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L'expérience de travail chez les jeunes rencontrés-es possède plusieurs facettes. Trois lieux d'expérimentation du travail leur sont offerts: le travail officiel, le travail développé par les programmes gouvernementaux et le travail au noir. Pour ce dernier, nous avons distingué le travail rémunéré par des entreprises, qui échappe aux normes étatiques (ce qui signifie ici entre autres choses, la santé et la sécurité au travail et l'impôt) et le travail dit illégal, par exemple la vente de drogue, le vol et le recel. Par ailleurs, le premier ne constitue pas habituellement un acte criminel, alors que le deuxième amène directement un dossier criminel.
Parmi les jeunes rencontrés-es, les expériences de travail officiel dans le secteur industriel sont fréquentes. L'emploi offert par les programmes gouvernementaux est important mais demeure, comme nous le verrons, peu durable. Sauf pour les expériences dans les groupes communautaires et populaires, seulement une personne a cumulé de l'expérience dans le travail de bureau (deux semaines comme dactylo) ou dans le commerce, si on accepte l'idée que le travail de courrier n'est pas exactement du travail de bureau.
Les projets gouvernementaux ont été profitables lorsqu'ils étaient parrainés par des organismes communautaires (dans le secteur jeunesse) et surtout dans le cadre des Projets de développement de l'emploi (PDE) du gouvernement fédéral, projet plus lucratif et plus formateur. Un jeune a expérimenté la plupart des programmes de l'aide sociale du Ministère de la sécurité du revenu du Québec; son expérience démontre par la preuve l'inefficacité de ces programmes en terme de possibilités d'embauché après le projet chez l'employeur, voire même en terme de formation.
Pour ce qui est du travail au noir, non déclaré, les jeunes le connaissent bien et utilisent cette alternative. La plupart du temps, les expériences des jeunes dans ce domaine se sont faites en majorité dans le secteur des services (restauration, courrier, sondages téléphoniques, etc.) Dans une moindre mesure, des jeunes ont oeuvré dans le secteur de la rénovation, de la mécanique (remorquage et changements d'huile) et du déménagement. Un jeune a travaillé à quelques reprises, de façon non déclarée, dans une usine de textile. En fait, un seul jeune n'a pas utilisé le travail au noir.
L'expérience de trois jeunes avec le travail au noir, version "illégale", est considérable: prostitution, vol, recel, vente de drogues. En fait, pendant un certain temps, cela a constitué une source de revenu autrement plus importante que n'importe quel travail. En un sens, nous pouvons faire l'hypothèse que c'est devenu un frein à leur insertion professionnelle.
En fait, c'est un constat que l'on retrouve dans l'ensemble des expériences: les jeunes passent d'un emploi à l'autre presque à tous les quatre mois, exception faite des programmes du gouvernement (PDE, article 25, projets de l'aide sociale). En général, ces programmes durent entre six et huit mois. La plupart du temps, ils ne débouchent pas sur des emplois permanents. «C'est bien plus payant pour eux, quand quelqu'un finit son stage, y en prennent un autre.» RENE.
Donc, en général, les raisons de la courte durée des emplois sont le fait des mises à pied (soit parce qu'il y a fermeture de l'entreprise, insatisfaction de la partie patronale, fin de contrat) et du départ des jeunes (pour des raisons aussi diverses que des conditions de travail inacceptables, un salaire insuffisant, des tâches trop insignifiantes, des relations de travail autoritaires). «J'ai fait 3 mois d'excavation; là, le bonhomme s,est fait saisir une pelle, ça fait que j'ai perdu ma job. Après ça, j'ai fait 3 mois dans la mécanique comme "helper" sur les gros 10 roues. Là, lui y arrêté de faire la mécanique. Y me dis: «J'vais vendre juste les pièces, j'ai pas besoin de toi.» Pis là après ça, j'ai travaillé chez Purolator.» JEAN. «À quinze ans, j'ai travaillé au MacDo. Là, j'ai lâché, j'ai recommencé. La première fois, j'ai travaillé 4 mois en ligne, là j'ai lâché. J'ai travaillé un mois chez Shell, un mois dans une shop de soudure, là je l'ai lâché. J'ai été un grand bout sans rien faire. J'ai recommencé à travailler chez MacDo 4 mois, pis depuis ce temps là, je ne travaille plus. Ah! C'est vrai! J'ai travaillé cet été 1 mois dans une confiserie à Laval.» DENIS. Cependant, il faut retenir que mise à pied et départ volontaire résultent de la nature même de ces emplois que nous pouvons considérer comme des emplois précaires, c'est-à-dire "de courte durée, sans perspective de stabilité, sans le recours d'avantages sociaux qui accompagnent les emplois régis par une convention collective..." 25Les jeunes s'en servent donc régulièrement mais par intermittence. «Mon expérience la plus longue ça a été 4 mois chez Steinberg. J'ai lâché ça, ils ne me donnaient pas assez d'heures. Une semaine j'travaillais 15 heures, l'autre, 25, c'est pas assez.» PAUL.
Les jeunes rencontrés-es n'ont pas fait état de revenus importants provenant du travail. Le travail en usine offrait un salaire supérieur au taux minimum: certains ont parlé de 8 dollars de l'heure; d'autres ont touché environ de 5 à 6 dollars de l'heure. Les salaires générés par les projets gouvernementaux passent de 7 ou 8$/heure (les PDE) au salaire minimum, pour ce qu'on appelait à l'époque les Ateliers d'orientation de travail (A.O.T.), l'équivalent aujourd'hui de l'Option point de départ dans le cadre du programme fédéral l'École avant tout. Les programmes de l'aide sociale équivalent approximativement à moins d'un dollar l'heure. «J'ai travaillé à l'Union française comme homme à tout faire pendant 6 mois sur le programme Déclic... Cheap labour: 1$ de l'heure. J'lâche ça j'ai dit, c'est pas pour moi.» LUC.
Les jeunes ont dû cumuler, à un moment donné, travail officiel, prestations gouvernementales et travail au noir pour joindre les deux bouts. Dans ce cadre, le travail au noir apparaît chez la plupart des jeunes comme incontournable. Ces expériences ne s'avèrent pas toujours payantes en soi. C'est en complément avec le chèque mensuel de l'aide sociale ou de l'assurance-chômage que le travail au noir est utile. En fait, tous les jeunes sont passés-es par l'aide sociale ou l'assurance-chômage; ils et elles ont tous et toutes été appelés-es à combler tôt ou tard un cul-de-sac financier causé par l'entre-deux chèques. «J'ai fait de la vente au noir... Sainte-Catherine et Saint Laurent genre de vente... parce qu'il n'est pas possible de survivre dans le marché du travail, avec le manque d'argent. Le B.S. te donne pas grand chose pour vivre, 388$ par mois, ou 500$. Ça va payer ton loyer, tes factures. Tu as assez pour payer ta bouffe et c'est tout, rien de plus. Tu ne peux même pas avoir un chat. Tu te sens écrasée quand l'hiver arrive, tu ne peux même pas t'acheter des bottes. Je veux dire que c'est tellement grave, il n'y a pas de façon de survivre, même pas un repas décent ou de sortir au restaurant, donc ça (la prostitution) a été ma seule façon de survivre quand j'avais 17 ans.» NANCY.
L'évaluation monétaire du travail au noir est difficile, car le taux de rémunération connaît des variations importantes: on parle de 5 à 6 $/l'heure dans les industries du textile, et dans les sondages, tout près de 6 $/heure; pour les boulots de déneigement et de changements d'huile, c'est plus ou moins 25 $ de l'acte. En revanche, pour ce qui est du travail illégal, il est difficile d'évaluer les montants en question; mais on peut parler, d'après les jeunes rencontrés-es, de revenu supérieur aux autres expériences de travail nommées ici.
Donc, dans l'ensemble, le travail au noir est venu combler des moments d'absence de revenu dans l'attente de jobs, ou compléter l'insuffisance des revenus provenant des prestations gouvernementales. Par ailleurs, le travail dit illégal s'est substitué au travail salarié traditionnel dans certains cas.
