plus complète et la plus précise possible sur les différents programmes et cours qui lui sont offerts. Chaque école ou département universitaire possède son « annuaire » de cours offerts faisant miroiter, dans un étalage étincelant, une multitude de choix propres à aider l'étudiant à se réaliser. Les cégeps offrent, dans les cahiers de l'enseignement collégial et dans leurs propres documents d'information, une description des programmes et des nombreux cours supposément disponibles. Or, il arrive trop souvent que la réalité soit différente: les cours ne sont pas offerts, le titulaire du cours en a modifié le contenu quand ce ne sont pas les objectifs... bref, l'étudiant, qui avait choisi son programme d'étude et ses cours sur la foi de ces documents, doit subir ses déceptions ou abandonner le cours ou changer de programme le temps venu. C'est pourquoi des mesures s'imposent, qui viseront à améliorer l'information nécessaire à toute « éducation participative », car comment intervenir adéquatement dans son processus éducatif quand les données sont faussées à la base ?

5.2.2.2 La relation éducateur-étudiant

Une alliance de partenaires égaux

Admettre que l'étudiant est le principal agent de sa formation invite au décloisonnement des savoirs, à une transformation de la relation éducateur-étudiant: l'éducateur n'est plus celui-qui-possède-le-savoir et l'étudiant, celui-qui-apprend. La relation entre les éducateurs et les étudiants est le lieu principal où la participation peut se fonder.

Dans certains établissements et départements, on a eu tendance, ces dernières années, sous prétexte de pédagogie innovatrice, à remplacer le « cours magistral », dans lequel un professeur fait la leçon tandis que les élèves écoutent (...) par les accessoires technologiques les plus divers possibles qui ne favorisent pas toujours la participation(21). Ailleurs, on lui a substitué la formule du séminaire qui présentait des avantages certains mais qui a trop souvent tourné au débat idéologique ou aux discussions de salon. Il est possible cependant que les éducateurs n'aient pas été suffisamment préparés à travailler avec les adultes. Comme le fait remarquer Gaétan Daoust: ils sont incapables d'engager avec des travailleurs-étudiants (...) une relation qui favorise l'intégration de l'expérience de vie et de travail au processus de réflexion et d'apprentissage. Ils ont tendance à reproduire dans une classe d'adultes le modèle habituel du maître qui, plutôt que de contribuer à l'intelligence d'une situation, d'un problème ou d'un rôle de (travailleur (travailleuse), d'époux (épouse), de parent, de citoyen (citoyenne) responsable) initie à une discipline à laquelle il a été formé selon les exigences du développement de cette discipline ou de l'École à laquelle il se rattache et dans le jargon qui a cours parmi les initiés.(22)

Les étudiants, en particulier les adultes, demandent, de plus en plus, à être impliqués dans la démarche pédagogique des cours auxquels ils sont inscrits et dans l'évaluation des enseignements. Dans ce contexte, la relation éducateur-professeur doit être repensée. Il importe, pour que ce type de participation soit possible, que la relation éducateur-étudiant en soit une « d'égal à égal ». La relation entre enseignants et élèves, qui se fondent sur les diplômes et l'autorité (23) invite peu le professeur à prendre en considération les interventions de l'étudiant de même qu'elle limite ces mêmes interventions étudiantes.

Le Conseil des universités, en 1980, affirmait sa conviction de la nécessité d'associer dans un processus d'évaluation continue ceux qui, au premier chef, sont les plus immédiatement intéressés, les étudiants(24). La Commission est aussi consciente de cette nécessité. Certaines institutions scolaires ou départements universitaires ont déjà mis en avant des pratiques d'évaluation des professeurs par les étudiants, pratiques systématiques, ou laissées à la demande des professeurs. Là où elles donnaient lieu à des sanctions administratives, elles ont presque toutes été abandonnées ou transformées en évaluation « formative ». Celle-ci compte, en effet, plus d'adeptes. Mais elle ne résout pas tous les problèmes: le résultat de ces évaluations n'étant, pour la plupart, connu que du seul professeur concerné, les possibilités d'amélioration demeurent, par le fait même, restreintes.

L'introduction d'une telle pratique (évaluation des enseignements) à l'université est importante à plus d'un titre. En particulier, elle devrait contribuer à modifier de façon substantielle les modes mêmes de gestion de l'université et apporter une contribution importante à la qualité de la vie universitaire tout comme à celle de l'enseignement dispensé dans chaque établissement. De plus, si l'on veut éviter le modèle de l'université à deux, et donner aux étudiants la place qui leur revient, il est illusoire de penser y arriver sans, au point de départ, reconnaître à ces derniers, le droit et la capacité de porter un jugement sur les enseignements et les services qui leur sont dispensés.

Source: Conseil des universités, Les droits des étudiants à l'université, Avis du Conseil des universités au ministre de l'Éducation sur la place des étudiants dans l'université, 17 septembre 1981, p. 12.

Selon le Conseil des universités, L'implication de l'étudiant dans l'évaluation des enseignements qu'il reçoit devra conduire à examiner et déterminer des mécanismes et un cadre de participation des étudiants à l'embauche, au renouvellement de contrat ou à la promotion des professeurs.(25) À notre avis, cette mesure vaut pour tous les niveaux d'enseignement et mériterait qu'on l'étende à toute l'éducation des adultes dispensée dans le monde scolaire ou ailleurs.

5.2.3 Les associations étudiantes

Il apparaît de plus en plus essentiel que les étudiants soient davantage présents collectivement à tous les niveaux de la structure où se prennent les décisions susceptibles d'affecter leur vie (...) là où sont définis les services aux étudiants (...) où sont prises des décisions majeures concernant la réglementation académique et l'affectation des ressources.

Source: Conseil des universités, Les droits des étudiants à l'université, op. cit., p. 12.

Remplacer les pièces défectueuses dans le mécanisme de la participation étudiante.

La participation commande des responsabilités et des pouvoirs. Les instances décisionnelles des institutions scolaires ont mis en place certains mécanismes, pour faciliter la participation des étudiants au pouvoir décisionnel. Il subsiste cependant de nombreux problèmes à une participation réelle.

La première difficulté pour les étudiants adultes est de trouver le temps de participer. Partagés entre des activités de formation, le travail, la famille, les loisirs, où trouveront-ils le temps de prendre part à des réunions de Conseil d'administration ou autres, de préparer ces réunions?

En admettant que certains aient effectivement le temps de participer, comment regrouper des gens dont, bien souvent, la principale occupation n'est pas de suivre des cours? La plupart des étudiants adultes étudient à temps partiel. Il leur est difficile de se réunir pour former une association ou pour élire des représentants.

S'ils y arrivent, quelle place fera-t-on à leurs représentants au sein des instances décisionnelles? La Commission d'étude sur les universités rappelait à cet égard que : Bien que la plupart des universités prévoient des règles de participation étudiante à leurs diverses instances, il ne semble jamais y avoir d'octroi de sièges à des représentants d'associations étudiantes comme telles.(26) Il existe cependant des exceptions: Ainsi à McGill, chaque association de faculté envoie un représentant élu au Sénat, tandis que deux étudiants élus au suffrage universel siègent au Bureau des gouverneurs. A Concordia (campus Sir George Williams), en plus des conseils de facultés où chaque association locale envoie elle-même ses représentants, c'est l'association générale qui envoie des représentants étudiants à tous les corps universitaires.(27)

Contrairement aux regroupements des professeurs et autres personnes qu'on retrouve dans les universités, les associations étudiantes n'ont ni le statut d'un syndicat au sens de la loi du travail, ni celui d'une corporation professionnelle au sens de la loi de l'Office des professions. Au mieux possèdent-elles les caractéristiques juridiques des associations sans but lucratif, régies par la troisième partie de la loi des compagnies du Québec.

Source: Commission d'étude sur l'organisation du système universitaire, Partie III, Les étudiants à l'université, Rapport, mai 1979, p. 15.

La plupart des associations étudiantes font face à des problèmes de reconnaissance au sein des institutions et, conséquemment, connaissent des difficultés d'organisation matérielle et financière.

De plus, les associations étudiantes qui ont des représentants aux divers comités des institutions sont confrontées à la lutte qui oppose, dans bien des cas, l'administration et le syndicat des professeurs. Dans plusieurs établissements, le partage des responsabilités a cédé le pas à des rapports de force(28). Ce combat a eu un effet démobilisateur sur bien des participants.

D'autres difficultés auxquelles se heurtent les associations étudiantes: leur représentation est rarement paritaire; l'information dont elles disposent ne suffit pas pour les préparer à participer, face à des administrateurs professionnels. Ainsi, dans les cégeps par exemple, des représentants des étudiants adultes pourraient être invités à siéger à la Commission pédagogique en plus du Conseil d'administration. Car bien souvent les discussions qui éclairent les décisions qui seront prises au Conseil d'administration n'ont lieu lors des débats d'une instance consultative, en l'occurence la Commission pédagogique.

Consciente des différentes embûches qui encombrent la voie de la participation étudiante, la Commission ne peut se contenter d'aiguiller celle-ci vers une voie de garage. Au contraire, nous recommandons aux instances concernées de tout mettre en oeuvre pour faciliter, susciter et promouvoir la participation des étudiants adultes au monde de l'éducation. Le gouvernement du Québec, dans le Livre blanc sur les cégeps, affirmait déjà cette volonté: dans une société dont le pluralisme va croissant, la participation à la gestion des services publics constitue assurément une démarche semée d'embûches, mais qui demeure essentielle. C'est la seule qui soit conciliable avec l'idée que le gouvernement se fait de la démocratie et avec la décentralisation qu'il entend instaurer dans l'administration des services publics. C'est également la seule façon d'esquiver les inconvénients de la technocratie et de créer collectivement des institutions locales qui correspondront de plus en plus aux voeux de la population.(29)

5.2.4 Un ombudsman de l'éducation

Un antidote contre l'abus de pouvoir

Ce qu'il y a d'alarmant, ce n'est pas le fait de rencontrer des problèmes mais bien l'absence de mécanismes adéquats pour les résoudre. Les étudiants ne possèdent à peu près aucun recours pour se défendre sinon l'appel à l'opinion publique. Les débrayages restent un des seuls recours pour créer un rapport de force.

Source : Regroupement des associations étudiantes universitaires: Document préparatoire au colloque sur les droits des étudiants, Montréal, février 1981.

Une fois reconnus les droits des étudiants et définies les modalités de leur intégration aux structures décisionnelles de l'université, il importe d'identifier et de préciser la nature des mécanismes de recours, individuel et collectif, auxquels ils peuvent s'adresser pour défendre ces mêmes droits.(30)

Ce que le Conseil des universités évoque pour les étudiants du niveau universitaire est, à notre avis, valable pour tout étudiant, jeune ou adulte, quel que soit le niveau de l'institution scolaire qu'il fréquente.

