FACE À LA LOI DE LA PROTECTION DU CONSOMMATEUR :

NON À LA COMMISSION PARLEMENTAIRE

PUBLICATION:  EMBARGO JUSQU'À MERCREDI, LE 2 JUIN À 14 heures

Les ACEF (Association Coopérative d'Economie Familiale) n'iront pas en commission parlementaire présenter un mémoire au sujet du projet de loi sur la protection du consommateur parce qu'el­les ne croient pas que l'État québécois peut et veuille amélio­rer une loi  qui, sous des titres ronflants, ne règle pas les problèmes de fond que vivent les consommateurs au Québec.

Tel est en effet l'essentiel de la prise de position rendue publique à la suite d'une réunion spéciale du Conseil d'Administration de la Fédération des ACEF tenue récemment.  Cette pri­se de position découle à la fois de l'expérience acquise à la suite de plusieurs années de travail auprès des consommateurs et de l'analyse, du jugement que les ACEF portent sur la socié­té dans laquelle les travailleurs tentent péniblement de survivre .

D'abord une vision "à ras le sol" des problèmes:

Depuis la création de la première ACEF à Shawinigan en 1965, les ACEF travaillent sur les divers problèmes que vivent les consommateurs au Québec.  Tant par des services de dé­pannage comme la consultation budgétaire que par l'organi­sation de rencontres d'information sur les rouages  de la société de consommation et des lois qui la régissent, tant par un travail de dénonciation et de mise en garde contre diverses formes d'exploitation que par un travail de pres­sion auprès des gouvernements pour modifier radicalement l'état de la législation, les ACEF ont acquis une connais­sance concrète de la société de consommation.

Ce que nous mettons de l'avant, les critiques et les dé­nonciations que nous formulons, nous les avons toujours vérifiées à "ras le sol" avec les illiers de consommateurs c'est-à-dire les travailleurs d'usine et de services, les chômeurs, les assistés sociaux, les vieillards qui ont cheminé avec nous et qui doivent lutter quotidiennement pour maintenir un niveau de vie qui se dégrade constamment.

Le Front Commun de 1971 sur la loi de la protection du con­sommateur:  un échec significatif

C'est donc à partir de cette vision concrète des problèmes vécues que nous avions, lors du dépôt du premier projet de loi sur la protection du consommateur, formé un front commun regroupant les centrales syndicales, les S.N.Q., la S.S.B.J. et d'autres organismes d'importance et présenté, en tant que porte-parole de ce regroupement, pas moins de 120 amendements à la loi proposée.

Résultat net:  trois amendements peu importants retenus; une loi incomplète et pleine d'échappatoires (publicité, biens  immobiliers, achats comptants par exemple) marquant dans certains cas des reculs par rapport au droit existant (taux d'intérêt, vente à tempérament, prescription d'un an, etc...)

Quant à l'Office de la Protection du Consommateur auquel la nouvelle loi donnait naissance, il devait, selon la volonté exprimée de l'État, se comporter "en arbitre" entre le con­sommateur et le commerçant.  L'expérience vécue par les con­sommateurs au cours des cinq dernières années a plutôt tendu à démontrer que l'Office n'était pas "neutre" comme on vou­lait bien nous le faire croire, mais qu'il défendait plutôt les intérêts des commerçants.  C'est, du moins, la conclusion qu'il nous faut tirer de la "performance" de l'Office dans des dossiers comme SONDEC, le Centre de Protection d'In­cendie (Berzomatic) et le Cercle d'Economie de la Future Mé­nagère où, malgré une lutte des consommateurs impliqués, lut­te soutenue et encadrée par les ACEF, 19,000 personnes ont perdu plus de $3,000,000.00 de dollars dans un racket que la loi était justement censée empêcher1.

Avec le bill 7, l'État prétend maintenant intervenir à nou­veau en défendant et protégeant le consommateur et surtout "rétablir l'équilibre souvent rompu entre commerçant, manu­facturier et consommateur" selon les dires mêmes du ministre Lise Bacon au moment du dépôt du projet de loi.