D'autre part, on a parlé, à une occasion, de pratique de troc chez les jeunes. Ce troc passerait, par exemple, par l'échange d'un service (un toit pour une nuit) pour de la drogue. Ces échanges se font dans le cadre de réseaux d'amis-es et de relations interpersonnelles. En tout cas, il s'agit de réseaux informels, c'est-àdire non organisés. «Je vois plus ça: «Hey! Je te donne mon walkman si tu me donnes un quart...» un échange de trucs. C'est souvent lié à la dope, des fois, des échanges de services. Le troc c'est d'échanger des choses. (...) Ça existe plus dans la rue "un toit pour une suiffe". L'aide au déménagement mutuel, ça se passe encore.» Eva. D'autres formes de débrouille existent, par exemple la quête.
Les conditions de travail ont été, dans la plupart des cas, insatisfaisantes, autant dans les expériences officielles que non déclarées. C'est une histoire qui se répète: on parle des heures de travail insuffisantes, des conditions insalubres et dangereuses (l'expression "c'est l'enfer!" est revenu à plusieurs reprises), de l'impossibilité de prendre des initiatives. «J'ai été travaillé dans une firme de récupération de papier. J'ai été là 3 semaines et dans 3 semaines y a 3 personnes qui se sont faites mal. Une personne, parce qu'on avait pas de casque, a reçu quelque chose sur la tête. Une autre personne s'est coupée le doigt parce qu'on n'avait pas de gant, rien, (c'était) absolument atroce là-bas.» Eva. Bref, ces boulots, avec la rigidité de leur cadre de travail, apportent peu de sens. «J'ai eu un Extra avec l'aide sociale où j'ai travaillé dans un foyer de personnes âgées. Je détestais ce travail et je détestais mon boss, je détestais tout. Tout ce que je recevais c'était 50 $ chaque deux semaines et ils me forçaient à travailler comme une esclave. Il fallait réveiller 50 personnes entre 7h00 et 8h00, les changer, les habiller, les nourrir et après, les remettre dans leurs chaises. Il fallait faire tout ça pour 8h00. Puis après, il y avait la vaisselle à faire jusqu'à l0h00et puis il fallait laver tous les planchers et quand t'avais fini, c'était le dîner et entre temps il fallait tout faire et il n'y avait que 2 personnes qui travaillaient là.» NANCY.
En revanche, il y a quelques expériences heureuses. «J'ai travaillé dans une usine, une job trippante. J'avais 18 ans, j'ai travaillé de llh00 le soir à 7h00 du matin. J'ai tout fait là-bas: le ménage, remplir des boîtes, réparer les machines, les appareils. J'ai tout fait. C'était une usine de boucles, de boucles de Noël.» Nancy. On se souvient, pour certains, du travail bien fait, de cette volonté de "bien faire" les choses à l'intérieur de l'usine; de l'implication au travail auquel il est possible de s'identifier et d'aimer; du bon contact avec les ouvriers qui peuvent être une source d'apprentissage des bases d'un métier. Par ailleurs, le travail dans les groupes communautaires jeunesse permet, d'après ces jeunes, une très forte implication, une grande liberté d'action et un cadre de travail très ouvert, sans oublier une très grande capacité de prendre des initiatives personnelles. «L'autorité (dans un organisme communautaire) c'est plus quelqu'un qui va t'apprendre quelque chose, quelqu'un qui sait plus que toé, pis qui va réussir à t'apprendre. En même temps, tu peux y en faire apprendre.» EVA.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet "engouement" pour le travail illégal: l'absence de contrainte inhérente à l'usine ou au travail traditionnel (horaire de travail, discipline, travail peu intéressant), l'autonomie et des sommes d'argent "claires" d'exemptions de toutes sortes. «Quand je vendais... je faisais minimum dans le temps, même si ça allait mal un peu, je faisais rien que 500$ par semaine. Mais 500$ par semaine... tu peux te lever à midi, 1 heure, pis tu réponds à la porte, pis c'est eux autres: «Tiens, voilà un quart... tiens, voilà l'argent.» Pif, hostie! Jeudi, des fois, je ramassais quatre, cinq milles.» JEAN.
En l'absence de filière d'insertion plus évidente au monde du travail, sans oublier le jeu de l'exclusion scolaire, le travail "illégal" propose sa propre rationalité et ses solutions originales. Toutefois, oeuvrer dans ces secteurs apporte beaucoup de risques à tous les points de vue: des tâches dangereuses à accomplir, une instabilité... À des niveaux différents, ces trois jeunes ont quitté leur milieu d'activités pour réintégrer ce qui leur semblait être le territoire de la légalité, lorsque les risques leur semblaient trop élevés. «Des fois, j'allais toute seule, mais mon pimp était toujours proche. Il fallait que je l'appelle après chaque client, et sinon, je me faisais battre. Il fallait faire tant d'argent par nuit, sinon, je
me faisais battre. Je voulais mettre assez d'argent de côté pour déménager. (...) J'ai finalement arrêté à 17 ans parce que je me trouvais à l'hôpital. (...) La peur m'a fait arrêter.»NANCY. «C'était bien moins chiant, c'est sûr t'as pas de boss. La seule affaire qui faut que tu fasses c'est que tu charries des affaires. Ça c'est comme si tu l'fais pas, si le stock va pas où c'est qu'il est supposé s'en aller, c'est toi qui manges la marde... Tu risques de t'faire péter les cannes ou quelque chose dans le genre, là. Manger une bonne volée, t'faire tirer une balle, tu niaises pas, t'as pas intérêt à niaiser.» DENIS.
Il est important de distinguer les différentes expériences de relations de travail entre les jeunes et les employeurs. En premier lieu, il y a les jeunes qui ont expérimenté un travail au sein des O.C.J. dans le cadre d'un P.D.E. ou par implication personnelle. «Les personnes qui travaillaient là, y te posaient pas de questions, t'sais, c'était ben cool. Le monde te prenait comme t'étais, y avaient pas de préjugé.» LUC
En deuxième lieu, et règle générale, les relations de travail avec les employeurs sont difficiles, voire conflictuelles, parce que très hiérarchisées et autoritaires. «Les boss dans le courrier là aussi c'est des crottés! C'est des sales! C'est du monde qui font plein d'argent sur ton dos quand toi tu travailles ben ben fort!» YVES. «Ma 2ième job a été dans une pizzeria, 40 heures par semaine, 5 jours. J'ai détesté mon boss, il avait un problème de comportement, il n'avait littéralement rien à faire, mais il était très sévère. Je veux dire que j'étais tellement malade et on ne pouvait pas aller aux toilettes et il m'a congédiée parce que je ne voulais par travailler un shift de 12 heures, j'ai perdu connaissance et il m'a forcé à travailler encore plus, il ne m'a pas permis de m'en aller chez nous. » NANCY. On parle parfois d'esclavagisme par référence aux travailleursses immigrés-es dans le secteur du textile, en se référant au fait que le "boss" est absent de la production et que, de l'autre côté, il empoche des profits par le travail des autres. À quelques reprises, on a fait l'observation que l'autorité ou la direction, en particulier dans l'usine, était invisible, absente physiquement. L'autorité passe par un intermédiaire: le contremaître, la secrétaire, etc. L'image de l'esclave est reprise aussi pour dire que les jeunes étaient traité-e-s comme "pas grand chose".
D'autres témoignages font référence à l'absence de respect. Un manque de respect conditionné par une division du travail, signifiant la coupure entre la direction et les employés-es, encore renforcée dans le cadre de l'usine. Enfin, certaines expériences font état de la difficulté d'être jeune dans un milieu en majorité formé d'adultes. Les jeunes ont l'impression d'être victimes de multiples images: l'anormalité (en raison du style vestimentaire), le refus du travail, la paresse, l'indiscipline. Sans oublier le double état d'être jeune et instable, état qui suscite la méfiance et l'incompréhension. «L'apparence que t'as, ça compte, mets-en! Tu vas arriver avec ton coat de cuir à shop, ah! "Watch-le lui". Juste un coat de cuir, l'apparence, la première impression. Combien de fois je me fais refuser(...). Je me suis acheter d'autres vêtements, mais t'es obligé de changer ta personnalité pour aller là. Faut que t'arrives pis "oui, Monsieur"». JEAN. «C'est quoi ton problème, je fume pas moé, je fume pas chez nous, pourquoi je fumerais icitte. Ils m'accusaient. Bon, c'est là que j'ai dit "Salut!" Juste à cause de mon habillement. Y ont vu une cigarette roulée, y ont senti, "elle prend du hash". Elle voulait juste me faire du trouble.» EVA.