Bien sûr, les droits de l'étudiant sont « protégés », comme ceux de tout citoyen, par la Charte des droits de la personne et son recours à l'intervention du Protecteur du citoyen. Mais il nous semble important et urgent de consacrer les droits spécifiques à l'étudiant par une charte des droits de l'étudiant et par la création d'un poste d'ombudsman spécialement attaché à la défense de ces droits. Cependant, qu'il y ait charte ou non, le poste d'ombudsman nous apparaît une nécessité. Car certains organismes scolaires s'ils ne nient pas les droits des étudiants, ont tendance, à tout le moins, à limiter la diffusion de ces droits, comme en témoigne un article de Lise Bissonnette dans le Devoir.

Abrités derrière leurs nombreux pont-levis qu'ils n'osent plus abaisser au cas où le vingtième siècle les rejoindrait, les commissaires de la Commission des écoles catholiques de Montréal viennent de trouver un nouveau moyen de se retrancher un cran plus loin des risques de l'existence: ils ont résolu mercredi « de ne pas permettre la circulation », dans leurs écoles secondaires, de la publication « Jeunes, égaux en droits, et responsables ». Document subversif, incitation à la révolte? Que non. Il s'agit d'un « guide d'interprétation », préparé pour les jeunes en milieu scolaire, de la très officielle Charte des droits et libertés de la personne du Québec.(31)

Certains travaillent actuellement à l'élaboration d'une Charte des droits des étudiants. Un service d'ombudsman existe déjà dans certaines institutions scolaires, par exemple, à l'Université Concordia et à l'Université du Québec à Montréal.

Le service constitue un apport original, mis à la disposition non seulement des étudiants, mais de tout le personnel de l'université. À en juger par le nombre de requêtes reçues et la proportion de solutions favorables trouvées, son rôle apparaît être des plus utiles. Non seulement ce service joue-t-il un rôle évident sur le plan des relations humaines, mais il oblige aussi l'institution à préciser et à rendre publics les droits, notamment ceux des étudiants.(32)

Le rôle d'ombudsman, règle générale, est d'ordre consultatif et son pouvoir découle davantage de son autorité morale et de sa force de persuasion que de ses pouvoirs formels.(33) Pour augmenter l'efficacité de son action, ce service doit être libéré de tout lien administratif avec les établissements du monde scolaire.

Il importe que le choix de son titulaire fasse l'agrément de toutes les parties concernées, que son mandat ait une durée limitée et qu'il soit habilité à dénoncer publiquement toute situation qui lui semble porter préjudice aux personnes et à suggérer par la même voie les correctifs qu'il estime devoir être apportés. Dans une perspective plus large, il importe aussi que son rôle ne soit pas conçu comme celui d'un simple redresseur de torts mais que, profitant de sa situation privilégiée, il soit aussi mandaté pour mettre à jour des situations susceptibles de causer des injustices et pour proposer des modifications qui permettent aux instances concernées de corriger, le cas échéant, les normes et les règlements en vigueur.(34)

La création de la fonction d'ombudsman de l'éducation n'est pas « la » solution à tous les problèmes relatifs aux droits des étudiants. Elle ne saurait assurément dispenser de la nécessité qu'existe en plus une instance large et délibérative promouvant la défense ou l'affirmation des droits des étudiants en tant que groupe spécifique. Cette instance peut prendre la forme d'une commission des affaires étudiantes tel qu'il en exite déjà dans certains établissements.(35) Cette instance peut également prendre la forme d'une commission des droits des étudiants dont la composition serait paritaire, c'est-à-dire en nombre égal d'étudiants d'une part et d'administrateurs et professeurs d'autre part. Dans l'un et l'autre cas, ce qui importe d'abord c'est d'assurer l'existence d'une instance qui soit mandatée pour la défense des droits étudiants, autant dans les sphères académiques qu'au niveau des services, par une action qui vise à apporter les correctifs nécessaires aux mécanismes qui existent dans l'université.(36) Le débat, cependant, sur cette question, doit se faire parmi les étudiants et le gouvernement doit le suivre de très près, non pas pour y exercer un contrôle, mais pour respecter les demandes étudiantes.

Conclusion

Malgré les difficultés ou les obstacles qui peuvent rendre ardue la participation des adultes dans le monde scolaire, et à cause d'eux, la Commission croit nécessaire la mise en place des mécanismes permettant aux adultes d'exercer leurs droits et leurs responsabilités. Les institutions scolaires de tous les niveaux d'enseignement devront compter sur la contribution des adultes à la construction des savoirs et dans l'évaluation des enseignements. Elles devront également leur faire une place plus grande dans les processus décisionnels. Cela requiert que les adultes soient informés et consultés avant que les décisions qui les concernent ne soient prises et qu'ils aient droit de parole et de vote au moment où les décisions sont prises.

Recommandations

La Commission recommande :

  1. Que, dans le cadre d'une éventuelle charte des droits des étudiants, l'on inclue les droits individuels et collectifs des étudiants adultes.
  2. Que l'on associe  les étudiants jeunes et adultes à la définition des objectifs, à l'élaboration des enseignements; que leurs  représentants  soient présents  dans  les  organismes  ou instances qui définissent et approuvent non seulement les pro grammes  mais  aussi  les  objectifs de développement et les grandes politiques institutionnelles.
  3. Qu'avant de s'inscrire à un programme ou à une activité, les adultes disposent de toute l'information requise pour un choix judicieux;  qu'ils  puissent comparer les  activités,  les programmes et les établissements, non seulement quant aux exigences relatives à la qualité mais aussi en rapport avec les reconnaissances professionnelles.
  4. Que les centres régionaux d'éducation des adultes soient les fournisseurs officiels de toute cette information pour tous les niveaux scolaires.
  5. Que, dès son inscription à un cours ou à un programme, l'étudiant adulte soit informé des mécanismes prévus lui permettant d'intervenir activement dans le processus décisionnel, de même que des recours lui permettant d'en appeler éventuellement des décisions le touchant.
  6. Que  l'évaluation des enseignements devienne pratique courante dans tous les organismes publics dispensant de l'éducation des adultes.
  7. Que, pour que cette évaluation soit crédible de part et d'autre et entraîne les résultats espérés, l'on respecte les conditions suivantes déjà formulées par le Conseil des universités:
    • qu'il y ait une entente préalable entre les enseignants et les étudiants sur la méthodologie ou le questionnaire d'évaluation utilisé ;
    • que ce dernier soit administré dans un contexte où tous les étudiants peuvent y répondre librement ;
    • que la synthèse des résultats soit effectuée de façon à ne susciter aucune méfiance de part et d'autre;
    • que les résultats de l'évaluation soient connus des enseignants et des étudiants ;
    • qu'il en soit tenu compte dans le dossier d'évaluation des enseignants, pour les fins du renouvellement du contrat ou de la promotion.
  8. Que les institutions publiques d'éducation, compte tenu de la loi, des structures, de la transformation des pratiques et de la déscolarisation  proposées  par la Commission, s'engagent  à prévoir et  à  stimuler diverses  formes  de  participation  des usagers de leurs services de l'éducation des adultes (comités d'usagers, représentants aux conseils d'administration, associations d'étudiant(e)s par établissement, contrats d'apprentissage individuel et collectif, structure d'accueil des plaintes, évaluation « formative », etc.); que les moyens humains et financiers nécessaires y soient affectés.
  9. Que les représentants élus et/ou nommés aux conseils d'administration des diverses institutions scolaires soient formellement responsables de l'éducation des adultes, tout autant que de l'éducation des jeunes, dans les rôles qui leur sont assignés par les lois et règlements.
  10. Que les instances décisionnelles des institutions éducatives prévoient la participation effective des représentants des usagers de l'éducation des adultes et que les lois et règlements soient modifiés en conséquence.
  11. Que, dans la perspective d'une décentralisation des décisions d'ordre pédagogique, le ministère de l'Education compte davantage sur la capacité des établissements de définir leur propre projet scolaire, en y associant étroitement les enseignants et les parents.

Notes

  1. Conseil supérieur de l'éducation, Pour le vrai monde et pour tout le monde, Contribution à une politique québécoise de l'éducation des adultes, Rapport d'étape 1978-79 de la Commission de l'éducation des adultes, juin 1979.
  2. Gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation, L'école québécoise. Énoncé de politique et plan d'action, Québec, 1979, p. 47.
  3. Jean-Marc Carreau, La mithridatisation, dans Cégepropos, no. 74, octobre 1981, p. 22.
  4. Idem.
  5. Idem.
  6. Charles Hummel, L'éducation d'aujourd'hui face au monde de demain, Unesco, Paris 1977, p. 118.
  7. Commission d'étude sur les universités, Comité d'étude sur l'organisation du système universitaire, Partie III, Les étudiants à l'université, Rapport, mai 1979, p. 136.
  8. Ministère de l'Éducation, L'école québécoise..., op. cit., p. 42.
  9. Commission d'étude sur les universités, op. cit., p. 150.
  10. Conseil des universités, Les droits des étudiants à l'université, Avis du Conseil des universités au ministre de l'Éducation sur la place des étudiants dans l'université, 17 septembre 1981, p. 7.
  11. Ibid., p. 7.
  12. Ibid., p. 9.
  13. Commission d'étude sur les universités, op. cit., p. 51.
  14. Gaétan Daoust, L'université utopique, De l'éducation des adultes à l'éducation permanente, texte rédigé à la demande du Conseil des universités, septembre 1971, p. 10.
  15. Idem.
  16. Michel Lizée, dans Formation et éducation populaire, Revue internationale d'action communautaire, 3/43, printemps 1980.
  17. Voir chapitre 4, Le décloisonnement de l'éducation des adultes.
  18. Gouvernement du Québec, Direction générale de l'éducation des adultes, Edu cation des adultes et développement, Avis à la C.É.F.A., mai 1981, p. 38.
  19. Ibidem, p. 69.
  20. Gabriel  Fragnière,  L'éducation créatrice,  conférence prononcée lors de la 10e assemblée du C.S.E. 1976, dans L'éducation hier, l'éducation demain, Québec 1976, p. 14-15.
  21. Botkin et alii, On ne finit pas d'apprendre, Rapport au Club de Rome, Pergamon Press, Paris, 1980, p. 41.
  22. Gaétan Daoust, op. cit., p. 8.
  23. Charles Hummel, op. cit., p. 119.
  24. Conseil des universités, L'université québécoise des années 80, Onzième rapport annuel, 1979-1980, p. 253.
  25. Conseil des universités, Les droits..., op. cit., p. 10.
  26. Commission d'étude sur les universités, op. cit., p. 151.
  27. Idem.
  28. Gouvernement du Québec, ministère de l'Éducation, Les collèges du Québec, nouvelle étape. Projet du gouvernement à l'endroit des cégeps, 1978, p. 42.
  29. Ministère de l'Éducation, Les collèges du Québec..., op. cit., p. 42.
  30. Conseil des universités, Les droits..., op. cit., p. 16.
  31. Lise Bissonnette, « Les commissaires interdisent », dans Le Devoir, 18 décembre 1981.
  32. Commission d'étude sur les universités, op. cit., p. 146.
  33. Conseil des universités, Les droits..., op. cit., p. 18.
  34. Ibidem, p. 8.
  35. Idem.
  36. Commission d'étude sur les universités, op. cit., p. 167.

