«Une politique de logement social, ça presse» : ça presse : manifeste du frapru

FÉVRIER 1989

Front d'action populaire en réaménagement urbain

«Une politique de logement social, ça presse». Ça presse, parce que la situation des mal-logé-e-s ne cesse de se détériorer, un million et demi de personnes n'arrivant maintenant plus à se loger à un prix abordable au Québec. Et ça presse aussi parce que le gouvernement Bourassa, s'il n'a pas encore eu le courage de proposer une politique globale d'aide au logement, n'en agit pas moins dans le concret... non dans l'intérêt des mal-logé-e-s, mais dans celui d'un marché privé préoccupé par la seule recherche de profit.

Il faut clamer haut et fort le besoin d'une politique de logement social. C'est pourquoi le Front d'action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), un regroupement national actif depuis 10 ans, propose une politique alternative, permettant le droit au logement pour toutes et tous.

Toujours pauvres et mal-logé-e-s

Payer 50, 60, 70% de ses revenus en loyer, c'est couper ailleurs, même dans l'épicerie.

À en croire les médias et les politicien-ne-s, la fin des années '80 a amené une prospérité économique profitant à tout le monde et parler de crise du logement serait exagéré. Si la prospérité a pu être réelle pour les plus favorisé-e-s, la majorité de la population ne s'est pas enrichie ces dernières années. Alors que nos revenus n'augmentaient pas, les loyers eux ne cessaient de monter. En 1986, un million et demi de personnes au Québec se retrouvaient mal-logé-e-s, parce qu'elles payaient trop cher pour se loger.

Le million et demi de mal-logé-e-s du Québec 1

Ménages consacrant plus de 30%de leur revenu au logement

379 000 ménages locataires

175 000 ménages propriétaires

554 000 ménages

x 2.67 (no de personnes par ménage)

1 490 260 personnes

Le 30% du revenu que ces personnes consacrent au logement est déjà trop. La règle du 25% qui a longtemps prévalu a encore sa raison d'être. Les gouvernements l'ont abandonné parce que le coût du logement a tellement augmenté que la situation est gênante pour eux. Nos autorités ne se vantent pas souvent que parmi les pays capitalistes avancés, le Canada est un de ceux où le coût du logement exige le taux d'effort le plus élevé.2

Les très mal-logé-e-s

Payer plus de 25% de son revenu pour se loger est un problème, cela amène à couper dans d'autres besoins fondamentaux tels se nourrir, se vêtir. Mais dans le million et demi de mal-logé-e-s, il y en a pour qui la situation atteint un niveau intolérable. Plusieurs organismes, tels la Société St-Vincent-de-Paul et la Corporation des diététistes, ont dénoncé l'impact catastrophique du coût des loyers pour les familles à faible revenu. Les enfants sont sous-alimentés, les parents aussi et de nombreux bébés naissent à un poids anormalement bas.

Au Québec, plus de 700 000 personnes vivent dans des ménages où plus de 50% du revenu va au logement. 194 645 de ces ménages sont locataires alors que 70 085 sont propriétaires. Si la pauvreté est responsable de cette situation et est à combattre, le coût du logement est lui aussi à dénoncer. Cette situation est intolérable. Dans Hochelaga-Maisonneuve à Montréal, l'Opération faim a évalué que 10 000 personnes souffrent de faim. Pourtant, où elles existent, les soupes populaires débordent de monde. Des centaines de milliers de personnes ne peuvent payer plus et risquent de se retrouver dans la rue...

La pointe de l'iceberg

Des milliers de personnes se retrouvent sans logement assuré, vivent en chambre, dans la rue ou dans les refuges. Victimes des politiques gouvernementales (revenu, santé mentale, habitation, etc.), victimesdu marché sauvage du logement: le nombre des sans-abri va en augmentant.

Une situation qui ne fera que se détériorer à moins d'un sérieux changement de cap. Un comité indépendant de la ville de Montréal évaluait qu'en 1986 le nombre de sans-abri atteignait 10 000 personnes. Fin 1988, deux membres de l'exécutif de la ville de Montréal évaluait à 63 000 personnes le nombre de sans-abri potentiels.3

Les mal-logé-e-s où, qui?

Les mal-logé-e-s sont donc d'abord locataires, elles et ils se retrouvent partout au Québec. La situation est cependant vécue de façon plus aiguë par certaines catégories de la population.

Les premières victimes du coût élevé du logement, parce que plus pauvres, sont d'abord les femmes. Une situation maintes fois démontrée depuis des années, mais qui n'a que très peu évolué.

En 1986, le salaire moyen des hommes était de 22 211 $ alors que celui des femmes était de 12 766 $. Le coût moyen des loyers était alors de 422 $, ce qui représente pour le salaire moyen des femmes un taux d'effort de 40%, alors que celui des hommes est de 22%. Des chiffres qui parlent d'eux-mêmes; de plus il s'agit là de personnes qui travaillent.

Car pour celles qui n'ont pas de revenu de travail, la situation est encore pire. 56% des pauvres sont des femmes, selon l'évaluation très officielle du Conseil national du BES4. Un chiffre qui cache l'ampleur que le problème prend pour certaines femmes, les femmes cheffes de famille monoparentale par exemple.

Une étude réalisée auprès des femmes cheffes de famille monoparentale dans un quartier populaire de Montréal5 démontrait que 62% d'entre elles survivaient d'aide sociale et que 39% consacraient plus de la moitié de leur revenu au logement.

Au coût élevé du logement dont les femmes sont les principales victimes, il faut ajouter le problème de la discrimination, de l'intimidation, du harcèlement et du harcèlement sexuel vécu par de nombreuses femmes locataires. Une enquête menée en 1985 dans trois quartiers populaires de Montréal démontrait que 70% des femmes locataires subissent de la discrimination et du harcèlement au moment de l'occupation du logement.6

Le travail mené à partir de cette enquête démontre que la situation est la même partout en province. Les femmes parce qu'elles sont femmes se voient trop souvent nier l'accès au logement. Une situation qui empire lorsqu'elles sont aussi assistées sociales, mères ou membres d'une communauté visible.

Immigrant-e-s: mal reçues!

Une partie importante et grandissante des mallogé-e-s vivent des problèmes supplémentaires, soit en raison de leur statut d'immigrant-e-s, de leur origine ethnique différente de la majorité ou de la couleur de leur peau.

Les immigrant-e-s voient souvent les portes se fermer quand ils et elles se cherchent un logement. Cette discrimination raciale est non seulement le fait des propriétaires privés, mais elle est aussi effectuée par les gouvernements. Dans plusieurs villes comme Montréal ou Hull, les immigrant-e-s reçu-e-s ne sont pas éligibles aux HLM. Quant aux réfugié-e-s, l'accès aux HLM leur est refusé partout.