L'expérience d'irréductibilité dans les rapports avec les employeurs, en réaction à la discipline et à la hiérarchie est différente d'un-e jeune à l'autre. Ainsi pour ceux qui ont fait cohabiter le travail au noir et illégal avec sa version dite officielle, un leitmotiv s'impose: "ne pas se faire chier". Il s'agit d'une attitude de résistance à l'enrôlement du travail, d'autant plus que l'expérience de la consommation de drogues pendant les heures de travail produisait une exacerbation de ce refus.
De son côté, la politique de la Sécurité du revenu (l'aide sociale) gère des pans entiers de la vie d'un individu (revenu, travail, logement, réseau familial, loisirs) jusqu'à effectuer un contrôle sur les projets de vie des individus. Les rapports entre bénéficiaires et agents-es de l'aide-sociale constituent quelquefois de véritables relations de travail de type hiérarchisé et autoritaire, calquées sur le modèle de l'entreprise capitaliste.
Ainsi pour certains et certaines jeunes, l'aide sociale s'avère être l'équivalent d'un salaire. Dans un cas, le projet de retour aux études se bute littéralement aux politiques étroites du programme Retour aux études. De plus, la stratégie de l'aide sociale est d'empêcher la création de liens entre les agents-es de l'aide sociale et les bénéficiaires par une rotation des responsables de cas pour limiter d'éventuels passe-droits! Ainsi, il devient possible de restreindre les rapports entre l'institution et les gens à la simple administration des choses. «C'est pour ça qu'il y a un roulement au B.S. Si y changent de personnes, d'agents à tous les 6 mois ou à tous les 3 mois, c'est parce qu'ils veulent pas que tu t'entendes bien avec. (...) C'est juste parce que si tu t'entends bien avec une personne du B.S. y peut te passer des bébelles, tu vois, ou si tu veux pas avoir des jobs, des bébelles de même, y va te laisser faire, parce qu'y s'entend bien avec toi.» RENÉ.
Deux pratiques de négociation avec l'aide sociale sont à l'oeuvre chez les jeunes: soit le refus des mesures d'employabilité, pour se concentrer sur le cumul de boulots au noir en plus du chèque mensuel; soit l'utilisation de ces programmes (Stage en milieu de travail, EXTRA, etc.) comme une tentative d'insertion "professionnelle". Programmes qui ne garantissent pas nécessairement un emploi en bout de ligne. Selon un témoignage, certains agents de l'aide sociale considèrent les jeunes comme des "parasites sociaux", des "tas de marde", des "cas désespérés"; un rôle qu'il faut "assumer" pour qui refuse ces programmes.
D'un survol général, des évidences apparaissent. En premier lieu, il faut noter la difficile intégration des jeunes dans un milieu de travail majoritairement formé d'adultes plus âgés. «Ça allait super bien mais c'est parce que c'est l'ambiance, tu sais. Moi, quand je mange au dîner pis ça parle, pis ils sont là, pis tu sais: "Hey, Robinson s'est fait mal à une jambe, y est pas chanceux..." Le gars, sa femme, ça fait deux mois qu'est malade pis y se plaint pour Robinson. Ça fait quétaine en câline. Non y'a pas de discussion dans une shop, c'est quétaine. Ça réfléchit pas tu sais...ça me tanne moi.» RENÉ.
Ensuite, malgré une situation objective identique et des intérêts similaires, l'isolement semble plus fort que l'établissement de relations de travail entre jeunes. L'appartenance culturelle bien caractérisée (par exemple, un "rocker") peut être un facteur particulier d'isolement. Un style vestimentaire trop identifiable devient quelquefois un motif d'exclusion dans certains milieux, soit par les pairs, soit par la direction.
Mais il y a quelques exceptions: des liens basés sur l'apprentissage, la formation d'une gang d'amis-es ou des relations souvent bonnes mais qui demeurent dans le cadre unique du travail. Le lien unificateur ne se construit pas tant sur l'implication, impossible du reste lorsque le travail n'exige rien d'autre qu'une attention minimale, que sur le partage d'une finalité commune: le salaire. L'expérience semble prouver que cela ne forme pas de lien fort et durable.
Pour d'autres expériences, les rapports sont régis par la compétition, ne laissant que peu de place pour les relations. À certains moments, les liens au travail sont quasi nuls, tellement il n'y a pas d'identification à l'usine et aux ouvriers. Il s'agit dans ces cas d'un refus catégorique de s'ancrer dans cette réalité. Ailleurs, le facteur ethnico-culturel est un frein, qu'on pense aux usines de textile; le mot d'ordre peut se résumer ainsi: "ne pas s'écoeurer mutuellement".
Par contre, des jeunes ont parlé avec satisfaction des relations de travail lors de leurs expériences avec les O.C.J. Le travail mêlait amitié, implication et solidarité. Les conditions de travail mêmes favorisaient l'établissement de relations plus enrichissantes.
Globalement, les relations de travail avec les pairs semblent peu significatives lorsque le travail ne constitue pas un lieu important d'investissement personnel. On peut se risquer à établir une relation entre la nature précaire des expériences de travail des jeunes et l'absence de relation de travail tout court, exceptions faites des relations utilitaires. Ainsi, le travail n'aurait pas opéré de lien ni soudé des vécus communs, propices à une identification, parce que la durée des expériences pour chaque emploi se trouvait trop courte, comme on l'a vu précédemment.
Mais on peut aussi dire que le travail, tel que vécu par les jeunes, ne représente pas de sens particulier pour eux et elles. Ces deux variables durée de l'emploi et absence de sens sont constitutives de l'emploi précaire qui se développe pour la jeune main-d'oeuvre. La seule importance que prend l'emploi tourne autour du revenu qu'il procure. Comme celui-ci n'est pas très élevé, nous l'avons également vu, les jeunes ont adopté un comportement de nomades face au travail, allant d'un lieu à l'autre, sans aucun enracinement.
L'histoire scolaire des jeunes se résume, sauf exception, en quelques mots: incompréhension, ruptures, exclusions. La plupart des jeunes rencontrés-es, sauf deux exceptions, ont abandonné l'école sans terminer le secondaire, malgré certaines tentatives de retour. Quatre jeunes ont séjourné en centres d'accueil.
D'une part, l'école ne correspond pas aux aspirations des jeunes interviewéses. L'école servirait à apprendre des choses pour fonctionner dans la société (écrire, lire et calculer) le plus rapidement possible. Sans plus. Elle pousse dehors les jeunes qui s'y intègrent mal selon au moins deux modalités: soit carrément vers la porte de sortie; soit vers les programmes d'enseignement professionnel ou de cheminement particulier. D'une façon comme de l'autre, il s'agit de scénarios piégés puisque la formation reçue, par exemple en cheminement particulier, ne correspond pas souvent au goût des jeunes. Quelquefois, c'est le marché du travail qui ne reconnaît pas cette formation, ou qui ne permet pas aux jeunes de travailler, tant les ouvertures sont restreintes. Pour les jeunes qui ont suivi cette formation, ils et elles ont ensuite connu le travail précaire sous toutes ses formes. C'est une formation bidon, une voie de garage pour ces jeunes. «Mais de toute façon, ma façon de penser était pas pareille à 17,16 ans... Ça fait qu'il me mette là (professionnel court). Parce que moi si j'avais pensé comme aujourd'hui, j'aurais refusé pi j'aurais dit...j' va aller en régulier.» RENÉ.
Parmi les jeunes rencontrés-es, les réactions face à l'école empruntent plusieurs chemins. Certains contestent la finalité de l'école. D'autres ont subi l'école tout en émettant une critique passive de celle-ci. Pour ces jeunes, l'école devrait les mettre sur le chemin de la réussite. Ils et elles entretiennent de l'espoir face à l'école. Il y aurait aussi une tendance à se culpabiliser devant leurs échecs précédents tout en objectant néanmoins que l'école ne les prenait pas au sérieux.
Que reproche-t-on à l'école? L'école est un "enfer total". Il n'y a eu aucun rapport positif avec un adulte significatif, mais plutôt une série de rejets. Le personnel scolaire se renvoie la balle, "un cas désespéré" serait une formule entendue. D'où une résistance passive jusqu'au moment de se faire mettre dehors de l'école définitivement. Certains-es jeunes rencontrés-es développent une approche très volontariste à propos de leur retour à l'école, allant jusqu'au projet de faire des études supérieures.