 Pour accepter cette prétention, il nous faudrait reconnaître que le projet de loi 7 s'attaque aux problèmes de fond vécus par les travailleurs dans le domaine de la consommation et que, par ailleurs, l'on reconnaisse à l'État un rôle d'arbitre neu­tre au dessus de la mêlée.

Or tel n'est pas le cas.

Au delà des titres ronflants, une minceur habilement camouflée:

L'examen attentif du projet de loi nous permet de constater que, sous une apparence progressiste, il passe à côté de pro­blèmes comme le lessivage et le conditionnement de la publi­cité, l'augmentation du crédit, la mauvaise qualité généralisée des produits.  De plus, dans certains cas, certaines disposi­tions constituent des reculs par rapport à la loi actuelle.

1.  La publicité:

Les dispositions du projet de loi sur le phénomène de la publicité n'ont aucune commune mesure par rapport à l'am­pleur du problème (les revenus publicitaires au Canada at­teignaient en 1974, selon la défunte Commission Plumbtree, 1.7 milliards de dollars soit l'équivalent d'une dépense de $250.00 par famille annuellement).

Le chapitre sur les pratiques interdites énumère  bien sur un certain nombre de dispositions qui tendent à éliminer les abus les plus flagrants dans le domaine publicitaire. Toutefois, le consommateur victime d'un commerçant qui n'au­rait pas respecté la loi ne pourra invoquer que quelques-unes des dispositions prévues pour obtenir l'annulation de son contrat.  Quant aux poursuites criminelles contre des contrevenants à l'une ou l'autre dispositions, elles sont laissées à la seule discrétion du directeur de l'Office de Protection du Consommateur ou du procureur général, sans que le consommateur ne puisse rien n'y faire.

La disposition concernant la publicité destinée aux enfants de moins de 13 ans, va tellement de soi qu'elle se passe de commentaire.  Encore que sa formulation est à ce point boîteuse qu'elle risque de donner lieu à des débats judiciai­res qui la rendront inapplicable.

Mais pour le reste, rien qui ne s'attaque au volume et la quantité de la publicité diffusée, rien sur le contenu in-formatif des messages publicitaires ou encore l'interdic­tion pure et simple de la publicité dans certains secteurs. Bref, des dispositions qui vont surtout viser des petits commerçants locaux déjà en voie de disparition, mais qui ne touchent guère les grands monopoles.

2.  Le crédit:

À ce chapitre, le projet de loi 7  reproduit pour l'essentiel les dispositions de la loi actuelle relatives aux mentions obligatoires du contrat et à la publicité du coût de crédit avec, cependant, certaines restrictions par rapport à la loi actuelle quant aux recours du consommateur en cas de non-respect.

Mais on ne retrouve rien sur le contrôle des taux d'intérêt, aucune disposition qui tendrait à restreindre l'usage du crédit (ex.:  comptant initial et période de remboursement maximum) et éliminer les méthodes de financement par défi­nition abusives (plan d'épargne systématique par exemple à la sauce Cercle d'Économie de la Future Ménagère).

Le gouvernement maintient même le mode de calcul des in­térêts des compagnies de finance (règle 78).

Les problèmes de fond qu'a engendré l'expansion du cré­dit à la consommation vont donc demeurer:  incitation sys­tématique à la sur-consommation, modes de crédit abusifs et endettement problématique des travailleurs (de 1972 à 1975, l'endettement des Canadiens s'est accru de 78% pas­sant de 14 milliards à environ 25 milliards de dollars).

3.  Qualité des produits:

La seule section qui traite indirectement de cette question est celle ayant trait aux garanties.  Mais encore là, les dispositions no visent qu'à assurer au consommateur la possibilité de faire exécuter sa garantie en supposant, bien sûr, que le commerçant ou le manufacturier daigne bien en offrir une.  Car rien, dans le projet de loi, ne vise à im­poser des garanties minima obligatoires relatives au con­tenu ou à la durée, etc...

Mais alors, si le projet de loi 7 ne touche pas aux pro­blèmes de fond engendrés par la société de consommation, que vise-t-ilau juste?