Les préjugés raciaux n'affectent pas que les immigrant-e-s. Les personnes de couleur comme les Noir-e-s demeurent victimes de discrimination même si elles ou leurs parents sont installés au pays depuis 10,20 ou 100 ans.

Une étude réalisée par la Commission des droits de la personne en 1988 démontre clairement cette situation. 33% des Haïtien-ne-s et 16% des Noir-e-s anglophones sont victimes de discrimination flagrante (refus au téléphone, refus à la porte, prix différents). Un autre 28% des Haïtien-ne-s et 29% des Noir-e-s anglophones se font poser des questions supplémentaires aux personnes blanches.7

Le racisme dans le logement est une des facettes du racisme vécu de façon de plus en plus grave par de plus en plus de gens et est basé sur de nombreux préjugés et alimenté par plusieurs canaux comme les médias. Mais les gouvernements entretiennent cette situation intolérable en n'intervenant pas.

D'autres catégories de la population subissent la crise du logement de façon particulièrement aiguë. Les personnes âgées, qui vivent majoritairement sous le seuil de la pauvreté doivent consacrer un pourcentage élevé de leur revenu au logement. Une étude menée dans Rosemont démontre que 71% des personnes âgées paient plus de 30% de leur revenu en loyer.8

Mais elles servent trop souvent à transformer les logements en condos ou en commerces, comme c'est le cas de cette maison de Hull.

Pas des châteaux

Si le principal problème de logement au Québec en est un d'accessibilité financière, celui de la qualité des logements est loin d'être disparu. Selon une évaluation contenue dans un rapport de la Société d'habitation du Québec publié en 19889, 844 000 personnes habitent des logements nécessitant des réparations majeures. Il s'agit de logements qui ont des déficiences majeures de charpente, de chauffage, de plomberie ou de risques d'incendies.

Ces logements, on les retrouve partout. Bon nombre de logements délabrés des quartiers populaires ont été démolis ou rénovés (et souvent transformés). Mais ils restent encore beaucoup de logements dans les vieux quartiers qui nécessitent des rénovations. Souvent les propriétaires préfèrent spéculer que les entretenir. Il y a aussi des logements locatifs en mauvais état dans les petites villes. À Matane et à Buckingham par exemple, l'insalubrité des logements, qui sont aux mains de l'élite locale, est un problème majeur. Beaucoup de logements des banlieues et des quartiers périphériques des grandes villes sont aussi en mauvais état. Ils ont souvent été construits uniquement pour satisfaire la soif de profits des spéculateurs.

Si 122 000 ménages locataires habitent des logements nécessitant des rénovations majeures, c'est aussi le cas pour 171 000 ménages propriétaires. Il s'agit sûrement de propriétaires pauvres qui n'ont pas les moyens de faire les travaux. Ça serait normal que les quelques 70 000 ménages propriétaires qui consacrent plus de 50% de leur revenu pour se loger n'aient pas d'argent pour changer le toit.

Le document de la SHQ évalue à 844 000 le nombre de personnes habitant des logements nécessitant des travaux majeurs. Mais on peut estimer que la réalité dépasse ce chiffre. Des problèmes importants, qui rendent parfois invivables les logements, comme l'isolation ou l'insonorisation ne sont pas considérés dans les évaluations gouvernementales.

Des quartiers à vendre

Depuis une quinzaine d'années, les quartiers populaires de la plupart des villes du Québec ont vécu de nombreuses transformations qui ont fait fondre le nombre de logements et de chambres à prix abordables qui s'y trouvaient.

Délaissés par les industries, qui se relocalisent dans les banlieues, les quartiers centraux sont l'objet de nouvelles convoitises. Une population aisée, désirant vivre près de son travail, s'y installe. Des commerces et des bureaux ouvrent leurs portes pour satisfaire les besoins de cette nouvelle clientèle.

Des «beaux» quartiers se créent.., au détriment de la population traditionnelle. Car les logements que la population plus aisée vient habiter sont souvent des logements ouvriers rénovés et/ou transformés en condos. Les nouveaux commerces et bureaux qui ouvrent le font souvent dans des logements familiaux ou des chambres.

Cette gentrification a eu des impacts catastrophiques dans plusieurs quartiers, évinçant des dizaines de milliers de ménages à faible revenu. Sur le plateau Mt-Royal, plus de 22 000 personnes10 ont été évincées par la transformation en copropriété, des milliers d'autres ont subi le même sort à Montréal, principalement dans le Centre-sud mais aussi dans d'autres quartiers.

Des centaines de ménages ont également été délogés par la rénovation et les conversions en copropriétés dans St-Jean-Baptiste et d'autres quartiers de Québec et sur l'île de Hull.

Le phénomène ne s'arrête pas là. Ainsi, dans le Centre-sud de Sherbrooke, 47% des logements rénovés se retrouvent habités par une nouvelle population plus aisée11 et les locataires qui réintègrent leur logement font face à des hausses de 54%. À Joliette, plus d'une centaine de logements familiaux de la rue Notre-Dame ont été transformés en bureaux et commerces. Règle générale, les locataires évincé-e-s doivent se reloger ailleurs que dans leur quartier, souvent en se retrouvant dans des quartiers périphériques ou la banlieue, coupée-s de leur réseau, de leurs groupes, de leurs ami-e-s et loin des services.

Ce délogement a été et est encouragé de multiples façons par les gouvernements. Toute une série de programmes de subventions se sont succédés, des Programmes d'amélioration de quartier au RéviCentre pour réaménager les quartiers. On change les trottoirs, les lampadaires, les systèmes électriques, d'égout, d'aqueduc; ces travaux sont nécessaires mais trop souvent préparent le terrain à la venue d'une nouvelle population en rendant rentable l'investissement immobilier dans ces quartiers «revampés». Il en va de même pour les programmes de rénovation. Dans les quartiers centraux de Montréal, une étude a démontré que dans 67% des cas, la restauration se soldait par la transformation en copropriété. Les municipalités de leur côté se sont toujours empressées d'appliquer ces programmes, parfois même en ajoutant des dollars, en espérant pouvoir augmenter leur assiette fiscale grâce à l'accroissement de la valeur des immeubles.

Le logement: un droit? Une marchandise, un investissement

Des milliards de dollars sont investis chaque année dans l'habitation, tant par les gouvernements, les compagnies que les individus. Cela devrait être suffisant pour assurer le droit au logement à tout le monde, sinon à un nombre grandissant de personnes chaque année. Pourtant, des centaines de milliers de familles et de personnes seules sont incapables de se trouver un logement décent et à un coût abordable. Et chaque année, le nombre de mal-logé-e-s va en grandissant. Pourquoi?