On ressent de la colère envers l'école car elle n'aide pas les gens qui apprennent à des rythmes différents. L'école, dans un souci d'efficacité, envoie ces jeunes en "classe spéciale" (ou classe "d'ortho"). Plus tard, on les envoie dans le programme "cheminement particulier" de manière à ce qu'ils et elles puissent être sur le marché du travail le plus tôt possible. Des jeunes constatent que l'école prépare les futurs ouvriers, sans souci pour leurs aspirations. Dans l'optique où la société n'a pas besoin d'autant d'administrateurs que de "cheap labour", l'école doit s'occuper d'en former suffisamment. Inutile de dire que les jeunes ne se reconnaissent pas dans le projet de l'école-usine. «L'école c'est fait pour la société, pour diviser la société en parties. Comme la Rive-Sud a été fait pour absorber, par rapport à Montréal, le travail qu'il y a là-bas. L'école, c'est fait pour absorber les pauvres des riches si on veut là.» RENÉ.
L'école secondaire est généralement considérée comme "plate". «Le CEGEP était cool. C'étaient les meilleurs moments de toute ma vie. J'avais tant d'amises, tout le monde était amical, j'aimais mes cours, je pouvais choisir ce que je voulais faire. J'ai détesté l'école secondaire parce que je ne pouvais pas choisir. J'étais poche en math, en physique, et en chimie, je ne comprenais rien à ça! Mais au CEGEP, comme la socio, je m'intéressais beaucoup à ça. J'ai été forcée de lâcher après un an. J'étais enceinte, j'avais trop de problèmes personnels.» NANCY. Mais en général, l'école ne rejoint aucune motivation, aucun désir des jeunes. Elle ne sait pas se greffer à la réalité des jeunes, depuis leurs centres d'intérêts. Il y a aussi la révolte associée au fait que même si un jeune étudie pendant 15 ans, il n'y a rien qui lui garantit un avenir (travail, salaire, etc.).
L'école a un rôle standardisant, mais on peut lui résister par la voie de la "délinquance", celle qui déroge aux normes. Le centre d'accueil, dans cette optique, est un lavage de cerveau encore plus "straight" que l'école: l'apprentissage du "droit chemin" est celui qu'on y fait. Cette notion du "droit chemin", concrétisée par exemple par l'éthique salariale, est une fabrication de nos sociétés comme toute autre valeur. Par contre, dans un cas particulier, le centre d'accueil a constitué un choc quasi culturel. On y a découvert la réalité de d'autres jeunes: pauvreté, drogue, conflits familiaux, etc. Une révélation qui n'a pas été sans provoquer un sentiment de révolte.
L'école c'est enfin l'ennui, la discipline, se lever de bonne heure. Si les amis-es et la liberté sont ailleurs, lâcher l'école constitue une solution. L'école alternative devient une préférence, plus conforme à ce qu'on peut vouloir rechercher: liberté, responsabilités et moins de discipline. Pour l'instant, quelques jeunes ont choisi une filière différente de l'école, les organismes communautaires jeunesse, pour l'apprentissage autant que pour l'insertion dans le marché du travail.
L'origine sociale des jeunes diffère: trois proviennent de la petite-bourgeoisie ou classe moyenne, les quatre autres jeunes sont issus-es de ce qu'on pourrait appeler les classes populaires et ouvrières. Mais ce découpage est trop brut, entre autres choses parce que ce milieu ouvrier est loin d'être tel qu'on se le représente. Il s'agit, d'une part, de la classe ouvrière industrielle, parfois syndiquée; et d'autre part, d'un milieu ouvrier plus défavorisé, dont les composantes sont le travail précaire et le travail peu valorisant socialement.
La plupart des jeunes rencontrés-es ont été amenés-es à partir tôt de la famille. Pour aller où? Souvent les jeunes font l'expérience de l'appartement, le plus souvent partagé avec des amis-es. Ainsi, on peut donc parler d'un apprentissage précoce du monde adulte: départ de l'école, de la famille, tentative de travail, de vivre en appartement. Les jeunes veulent prendre en charge leur autonomie, revendiquée ou non, et s'insérer dans le champ des adultes; expression corollaire d'une jeunesse qui ne s'est pas vécue. «J'ai vécu une jeunesse d'adulte. Dans la dope tu vieillis vite pis c'est ça...» DENIS.
Pour ce qui est de la valeur du travail dans la famille, il y a trois types distincts de représentations:
Dans ce modèle, on considère le revenu plutôt que le travail, peu importe sa source (salaire, prestations gouvernementales). Il n'y a pas de culture du travail; ce qui est valorisé, c'est de pouvoir se débrouiller le plus tôt possible pour sortir de l'univers familial.
Pour les jeunes que nous avons rencontrés-es, la crise du travail les prive injustement d'obtenir leur place dans la société. Nous constatons, par contre, une séparation entre les jeunes pour qui le travail salarié n'est pas central et d'autres jeunes, qui considèrent le travail comme important.
Les jeunes réfractaires à l'institution du travail sont à la recherche d'une source d'identité et de reconnaissance sociale par le biais d'une pratique génératrice de sens. Cette pratique, quoiqu'omniprésente, ne se situe pour l'instant qu'à l'extérieur de marché de l'emploi; elle n'a de reconnaissance que celle de l'entourage, soumise aux aléas de la débrouillardise individuelle. «De toute façon aussi, mon père lui, ça fait 35 ans qu'il travaille dans une shop, pis après 35, ans il fait 8 et demie de l'heure pis y a pas de fonds de pension, y'a rien... pis lorsqu'il va finir de travailler dans 2 ans, il aura rien. Fais que je veux pas que ça m'arrive parce que moi j'ai pas d'études pis c'est certain que c'est là que je m'en vais. (...) Fais que c'est pour ça que je fais un paquet de projets d'un bord pis de l'autre.» RENÉ.
Il y aurait donc une vision instrumentale du travail: "seulement pour l'argent" dit-on. Tous les jeunes le disent mais il y a des positionnements différents. À vrai dire, une minorité voit le travail salarié comme uniquement instrumental.
Il s'agit de travailler un laps de temps pour se faire un peu d'argent, soit carrément un coup d'argent pour retourner dans l'espace-temps du non-travail, soit un surplus de fric pour compléter l'aide sociale. Ici les stratégies changent forcément (le travail au noir ou le contrat temporaire) mais le but reste le même: retourner à ce qu'on aime après un voyage dans la Sibérie-travail.
Toutefois, cette vision opérationnelle (on "utilise" le travail) précise surtout que les jeunes veulent investir leur énergie créatrice ailleurs, sur d'autres activités non sanctifiées par le salariat (musique, implication sociale, écriture, etc.) ou dans des activités ludiques (recherche du plaisir, paresse, sorties, etc.) «J'aime ça, ben oui parce que ça demande à penser soi-même, ça demande à...ouais penser soi-même. Parce que quand tu travailles dans une shop, tu penses pas toi-même. C'est parce que ça te touche toi, c'est personnel à toi.» RENÉ. Il n'y a pas absence de projet chez eux. À la limite, faute d'une possible insertion par le travail salarié, ces jeunes ont trouvé ailleurs les réponses à leur besoin de faire ce qu'ils et elles aiment et, du même coup, au besoin essentiel de s'identifier à quelque chose. Il n'y a pas un refus pur. Au contraire, il y aurait une incapacité de l'institution du travail à intégrer ces nouvelles sensibilités.
Donc, pour ces jeunes, l'argent ne constitue pas une fin en soi. Le travail salarié ne peut donc pas les arracher à leur passion. À travers la pratique de cette activité, il devient possible de communiquer, d'exercer sa créativité avec autonomie. L'implication dans un groupe communautaire, on l'a vu, permet de travailler collectivement sans hiérarchie et de mieux traduire l'importance d'être utile "à la communauté".