Chapitre 3

5.3 La participation dans le monde de la vie sociale, culturelle et associative

La participation des adultes aux activités éducatives dispensées dans le secteur de la vie sociale et culturelle des années 80 fera face à plusieurs types de contradictions. D'une part, la prise en charge de la production éducative dans le domaine culturel par les adultes, prise en charge qui s'appuie sur la démocratisation et sur l'autodétermination sociale, sera confrontée au professionnalisme, à la rentabilité économique et aux cotes d'écoutes que les organismes de production sociale et culturelle voudront maintenir. A ces difficultés s'ajoutent, d'autre part, le contexte de compressions budgétaires, de conservatisme au niveau des valeurs et de retour à des comportements plus individualistes, toutes choses qui ne faciliteront certes pas l'émergence d'une alternative démocratique à la situation actuelle.

Un politique de l'éducation des adultes pour les années à venir, pariant sur la participation, se doit de soutenir les initiatives d'autodéveloppement des individus et des communautés. Cela signifie des choix qui auront leur répercussion dans les critères de financement, le soutien de l'éducation populaire et la décentralisation des pouvoirs de l'État.

5.3.1 Pour les organismes de promotion sociale et culturelle : une idée-clé, la concertation

Les objectifs d'autonomie, de prise en charge et de participation des adultes aux activités éducatives dispensées par des organismes publics, parapublics et privés, reliés au secteur de la vie sociale et culturelle sont-ils possibles? Cette question se pose d'autant plus que la plupart des activités dispensées par ces organismes s'inscrivent directement dans ce que les adultes ont de plus cher: santé, éducation des enfants, développement personnel et communautaire, patrimoine, accouchement, loisirs, temps libre, vie de couple, etc.

Pour répondre à ces préoccupations, il est pertinent de différencier ces organismes selon qu'ils ont une vocation spécifiquement éducative et selon qu'ils fournissent des conditions de prévention ou de soutien aux activités éducatives. D'une part, des organismes tels que les musées, les bibliothèques, certains media, certains centres privés (arts, poterie, danse, culture, etc.) et de loisirs auront directement une vocation éducative, c'est-à-dire qu'ils dispenseront et seront le lieu de déroulement d'activités éducatives. D'autre part, des organismes tels que les maisons pour personnes âgées ou pour jeunes adultes, les hôpitaux, les C.L.S.C, les media, les centres culturels et de loisirs auront une vocation complémentaire à la formation des adultes, c'est-à-dire des fonctions telles que la prévention (dépistage des analphabètes par les C.L.S.C), l'information (publicité), la communication, la détente, le divertissement, la récréation, etc. Ces considérations et distinctions se fondent sur le fait, nous l'avons vu dans les parties précédentes, que la formation des adultes n'est pas le monopole du système scolaire et qu'elle constitue un élément du développement du potentiel humain, qui est beaucoup plus que la seule formation.

« Participation » marque tout système décisionnel donnant un certain pouvoir à des groupes constituant la « base » de l'ensemble considéré. Il s'oppose aux systèmes où les décisions sont prises en haut sans procédures d'intervention de la base et sont traduites en exécution descendant d'échelon en échelon. En conséquence la participation, en matière de décision, s'exprime par des modalités et des degrés des trois concepts précédents : self-management, démocratisation et autogestion.

L'autogestion en éducation porte au minimum sur la relation pédagogique et au maximum sur l'exercice direct de la démocratie appliquée à une institution éducative ; dans ce dernier cas elle revêt une signification politique.

Le self-management, la démocratisation, l'autogestion et la participation constituent des réactions contre l'éloignement du citoyen à l'égard des centres de décision qui influencent sa vie; c'est aussi une opposition à l'opacité des procédures bureaucratiques. Elle est en harmonie avec la décentralisation des pouvoirs. De là l'importance d'une notion comme le « district éducatif et culturel » de B. Schwartz.

Source: Conseil de l'Europe, Organisation, contenu et méthodes de l'éducation des adultes, Strasbourg, 1977, p. 39-40.

5.3.1.1 La situation actuelle

Jusqu'à présent, le bilan de la participation des adultes dans les organismes publics et parapublics est plutôt maigre. C'est ce que reconnaît d'ailleurs un document gouvernemental, datant de 1977, destiné à la consultation, qui synthétise bien ce que la Commission a maintes fois entendu au cours de sa consultation : À l'égard de l'État, il est devenu de plus en plus difficile pour les citoyens de se retrouver dans les réseaux de l'appareil gouvernemental. La gestion et l'administration sont de plus en plus inaccessibles et éloignées du citoyen. Ainsi les relations du citoyen avec l'appareil gouvernemental sont caractérisées par :

Le document reconnaît que cette concentration des pouvoirs entre les mains de l'État a entraîné un isolement des individus, une déshumanisation des services, un effritement du sens des responsabilités communautaires et un désintéressement pour la chose publique.

Ce document de consultation avançait un certain nombre de postulats quant à la décentralisation qui sont aussi ceux de la Commission: faire confiance aux capacités des individus et des groupes de s'autodéterminer, mettre les ressources publiques en position de service et de complémentarité et non pas de concurrence, favoriser le dialogue entre les intervenants, « responsabiliser » les citoyens et citoyennes dans leurs décisions et décentraliser, en conséquence, les pouvoirs de l'État entre les mains des individus et des organismes qui sont le plus près d'eux.

Certes, cette perspective ne fait pas disparaître totalement, en éducation des adultes, la nécessité d'activité éducative davantage normalisée ou planifiée « d'en haut », notamment à cause d'impératifs tels que la mobilité, les exigences professionnelles, les disparités régionales, les inégalités sociales et les priorités à caractère national. Cependant, une décentralisation effective peut introduire davantage de fluidité, de souplesse et de transparence dans la définition de la plupart des besoins éducatifs ressentis par les adultes et un meilleur contrôle quant à l'orientation, au déroulement et à l'évaluation de ces mêmes activités.

5.3.1.2 La participation à l'éducation des adultes dans le secteur de la vie sociale et culturelle

Ces précisions et l'esprit qui entourent le concept de « participation », tel que nous l'entendons, ont leur importance. Le débat politique des dernières annnées qui a suivi de près le tohu bohu des déclarations et des professions de foi ronflantes des années 60 envers la participation n'ont de quoi rendre sceptique toute personne un tant soit peu avertie. La participation dans le secteur de la vie sociale et culturelle, telle que redéfinie ces dernières années, s'oppose au processus technocratique. Elle s'adresse à tous ceux et celles qui sont directement impliqués dans un processus d'éducation: éducateurs,  adultes, intervenants des  milieux  scolaires,  culturels,  associatifs, municipaux, etc. Elle prend place à différents degrés, selon le niveau et le type d'activité, tout d'abord au niveau même de l'activité éducative, par le choix des méthodes, des contenus et des modes d'évaluation, et aussi à un autre niveau, celui de l'orientation et des choix politiques reliés à l'éducation des adultes, effectués dans des organismes tels que les musées, les bibliothèques, les stations de télévision et de radio, les municipalités, etc.

Au niveau des décisions impliquant l'ensemble de la société, la participation fait appel à un processus transparent aux yeux des citoyens et des citoyennes; elle revêt la forme de la démocratie directe, là où c'est possible, et indirecte, là où il faut élire ou nommer des délégués. Elle suppose implicitement une décentralisation réelle des pouvoirs et des revenus, aux mains des organismes représentatifs que la population d'un territoire s'est donné. Songeons ici, par exemple, à l'émergence des Municipalités régionales de comtés (M.R.C.).

Ainsi entendue, la participation, plus qu'une notion singulière, apparaît comme un élément déclencheur et dynamiseur de bons nombres d'objectifs, propositions et recommandations mis en avant par la Commission: reconnaissance des acquis, valorisation de la promotion collective, utilisation et reconnaissance des ressources éducatives extra-scolaires, implication des adultes à toutes les étapes du processus éducatif, valorisation des apprentissages autonomes, mise en place d'une formation de base adéquate, etc. Cependant, ces diverses mesures de la politique de l'éducation des adultes n'ont de sens que si on leur insuffle plus de vie. Dans le même esprit, la Commission veut amener des institutions de nature différente à fonctionner dans un système ouvert et interactif où toutes les ressources sont conviées à la réalisation optimale des projets, objectifs et orientations que la population s'est donnée. En ce sens, il faut parler de concertation.

La participation à l'éducation des adultes dans le cadre de la vie sociale et culturelle, pour permettre le développement du potentiel des ressources éducatives, doit aussi se conjuguer à un ensemble d'autres politiques concomitantes: par exemple, une politique du développement culturel, une politique de la recherche scientifique, une politique du loisir et temps libre, une politique de la main-d'oeuvre, etc. La participation ne peut prendre son essor que dans la mesure où les diverses politiques qui sollicitent les gens, dans leur mise en application, soient cohérentes entre elles. Autrement, on fait appel à de super-citoyens capables de participer nuit et jour dans toutes les sphères de l'activité humaine! Ce type de participation, mis en avant par la Commission, peut permettre de resserrer les liens entre l'éducation et la culture vivante de notre société, celle de la vie de tous les jours, celle où s'initient et s'opèrent les changements économiques et sociaux.