Le logement au pays n'est pas reconnu comme un droit. Il est plutôt un secteur d'investissement, un des plus rentables, sinon le plus rentable. Le logement locatif, les condos, les terrains et même les maisons unifamiliales font l'objet d'une spéculation effrénée. Les immeubles changent rapidement de propriétaires et à chaque vente le prix augmente pour satisfaire la soif de profit.

Une partie de la population y trouve son compte en s'enrichissant grâce à l'immobilier. Les plus grandes fortunes au pays se sont constituées grâce à l'immobilier. Mais, pour la majorité de la population, l'accession à la propriété devient de plus en plus inaccessible.

Parc de logements au Québec12

Mode d'occupation

1981

%

1986

%

Total

2173 000

100

2 353 000

100

Propriété

1 157 000

53,3

1 261 000

53,6

Simple

1 144 000

52,7

1 226 000

52,1

Copropriété

13 000

0,6

35 000

1,5

Location

1015 000

46,7

1 092 000

46,4

Privé

955 000

44

979 000

41,6

HLM

40 000

1,8

50 000

2,1

OSBL

15000

0,7

47 000

2,0

Coop

5000

0,2

16 000

0,7

Si on regarde ce tableau, on réalise qu'entre 1981 et 1986, le nombre de propriétaires n'a cru que de 53,3% à 53,6%. Une bien faible hausse considérant tout l'argent qui a été investi dans cet objectif, comme Corvée-Habitation et les abris fiscaux, Les politiques d'habitation des gouvernements ne font que concentrer la propriété dans les mains des plus riches.

Pourcentage de propriétaires au Canada13

1967

1981

Faible revenu

62%

43%

Revenu élevé

73%

83%

Une politique absente... Des coupures réelles!

Depuis 1986, le gouvernement libéral de Robert Bourassa nous promet une politique globale en habitation. Avant lui, le Parti Québécois s'était engagé, dès 1977, à nous doter d'une telle politique, sans qu'on en voit la couleur... si ce n'est un certain Livre vert pondu quelques mois à peine avant les élections qui ont marqué la défaite du PQ.

Sortira? Sortira pas? Pendant que le gouvernement Bourassa continue d'étirer le suspense sur la publication ou non d'une politique québécoise en matière d'habitation, il n'en agit pas moins dans le concret, et pas du tout dans l'intérêt des mal-logé-e-s du Québec!

Un gestionnaire des coupures fédérales...

Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement libéral s'est d'abord et avant tout contenté de gérer les programmes de logement issus d'Ottawa. Non seulement a-t-il aboli le ministère de l'Habitation créé sous le gouvernement précédent, mais il a sabré dans toute une panoplie de programmes financés à 100% par le provincial. Il a aussi coupé très sérieusement dans les subventions aux Groupes de ressources techniques, chargés de la réalisation de logements coops et sans but lucratif.

Il a préféré se cantonner dans un rôle de gestionnaire de la nouvelle Entente fédérale-provinciale sur le logement social. À peu près tous les programmes de logement en application au Québec découlent de cette entente: Programme de logement sans but lucratif public (HLM) et privé (coops et OSBL pour les ménages ayant des «besoins impérieux de logement»); Programme de supplément au loyer; Programme d'aide à la restauration Canada-Québec (P.A.R.C.Q.); logements autochtones.,. C'est cette entente qui a donné le ton au recul actuel en matière de logement social.

Réduction du nombre de logements sociaux

Le nombre de logements sociaux produits au Québec a toujours été largement insuffisant. En 1986, le stock de logement social au Québec ne représentait que 4,5% du parc de logements dont 2,1 % pour les HLM et 0,7% pour les coopératives d'habitation.14 Toute une différence avec un pays comme la Suède qui compte 40% de logements publics, municipaux ou coopératifs.15

Et pourtant le nombre de HLM, de coops d'habitation et de logements sans but lucratif produits annuellement au Québec n'a jamais cessé de diminuer depuis le début des années 30, la baisse étant devenue dramatique depuis la mise en place de l'Entente fédérale-provinciale.

Dans l'Ontario voisine, le gouvernement (pourtant tout aussi libéral) a décidé de jouer un plus grand rôle devant ce «retrait» fédéral. En octobre 88, il a lancé un programme baptisé «Maisons pour de bon» qui devrait permettre la réalisation de 30 000 nouveaux logements sans but lucratif d'ici trois à cinq ans. Pendant ce temps, non seulement le gouvernement Bourassa n'a pas créé un tel programme, mais il a aboli son déjà rachitique programme de logements coopératifs permettant la réalisation d'environ 400 unités par année.

Unités de HLM, de coops et d'OSBL produites annuellement au Québec (par Ottawa et Québec) 1979 à 1987

Source : Rapports annuels de la S.C.H.L et de la S.H.Q.

Une accessibilité restreinte

Pour se défendre de leurs coupures dans la production de logements sociaux, les libéraux se targuent d'«aider plus de démuni-e-s qu'auparavant». Selon la logique gouvernementale, il y aurait eu par le passé des personnes et des ménages qui auraient bénéficié des programmes d'aide à l'habitation sans en avoir eu vraiment besoin... En concentrant l'aide sur ceux et celles qui ont des «besoins impérieux de logement», on réussirait à en aider un plus grand nombre. Mais qui sont donc ces personnes et ces ménages qu'on a cavalièrement rejetés de toute aide à l'habitation?

Pour décider de l'éligibilité ou non aux programmes, les gouvernements se sont dotés de seuils d'admissibilité. Or, dans le cas de familles avec enfants, ces seuils sont très souvent inférieurs aux seuils de pauvreté. Comparons par exemple les seuils d'accès au logement social et les seuils de pauvreté pour 1988 dans la région métropolitaine de Québec.

Taille de la famille

Seuil d'accès au logement social

Seuils de pauvreté

5 personnes

21 500 $

25 952 $

4 personnes

21 500 $

22 354 $

3 personnes

19 000 $

19 343$

2 personnes (un adulte et un enfant)

19 000$

14 483$

2 personnes (2 adultes)

17 000 $

14 483$

1 personne

17 000$

10 984$

En écartant ceux et celles qui avaient auparavant droit au logement social, les gouvernements ont créé une vaste zone grise de personnes et de ménages considérés trop «riches» pour entrer dans un logement social, mais qui sont réellement trop pauvres pour s'acheter une propriété et même pour se payer une place dans un logement coopératif produit dans le cadre du nouveau programme fédéral d'hypothèques indexées.