Ce qui n'évacue pas le goût de "bien faire les choses", goût que quelques jeunes ont hérité de leur apprentissage dans une entreprise. La transmission du partage d'un savoir-faire par le collectif ouvrier n'a pas disparu complètement. Néanmoins, personne n'oublie l'exploitation dans les usines, ni le profit empoché par les propriétaires. «Dans une shop à 6 $ de l'heure tu fais pas d'argent tu te fais exploiter. (...) Pour vivre tu as à faire un minimum de travail. T'as pas besoin de te mettre dans une situation d'exploité. Je ne vois pas une vie sans travail, je vois une vie sans exploitation(...) De savoir que ces gens là prennent des décisions importantes de pouvoir alors que c'est nous qui faisons le travail.» YVES.
Mais le travail est aussi, selon le commentaire d'une jeune, un outil d'esclavage qui sert à manger, donc il acquiert une valeur instrumentale (gagner de l'argent). Ce qui introduit un renversement de perspective entre le domaine du privé et du public: le travail salarié servirait à la vie personnelle (la consommation, les besoins élémentaires, etc.) Par cette vision, l'activité publique serait libre, au service de la communauté. «Quand je travaille à la compagnie de sondage, ce n'est pas du travail, pour moi, c'est dans ma vie personnelle parce que je veux avoir de l'argent (...) pour acheter des cigarettes, du linge (...). Ici (dans un organisme communautaire) le travail ça sert à tout le monde.» EVA. On a donc ici l'idée de la projection dans l'intérêt public, général. L'idéal, pour le moment, consisterait à concilier la raison instrumentale (le salaire) et l'implication sociale dans un tout.
Pour d'autres jeunes, l'horizon du travail salarié est indépassable. Le besoin exprimé envers le travail traduit le besoin de s'ancrer dans la vie pour lutter contre ce qui semble être un sentiment de dérive. Le travail peut occuper littéralement le corps et l'esprit face au goût de la fête totale, du flânage perpétuel, disent quelques jeunes. «La dernière fois que j'ai perdu ma job, c'était dur en criss parce que j'étais ben parce que je savais qu'à chaque jour, j'avais de l'ouvrage pis chaque semaine j'va avoir une paye pis on va s'en sortir, tu sais. Là on est sorti de la dope ben criss on est pas sorti des problèmes, certain hostie. On est tout le temps dans merde, tout le temps criss.»JEAN. On semble insister davantage sur l'espérance d'une occupation intensive de son temps, de manière à échapper au temps mort, représenté par la solitude ou par la tentation du "party", que sur la fonction instrumentale (gagner sa vie) du travail. Le travail y est vu comme un puissant facteur de réinsertion sociale, de normalisation pour d'autres.
Quel sens amène le travail ici? Une identité sociale autre que celle de "jeune bum", une inscription reconnue dans le jeu de la société, cette même société qui stigmatise ceux qui ne rentrent pas dans les standards (travail, consommation, etc.) Cette aspiration au travail n'est traversée que par la nécessité de "gagner sa vie" et d'être reconnu-e comme tel. On parle bien quelquefois d'un travail intéressant, qui "te motive à tous les matins", quitte à avoir un salaire moindre. «J'aimerais mieux gagner moins mais faire une job que j'aime.» PAUL. «J'haïs pas ça travailler un peu avec mes mains, manuel, pis tu fais tout le temps la même affaire, tu sais, je dis pas je serais pas capable, ben une chaîne, ça passe pis là t'as toujours la même crisse de "boat" à visser. Non, non ça prend de quoi qu'y faut quand même que tu te serves de ta tête un peu. Y faut que ça soit intéressant travailler hostie.» JEAN.
Dans cette optique poussée à l'extrême, le travail sert avant tout à gagner sa vie et à s'occuper: on ne peut pas ne pas travailler! «Oui, pour tout le monde, c'est important (le travail), c'est la vie. C'est l'argent. Tu peux pas vivre sans argent. Tout coûte cher. Faut que tu payes partout.» PAUL. «Travailler, c'est gagner son cash pour vivre. Si tu travailles pas, t'as pas de cash, à part le B.S. Même le B.S., t'es aussi bien de dire que t'as pas d'argent. Ça revient à la même affaire.» DENIS. Ce qui est forcément contradictoire parce que le travail dans ses composantes (horaires, discipline, autorité) est également vu comme un emmerdement. Enfin, dans cette perspective, on croit que s'il y a du travail pour toute personne qui le veut bien, il y a des emplois plutôt moches.
Résumons-nous:
Certains-es jeunes voient le salaire comme une composante majeure, sans quoi il ne vaut pas la peine de travailler. Travailler signifie ici gagner sa vie et être reconnu-e comme tel par la société et ses instances (institutions, familles, pairs, sens commun). Mais si certains-es comptent sur le travail salarié, d'autres souhaiteraient que leurs activités personnelles, qui apportent un sens à leur vie, soient aussi reconnues. Pour eux et elles, c'est du travail au sens plein du mot.
Tout le monde est d'accord qu'il faut de l'argent pour vivre, d'où les stratégies multiples à l'oeuvre: alternance entre travail officiel, travail au noir, aide sociale et liberté.
Pour l'autre tendance, le travail salarié comme reconnaissance sociale demeure une valeur en soi. Ce qui est en crise ici, c'est la possibilité concrète pour les jeunes de travailler étant donné le manque d'emplois et la dualisation entre l'emploi protégé, mieux payés et le travail précaire, celui que les jeunes exercent. À long terme, une crise de sens surviendra puisque les conditions d'insertion sociale des jeunes seront constamment remises à plus tard. Cette indétermination pourrait comporter beaucoup d'incertitudes; mais ce qu'il y a de sûr, c'est que l'absence d'emploi signifie l'impossibilité de s'inscrire dans la société, autant que l'augmentation de la pauvreté. On touche donc, dans ce cas, à la notion de citoyenneté.
Il y aurait dans quelques cas, une volonté de discipliner le temps libre. Pour d'autres, c'est un continuum où alternent les loisirs et l'implication, néanmoins structuré de manière analogue à un emploi.
Mais pour tous les jeunes, l'importance de se trouver une voie, un projet, dans le travail est capital. L'investissement personnel paraît primordial, d'où l'idée d'un enracinement semblable à un processus identitaire qui se retrouve dans les deux tendances.
On a voulu savoir si le fait de ne pas travailler pouvait exister en tant que style de vie. Question qui se voulait volontairement ambiguë pour observer la manière dont les jeunes se l'accaparaient. En effet, comment projeter le nontravail, espace social encore périphérique aujourd'hui, vers une situation où il est dominant, pour ne pas dire central, dans la société. Mais, de manière moins radicale, il s'agissait de savoir si le non-travail peut être envisageable de façon durable dans le cadre actuel de la société.
Une différence sépare les jeunes rencontrés-es en deux groupes: un noyau quasi-irréductible pour qui le travail est omniprésent, tant dans la conception du temps que par l'absence ou presque d'une vision du non-travail. «C'est indispensable, si tu travailles pas, t'as pas d'argent. (...) Tant qu'à rien faire , aussi ben d'aller travailler.» DENIS; et un noyau pour qui le non-travail est possible, sinon déjà une réalité. «Ma définition de travailler, c'est n'importe quoi, hein! T'es pas obligé d'être dans une usine pour travailler là! Tu peux être chez vous en train de planter des fleurs ou élever la maison, comme je te dis c'est travailler pareil.(...) Moi, je le sais que j'ai pas les moyens, tu sais, mais je les fais pareil, (écrire des scénarios) juste pour me valoriser, si on veut, ou faire quelque chose en tout cas.» RENÉ.
Pour le premier noyau, il semble y avoir une difficulté à investir le temps autrement que par le travail. Il n'y a pas de projet autonome hors de l'espace du travail salarié qui dépasse la logique du loisir occupationnel. Dans le cas d'une attente trop prolongée pour ces jeunes, il faut "tuer" le temps parce qu'il ne faut pas être laissé à soi-même. Le travail salarié structure donc l'ensemble de la vie quotidienne.
Ce qui n'empêche pas le réalisme d'être de mise pour ceux et celles qui parlent du non-travail. Il faut gagner sa vie disent ces jeunes, ce qui signifie qu'ils et elles doivent trouver des stratégies d'alternance entre le travail contractuel et des périodes de chômage.
Exceptionnellement, l'idée d'une société basée sur d'autres principes (pas d'argent, un travail nécessaire à la société à temps partiel, une libre occupation du temps) est sortie du lot. L'auteur n'en réaffirme pas moins que c'est impossible, tant les gens sont trop habitués au règne de l'argent, à l'idée de "gagner sa vie". Quelques jeunes se sont rebellés-es contre cette expression en disant qu'une vie se vit, elle ne se gagne pas.