La participation requiert aussi le développement, chez les individus et les groupes, des habiletés sociales, techniques, scientifiques et personnelles pour évoluer dans un processus de prise de décision. Il existe suffisamment d'indices pour affirmer que cette conception de la participation est appelée et soutenue par bon nombre d'adultes. Que ce soit des gens de la Beauce ou du quartier Centre-sud à Montréal qui, à travers un projet d'écomusée, prennent en charge leur développement culturel et communautaire; des populations autochtones qui, par le biais de l'artisanat, se réapproprient leur passé et leur culture; des bibliothécaires qui développent, avec le milieu, des projets d'animation culturelle; des femmes et des hommes qui veulent vivre la naissance d'un enfant selon de nouvelles pratiques et de façon plus autonome; des populations qui se mobilisent sur des questions d'aménagement du territoire; des adultes qui cherchent à s'approprier leur « temps libre » à travers le loisir; du jeune théâtre qui se fait instrument d'animation et d'éducation  au coeur des débats  sociaux tels que l'éducation sexuelle, l'homosexualité, l'école, la guerre, la retraite, etc.; des femmes qui reprennent confiance en elles par le biais de l'écriture; des pressions répétées pour régionaliser la programmation de Radio-Québec. Bref, les initiatives et les exemples ne manquent pas pour témoigner du souci de la population de se prendre en main et de l'imagination créatrice qu'elle déploie au service de son histoire, de sa culture, de son vécu et de l'aménagement de son milieu.

5.3.1.3 La participation, ses formes et ses modalités

Ces réalités ne doivent pas donner lieu à une vision idéaliste de la participation. Par exemple, tous les membres d'une société n'apporteront pas une égale contribution au processus décisionnel, pour de multiples raisons qui ne se réduisent pas toujours aux inégalités sociales, mais aussi au peu d'information ou au désintérêt. Soulignons aussi le problème de la formation de groupes d'influence et d'intérêt autour du processus décisionnel qui génère le danger que la participation au processus de prise de décision soit une autre méthode de développer des élites du pouvoir. Plusieurs auteurs argumentent même que de telles élites sont inévitables.

La Commission, bien qu'elle ne retienne pas les prémisses de base de ces analyses, n'en demeure pas moins consciente qu'il s'agit là de dangers bien réels qui guettent la participation. Nous avons vu, au début de cette section, que certaines contradictions, de même que le contexte économique et social actuel, ne favorisent pas l'éclosion de la participation. Ces sombres perspectives, qui peuvent susciter retraite ou fuite, renforcent la volonté de la Commission de remettre entre les mains des individus et des groupes l'avenir de la politique de l'éducation des adultes. Les dynamismes profonds, la culture vivante et les solidarités qui émergent des individus et groupes, sont encore, malgré tout, les meilleurs garants de la vitalité que réussira à conserver à l'éducation des adultes, l'État et les fonds publics aidant, le rôle de complémentarité et d'appui que nous lui reconnaissons.

Les efforts de coordination et surtout de concertation auxquels nous convions les organismes publics, parapublics et même privés doivent permettre de matérialiser, aux yeux des citoyens et citoyennes, les formes diverses que pourra prendre la participation. Celle-ci pourra être multiforme et multidimensionnelle, compte tenu des différents rôles et du niveau de responsabilité que les adultes voudront assumer. Aussi, sous ces diverses formes et modalités, la participation, sans créer l'illusion d'avoir le pouvoir, devra permettre aux adultes d'avoir du pouvoir sur ce qu'ils veulent entreprendre en matière de formation.

Vue ainsi, la participation peut recouvrir plusieurs niveaux d'implication selon les attentes et les disponibilités des adultes. Elle peut viser à favoriser toutes les occasions de communication (réunions, débats, audiences publiques, activités collectives, festivals) aux fins de dialogue et d'échange continus d'idées entre individus, publics, éducateurs, créateurs et producteurs. De même, la participation peut inciter les intervenants du secteur de la vie sociale et culturelle à promouvoir largement l'information et la libre expression culturelle des membres des communautés, des institutions, des organismes, des syndicats ou groupements, en vue de les sensibiliser ou de les familiariser à la pratique culturelle ou de permettre l'expression de leurs pratiques culturelles.

Parmi les multiples mesures susceptibles de matérialiser une participation multiforme et multidimensionnelle, tantôt due à l'initiative des organismes, tantôt due à celle des citoyens et citoyennes, il faudrait:

Ces quelques mesures, largement inspirées des réflexions de l'Unesco en ce domaine(2), montrent jusqu'à quel point la participation peut revêtir diverses formes et qu'à leur tour ces formes peuvent varier selon l'intensité et le niveau de responsabilité. La participation dans le secteur de la vie sociale et culturelle repose donc sur le décloisonnement des organismes entre eux et passe par la liaison systématique du projet culturel au projet éducatif. Là comme ailleurs, la participation, ainsi entendue, s'appuie sur l'accès aux ressources éducatives et sur la transformation des systèmes, contenus et méthodes qui fondent actuellement l'éducation des adultes. La participation peut donc apparaître, tour à tour, comme une fin ou comme un moyen permettant de démocratiser ou de libérer les ressources culturelles.

5.3.2 La vie associative

Le secteur de la vie associative est, de par sa nature même, participatif. D'ailleurs, pour désigner ce secteur, on utilise souvent les termes « associations volontaires », étant entendu que ce sont les citoyens et les citoyennes, eux-mêmes, qui se regroupent spontanément ou de façon plus systématique.

Au delà de la prise de conscience des réalités sociales et politiques de notre société que suscite le travail dans la vie associative, mentionnons quelques activités d'éducation des adultes que l'on retrouve dans la vie associative:

************ Manque page 130 et 131 ******************* A vérifier

pédagogique des institutions publiques qui doit se faire dans le respect intégral de la démarche des organismes et, d'autre part, sur une forme d'auto-évaluation des organismes qui s'exerce à travers leur vie démocratique et le partage des expériences entre ceux-ci.

Ces suggestions ont toutes leur pertinence, bien qu'elles n'éliminent pas et ne peuvent garantir en soi les organismes contre toute forme d'ingérence, directe ou indirecte de l'État. Le financement à partir de fonds publics, compte tenu qu'il ne peut s'exercer sans modalités, priorités ou évaluation, exerce de fait une influence sur l'autonomie des associations volontaires, ne serait-ce que par son seul poids ou son caractère externe. Cette contradiction peut être atténuée mais difficilement éliminée.

De même, à la fois stimulante et difficile, une éventuelle décentralisation de l'éducation des adultes ne serait pas sans influence sur le secteur de la vie associative. Les gens de ces milieux sont intervenus auprès de la Commission pour faire valoir leur point de vue sur cette question. Plusieurs ont soutenu que la mise en place de structures décentralisées devrait se faire en tenant compte du dynamisme des régions, des structures déjà existantes de concertation avec les organismes publics, du rôle de soutien que devraient jouer les organismes publics et des formes de regroupement et de concertation que les associations volontaires se sont donné entre elles. D'autres ont vu dans la décentralisation une façon d'éloigner les organismes de la vie associative des véritables lieux de pouvoir et de financement. Certains craignent que la décentralisation mette leurs organismes à la merci d'élites locales qui voient souvent d'un mauvais oeil le dynamisme et le changement que ceux-ci introduisent dans un milieu. Finalement, plusieurs ont rappelé que la vocation de certains organismes volontaires n'était pas que locale ou régionale, parfois, et même dans certains cas exclusivement, leurs interventions se situent aux plans provincial, national, voire international.

La Commission est consciente que la reconnaissance du pluralisme est une condition essentielle à la participation des adultes aux activités du secteur de la vie associative, étant entendu que le véritable pluralisme est exigeant, et même conflictuel. De même, elle est consciente de l'impact que certains choix en matière de financement, de modalités, de priorités ou d'organisation peuvent avoir sur le développement de ce secteur qui, bien que dynamique, n'en demeure pas moins fragile et vulnérable face aux interventions de l'État. Le poids et les intérêts des institutions publiques, l'impact d'un financement fait à partir de fonds publics, sans parler des valeurs, perceptions et conceptions idéologiques qui animent souvent ceux et celles qui administrent ou évaluent, sans réellement bien les connaître, les programmes d'aide gouvernementaux aux organismes de la vie associative, ont souvent une influence néfaste sur l'autodéveloppement des associations volontaires.

En ce sens, la Commission croit utile de reconnaître la spécificité et la valeur des activités éducatives dispensées dans le secteur de la vie associative et de les valoriser; par exemple, en les admettant, au même titre que les activités dispensées dans d'autres secteurs, dans le système de la reconnaissance des acquis, lorsque le besoin se fait sentir. De la même façon, la Commission croit qu'il faut soutenir adéquatement ce secteur d'activités, en mettant en avant une politique multiforme d'appui technique, physique et financier. D'abord, en rendant les ressources humaines et physiques des institutions publiques accessibles aux demandes de services des organismes de la vie associative; en facilitant, par voie de soutien technique (ex. : accès aux media, publicité, etc.), les projets ou campagnes d'autofinancement des organismes ou regroupements d'organismes de la vie associative; en développant une concertation régionale et nationale qui tienne compte du type et du rythme de leurs démarches.

Quant au financement des organismes de la vie associative à partir des fonds publics, nous estimons que ces programmes d'aide devraient être substantiellement augmentés (voir sixième partie, chapitre 3). L'accréditation des organismes devrait être souple et se faire sur une base nationale, selon la nature des démarches entreprises. Les programmes d'aide devraient privilégier un financement destiné aux coûts, directs ou indirects, des seules activités éducatives, sans négliger le financement des autres types de frais (ex.: amortissement de l'infrastructure, démarrage, autres activités, projets spéciaux, etc.), selon leur pertinence, avec le déroulement et le soutien des activités éducatives. Cela n'exclut pas que les organismes puissent se financer à d'autres sources gouvernementales mais à d'autres fins que les activités éducatives. Les activités éducatives devraient aussi être subventionnées en tenant compte des possibilités d'autofinancement des organismes et des subventions provenant d'autres sources non-gouvernementales. À ce titre, nous concevons que les mouvements syndical, agricole ou coopératif puissent très bien, sans préjudice pour les autres organismes, réclamer un soutien financier pour leurs activités de formation à partir de la même enveloppe budgétaire destinée aux autres organismes de la vie associative. D'ailleurs, et de plus en plus, ces mouvements mènent des actions conjointes avec les organismes de la vie associative.

Quant à l'évaluation des activités éducatives et, corollairement, de la bonne utilisation des fonds publics aux fins desquelles ils étaient destinés, la Commission retient le principe de l'auto-évaluation entre éducateurs et adultes, laquelle serait sanctionnée par les instances (assemblée générale, comité d'usagers, conseil d'administration, etc.) de la vie démocratique des organismes, comme un important critère d'évaluation du point de vue de l'utilisation des fonds publics. Ce principe peut être difficile d'application dans les cas où les organismes se définissent davantage comme lieu de support ou de services pour le déroulement d'activités éducatives (ex. : media communautaires); à ce moment là, l'auto-évaluation peut tout simplement correspondre à l'appréciation de services rendus par l'organisme de la part de ceux et celles qui les ont utilisés. Aussi, la Commission est d'avis que l'auto-évaluation doit donner lieu à un moment de concertation. Les organismes de la vie associative peuvent faire appel aux ressources pédagogiques des milieux d'enseignement dans le but d'approfondir leurs réflexions concernant la formation et contribuer ainsi à la diffusion et à la généralisation, entre organismes ou secteurs d'activité, des acquis qui ressortent des pratiques éducatives.