Cette perte d'accessibilité porte un dur coup à la formule coopérative qui permettait jusqu'à maintenant de rejoindre à la fois les plus pauvres et ceux et celles qui, tout en ayant un mince revenu de travail, n'en connaissent pas moins des problèmes, souvent très sérieux, de coût de logement. Une récente enquête exécutée pour le compte de la Coordination nationale des Groupes de ressources techniques montre ce succès. Ainsi, 86,2% des ménages résidant en coopérative d'habitation déclaraient des revenus de 28 000 $ et moins. 65,5% avaient des revenus inférieurs à 19 000 $. 50,6% gagnaient moins de 15000$. Et pas moins de 40,5%des ménages avaient un revenu de 13 000 $ et moins16. Un tel succès est désormais impossible.

Par ailleurs, le gouvernement libéral a même tenté de rétrécir l'accès au HLM avec un nouveau règlement de sélection qui écartait les immigrant-e-s reçu-e-s et contingentait l'entrée des familles monoparentales. Les pressions populaires l'ont obligé à retirer temporairement ce projet, mais plusieurs couches pourtant très démunies de la population ne peuvent toujours pas entrer en HLM, comme les personnes seules de moins de 40 ans (30 ans à Montréal), les sans-abri et les immigrant-e-s reçu-e-s.

Pendant que des groupes se battent depuis des années, comme le Comité des citoyenne-s de Châteauguay, pour avoir des HLM, tout ce que les autorités politiques trouvent à leur offrit... c'est du supplément au loyer.

Toujours plus pour le privé...

Alors que le nombre de logements sociaux produits annuellement est plus bas que jamais, le gouvernement libéral a décidé de canaliser une bonne partie des fonds fédéraux d'aide au logement social vers un programme axé sur le marché privé, le supplément au loyer. L'idée est simple. Elle consiste à remplacer la production de HLM ou l'aide à la réalisation de logements coopératifs et sans but lucratif par la location de logements vacants sur le marché privé. Les locataires y payent le même loyer que dans un logement public, le gouvernement déboursant le reste. Mais ce programme ne va pas sans problème.

  • Le supplément au loyer ne crée pas de logements sociaux permanents. Les propriétaires ne s'engagent que pour une durée de cinq ans et Ils sont libres de renouveler ou non l'entente par la suite. Si le taux de logements vacants sur le marché privé est élevé et que les propriétaires arrivent mal à louer tous leurs logements, Ils peuvent être intéressés à y faire entrer des requérant-e-s de HLM. Mais, si au bout de cinq ans, il y a moins de logements vacants et que les propriétaires pourraient avoir un meilleur prix en remettant leurs logements sur le marché, rien ne les empêche sérieusement de le faire. C'est exactement ce qui est arrivé en Ontario où le nombre de suppléments au loyer a chuté de 10 816 qu'il était en 1978 à 9 059 en 1980 uniquement à cause de la baisse du taux de vacance.
  • Le supplément au loyer ne permet pas d'aider plus de gens, mais simplement de les aider moins bien... Malgré ce que laisse entendre le gouvernement, il n'y a pas plus de mal-logé-e-s aidé-e-s avec l'introduction du supplément au loyer. En 1985, sans supplément au loyer, les divers programmes de logement social avaient permis d'aider 6 433 personnes, dont 5 981 dans le cadre des ententes fédérales-provinciales. En 1987, avec les 922 unités de supplément au loyer, on n'en aidait plus que 5 674!
  • Le supplément au loyer est davantage une aide aux propriétaires de logements vacants qu'aux locataires dans le besoin. Un rapport publié en 1981 concluait que le supplément au loyer représentait «la façon la moins souhaitable de fournir des logements aux personnes à faibles revenus». Les HLM et les coops ont toujours représenté une concurrence pour le marché privé qui ne manquait pas de les dénigrer. Avec le supplément au loyer, non seulement le gouvernement renonce-t-il à cette concurrence, mais il aide les propriétaires qui ne sont pas arrivés à louer leurs logements, la plupart du temps parce qu'ils sont trop chers.

En 1988, le supplément au loyer pour le marché privé est devenu le principal programme d'aide au logement social au Québec, avec l'attribution de 1 895 unités à des propriétaires privés. Cette privatisation du logement social se poursuivra au cours des prochaines années, soit parle biais du supplément au loyer, soit par celui d'une extension de l'allocation-logement, c'est-à-dire d'une aide financière directe aux locataires payant trop cher pour se loger, à l'image du Logirente actuel pour les personnes âgées de 60 ans et plus. Le gouvernement du Québec a donné un avant-goût de ce qu'une telle allocation-logement pourrait avoir l'air, quand il a annoncé à la fin novembre 88 l'aide au logement qui va accompagner sa réforme de l'aide sociale. 51 000 familles avec enfants «bénéficieront» de ce nouveau programme d'allocationlogement, il s'agit cependant d'une aide ridicule qui ne donnera que des miettes aux mal-logé-e-s. Prenons l'exemple d'une famille monoparentale avec un enfant, disponible au travail et payant 350 $ par mois de loyer. Cette famille recevra pourtout et partout 32 $ d'allocationlogement. Elle devra donc, malgré l'aide de l'État consacrer 318 $ par mois pour son loyer, soit 46% de son chèque d'aide sociale. D'autres paieront jusqu'à 50% et même 60% de leur B.S. en logement. Toute une aide à l'habitation. Qui profitera donc d'une telle aide? Encore le marché privé!

Les vrais assistés sociaux!

Le plus scandaleux avec les nouveaux programmes d'aide au marché privé est qu'ils viennent s'ajouter aux milliards que lui accordent déjà les divers paliers de gouvernement. Malgré la propagande gouvernementale sur les coûts supposèrent astronomiques du logement social, ce ne sont ni les HLM, ni les coops, ni les OSBL qui coûtent le plus cher à l'État dans le domaine de l'habitation, mais les abris fiscaux dont profitent les propriétaires, et en particulier ceux à plus haut revenu, les spéculateurs et les promoteurs immobiliers. La différence, c'est que cette aide est invisible. S'il est facile en consultant son rapport annuel de voir combien la Société d'habitation du Québec (S.H.Q.) dépense chaque année pour le logement social, il est beaucoup plus difficile de connaître la somme d'argent que le gouvernement gaspille en n'allant pas la chercher, comme il devrait le faire, dans la poche de ceux qui ne manquent pourtant pas de fric.