Le non-travail existe déjà sous une forme individuelle autant que par le biais d'un groupe. Le troc est un moyen de subsistance alternatif au travail salarié, par obligation ou par choix. Ses conditions d'existence peuvent être liées à l'impossibilité de recevoir le chèque de l'aide sociale ou comme complément à cette aide. Quelques jeunes renoncent à l'aide sociale, étant donnée son accès difficile avec la loi 37. «J'avais 19 ans pis ça c'était la nouvelle réforme qui est arrivée là, pis là je voulais du B.S. (...) Pis là, à un moment donné, y disent non, le grand boss y veut pas te donner ton B.S. Ça faisait 2 ans que j'habitais plus chez mes parents, mais pour eux-autres, y commençaient à compter à 18 ans. Ça faisait donc un an, disons, que j'habitais plus chez mes parents. C'était supposément mes parents qui étaient obligés de payer. Y veulent encore plus séparer le monde. Ah! J'ai laissé faire.» EVA.
Deux jeunes vivent sans le travail salarié ou à sa périphérie. La majeure partie de leur temps est occupée par la pratique de plusieurs activités porteuses de sens, faisant appel à leur créativité, développant leurs qualités ainsi que leurs ressources... assez insoupçonnées, dirions-nous. De temps à autre, ces jeunes iront au travail pour compléter leur revenu; ou carrément, choisiront le travail au noir, mieux adapté à leur trajectoire pour le moins fluide. Rappelons que le travail au noir n'est souvent que l'envers du secteur officiel. Une chose certaine, c'est l'obligation de recourir au travail salarié à quelques occasions. Mais une donnée nouvelle peut changer le portrait: la loi 37, encore, qui oblige les individus à se déclarer aptes et disponibles à un programme d'employabilité au risque de se faire couper leurs prestations mensuelles de façon significative.
Une dernière observation: l'ensemble du non-travail se vit de manières multiples mais le vécu à l'intérieur d'une activité principale s'avère semblable. Pour ceux et celles qui ont choisi de s'investir dans une activité, l'effort, la discipline, la régularité, la pratique d'un horaire, amènent l'idée que le vécu est similaire à celui du travail salarié. De plus, il y aurait sensiblement la même éthique (travail bien fait, importance de la finalité concrète, c'est-à-dire du produit) et le même processus d'identification, sans toutefois la gratification supplémentaire du salaire, ultime reconnaissance pour ce qu'il procure au plan matériel, mais surtout par le fait qu'il sanctifie socialement une forme d'insertion des jeunes dans la société.
L'objet de la recherche consiste à explorer les pratiques et les valeurs des jeunes face au travail par le biais d'entrevues en profondeur. Afin de mieux comprendre ces pratiques et ces valeurs, nous avons tenté, en introduction, de situer le contexte global actuel.
Ainsi, nous avons parlé d'une mutation du travail dont les deux aspects retenus sont la contraction du marché de l'emploi et la remise en question du travail comme valeur fondamentale. Les impacts de cette mutation sont la dualisation du marché de l'emploi et le passage d'une politique de protection sociale d'assistance aux gens exclus du travail à des politiques d'incitation au travail. Par extension, la dualisation de la société, marquée par une fracture sociale entre un secteur prospère et l'autre en constant appauvrissement, se concrétise.
Il nous a semblé important de dégager la notion de non-travail, à l'instar de nombre d'analyses, pour saisir l'espace où s'articulent les pratiques et les valeurs face à cette mutation du travail.
Enfin, nous avons tenté de démontrer les corrélations entre la situation des jeunes qui ont participé à la recherche et la jeunesse comme groupe social par rapport à l'emploi. Ce faisant, nous avons précisé les précautions à prendre avec la notion de jeunesse.
Avant de passer à une conclusion plus générale, voyons de manière schématique l'analyse des entrevues par thèmes.
Les expériences de travail des jeunes rencontrés-es en entrevue font écho aux statistiques colligées dans l'introduction. Les jeunes ont fait l'expérience du travail précaire tel que défini précédemment: la durée de l'emploi, les conditions de travail, le revenu, l'absence d'une convention collective, etc. Les pratiques des jeunes dans ce marché du travail précaire peuvent se résumer ainsi:
Les relations avec les collègues des milieux de travail ne sont presque jamais significatives, alors que les relations avec les employeurs sont difficiles et même conflictuelles. De sorte qu'on peut parler, dans la plupart des cas, d'une absence d'identification à ces lieux du travail précaire. Certaines représentations sociales des jeunes semblent influencer ces relations de travail. Il y aurait, selon les jeunes, une double détermination sociale dans le fait d'être jeune en soi et d'affirmer un style vestimentaire bien précis. Le fait d'être sur l'aide sociale tout en poursuivant des projets plus personnels, semble douteux aux yeux de la société. De plus, les jeunes ont rapporté à maintes reprises que souvent les gens leur accolent cette image désolante d'une «jeunesse paresseuse». Ces jeunes se butent donc aux normes de la société, que ce soit au travail, devant les agents-es de l'aide sociale ou face à la famille.
A l'exception d'une fille et d'un gars, les jeunes que nous avons rencontrés-e-s n'ont pas terminé leur secondaire V. Il s'agit globalement d'un court passage dans l'institution scolaire. S'il peut être vrai de dire qu'un secondaire V garantit un meilleur emploi (des statistiques indiquent néanmoins que le taux de chômage est de 14, 3 % pour les 15-24 ans ayant un diplôme post-secondaire complété, 11 % pour les 25 ans et plus, donc au-dessus du taux de chômage global)26, encore faut-il réussir à traverser l'étape que constitue l'école. Les opinions exprimées apportent une critique de l'école autant qu'une désillusion à son égard.
Les différentes classes sociales auxquelles les jeunes appartiennent (les classes moyennes et la classe ouvrière) projettent des conceptions différentes de l'institution du travail. Pour les familles des classes moyennes, le travail est important pour le salaire et pour ce qu'il représente comme statut, comme investissement individuel et comme critère de réussite.
Pour les familles de la classe ouvrière, il y a deux conceptions: la version industrielle de la classe ouvrière et, d'autre part, la version éclatée dont le lieu n'est plus l'usine mais plutôt les secteurs des services du travail domestique. Dans le premier cas, le travail est incontournable parce qu'il permet de «gagner sa vie» sans autre considération. Dans le deuxième cas, le travail n'est qu'une des activités qui procurent de l'argent à côté de n'importe quelles autres activités de débrouillardise.
Les valeurs face à l'institution du travail exprimées par les jeunes sont attribuables en partie à l'héritage familial et en partie à leur propre expérience sur le marché de l'emploi précaire. Pour sa part, le discours social dominant qui porte sur le travail semble très efficace. Chaque jeune en entrevue s'est positionné face à ce discours dans des attitudes de rébellion, de passivité, ou les deux à la fois.
La remise en cause de l'institution du travail salarié est réelle: cela vise le travail en soi (sa perte de sens) et les conditions dans lesquelles il se réalise (la précarité, les bas salaires, les tâches dégradantes...) D'un côté, le monde du travail n'offre pas de sens autre que le salaire parce qu'il ne reconnaît pas les activités autonomes que les jeunes réalisent. De l'autre, il n'offre pas de place durable à ces jeunes, ni de forme d'apprentissage: il n'y a pas ou peu d'insertion solide dans le monde du travail.
Paradoxalement, pour quelques jeunes, le travail reste important parce qu'il apporte un salaire, un sens à la vie et une identité sociale. Le sens que l'on donne au travail diffère en fait selon ce que l'on trouve ou non ailleurs. Cette quête de Tailleurs n'est pas innocente puisque l'occupation du temps libre est également vécu de manières très différentes. D'une part, il y a l'attente d'un travail, attente qui peut être insupportable, et, d'autre part, il y a l'occupation du temps de façon autonome et créative. Ces manières de vivre l'espace du non-travail correspondent aux conceptions des jeunes: d'un côté, le non-travail ne peut pas exister; de l'autre, le non-travail est possible et même déjà en voie d'être réalisé.
Nous tenterons de répondre à deux questions: quelles significations faut-il nent à repenser notre rôle avec les jeunes ainsi que notre manière de concevoir les politiques sociales et la question du travail.