Ces diverses modalités ne constituent pas, nous l'avons dit, une garantie en soi contre toute forme d'ingérence de l'État. Cependant, dans la mesure où ces modalités se combineront avec d'autres, visant à élargir la vie démocratique de notre société en se fondant sur l'auto-organisation des citoyens et des citoyennes et la prise en charge de leur propre développement, de meilleurs conditions apparaîtront pour que cet objectif se réalise. L'autonomie des organismes volontaires et le développement de leur caractère participatif sont indissociables de l'évolution de cette conjoncture.

Recommandations

La Commission recommande :

(Note : Pour ce qui est de la vie culturelle, on pourra consulter sur ce sujet les recommandations 119 à 171 )

  1. Que l'on reconnaisse et soutienne les organismes volontaires d'éducation populaire autonome comme d'authentiques agents de l'éducation des adultes et qu'on leur procure les moyens nécessaires à l'accomplissement de leur rôle.
  2. Que l'on reconnaisse l'autonomie de ces organismes en matière d'éducation des adultes comme une condition essentiel le à leur créativité et à leur capacité d'adaptation.
  3. Que, selon les groupements que ces organismes se sont donnés, leurs représentants soient présents aux niveaux national et régional de l'éducation des adultes.
  4. Qu'un comité consultatif national composé de représentants de ces organismes d'éducation populaire définisse les critères d'éligibilité au programme de financement et recommande les organismes conformes à ces critères.
  5. Que le comité consultatif national s'assure du lien à établir entre les initiatives d'éducation populaire et les autres ressources éducatives de la région.
  6. Que les instances nationales chargées d'accorder des subventions tiennent les responsables régionaux informés des décisions prises relativement aux organismes d'éducation populaire de leur région.

Notes

  1. Gouvernement du Québec, ministère du Conseil exécutif, Secrétariat à l'aménagement et à la décentralisation, La décentralisation : une perspective communautaire nouvelle, fascicule 1, p. 12-13.
  2. Unesco, Recommandation concernant la participation et la contribution des masses populaires à la vie culturelle, Nairobi, 1976, p. 31-32.

Chapitre 4

5.4 La participation des différents « mondes » à la gestion de l'éducation des adultes: la concertation

Introduction

La concertation ou Comment sortir vivant de la jungle ?

La concertation permet notamment:

L'école mieux intégrée au territoire, sans pour autant y être confinée, constitue le principal mais non le seul lieu éducatif; les liaisons accrues avec le monde du travail, la cité, l'animation culturelle, l'animation sociale, les mouvements associatifs sont à construire : une telle orientation entraîne la « laïcisation partielle de la fonction éducative ».

Source: Conseil de l'Europe, Actualité d'une politique d'éducation permanente, « Le programme de Sienne », Strasbourg, 1980, p. 21-22.

Le développement du potentiel humain, passant par la démocratisation et la prise en charge par les individus et les collectivités de leur formation, ne peut se faire sans une concertation de tous ceux qui participent à ce développement.

La multiplicité des intervenants en éducation des adultes et le « fouillis administratif », dénoncé à maintes reprises dans les mémoires qui nous ont été soumis, rendent la concertation indispensable et urgente. La double juridiction fédérale-provinciale contribue largement à l'incohérence actuelle des services éducatifs offerts aux adultes.(1) Comment se retrouver dans cette « jungle administrative » ? Comment ne pas céder à la tentation de « renvoyer la balle dans l'autre camp »? Que l'on songe au désengagement sporadique de personnes (usagers) et à l'attentisme de tous, ou presque, devant certaines querelles de juridiction, de mandats, de buts, d'objectifs, d'actions, de moyens, alors que tous ont la même idée motivante: rendre service aux adultes de la région.(2)

La véritable efficacité d'un système d'éducation des adultes passe par la coordination, la collaboration, la concertation: la coordination des politiques, des objectifs et des programmes de formation; la collaboration des diverses instances pour faciliter aux adultes l'accès aux ressources humaines techniques et financières; la concertation entre les instances, pour éviter les dédoublements, l'anarchie, la bureaucratisation.

Le chapitre du présent rapport traitant des « disparités régionales » a fait ressortir l'inadéquation entre la formation et les besoins du milieu. Parce que les objectifs et les programmes de la formation sont définis en dehors des régions et sont bureaucratisés, parce que le milieu ne participe pas à l'identification des besoins en matière de formation, les pratiques pédagogiques adaptées aux adultes, qui tiennent compte de leurs expériences demeurent encore de rares exceptions. La formation offerte aux adultes tient peu compte des réalités sociales. Par exemple, la formation « professionnelle », telle qu'elle a existé jusqu'à maintenant, enseigne des techniques qui trop souvent sont périmées sur les marchés de travail ou « produit » des travailleurs et des travailleuses pour des métiers où il n'y a pas ou peu de débouchés. Elle s'est davantage attardée à répondre à des impératifs économiques, plutôt qu'au développement des individus et des collectivités.(3) L'accessibilité aux ressources humaines et techniques du monde de l'éducation des adultes, de même que la participation de l'adulte à l'ensemble du système éducatif, sont réduites non seulement parce qu'il y a peu de mécanismes de participation réelle, mais aussi parce que tous ces lieux de l'éducation des adultes sont cloisonnés. Ce sont souvent des chasses gardées où règne une concurrence effrénée, alimentée par un financement gouvernemental pers capita. Et tout cela, aux dépens de l'adulte lui-même.

Le développement du potentiel humain exige le décloisonnement de l'éducation des adultes qui, à son tour, appelle la concertation; ce qui, nous semble-t-il, permettra l'articulation de moyens efficaces pour réaliser, de façon optimale, le développement du potentiel humain.

Le manque de concertation a causé trop de dommages aux adultes jusqu'à maintenant (fouillis administratif, marchandage des « clientèles » dans un marché de libre concurrence, inadéquation et dédoublement des programmes, coûts élevés de l'éducation pour les individus et pour l'État) pour que la concertation ne soit confiée qu'au bon vouloir des différents intervenants en éducation des adultes. La concertation s'inscrit au centre d'une politique de décentralisation de l'éducation des adultes. La concertation en éducation des adultes doit permettre de développer une compréhension commune face à un problème (...). La recherche commune de la compréhension d'un problème est aussi une moindre source de conflit, car elle permet une participation plus significative que les solutions venues de l'extérieur dont les auteurs se trouvent ensuite pris dans des situations de conflit par lesquelles se trouvent bloquée l'exécution ultérieure de toute solution retenue.(4)

...les solutions venues de l'extérieur.

..cette façon d'agir rappelle un peu celle de quelqu'un qui essaierait de faire entrer des chevilles de formes différentes dans un trou, plutôt que de faire un trou s'adaptant à chaque cheville.

Source: Gouvernement du Canada, Chambre des Communes, Groupe de travail parlementaire sur les perspectives d'emploi pour les années 80, Du travail pour demain, Ottawa, 1981, p. 60 (Rapport Allmand).

Quelques sentiers défrichés

La décentralisation nous apparaît donc une des voies possibles de la démocratisation, notamment dans la gestion des systèmes éducatifs.(5) Dans le plan de travail et orientations de la D.G.E.A., on constate que certaines priorités retenues et certaines orientations clairement identifiées(6) mentionnent la décentralisation, la coordination et la concertation régionales. La décentralisation encourage la concertation, elle la valorise. Et la concertation permet aux institutions d'assumer de nouvelles responsabilités dans le cadre d'une politique nationale de décentralisation.(7)

La concertation ne se réduit pas à une transmission d'informations d'un niveau scolaire à un autre, d'une entreprise à une institution, d'un ministère à une institution, etc. Elle implique une collaboration active, une coordination, une participation, des responsabilités. La concertation suppose une volonté partagée de se « co-responsabiliser », de décloisonner son intervention, de se mettre au service de la collectivité. La concertation contribuera à effacer l'image d'institutions qui s'arrachent les clientèles qui entretiennent des querelles de niveaux, qui s'accrochent à des pouvoirs et avoirs propres au détriment de la population en voie d'éducation permanente.(8)

Nous allons, au cours de ce chapitre, parler de concertation régionale, voir comment elle s'est orientée jusqu'à maintenant et quelles orientations nous désirons lui donner.

5.4.1 Des expériences de concertation

La concertation n'est pas à inventer. Elle existe déjà dans plusieurs régions. Elle reste cependant limitée à des « initiatives locales », par ailleurs fort louables. Il s'impose qu'elle se répande. Après avoir survolé quelques-unes des expériences qui ont été vécues et qui se vivent encore au niveau des régions, nous proposerons des mesures aptes à promouvoir et à supporter la concertation aux niveaux régional et national.

Vincent Ross, de la D.G.E.A., dans une étude intitulée Les mécanismes régionaux de collaboration en éducation des adultes (9) a dénombré 181 mécanismes régionaux. Et cette étude, de l'aveu même de l'auteur, n'est pas complète. Plusieurs de ces mécanismes de concertation nous ont été présentés dans les mémoires des différents organismes. Nous ne pouvons, évidemment, parler de chacun d'eux. Nous avons donc choisi quelques exemples pour illustrer notre propos : rappeler le chemin qui a été fait et tracer celui qui reste à faire.

5.4.1.1 La concertation interinstitutionnelle intraniveau

Un sentier qui relie des institutions d'un même niveau d'enseignement.

Le palier de responsabilité hiérarchique dans les institutions d'un réseau semble correspondre (...) à un facteur de généralisation et de relative standardisation des formes de collaboration: les tables de D.E.A.,(10) (C.S.R.) et de CE.A.(11) (cégep) sont plus généralement présentes dans les différentes régions que les tables sectorielles dont les membres sont des professionnels (...) La multiplicité des dossiers différents à traiter est aussi une autre coordonnée des concertations au palier des cadres et alors que les dossiers portés par les professionnels sont plus souvent sectoriels. (12)

On entend par concertation intra-niveau, celle qui consiste à réunir des représentants des services d'éducation des adultes de différentes institutions scolaires d'un même niveau d'enseignement, dans une région donnée. Elle a souvent pour but de s'informer mutuellement, d'étudier l'impact de certains dossiers et, à l'occasion, de partager certains mandats et répartir la clientèle étudiante d'un même niveau d'enseignement entre les institutions d'un même territoire.