Les derniers chiffres disponibles pour le Québec remontent à 1981. Dans le Livre vert sur l'habitation, Se loger au Québec, le gouvernement du Québec estimait que sur le 1 milliard $ qu'il avait consacré cette année-là à l'habitation, 82%, soit 825 millions $, était passé en abris fiscaux. Et ce ne sont même pas toutes les dépenses fiscales qui étaient comptabilisées. Quant au gouvernement fédéral, le Rapport Nielsen évaluait à 4,1 milliards $ les abris fiscaux qu'il accordait en 1980 dans le domaine de l'habitation. On peut sans crainte de se tromper penser que le quart de ses dépenses fiscales, soit plus d'un milliard $, se sont faites au Québec.

Le gouvernement Bourassa a, malgré toutes les pressions, fait adapter son projet de loi 37 à la veille de Noël 88. Tout un cadeau pout les assistés sociales et assistés sociaux.

Au cours des 15 dernières années, les 2 gouvernements ont eu des dépenses fiscales d'au moins 30 millions $. Si ces sommes avaient été consacrées au logement social, ce ne serait pas 60 000 unités de HLM et de coops qui auraient été réalisées, mais 600 000... ce qui aurait pratiquement éliminé la crise du logement.17

Or, loin de s'attaquer à ces privilèges, les gouvernements les ont rendus encore plus avantageux au cours des dernières années. Le plus beau cadeau fait aux spéculateurs a été l'annonce le 23 mai 1935 par le ministre fédéral des Finances, Michael Wilson, que le montant en gain de capital (c'est-à-dire de profit fait à la vente d'un bien) exempté d'impôt à vie passerait de 10 000 $ qu'il était en 1985 à 500 000 $ en 1990.

Dans le domaine immobilier, cet avantage s'étend à la vente de résidences autres que la résidence principale (la vente de celle-ci étant déjà totalement exemptée d'impôt). Le provincial s'est empressé d'emboîter le pas.

En 1987, le ministre Wilson s'est révisé et a «gelé» l'exemption à 100 000 $. Mais l'annonce de 1985 et l'augmentation substantielle qui en est tout de même résulté ont contribué à une flambée spéculative sur le marché immobilier, Les immeubles changent de main rapidement, les spéculateurs achetant et revendant presque aussitôt dans l'espoir d'un rapide profit nonimposable. Ce cadeau aux spéculateurs, fait à même les finances publiques, ce sont surtout les personnes à faible revenu qui en ont payé le prix. L'achat d'une maison est encore plus inaccessible.

Et surtout les propriétaires qui ont acheté les immeubles locatifs à hauts prix se sont tournés vers les locataires pour leur faire payer la note. Et ce sans parler des effets de cette mesure sur l'augmentation de la taxe foncière et par le fait même sur celle des loyers.

Les vrais assistés sociaux, ce sont ceux et celtes qui, en plus de s'enrichir sur le dos des locataires et de monnayer le droit au logement, se font engraisser à même l'argent de l'État... Et le pire, c'est que le gouvernement du Québec se refuse encore, sous prétexte de respect du marché privé, à le contrôler plus adéquatement pour au moins éviter les hausses exagérées de loyer, les expulsions sauvages, la discrimination et le harcèlement envers les locataires...

Une Régie pour qui?

Le coût des logements ne cesse d'augmenter et le gouvernement ne fait rien pour limiter cette hausse. Certes la Régie du logement existe et tempère légèrement l'ardeur de certains propriétaires. Lorsqu'elle fixe le loyer, elle réduit considérablement les hausses demandées.

1982

1983

1984

1985

1986

1987

Augmentations accordées par la Régie

14,8%

8,5%

6,0%

4,6%

5,2%

5,6%

Augmentations demandées 18

25,8%

17,5%

15,0%

13,5%

12,2%

12,1%

Mais la Régie en 1986 ne fixait les loyers que de 2,3% des logements locatifs du Québec, soit moins de 30 000 logements sur plus d'un million de logements locatifs. Ce pourcentage ne varie guère d'une année à l'autre.

Là où la Régie est plus efficace, face au coût du loyer, c'est quand vient le temps d'évincer les locataires qui n'ont plus les moyens de payer. En effet, le nombre de décisions rendues en ce sens par la Régie ne cesse d'augmenter.

Demandes de recouvrement d'argent avec résiliation de bail19

1982

1983

1984

1985

1986

1987

14316

14101

14820

17455

20579

24006

De plus, le pourcentage que ces causes représentent sur l'ensemble des causes entendues par la Régie a lui aussi augmenté, passant de 15% en 1982 à 24% en 1987. Quand on dit «On ne peut payer, on veut du logement social», c'est vrai et ce l'est pour de plus en plus de monde.

Une réforme qui aura un impact sur le logement

Si les Bourassa, André Bourbeau et Pierre Paradis ne se sont pas attaqué aux «assistés sociaux» de l'immobilier, il l'ont par contre fait et durement pour ceux et celles qui, parce qu'exclus-e-s du marché du travail, doivent recevoir une maigre pitance qui les oblige à vivre très endeçà du seuil de la pauvreté. Malgré une opposition sans précédent, le gouvernement Bourassa a adopté en décembre 88 la Loi 37 réformant l'aide sociale au Québec. Cette réforme aura des impacts indéniables sur les conditions de logement des personnes assistées sociales, ainsi que sur une éventuelle politique en habitation.

On peut facilement penser d'abord que la distinction entre aptes et inaptes au travail, qui est au centre même de la Loi 37, viendra encore plus limiter l'accès au logement social. Rappelons que le gouvernement considérera environ 75% des personnes assistées sociales comme aptes au travail et qu'elles subiront de ce fait une baisse très sérieuse de leurs prestations et la perte d'autres services, à moins qu'elles n'acceptent de participer à des programmes de «cheap labour». Il serait tout à fait dans la logique de la réforme que cette distinction en vienne à s'appliquer aussi à l'accès au logement social.

Mais il y a aussi des conséquences très immédiates. À l'avenir, le gouvernement coupera 85 $ par mois sur le chèque d'un-e assisté-e social-e partageant un logement avec une autre personne, que cette dernière reçoive ou non du B.S. Comme le partage du logement est d'abord et avant tout une solution économique, un moyen d'arriver à s'en sortir, surtout pour les jeunes, les familles monoparentales et les personnes seules, on va les obliger soit à subir une coupure sérieuse de leur aide sociale, soit à augmenter considérablement la part de leur revenu consacrée à l'habitation, soit à venir grossir le cortège déjà scandaleux des sans-abri.