Premièrement, la situation des jeunes que nous avons interrogés-es ressemble à la situation globale de la jeunesse sur le marché de l'emploi: exclusion de l'emploi type (c'est-à-dire l'emploi stable), sur-représentation dans les emplois précaires; et recours massif à l'aide sociale et à l'assurance chômage. En risquant d'établir un parallèle entre le travail et l'école (avec un taux de décrochage à Montréal de près de 40%), nous sommes en présence de deux institutions qui, ayant pour but de socialiser et d'intégrer les jeunes, fonctionnent par exclusion. Nous parlons donc d'un groupe social spécifique qui est mis hors-jeu.
Deuxièmement, les pratiques des ces jeunes (succession de périodes de travail, de chômage et d'aide sociale, travail au noir, etc.) sont partagées par d'autres sujets sociaux. Une comparaison, à titre d'exemple, avec les femmes tentant un retour sur le marché du travail et celles qui sont à la recherche d'un premier emploi,27 démontre que ces pratiques sont en développement au fur et à mesure que le marché de l'emploi se transforme. Pensons ici à la prolifération des emplois précaires et à l'augmentation de la durée du chômage. Pour sa part, Alain Bihr 28 parle de l'éclatement de la classe ouvrière française au profit d'une multitude de figures ouvrières se réalisant dans le travail au noir, les petits boulots, etc.
Dans ce contexte, la présence du non-travail, qui se propage à côté de la sphère du travail, doit être pris en compte. La recherche avec les jeunes démontre en plus qu'il y a des expériences actives et autonomes du non-travail. Nous ne pouvons passer sous silence que ces pratiques s'exercent dans des conditions difficiles, précaires et dans la pauvreté. Ces expériences de débrouillardise et d'activités autonomes brisent quelques clichés au sujet des gens exclus du travail, notamment la représentation du désoeuvrement ou de la paresse chez les jeunes. Le désoeuvrement, comme nous l'avons vu, est une réalité indéniable sauf qu'il ne touche pas tous les jeunes de la même façon. D'après les entrevues, pour quelques jeunes, le désoeuvrement provient d'une impossible reconnaissance de leurs activités par la société, tandis que pour d'autres c'est l'absence d'un travail tout court qui l'engendre.
En somme, il importe de ne pas s'empêcher de voir ce phénomène: les transformations du système économique produisent une exclusion qui provoque En somme, il importe de ne pas s'empêcher de voir ce phénomène: les transformations du système économique produisent une exclusion qui provoque sa part de désarroi et de désoeuvrement, sans oublier un appauvrissement. En revanche, il y a l'effet caché: la présence de jeunes actifs et actives dans l'espace social du non-travail qui tentent de se débrouiller de manière informelle et qui conçoivent avec perspicacité leur situation.
Face aux mutations de l'économie et du travail, la revendication du plein emploi prend-elle encore son sens? Pour plusieurs, le projet du plein emploi fait l'objet d'une investigation dont les axes sont la réduction du temps de travail et la redéfinition de la fiscalité29. En attendant l'application politique peu probable d'un tel projet, il se profile une société où le travail est le fait d'une minorité, dans les secteurs industriels importants où l'investissement technologique est supérieur au travail humain, dans le secteur de la gestion et dans celui de l'information. Parallèlement, il se développe des emplois précaires dans les secteurs des services où des industries du secteur «mou» (par exemple le textile, les chaussures et certains services). André Gorz a été un des premiers à parler de la société duale. Pour sa part, Paul Grell extrapole, à partir de ces transformations, le développement de ce qu'il appelle "la banlieue du travail", c'est-à-dire un espace hors salariat, le non travail.30
Ces auteurs remettent en cause les possibilités d'un plein emploi en raison des directions que prennent les mutations de l'économie capitaliste. Si l'un (Gorz) parle d'un temps libre à développer par un partage du travail ou une réduction du temps de travail, l'autre (Grell) parle d'une réforme des politiques sociales en vue d'obtenir une véritable politique de revenu pour tout le monde, une forme de revenu minimum garanti. Une politique fiscale, redistributrice de la richesse collective (revendication reprise souvent par plusieurs groupes comme les syndicats et les organismes communautaires) devient un enjeu majeur dans cette optique.31
Pour leur part, les gouvernements canadien et québécois, bien en deçà des débats ci-haut mentionnés, ne parlent plus de stratégie de création d'emplois mais plutôt de programmes visant à rehausser le niveau d'employabilité des populations dites à risques (pensons aux jeunes) ou bien à recycler la main-d'oeuvre sur le chômage. L'inflexion néo-libérale aidant, ils délèguent aux organismes communautaires le soin de gérer eux-mêmes les programmes d'employabilité. Pensons aux exemples récents des Corporations intermédiaire de travail (C.I.T.) au niveau québécois et du Service jeunesse Canada, ainsi qu'à l'ensemble des programmes québécois qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité.32
Les organismes communautaires jeunesse sont ainsi considérés comme de véritables gestionnaires de l'employabilité des jeunes. Pour les organismes voulant agir dans le domaine de l'emploi, ces programmes leur sont accessibles et certains leur procurent même du financement. En étant à ce point captif des programmes d'employabilité issus de la loi 37 (loi de l'aide sociale), jusqu'à quel point les groupes communautaires ne perdent-ils pas la capacité d'agir de façon critique avec les jeunes dans le champ du travail et du non-travail?
Toutefois, refuser ces programmes n'amène pas pour autant les réponses aux questions suivantes: comment travailler l'appropriation individuelle et collective d'une réalité aussi complexe que le travail et le non-travail avec les jeunes? Comment leur permettre une prise de pouvoir sur leur vie? En premier lieu, reconnaître leur espace de non-travail est déjà un pas important. Mais, permettre et soutenir leurs initiatives, leur débrouillardise, leurs choix en quelque sorte, s'avère aussi incontournable. Forcer le débat public sur le non-travail comme une réalité des jeunes l'est tout autant. Ce travail trouve son corollaire, à notre avis, dans la revendication d'une politique de sécurité du revenu et d'assistance qui assure aux prestataires un plus grand respect de leur vie privée et une plus juste redistribution de la richesse collective.
En second lieu, les organismes communautaires jeunesse doivent entamer une réflexion sur le rôle qu'ils entendent jouer lorsqu'il est question concrètement de mise sur pied de lieux de travail pour jeunes. Avec la naissance des notion de développement local et développement communautaire, le mouvement communautaire est vu, en période de désengagement de l'État, comme un partenaire possible au sein d'une concertation mobilisée (les Corporations de développement communautaires, CDEC) pour revitaliser les quartiers urbains ou les régions les plus touchés par les transformations économiques. L'expérience urbaine du développement local à Montréal n'est pour l'instant guère concluante en ce qui concerne l'impact des organismes communautaires et des CDEC sur le développement économique.33 Cette réflexion doit nous conduire à entrevoir d'autres manières d'expérimenter l'insertion au travail avec des composantes telles que la formation et l'apprentissage dans des perspectives que les groupes définissent eux-mêmes avec les jeunes.
Avec leur culture propre (espaces de socialisation et de vie démocratique), les organismes communautaires jeunesse doivent poursuivre leurs actions avec les jeunes sur la question du travail. Ces actions sous-entendent de rassembler les jeunes, de défendre leurs droits, de travailler le processus de mise en commun de leurs expériences, de permettre leur prise de parole sur la place publique. En ce sens, les groupes communautaires jeunesse ont été jusqu'ici une forme de rempart contre l'exclusion des jeunes. C'est, à notre avis, leur action la plus importante.