Un exemple de concertation intra-niveau nous est fourni par le Conseil régional de l'éducation des adultes de l'Est du Québec (C.R.É.A.). Il regroupe les services a l'éducation des adultes des cinq cégeps de l'Est du Québec, soit de la Pocatière, Rivière-du-Loup, Rimouski, Matane et de la Gaspésie (13). Le C.R.É.A. vise à rendre accessible à l'ensemble de la population d'un territoire, l'ensemble des ressources éducatives et des compétences des cinq cégeps dans une optique d'économie des ressources et de saine gestion; et rendre accessibles à chaque collège, lorsque possible, les compétences développées par un cégep. (14)

D'autres cégeps, de même que les commissions scolaires (de façon quasi systématique), ont également leurs tables régionales de concertation réunissant les gestionnaires de l'éducation des adultes et des sous-comités sectoriels de travail composés de gestionnaires et de professionnels.

5.4.1.2 La concertation interinstitutionnelle interniveaux

La concertation interniveaux rassemble des représentants des institutions de différents niveaux d'enseignement: commissions scolaires, cégeps et parfois universités. La concertation inter-institutionnelle, inter-niveaux, est plus rare que la concertation intra-niveau (...) Un aspect intéressant ici est que, dans les régions (où elle existe), le nombre d'institutions (C.S.R., cégep en particulier) est restreint (...) de sorte que la compétition potentielle entre institutions se trouve être plus restreinte qu'ailleurs.(15)

Ajoutons que les régions où l'on trouve des mécanismes de concertation inter-niveaux se caractérisent par une faible densité de la population et une dispersion spatiale plus grande des localités elles-mêmes, de sorte qu'une division du travail à base territoriale y est plus spontanément pensable entre les institutions.(16) La concertation inter-niveaux existe cependant dans des centres urbains, sur certains dossiers sectoriels. On a alors tendance à se répartir le travail d'une façon complémentaire.

Si ce type de concertation est plus rare que l'intra-niveau, c'est que les divers niveaux d'enseignement se cherchent, en toute légitimité, des clientèles, des mandats et le financement qui y est attaché. Les commissions scolaires se sentent plus menacées que les autres niveaux, car, à cause de la « valeur » sociale accordée aux niveaux supérieurs d'enseignement, les étudiants auraient davantage tendance, lorsqu'ils ont le choix, à s'adresser aux cégeps et/ou aux universités. La concertation inter-niveaux serait donc facilitée par une politique de partage des mandats et de décloisonnement. La formation par projet, qui est essentiellement trans-niveaux, a besoin de ce type de concertation pour se développer.

Il existe présentement des tables de concertation inter-niveaux dans les régions à faible densité de population. Par exemple, la table de concertation/ coordination Côte-Nord. Elle se compose des organismes suivants: Commission scolaire du Littoral, Commission scolaire régionale du Golfe, Commission scolaire de Manicouagan, Cégep de Sept-Iles, Cégep de Hauterive. L'isolement et l'éloignement de cette région des centres de décision n'ont trouvé une solution dans la concertation. Pour les services d'éducation des adultes de la région de la Côte-Nord, la concertation permet d'atténuer les malaises causés par:

La concertation est devenue un moyen d'assurer la coordination entre les S.E.A. et les autres intervenants en éducation des adultes, d'établir de meilleurs contacts entre la Direction régionale de la main-d'oeuvre et le ministère de l'Éducation. Autrement, chacun agit pour soi sans tenir compte des autres intervenants et les décisions importantes sont prises en dehors,(17) et cela au détriment des principaux intéressés: les adultes eux-mêmes. La concertation s'avère une forme de gestion efficace.

La région de l'Estrie, pour sa part, a créé un mécanisme de concertation appelé Fer de lance, dont nous avons brièvement parlé dans le chapitre sur les disparités régionales, et qui regroupe l'Université de Sherbrooke, le Collège de Sherbrooke, le Collège Champlain (Campus Lennoxville), l'Eas-tern Township Régional High School Board et la Commission scolaire régionale de l'Estrie. Le comité directeur de Fer de lance définit la concertation ainsi: Pour nous, la concertation est un regroupement d'institutions autonomes dans le but de mettre en commun des ressources humaines, matérielles et/ou financières, d'inventorier et de choisir des cibles d'intervention, d'élaborer des projets éducatifs, d'y affecter les ressources nécessaires, de réaliser des plans d'actions et d'évaluer les résultats de ces interventions.(18)

Les institutions scolaires de la région de Hull ont également commencé à oeuvrer en concertation à l'élaboration de programmes (gérontologie) pour les adultes, et ce, dans une optique de meilleure utilisation des ressources du milieu. Notons que la concertation inter-niveaux a surtout servi, jusqu'à maintenant, en ces temps de restrictions budgétaires, à réaliser des économies, ou mieux, à faire une meilleure utilisation des fonds publics. L'intention est louable, mais la concertation doit avoir des visées plus larges.

5.4.1.3 Les tables de concertation des institutions et autres intervenants usagers

Un mécanisme de concertation fort intéressant est celui qui vise à mettre en relation les institutions d'enseignement et les organismes oeuvrant dans le milieu, de même que les adultes des S.E.A. et des différents organismes.

Ces mécanismes signalent l'exigence d'une sorte de négociation sociale, institutions-usagers sur les services qui seront donnés (v.g. critères de financement) et sur leurs modalités (approche pédagogique, contenus: v.g. une approche, « non scolarisante » pour l'assistance à des projets d'alphabétisation). La nature même de cette forme d'interaction institutions-milieu en fait un facteur dynamique important dans la genèse de nouvelles formes et modalités d'éducation des adultes. (19)

C'est la forme de concertation que nous entendons développer et celle qui semble le plus répondre aux impératifs du développement d'une région.

Le Service de l'éducation des adultes de la Commission scolaire régionale de l'Amiante, qui a créé le Comité local d'éducation des adultes (C.L.É.A.), et dont nous avons parlé dans le chapitre sur les disparités régionales, est également un exemple de concertation des divers intervenants du milieu, même s'il se bute à certaines difficultés dans le secteur de la formation « professionnelle », parce que celle-ci demeure encore trop une « chasse-gardée » de certains intervenants. Le Service de l'éducation des adultes de la Commission scolaire du Lac-Témiscamingue, dont nous avons également parlé, est un autre exemple de concertation entre des comités locaux et le représentant du S.É.A. ainsi que de l'implication de la population à toutes les étapes du processus éducatif.

Il nous faut également parler brièvement de l'expérience du J.A.L. Le J.A.L. désigne trois petites localités de l'Est du Lac-Témiscouata, St-Juste, Auclair et Le Jeune, ... vouées à la fermeture autour des années 1969-1970 (...) mais dont la population, devant l'échéance fatale, a décidé de réagir, de prendre en main son devenir en s'appropriant la gestion des ressources de son territoire et en multipliant les initiatives dans tous les secteurs d'activités.(20)

La population de cette région a fait appel aux services d'éducation des adultes pour qu'ils appuient leurs démarches dans l'orientation qu'elle s'était donnée. C'est ainsi que la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation de l'Université Laval a accepté de se porter responsable de l'encadrement technique de l'expérience et de mettre en place une équipe de personnes-ressources telle que définie par les groupes de leaders du mi-lieu.(21) Le Service d'éducation des adultes de la Commission scolaire régionale du Grand-Portage, de son coté, assure l'encadrement pédagogique. Grâce à ces initiatives de la population et à la réponse favorable des institutions scolaires, le J.A.L. est devenu un des exemples les plus édifiants de concertation axée sur le développement régional.

5.4.1.4 La concertation des institutions et des syndicats

Une route où l'on partage le droit de passage

Essentiellement, le protocole d'entente U.QA.M.-C.S.N.-F.T.Q. est caractérisé par les éléments suivants:

Michel Lizée, dans Formation et éducation populaires. Revue internationale d'action communautaire, 3/43, printemps 1980.

Les travailleurs et leurs syndicats ont fait appel, comme nous l'avons mentionné d'ailleurs dans le chapitre 3 de la partie précédente, à des institutions pour supporter des expériences axées sur la prise en charge par les travailleurs de leur projet éducatif.(22) Les deux expériences que nous relatons ici ont donné lieu à des protocoles d'entente entre des institutions scolaires et des syndicats.

A)   Le protocole d'entente U.Q.A.M.-C.S.N,-F.T.Q.

A l'automne 1971, des représentants du mouvement syndical rencontraient les principales universités afin de les convaincre de s'associer à la mise sur pied d'un centre inter-universitaire québécois de recherche appliquée sur le travail, géré paritairement par les universités et le mouvement syndical et financé en majeure partie par des fonds gouvernementaux.(23) Cette rencontre devait, par la suite, donner naissance à l'Institut de recherche appliquée sur le travail (I.R.A.T.).

L'Université du Québec à Montréal, en plus de participer à l'I.R.A.T., a offert ses services aux travailleurs syndiqués pour l'organisation d'activité de formation. Au terme d'une période initiale de recherche et d'expérimentation (...) les parties formalisaient leur collaboration par la signature en janvier 1976 d'un protocole d'entente renouvelé deux fois depuis (24). L'exemple de ce type de concertation a été suivi, entre autres, par l'Université de Montréal et la F.T.Q.

B)   Le protocole d'entente entre l'U.P.A. et le Cégep de Saint-Jérôme

Ce protocole a été signé en février 1980 par l'Union des producteurs agricoles du syndicat régional de Ste-Scholastique et le Cégep de St-Jérome. Le Cégep, dans le but d'élargir sa vocation d'enseignement et de concrétiser sa volonté d'éducation permanente (25), libère partiellement un professionnel pour lui permettre d'agir en tant que personne ressource pour le compte de l'U.P.A. La tâche de ce professionnel consistera notamment à fournir une expertise relativement à la location agricole par « baux emphytéotiques » de même qu'à soutenir d'autres projets de recherche menés par l'U.P.A.(26). L'U.P.A. de son côté s'engage à fournir toute l'assistance technique nécessaire pour mener à bien ce projet. (27)

II existe également un protocole d'entente, du même ordre, entre l'U.P.A. et l'Université de Sherbrooke.

5.4.1.5 La concertation de l'école et de l'entreprise

Pour une perspective réaliste, un point de rencontre.

Toutes les visées de l'éducation permanente dans une perspective de développement individuel et collectif commandent une conjugaison et une coordination de l'ensemble des ressources éducatives de la société. A cet égard, l'entreprise et les organisations de travailleurs doivent jouer, en coordination avec l'ensemble, un rôle important qui devrait faire l'objet de mesures législatives précises.

Source: Gouvernement du Québec, Conseil supérieur de l'éducation, Contribution à l'élaboration d'une politique globale de l'éducation des adultes, Intervention auprès de la C.É.F.A., p. 42.