Par ailleurs, le gouvernement a prévu, à l'article 90de la loi, de réduire les barèmes d'aide sociale des personnes assistées sociales demeurant en logements subventionnés. De plus, dans un projet de politique globale en habitation que le FRAPRU a rendu public en février 1988 la Société d'habitation du Québec considérait que les assistées sociales et assistés sociaux demeurant en HLM avaient droit à une «double couverture» de la part du gouvernement, puisqu'ils et elles bénéficient à la fois d'un logement subventionné et du barème de logement compris dans l'aide sociale. La solution envisagée? Hausser leurs loyers, Questionné par la Presse canadienne, le 21 mars 1988, le vice-président de la S.H.Q., Jean-Paul Beaulieu déclarait qu'il n'était pas question de hausser les loyers «d'un coup», puisqu'il «va y avoir une transition» et que«ça se fera graduellement». Il s'agit donc d'une possibilité sérieuse, déjà envisagée par le gouvernement et qui serait dans le même moule que ce que les Libéraux ont fait depuis leur arrivée au pouvoir.

Pour une politique de logement social!

Si le gouvernement Bourassa n'a pas eu jusqu'ici le courage de présenter une politique globale d'aide au logement, il n'en a pas moins posé des gestes qui en disent long sur son préjugé favorable... à l'entreprise privée. C'est pourquoi il est urgent de l'obliger non seulement à mettre ses cartes sur table et à engager un débat public sur la politique d'habitation, mais aussi et surtout à reviser ses choix et à adopter une politique diamétralement opposée, visant l'accès de tous et toutes à un logement convenable à un prix raisonnable.

C'est en ce sens que le Front d'action populaire en réaménagement urbain propose la présente politique alternative d'aide au logement.

Les priorités

  • Le logement n'est pas une marchandise comme les autres. Il est d'abord et avant tout un droit fondamental, un bien essentiel, auquel toutes et tous doivent avoir pleinement accès quels que soient leur revenu, leur sexe, leur statut social, leur race, leur condition physique ou mentale, etc. Et ce droit individuel et collectif au logement, il doit primer sur le droit de propriété.
  • Comme l'entreprise privée, basée sur la seule logique du profit, est incapable de respecter ce droit et de permettre l'accès de toutes et tous au logement, l'État doit jouer un rôle central en habitation, en finançant du logement social et aussi en contrôlant le marché privé. Pour ce faire, II doit notamment viser une redistribution plus équitable de la richesse sociale.
  • Le gouvernement du Québec doit cesser d'être un simple gérant des programmes fédéraux d'aide à l'habitation et exercer un véritable leadership dans la lutte contre les problèmes de logement.
  • Les résidant-e-s doivent avoir un plus grand contrôle sur leurs conditions de logement et sur leur milieu de vie.

Les revendications

1. Une politique axée sur le logement social

La politique préconisée par le FRAPRU est d'abord axée sur le logement social, sur la présence d'un secteur étatique, coopératif et sans but lucratif fort.

Les programmes de logement social constituent la seule façon pour les mal-logé-e-s d'avoir accès au logement à un coût qu'elles et ils peuvent assumer. En fixant un loyer correspondant à la capacité de payer des résidante-s et en absorbant une partie des coûts que cette formule entraîne, l'État peut et doit jouer un rôle qu'aucun autre intervenant n'est en mesure d'assumer.

Ces programmes permettent en général de produire des logements de qualité et qui peuvent être adaptés à des besoins et à des demandes spécifiques, contrairement aux logements construits par l'entreprise privée qui sont habituellement trop petits et trop chers.

Le logement social arrache une partie du stock de logements au marché spéculatif, et ce de façon définitive. Produit massivement, il pourrait offrir une véritable concurrence au marché privé et contribuer à la stabilisation du coût des loyers.

Enfin le logement social peut contribuer non seulement à l'amélioration physique des quartiers anciens, mais aussi au maintien de la population résidante.

Les diverses formes de logement social doivent être favorisées, parce qu'elles correspondent chacune à leur manière à des besoins et des volontés différentes.

Le FRAPRU réclame donc la création de 20 000 nouvelles unités de logement social, par année, au Québec, ce qui comprendrait des Habitations à loyer modique, des coopératives d'habitation sans but lucratif, des Organismes sans but lucratif (tels malsons de chambres, logements pour femmes victimes de violence conjugale, personnes âgées, ex-psychiatrisé-e-s, personnes handicapées, etc.), des logements ruraux et autochtones.

Le gouvernement du Québec doit, à même ses propres budgets et ses propres programmes, produire annuellement 10 000 nouveaux logements sociaux. Il doit également faire pression sur le gouvernement fédéral pour qu'il augmente à 10 000 l'attribution annuelle de logements sociaux au Québec.

Ces logements doivent être bien construits, intégrés au milieu environnant, disposant de services et équipements suffisants et être pleinement accessibles aux personnes handicapées.

Toute personne ou ménage devant consacrer plus de 25% de ses revenus pour se loger convenablement doit avoir pleinement accès au logement social.

Les loyers payés dans les logements sociaux devraient être au maximum de 25% du revenu net du chef ou de la cheffe de famille. Un revenu plafond correspondant au coût réel du logement doit être établi. Enfin, aucune pénalité ne devrait être imposé ni par le biais d'une coupure d'aide sociale ni par une hausse de loyers pour les personnes assistées sociales demeurant en logement social.

Des HLM de qualité en plus grand nombre

Le programme d'habitation à loyer modique (HLM) devrait être intensifié de manière importante, soit par de la construction neuve, soit par de l'achat-restauration, soit par l'étatisation de logements existants, soit par le recyclage d'édifices publics.

Les critères de sélection des locataires de HLM devraient être uniformisés en règlement provincial. Ce règlement devrait viser à élargir l'accès aux HLM et éliminer toute discrimination envers des catégories de population dont l'entrée en HLM est présentement restreinte ou carrément impossible: personnes seules de moins de 30 ou 40 ans; immigrant-e-s reçu-e-s; sans-abri. Les logements doivent être attribués en proportion des demandes. Il devrait donc y avoir une majorité de logements pour familles, et surtout pour familles monoparentales. Une certaine proportion de logements doit être réservée pour des personnes handicapées et des ménages travailleurs.

Une véritable démocratie doit être instaurée à tous les niveaux de décision dans les HLM. Les locataires et requérant-e-s de HLM doivent avoir un pouvoir décisionnel sur leur emplacement, leur construction et leur gestion. Les conseils d'administration et les comités de sélection de HLM doivent être composés d'une majorité de locataires mandaté-e-s par leurs associations. À court terme, il faut au moins que les représentant-e-s des locataires soient réellement désigné-e-s par les locataires mêmes, ce qui est loin d'être le cas dans plusieurs offices municipaux d'habitation. Leurs associations doivent recevoir le financement auquel elles ont droit et pouvoir s'organiser en toute autonomie.