Simplement à éliminer certains des abus les plus criants sans toucher aux monopoles et ce, par des dispositions qui frisent la fumisterie pure et simple. Dans le cadre de la vente d'automobiles usagées ou de réparations d'automobi­les par exemple, les garanties prévues de même que les re­cours sont tellement courts et restrictifs que, dans les faits, la grande majorité de consommateurs ne pourront en bénéficier.

Par ailleurs, on laisse croire que le projet de loi s'at­taque au problème de l'habitation alors que tout ce qui est prévu, c'est un chapitre mal rédigé sur les maisons-témoins.  Or, nous savons que le fond de la question, en matière d'habitation unifamiliale, est l'absence de norme obligatoire  relative  à la qualité de la construction.

Enfin, le bill 7, au-delà d'un fouillis légaliste, restreint ce qui avait été "gagné" en 1971.  Prenons quelques exemples:

Pour les cartes de crédit:  on permet maintenant que les ban­ques et les grands magasins sollicitent sur place leurs clients;

Dans le cas du crédit variable

On permettra aux compagnies de faire payer au consommateur des taux d'intérêt supérieurs à ceux indiqués au contrat original moyennant certaines conditions.

On enlève des droits au consommateur pour en donner  au directeur de l'Office qui peut poursuivre les compagnies pour infraction à la loi, mais doit les entendre si jamais  elles le sont.

On invente l'incroyable "déclaration volontaire" par laquelle une compagnie poursuivie pourra voir les procédures intentées contre elle suspendues si elle signe cette espèce de "laissez-passer pour la continuation des abus."

Et l'on pourrait continuer, mais à quoi cela servirait-il?

Bref, rien n'a été fait et ne le sera pour contrer l'augmen­tation du crédit, de la publicité et de la surconsommation, augmentations quantitatives qui sont toutes dans l'intérêt des compagnies.

Rien surtout qui pose le problème de fond de la société de con­sommation actuelle:  une production orientée vers la fabrication de gadgets superflus, coûteux et polluants satisfaisant essen­tiellement les besoins de croissance et de profits des monopoles par opposition à une consommation orientée vers la satis­faction des besoins essentiels des travailleurs-consommateurs i.e. l'habitation, l'alimentation, le transport, le vêtement, les loisirs et la santé.

L'État arbitre:  un leurre

Le ministre, avons-nous dit, essaie de faire croire que son projet de loi va rétablir l'équilibre rompu entre consommateurs et producteurs.  Admettre cette prétention, c'est admettre, que l'Étatest un instrument abstrait, neutre, au-dessus de la mêlée et ne dé­fendant que les intérêts du bien commun.  Admettre cette préten­tion, c'est donc nier la réalité.  C'estnier le fait que l'État est l'instrument privilégié des monopoles et du capital financier pour maintenir leur existence et augmenter leurs profits. C'est nier le fait que l'ensemble des politiques gouvernementa­les visent à renforcer la concentration de l'économie entre les mains des monopoles parce qu'elles sont subordonnées aux inté­rêts de ces derniers.

Il suffit de songer par exemple:

Comment, dans ce contexte, décemment prétendre maintenir un équi­libre entre producteurs et consommateurs quand, au départ, le poids de l'État et de ses politiques est déjà dans la balance du côté des producteurs.

Le crédit, la publicité, la mauvaise qualité et la désuétude pla­nifiée des produits sont des instruments nécessaires aux détenteurs des moyens de production pour maintenir le conditionnement des travailleurs-consommateurs afin d'augmenter leur part de profits et le contrôle du marché.

Or, l'État ne s'attaque pas à ces mécanismes fondamentaux de l'exploitationdes consommateurs parce que ce faisant, il remettrait en cause ce sur quoi repose le système économique ac­tuel.  Et cela, il ne le peut pas.

Conséquemment, nous nous refusons de faire le jeu de la Commis­sion Parlementaire parce qu'au départ, les dés sont pipés.


1 Pour une analyse plus détaillée, voir:  "La Protection du Consommateur:  Une Grosse Balloune", dossier de 46 pages publié en 1975 par l'ACEF de Montréal.