Quels que soient les pays, les employeurs se plaignent que la formation institutionnelle donnée aux travailleurs est trop théorique, trop éloignée des réalités de la vie industrielle et trop attachée à un enseignement de disciplines peu adéquates ou totalement inadéquates(28). L'entreprise est bien placée pour critiquer le système scolaire, puisqu'elle est l'un des principaux utilisateurs des produits de l'éducation(29). Mais, elle doit convenir que, pour faire davantage, l'éducation a besoin de la participation active et responsable d'autres organismes et notamment des établissements qui emploient ceux qu'elle forme.(30) L'étroite collaboration du système scolaire et du monde du travail contribue certainement à transformer l'image et les pratiques en éducation des adultes. Une telle complémentarité entre le système scolaire et le milieu du travail va sans doute demander des accommodements très nombreux dans les deux structures organisationnelles (31)

5.4.1.5.1   Des expériences américaines

Une route qui indique sa destination.

Mentionnons enfin quelques programmes d'intérêt particulier. L'Université de Sherbrooke offre un programme en sciences de l'administration à l'intérieur duquel les étudiants doivent faire des stages dans des entreprises. L'école des Hautes études commerciales, affiliée à l'Université de Montréal, a un programme de maîtrise auquel ne sont admissibles que ceux qui ont une expérience de travail. L'École nationale d'administration publique (E.N.A.P.) travaille de concert avec les organismes gouvernementaux et paragouvernementaux auxquels elle offre ses programmes de formation et de perfectionnement des cadres.

Source: Gaétan Daoust et alii. Éducation et travail. H.M.H., Montréal, 1978, p. 95.

Les entreprises américaines se préocupent de plus en plus de la formation de leurs travailleurs, parce qu'elles ont la conviction profonde que ce ne sont plus les investissements financiers ou techniques qui déterminent l'avenir d'une firme, mais les capacités intellectuelles et professionnelles des hommes que celle-ci réunira132'. La formation est devenue, pour bon nombre d'entreprises américaines, une « arme concurrentielle » pour le recrutement de personnel. En effet, il semble que certains jeunes candidats à un poste s'intéressent davantage à la possibilité que leur offre l'entreprise d'étendre leurs compétences par la formation, qu'au salaire.

Ainsi, plusieurs entreprises ont mis sur pied des programmes mixtes « work-study », dont les stages rémunérés (internship) et l'éducation coopérative sont des exemples. Ces programmes permettent à ceux qui poursuivent une formation « professionnelle » d'avoir un contact direct avec le lieu de réinvestissement de leur formation. Ils permettent également au monde scolaire et au monde du travail de s'ajuster mutuellement et de mieux se connaître.

5.4.1.5.2   Et au Québec?

Selon le document La formation professionnelle des jeunes au Québec, la très grande majorité des intervenants consultés souhaitent, tout en exprimant des réserves, cette concertation du monde scolaire et du monde du travail. Car la concertation nationale éducation-travail pour tous les secteurs est sûrement un défi séduisant et audacieux.(33)

Actuellement au Québec, mis à part le travail de collaboration que font certaines institutions scolaires et des P.M.E. et les pratiques de formation sur mesure(34), les expériences de concertation monde scolaire-monde du travail ne sont pas des plus développées.

Il faut souligner que des efforts importants ont été faits, par exemple, dans le secteur de l'aérotechnique. Ainsi, le Service d'éducation des adultes de l'École d'aérotechnique du Collège Édouard-Montpetit travaille conjointement avec l'industrie aéronautique à l'élaboration de programmes de formation. Il existe également dans ce secteur d'activités un organisme de concertation qui regroupe les institutions scolaires, les syndicats et les entreprises intéressés, les chambres de commerce, et les instances gouvernementales. Il s'agit du Committee for Aerospace Manpower Assessment in Québec (C.A.M.A.Q.).

5.4.1.6 La concertation scolaire-municipale

Il existe des protocoles d'entente entre les municipalités et les institutions scolaires de leur territoire. Il s'agit parfois d'établir une organisation rationnelle de l'utilisation des locaux que chacun des partenaires possède. Mais, ailleurs, ces ententes vont plus loin. Les services d'éducation des adultes des institutions scolaires collaborent avec les services des loisirs de leur municipalité à l'élaboration des programmes pour la population desservie. Ainsi, les services de l'éducation des adultes de la Commission scolaire régionale de Lignery et le Service des loisirs de Brossard ont, d'un commun accord, précisé leurs mandats respectifs et développé des mécanismes de collaboration: programmes conjoints, banque de ressources humaines et physiques, utilisation du même médium d'information, utilisation du même local pour les inscriptions aux activités, afin d'éviter des déplacements multiples à la population(35).

Cette forme de concertation est à développer. Nous avons mentionné précédemment que nous souhaitions que la municipalité soit désignée comme le maître d'oeuvre en matière de loisir.(36) Cela ne veut pas dire que toutes les activités de loisirs qui étaient organisées par les institutions scolaires doivent être transférées aux municipalités, mais plutôt qu'il faut harmoniser les politiques afin que celles-là offrent leur collaboration à celles-ci pour un meilleur service à la population.

5.4.1.7 La concertation des groupes de la vie associative et du monde scolaire

Au chapitre de la concertation, la Commission désire souligner le rôle important joué par l'Institut canadien d'éducation des adultes (I.C.É.A.). L'Institut, avec l'aide de ses membres provenant de milieux fort divers, constitue une instance critique et un lieu de débats sur l'éducation des adultes au Québec. De plus, l'I.C.É.A. offre des services de soutien et de ressourcement aux organismes de promotion collective de la société québécoise. Enfin, son Centre de documentation est l'un des rares centres de documentation spécialisés en éducation des adultes et constitue, à ce titre, une ressource fort importante de notre collectivité.

La Commission croit donc que le Gouvernement du Québec se doit de lui accorder le soutien financier nécessaire pour poursuivre cette mission.

5.4.1.8 La concertation intraministérielle, interministérielle et intergouvernementale

À ces égards, la situation n'est pas de plus reluisantes. On pourrait davantage parler de « non-concertation » ou de manque de coordination. Ce qui est évident, c'est que la concurrence que se livrent les institutions chargées de dispenser la formation est souvent stimulée par en haut. Or, si l'on veut établir des mécanismes de concertation régionale, il faudra que la concertation existe aux paliers supérieurs.

L'éducation relève de la juridiction provinciale tandis que le gouvernement fédéral est responsable de la croissance économique et, par conséquent, de la formation nécessaire à la satisfaction des besoins de l'économie.(37)

En matière de formation dite professionnelle, le gouvernement du Québec dispense l'enseignement et assure le contrôle des contenus de la qualité des cours. Le gouvernement fédéral, de son côté, achète des cours et assume la responsabilité du choix et de l'orientation (choix de cours) de ceux qui désirent s'inscire au programme ainsi que du diplôme consécutif à la formation.(38) Afin de faciliter l'évaluation des besoins en main-d'oeuvre du Québec et promouvoir la collaboration entre les deux paliers de gouvernement, dans le cadre du P.F.M.C., on a créé un comité fédéral-provincial regroupant des représentants du ministère fédéral de la Main-d'oeuvre et de l'Éducation. Il semble que ce comité ne soit pas aussi efficace qu'on le souhaite. Les décisions, souvent prises avec beaucoup de retard, sont la plupart du temps unilatérales, c'est-à-dire fédérales. Le gouvernement fédéral domine, à toutes fins pratiques, le comité fédéral-provincial de main-d'oeuvre en contrôlant notamment le budget offert au programme(39)

Les mémoires soumis à la Commission dénonçaient aussi la « gestion provinciale bicéphale », constituée par le ministère du Travail et celui de l'Éducation. Cette organisation a donné lieu à un exercice probablement rarement égalé en matière de spécification de programme(40). Les gestionnaires de l'éducation des adultes connaissent bien ces « mécanismes » opérationnels avec lesquels ils ont à composer presque quotidiennement.

Cette collaboration intergouvernementale et interministérielle, dont nous reparlerons dans la prochaine partie, s'est avérée un échec sur plusieurs plans: conflits de juridiction, difficultés de planification, instabilité et complexité du financement, multiplicité des intervenants, évaluation des besoins de la main-d'oeuvre et évaluation des besoins en main-d'oeuvre, etc..

Les contraintes externes sur l'orientation et l'aménagement d'un domaine d'activités semblent déterminer une tendance à la formalisation et à la standardisation généralisée dans les mécanismes de collaboration: c'est le cas des comités inter-ministériels de distribution des cours FG/FP(41) dans le cadre du P.F.M.C.(42) et des tables régionales et locales pour l'application administrative et pédagogique en formation en industrie (P.F.I.M.C.) et pour certains programmes spéciaux promus par la D.G.E.A. (v.g. cours en gestion des P.M.E.), Lorsqu'une activité ou un secteur est activement promu du haut vers le bas du système, lorsque les budgets et les volumes d'activités sont importants et lorsque des règles de procédures explicites et élaborées servent à régulariser l'organisation des opérations (planification, répartition, distribution, etc.), les divers mécanismes de concertation et de collaboration tendent à prendre des formes plus standardisées.(43)

Les problèmes soulevés exigent une meilleure concertation, une décentralisation des décisions, une meilleure adaptation aux régions et, surtout, une politique québécoise de main-d'oeuvre, politique qui doit s'élaborer en concertation avec les différents milieux impliqués et en harmonisation avec la mission sociale, économique et culturelle du Gouvernement du Québec.

5.4.2 La concertation, un outil de développement

Pour élargir et baliser les sentiers

La concertation a été perçue et vécue par les milieux scolaires comme une forme de gestion rationnelle, efficace. Elle l'est effectivement. Mais on risque de la réduire à sa plus simple expression en la limitant à cela. La concertation doit se situer dans une perspective de développement du potentiel humain d'une collectivité. Et, ce développement prend sa source dans les régions.

La concertation est une forme de participation qui amène les différents intervenants en éducation des adultes d'un même territoire à travailler à une cause commune: le développement régional. Les réponses et les solutions à des besoins et à des problèmes culturels, sociaux, politiques, économiques et éducatifs ont besoin de cohérence et doivent s'inscrire dans un plan de développement. Toutes les ressources éducatives doivent travailler en harmonie à ce plan'44'. La concertation, vue dans cette optique, débouche aussi sur une forme de gestion rationnelle et rentable pour le système scolaire et pour les adultes.

La concertation a surtout été jusqu'à maintenant constituée d'expériences ponctuelles et rendue possible grâce à des efforts individuels plus que par une volonté politique affirmée. Elle devra désormais s'inscrire dans une volonté constante et articulée.