Afin de les contraindre à participer aux programmes de logement social mis en place par les gouvernements supérieurs, le gouvernement du Québec devrait pénaliser les villes qui n'utilisent pas les unités de HLM qui leur sont octroyées, en leur refusant l'accès à d'autres types de financement municipal.

Coop Reboul, à Hull

Des coopératives et des logements sans but lucratif

Le gouvernement du Québec doit créer un programme québécois d'aide aux coopératives d'habitation sans but lucratif. Ce programme doit permettre l'achatrestauration et le recyclage d'édifices publics et être pleinement accessible aux faibles revenus.

Le gouvernement doit également faire pression pour que le programme de logement sans but lucratif, qu'il finance à 25% par le biais de l'Entente fédérale-provinciale, soit intensifié et que son accès soit élargi.

Le gouvernement doit résolument s'attaquer au problème des sans-abri, en priorisant la production de logements sans but lucratif permanents. Des subventions doivent aussi être accordées par les ministères concernés pour que les bénéficiaires en difficulté disposent des services et du soutien adéquat.

Tous les groupes de ressources techniques, ainsi que les sociétés acheteuses (qui tentent de sortir des maisons du marché spéculatif pour les mettre à la disposition des coops et des OSBL) doivent recevoir des subventions gouvernementales indexées au coût de la vie.

Abolition du supplément au loyer pour le privé

Le programme de supplément au loyer sur le marché privé doit être aboli et le supplément devrait uniquement être réservé aux coopératives d'habitation et aux logements sans but lucratif. Toutefois, on devrait respecter les droits acquis des ménages bénéficiant actuellement d'un supplément au loyer dans le marché privé. Ce maintien des droits acquis doit passer, lorsque c'est possible, par l'achat des logements concernés et leur conversion en véritables HLM. Lorsque c'est impossible, les locataires qui le désirent doivent jouir d'une priorité de relogement en HLM.

2. Un véritable contrôle du marché privé

S'il faut en priorité développer un secteur social qui puisse véritablement concurrencer le marché privé et offrir une alternative réelle aux mal-logé-e-s, nous ne devons aucunement perdre de vue que c'est encore le privé qui a le haut du pavé et qui contrôle une large majorité du stock de logements locatifs. Nous ne devons pas non plus oublier la forte concentration du marché, 3,8% des propriétaires contrôlant 53% du marché du logement. Il est donc essentiel d'exercer un contrôle beaucoup plus serré de ce marché et de ses pratiques.

Il faut aussi prendre des mesures sérieuses pour s'attaquer à l'incapacité de payer des locataires, le logement social ne pouvant à court et moyen terme, au moins, répondre à l'ensemble des besoins et le contrôle des loyers ne pouvant qu'empêcher la situation de se détériorer encore davantage

Une Régie avec des dents

Le gouvernement du Québec doit instaurer un contrôle universel et obligatoire des loyers. Ce contrôle serait appliqué à tous les logements et toute augmentation de loyer dépassant un pourcentage fixé annuellement par la Régie lui serait automatiquement soumise.

La méthode de fixation des loyers devrait être révisée pour tenir compte de facteurs comme le coût des travaux de réparation et d'entretien payés par les locataires et la perte de qualité du logement. L'indexation du revenu net du propriétaire devrait également être abolie.

Afin d'éviter que les propriétaires ne profitent du départ des locataires pour augmenter les loyers ou changer les conditions du bail, ainsi que pour avoir un meilleur contrôle du stock de logements locatifs, les baux devront être obligatoirement déposés à la Régie du logement.

Pour permettre un contrôle efficace de la qualité des logements, il faut adopter un code d'habitabilité définissant des normes d'entretien, de salubrité, d'accès aux personnes handicapées, etc.

Aucun coût financier ne doit être imposé pour l'utilisation des services de la Régie du logement.

L'organisation et les recours collectifs des locataires doivent être non seulement permis mais encouragés.

Les agences de location de logement ou de recouvrement de loyer doivent être interdites.

Lutter contre la discrimination et le harcèlement

Des mesures sévères doivent être prises contre les propriétaires qui se rendraient coupables de discrimination, de harcèlement ou d'atteinte à la vie privée envers les locataires dans l'attribution ou la location d'un logement. Le gouvernement doit prendre la responsabilité de la lutte contre la discrimination pour que celle-ci cesse de retomber sur les seul-e-s locataires. Des recours simples et efficaces doivent également être disponibles pour les locataires victimes de divers types de harcèlement.

Le gouvernement doit interdire les fichiers centraux de renseignements sur les locataires (listes noires) et prendre des mesures sévères contre leur tenue et leur publicisation.

S'attaquer à l'incapacité de payer

Si le gouvernement veut s'attaquer de manière sérieuse à l'incapacité de payer des locataires, toute réforme au plan du logement doit aller de pair avec une augmentation des revenus, et particulièrement avec une hausse générale des prestations d'aide sociale et du salaire minimum, ainsi qu'avec une politique de création d'emplois permanents et bien rémunérés.

Aucune pénalité ne devrait être imposée aux personnes assistées sociales partageant un logement.

Le programme d'allocation au logement pour personnes âgées, Logirente, doit être maintenu et amélioré. Le gouvernement doit répondre favorablement aux revendications exprimées par les regroupements de personnes âgées, et principalement à celle voulant que les locataires concerné-e-s n'aient pas à payer plus de 25% de leurs revenus pour se loger.

Le FRAPRU s'objecte à tout élargissement de l'allocation-logement s'il n'est pas accompagné d'un contrôle obligatoire des loyers, s'il ne va pas de pair avec une intensification des programmes de logement social et s'il oblige les locataires concerné-e-s à payer plus de 25% de leurs revenus pour se loger.

3. Maintenir la population résidante

Les locataires et les propriétaires à faible revenu du Québec ne font pas uniquement face à un problème d'incapacité de payer. Ils et elles doivent aussi affronter des problèmes souvent importants de qualité de logements. Et ils ont aussi à souffrir de la dégradation ou du manque de services du quartier environnant. C'est pourquoi ils et elles ont besoin de politiques d'aménagement de quartier, de restauration et de réparation de logements, à condition qu'elles assurent le maintien dans les lieux, ce qui est tout le contraire des politiques actuelles.

Depuis une dizaine d'années en effet, on assiste au développement d'un phénomène connu sous le nom de gentrification ou embourgeoisement des quartiers populaires. La population traditionnelle des quartiers composée de retraité-e-s, de sans-travail, de travailleurs et travailleuses à faible revenu est graduellement remplacée par une population plus jeune, plus instruite et surtout plus fortunée. Dans les grands centres-villes, le phénomène a désormais l'ampleur de la démolition massive de logements qui a déchiré les quartiers populaires dans les années 60 et 70. L'expulsion des résidante-s et la baisse du stock de logements à bas loyer y ont pris divers visages: hausses excessives de loyer; rénovations majeures; conversions de logements et de maisons de chambres en copropriétés divises ou indivises, en commerces, en espaces de bureaux; démolitions ou incendies...