5.4.2.1 La région, espace de concertation

La région, lieu de convergence

Intégrant entreprises et administrations, lieux de travail rémunéré, écoles et universités, lieux de scolarité, le territoire a été défini comme un lieu d'éducation permanente intégrée et participative.

Conseil de l'Europe, Actualité d'une politique d'éducation permanente, « Le programme de Sienne », Strasbourg, 1980. p. 28.

La région est (...) espace de concertation, espace de services et espace politique. Les sentiments de voisinage, d'appartenance, de communauté doivent s'entremêler aux critères plus rationnels d'efficacité des services, d'interdépendance et homogénéité. La région apparaît comme cadre de vie.(45)

II y a donc dans la concertation la manifestation d'une solidarité, d'un sentiment « d'appartenance » à une communauté, d'un enracinement dans un milieu donné. Il y a dans la volonté de concertation une prise de conscience d'être et de devoir être « en relation ». Les partenaires impliqués dans un processus de concertation collaborent pour le mieux-être des individus et des collectivités et retirent, eux aussi, des bénéfices de cette collaboration.

La concertation vit et se développe dans la réalisation de projets d'intervention qui assurent à chacun des partenaires impliqués une gratification aux plans de l'information, de la mise en valeur de ses ressources, de la rentabilité personnelle, collective ou politique et de la reconnaissance par les autres agents du milieu.(46)

Il va de soi que, dans un processus de concertation, les relations reposent sur la reconnaissance de l'égalité des partenaires et le respect des différences.

5.4.2.2 Le développement, valorisation de la région

Si chacun entretient son bout de trottoir...

Aujourd'hui, on ne peut parler de développement sans parler de valorisation du milieu, d'utilisation optimale de ses ressources par une conscientisation et une implication la plus large possible de ses habitants.

Source: Gilles Roy, Formation comme support au développement régional. Service d'éducation permanente, Cégep de Rimouski, juin 1981, p. 8.

On ne peut limiter la notion de développement à une dimension économique. Il faut, au contraire, l'élargir de manière à englober, au-delà des aspects purement économiques de l'amélioration de la condition humaine, les aspects dits sociaux.(47) Le développement signifie ainsi la volonté d'une collectivité de prendre en main son milieu, d'intervenir sur son devenir et sur toutes ses étapes, d'agir dans les mécanismes sociaux, politiques et économiques qui en conditionnent le plein épanouissement (48)

Les intervenants en formation des adultes doivent étoffer cette volonté collective par une action concertée, plutôt que d'agir comme des agents extérieurs au milieu. Les vrais moteurs du développement se situent dans le milieu.(49) L'action concertée doit aussi être en mesure d'assumer les changements provoqués par l'action de l'homme sur son milieu et du milieu sur l'homme. Elle inscrit la formation dans un contexte d'éducation permanente (50)

Si la concertation doit se développer dans une idéologie de « service au milieu », de support aux demandes et initiatives des individus et des collectivités, elle a elle-même besoin d'un support des agents extérieurs qui ont un rôle à jouer, une contribution à fournir comme service au milieu, au niveau de la planification régionale ou nationale autant qu'au niveau de la distribution équitable des assistances techniques et financières.(51)

Faire du développement régional l'objectif principal de la concertation, c'est miser sur une authentique participation du milieu qui rend la population responsable activement des finalités sociales, qui lui fournit la possibilité de choisir ses objectifs et les moyens pour les réaliser.(52)

Conclusion

La tendance actuelle va à l'intégration de la culture, de la science et de l'éducation. Les politiques de démocratie culturelle et d'éducation des adultes y trouveront un cadre élargi.

Source: Conseil de l'Europe, Développement de l'éducation des adultes, Strasbourg, 1980, p. 140.

La concertation régionale doit déboucher sur la coordination. Il apparaît nécessaire de développer des mécanismes de décision régionaux. Cela implique une décentralisation des pouvoirs. La Commission recommande donc la mise en place de mécanismes de concertation, de façon à obliger les différents intervenants en éducation des adultes à s'orchestrer en vue du développement du potentiel humain de leur région, et recommande au Gouvernement du Québec de faire en sorte qu'au palier national la concertation soit encouragée par une volonté politique et appuyée par des mesures financières significatives et des mécanismes interministériels efficaces.

Les instances gouvernementales devront elles-mêmes travailler en concertation, s'harmoniser, afin de rendre effectif le développement de la collectivité québécoise et de gérer rationnellement le système éducatif des adultes. Elles devront aussi collaborer au développement régional et permettre aux régions de choisir leurs objectifs, leurs moyens et leurs codes de référence.

Recommandations

La Commission recommande:

  1. Que les établissements scolaires et municipaux mettent sur pied des comités afin de faire participer les représentantes des groupes, associations, services d'éducation des adultes et servi ces des loisirs à l'utilisation des équipements publics, en fonction des divers besoins de ces secteurs d'activités.
  2. Que les protocoles d'entente et de concertation scolaire et municipale prévoient davantage l'ouverture et l'accès aux équipements de ces institutions pour les regroupements à but non lucratif de leurs milieux, les loisirs et l'éducation des adultes.
  3. La Commission reconnaît que l'Institut canadien d'éducation des adultes remplit une triple mission dans la collectivité québécoise :
    • l'I.CE.A., avec l'aide de ses membres provenant de milieux fort divers, constitue une instance critique et de débat sur l'éducation des adultes au Québec;
    • l'I.CE.A. offre des services de soutien et de ressourcement aux organismes de promotion collective de la société québécoise;
    • le Centre de documentation de l'I.C.É.A. est l'un des rares centres de documentation spécialisés en éducation des adultes et constitue, à ce titre, une ressource fort importante de notre collectivité.

A la majorité des voix,

la Commission recommande au gouvernement du Québec d'accorder à l'I.C.É.A. tout le soutien financier nécessaire.

Proposition minoritaire de madame Francine C. McKenzie

Dans le respect de la juridiction provinciale en matière d'éducation, que l'I.C.E.A. devienne un organisme québécois (I.Q.É.A.) financé à la fois par le « membership » et par le gouvernement québécois.

Notes

  1. Gouvernement du Québec, Conseil du statut de la femme, Mémoire présenté à la C.É.F.A., décembre 1980, p. 106.
  2. La Table de concertation/coordination de l'éducation des adultes de la région 09 (Côte-Nord), Mémoire présenté à la C.É.F.A., Hauterive, décembre 1980, p. 12.
  3. Voir chapitre 4.1, Le décloisonnement de l'éducation des adultes.
  4. J.W. Botkin et alii, On ne finit pas d'apprendre, Rapport au Club de Rome, Pergamon Press, Paris, 1980, p. 40.
  5. C.Hummel, L'éducation d'aujourd'hui face au monde de demain, P.U.F., Unesco, Paris. 1980, p. 118.
  6. Gouvernement du Québec, D.G.E.A., R.R.M.E.Q., et R.I. en éducation des adultes. Études sur la coordination et la concertation régionales dans une direction régionale de l'éducation des adultes décentralisée, janvier 1981, p. 4-5.
  7. Le Comité directeur de Fer de lance, Mémoire présenté à la C.É.F.A.,  15 décembre 1980, p. 16.
  8. La Table de concertation-coordination, région 09, op. cit., p. 4.
  9. Vincent Ross, Les mécanismes régionaux de collaboration en éducation des adultes: Rapport d'étape d'un relevé préliminaire, D.G.E.A., Service de recherche et développement, 1980-03-24, 13 p.
  10. Directeurs de l'éducation des adultes dans les commissions scolaires.
  11. Coordonnateurs de l'éducation des adultes au niveau collégial.
  12. Vincent Ross, op. cit., p. 10.
  13. Le Conseil régional de l'éducation des adultes de l'Est du Québec, Mémoire présenté à la C.É.F.A., novembre 1980, p. 1.
  14. Idem.
  15. Vincent Ross, op. cit., p. 10.
  16. Idem.
  17. La Table de concertation/coordination, région 09, op. cit., pp. 12 à 14.
  18. Le Comité directeur de Fer de lance, op. cit., p. 4.
  19. Vincent Ross, op. cit., p. 11.
  20. Gilles Roy, Formation comme support au développement régional, Service de l'éducation permanente, Cégep de Rimouski, juin 1981, p. 55.
  21. Ibidem, p. 56.
  22. Michel Lizée, dans Formation et Éducation populaire, Revue internationale d'action communautaire, 3/43, printemps 1980.
  23. Idem.
  24. Idem.
  25. Texte  du  Protocole d'entente entre  l'U.P.A.  et Syndicat régional de Ste- Scholastique et le Cégep de St-Jérome.
  26. Idem.
  27. Idem.
  28. Unesco, l'éducation en devenir, Paris, 1975, p. 199.
  29. Idem.
  30. Idem.
  31. Gérald Fortin, La société de demain, ses impératifs, son organisation, annexe 25, p. 67, Rapport de la Commission d'enquête sur la santé et bien-être social, 1970.
  32. Ibid., p. 368.
  33. Ministère de l'Éducation, La formation professionnelle des jeunes au Québec, p. 30.
  34. Voir le chapitre 4.3 : La déscolarisation: la transformation des pratiques pédagogiques.
  35. Cf. Loisard, vol. 7, no 3, septembre 1981.
  36. Voir le chapitre 3.4.5.
  37. Gouvernement du Canada, Chambre des Communes, Groupe de travail parlementaire sur les perspectives d'emploi pour les années 80, Du travail pour demain, Ottawa 1981, p. 59.
  38. Recherches connexes de la Commission, Partie 4, La formation professionnelle des adultes: second regard sur la jungle administrative, É.N.A.P., p.25.
  39. Idem, p. 30.
  40. Idem, p. 35.
  41. Formation générale /formation professionnelle.
  42. Programme de formation de la main-d'oeuvre du Canada.
  43. Vincent Ross, op. cit., p. 9.
  44. Gouvernement du Québec, Direction générale de l'éducation des adultes, Edu cation des adultes et développement. Avis à la C.E.F.A., mai 1981, p. 37.
  45. A.Poulin, Réflexions sur la définition des aires des centres régionaux d'éducation des adultes, Université de Sherbrooke, juin 1981, p. 1-2, (miméo).
  46. Le Comité directeur de Fer de lance, op. cit., p. 21.
  47. René Maheu, Allocution d'ouverture de la conférence de Venise, Unesco, Paris, 1970, cité dans: La Politique du développement culturel, Gouvernement du Québec, 2e trimestre, 1978, p.39.
  48. Gilles Roy, op. cit., p. 9.
  49. Idem.
  50. Le Conseil régional de l'éducation des adultes de l'Est du Québec, op. cit., p. 11.
  51. Gilles Roy, op. cit., p. 9.
  52. Ibidem, p. 10.