C'est pourquoi le FRAPRU demande des politiques d'aménagement de quartier et de rénovation domiciliaire qui assurent le maintien de la population résidante à des coûts qu'elle peut assumer. De telles politiques doivent comprendre une priorité au logement social.

Des rénovations qui n'expulsent pas

L'aide à la restauration domiciliaire doit être orientée vers les coopératives d'habitation et les organismes sans but lucratif, ainsi que vers les propriétaires occupants (sauf pour l'adaptation de logements pour les personnes handicapées où les subventions devraient être disponibles pour tous les types de propriétaires). Des amendements importants doivent être apportés à la Législation sur le logement locatif pour que toute réparation ou amélioration majeure opérée par un propriétaire privé soit soumise à la Régie du logement, que le locataire puisse contester la nature et le coût des travaux et qu'il ne soit pas pénalisé par une évacuation temporaire.

Protéger le stock de logements à bas loyer

Toute conversion de logement locatif en copropriété divise ou indivise doit être complètement interdite, et ce sur tout le territoire du Québec. Les conversions de maisons de chambres en espaces de logement, de commerces ou de bureaux doivent également être interdites. Les maisons de chambres doivent être graduellement nationalisées et gérées en collaboration avec les intervenant-e-s du milieu sous forme de HLM, d'organismes sans but lucratif et de coops d'habitation.

La démolition de maisons à logements doit être contrôlée rigoureusement. Quant aux maisons barricadées et/ou abandonnées, elles doivent être rénovées ou démolies, s'il n'y a pas d'autres possibilités. Dans les deux cas, ces maisons ou espaces doivent être utilisés en priorité pour du logement social.

Un droit de préemption et une aide financière doivent être accordés en tout temps aux groupes de locataires pour qu'ils puissent acheter leurs logements en coopératives ou en organismes sans but lucratif. Un propriétaire ne pourrait vendre un immeuble sans l'avoir préalablement offert à ces groupes qui disposeraient de trois mois pour se prévaloir de ce droit.

Le gouvernement doit étendre le pouvoir d'expropriation des municipalités à des fins de logement social.

Améliorer la qualité de vie

Une politique de logement doit aller de pair avec l'amélioration ou la création de parcs, mini-parcs, espaces verts, services collectifs gratuits répondant aux besoins des résidant-e-s.

4. Assurer une plus juste répartition de la richesse

La réponse que le gouvernement servira sans l'ombre d'un doute aux demandes du FRAPRU, c'est qu'elles sont irréalistes puisqu'il n'aurait pas assez d'argent pour adopter une politique aussi ambitieuse. Pourtant les divers paliers de gouvernement, dont celui du Québec, consacrent des milliards de dollars à l'habitation. Mais le million et demi de mal-Iogé-e-s du Québec ne voient guère leur situation s'améliorer avec ces dépenses. Car il s'agit essentiellement d'abris fiscaux, d'échappatoires par lesquels les propriétaires, les spéculateurs et les corporations immobilières ne paient pas, ou très peu, d'impôt. Le Livre vert sur l'habitation, Se loger au Québec, évaluait qu'en 1981, le seul gouvernement provincial avait consacré 825 millions $ en abris fiscaux, soit plus de quatre fois les sommes investies dans le logement social.

Les abris fiscaux relatifs au logement doivent être entièrement révisés, Ainsi, les gains de capital faits sur la vente d'une maison autre que la résidence principale doivent être complètement imposés. D'autres avantages fiscaux doivent aussi être abolis, comme ceux touchant les Immeubles résidentiels à logements multiples mieux connus sous le nom de MURB, les sociétés en commandite et les allocations de coût en capital. Enfin, les revenus de location dont bénéficient les propriétaires doivent cesser d'être exemptés d'impôt, puisque les dépenses considérées entrent déjà dans le calcul des loyers.

Le gouvernement doit limiter l'exemption fiscale sur la vente d'une résidence principale. Un montant maximal pouvant être touché à vie (par exemple 25 000 $ ou 50 000 $) doit être fixé et tout gain dépassant ce montant doit être totalement imposé.

Les sommes d'argent que le gouvernement irait chercher par le biais d'une révision de la fiscalité relative à l'habitation doivent être entièrement versées dans un fond servant au logement social.

Enfin, la fiscalité municipale doit aussi être révisée en profondeur, afin d'éviter que les locataires et petits propriétaires ne fassent les frais de la hausse artificielle des prix provoquée par la spéculation. Des mesures particulières doivent aussi être prises au niveau du mode de taxation des logements sociaux.

Notes

1 Recensement de 1986. Source: Secrétariat de l'aile parlementaire du Parti libéral du Canada.
2 Rapport annuel de l'OCDE.
3 Les sans-abri à Montréal: vers des solutions, Léa Cousi- neau et John Gardiner, dec. 1988.
4 Profil de la pauvreté 1988. Rapport du Conseil national du Bien-être social.
5 Des mères seules, seules, seules. Beauregard, Céline et al., La Criée, 1986.
6 Discrimination, harcèlement et harcèlement sexuel, Comité logement Rosement et FRAPRU, 1986.
7 Bilan de recherche sur la situation des minorités ethniques dans le logement, Commission des droits de la personne, 1988.
8 Un dossier à ouvrir, Actes du colloque femmes et logement d'octobre 1987.
9 Données sur la situation des femmes et du logement au Québec, SHQ, 1988.
10 Le Plateau des uns fait le bonheur des autres, Comité logement St-Louis.
11 On reste ici, FRAPRU, 1989.
12 Lever le moratoire, une décision qui s'impose, Gouvernement du Québec, 1987.
13 La part du lion, Mc Quaig, Linda, 1987, p. 53.
14 Société d'habitation du Québec, Lever le moratoire, une décision qui s'impose, p. 37.
15 «Existe-t-il un modèle suédois en matière de politique du logement» in Actualités internationales du laboratoire logement, no 1,1er trimestre 1988, p. 25.
16 Christian Champagne, Sondage sur la clientèle dans les coopératives d'habitation, Coordination nationale des GRT (à paraître).
17 Pour en savoir plus long à ce sujet, lire Logement et fiscalité, ça nous concerne! publié par le FRAPRU, en septembre 1988.
18 Rapport annuel de la Régie du logement, 1982 à 1987
19 Rapport annuel de la Régie du logement, 1982 à 1987
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