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1 Avant 1989, au lieu de la Loi sur la sécurité du revenu (loi 37), il y avait la Loi sur l'aide sociale (depuis 1969). Le but de la Loi sur l'aide sociale était de reconnaître à tous ceux et à toutes celles qui n'avaient aucune ressource le droit d'avoir un revenu. Alors que cette loi amenait une différence dans les montants mensuels destinés aux jeunes adultes (18-30 ans) et les adultes, la présente loi sur la Sécurité du revenu divise en deux catégories d'aide financière les bénéficiaires, sans tenir compte de l'âge: apte (provenant de Action Positive pour le Travail et l'Emploi) et inapte, recevant le programme Soutien financier. Les bénéficiaires de cette catégorie sont les gens qui ne sont pas en mesure de travailler. Pour les bénéficiaires de la première catégorie, la loi instaure différentes sous-catégories pour départager les gens qui veulent participer à des mesures d'employabilité (programme EXTRA, PAIE, Stage en milieu de travail, etc.) et les autres qui ne veulent pas: disponible/non disponible, participant/non participant. La non-participation entraîne une diminution du montant mensuel alors que la participation le bonifie. Toutes ces mesures (inefficaces) sont dénoncées depuis cinq ans avec d'autres dispositions entraînant une coupure dans le montant mensuel, pensons ici aux clauses de partage de loyer, de contribution financière des parents, enfant(s) à charge, etc. Enfin, la loi s'accompagne de mesures de contrôle des bénéficiaires pour débusquer les fraudes éventuelles... Il faudrait un livre au complet pour analyser les conséquences de la loi 37!
2 Denis Clerc, Alain Lipietz, Joël Satre-Buisson, La crise. Éditions Syms, Alternatives économiques, Paris, 1983, page 20.
3 André Gorz, «Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique. mai 1993, page 48.
4 Claude Julien, «Ces "élites" qui régnent sur des masses de chômeurs», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique. mai 1993, page 39.
5 complémentaires,éparpillés à travers la planète et qui s'articulent les unes aux autres (...) une entreprise française peut emprunter en Suisse, installer ses centres de recherche en Allemagne, acheter ses machines en Corée du Sud, baser ses usines en Chine, élaborer sa campagne de marketing et publicité en Italie, vendre aux États-Unis et avoir des sociétés de capitaux mixtes en Pologne, au Maroc et au Mexique.» Ignacio Ramonet, «Mondialisation et ségrégations», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique, mai 1993, page 6.
6 Christine Lefebvre, «Les jeunes et les mutations du marché du travail», Perception. C.CD.S., vol. 17, no. 1,1993, page 15.
7 Madeleine Gauthier, «Diversité des rythmes d'entrées des jeunes sur le marché du travail», L'Action Nationale, vol. LXXX, no. 4 avril, 1990, page 483.
8 Perspective sectorielles du marché du travail au Québec et dans ses régions 1991. 1992 et 1995. Les Publications du Québec, Direction de la recherche, Ministère de la main-d'oeuvre, de la sécurité du revenu et de la formation professionnelle, Québec, 1992, page 27 et 28.
9 André Gorz, «Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique. mai 1993, page 50.
10 Perspectives sectorielles...opus cit., page 27.
11 Le Devoir. 13-8-93, p. A-2.
12 Monique Provost, «L'employabilité et la gestion de l'exclusion du travail», Nouvelles pratiques sociales, vol. 2, no. 2,1989, page 73.
13 Pour sa part, Pierre Desbiens parle du paysan sans terre du Moyen-Age comme d'une personne déclassée c'est-à-dire «privé-e de ses instruments de travail et de sa condition» comme d'un-e «exclu-e du féodalisme et qui ne trouve pas encore une place parce que le salariat n'est pas encore une institution». D'où un ensemble de moyens instaurés par les pouvoirs pour contenir ces groupes: des législations permettant soit de fixer le vagabondage (par exemple interdir l'accès aux villes), soit de contraindre au travail les vagabonds; le renfermement en institutions des mendiants, malades, vagabonds ou fous.
«Au Moyen-Âge, les classes pauvres prennent l'allure de classes dangereuses à l'intérieur desquelles les marginaux et marginales sont, aux XIVe siècle et XVe siècles, généralement des jeunes, sans qualification professionnelle, ni attache familiale; déraciné-e-s, ils et elles mènent une vie errante, travaillant quand ils et elles le peuvent, c'est-à-dire pas très souvent, volant fréquemment, tuant si nécessaire, car la violence explicitée est une des caractéristiques de l'époque et tuer est un geste presque banal.»
Pierre Desbiens, «Quand Eve filait et Adam bêchait, où était le gentilhomme?» dans Hérésie, vol. l,no, 1, automne 1986, page 39.
14 Paul Grell, Etudes du chômage et de ses conséquences: les catégories sociales touchées par le non-travail. Histoires de vie et modes de débrouillardise. Montréal, groupe d'analyse des politiques sociales, Université de Montréal, 1985.
15 Paul Grell, Étude du chômage.... opus cit., p.42.
16 Paul Grell, Étude du chômage.... opus cit., p.46.
17 Paul Grell, Études du chômage.... opus cit., page 47.
18 Marc Lesage, Les vagabonds du rêve. Éd. Boréal Express, 1986
19 Paul Grell, Étude du chômage.... op. cit. page 3.
20 Conseil permanent de la jeunesse, Dites à tout le monde qu'on existe. Avis sur la pauvreté des jeunes, document de travail préliminaire, Avril 1993.
21 Voir Olivier Galland, Sociologie de la jeunesse. L'entrée dans la vie. Armand Colin, Sociologie, Paris, 1991.
22 Voir Madeleine Gauthier; L'insertion de la jeunesse québécoise en emploi. Institut québécois de la recherche sur la culture, août 1990.
23 Paul Grell, Étude du chômage.... op. cit. page 7.
24 Boudon et Bourricaud donnent quelques éléments intéressants sur le concept de valeur: «(Il) n'est pas objectif au sens où peut l'être un énoncé logico-expérimental. Il est vrai que les valeurs ne se réduisent pas à des préférences individuelles puisqu'elles procèdent de discussions, de conflits, ou de compromis entre une variété d'opinions et de points de vue, et qu'elles «engagent» ceux qui y adhèrent. Mais il ne faut pas en conclure que les valeurs sont des principes évidents, explicites et univoques, à partir desquels on pourrait «déduire» des arrangements normatifs particuliers. En outre, parce qu'elles se forment dans un environnement «pluridimentionnel», elles se donnent toujours en composition.» dans Raymond Boudon et François Bourricaud. Dictionnaire critique de la sociologie. Presse Universitaire de France, Paris, 1092, page 602.
25 Gauthier, Madeleine, «Diversité des rythmes d'entrée des jeunes sur le marché du travail», L'Action Nationale, vol. LXXX, no 4, avril 1990, p.483.
26 Conseil permanent de la jeunesse, Dites à tout le monde qu'on existe. Avis sur la pauvreté des jeunes. 1993, page 73.
27 Paul Grell, Études du chômage et de ses conséquences: les catégories sociales touchées par le non-travail. Histoires de vie et modes de débrouillardise. Montréal, groupe d'analyse des politiques sociales, Université de Montréal, 1985.
28 Voir Alain Bihr, «Le prolétariat dans tous ses éclats», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique, mai 1993, page 45-46.
29 Guy Paiement, «Sans travail, peut-on vivre?», Relations. no590, mai 93, page 104 et Bernard Cassen, «Imperative transition vers une société de temps libéré», le Monde diplomatique, novembre 1994, page 24-25.
30 Entre autres, Métamorphoses du travail. Galilée, Paris, 1989.
31 Paul Grell, «La banlieue du travail salarié: enjeu de la politique salariale?», Nouvelles pratiques sociale, vol. 2, no.2,1989, pages 97-106.
32 Paul Grell, «La banlieue du travail salarié: enjeu de la politique salariale?», Nouvelles pratiques sociale, vol. 2, no.2,1989, pages 97-106; et Guy Paiement, «Sans travail, peut-on vivre?», Relations, no.590, mai 93, page 104.
33 Les CI.T. sont des organismes qui louent les services ou vendent les produits de gens rémunérés par le programme PAIE (programme d'aide à l'intégration à l'emploi) du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu d'une durée de six ou neuf mois. Les secteurs d'intervention des CI.T. sont le maintien à domicile (objectifs 8 000 postes) des personnes âgées ou des personnes handicapées et différents autres secteurs de services. Certaines CIT. louent les services à des entreprises qui, elles, n'ont pas à débourser d'avantages sociaux. Notons qu'il s'agit de postes payés et non d'emploi, puisqu'après six mois (neuf mois dans les secteurs du maintien à domicile) les corporations doivent trouver d'autres prestataires disponibles.
Service Jeunesse Canada est un nouveau programme qui offre aux jeunes de 18 à 25 ans un projet d'une durée de six à neuf mois dans le domaine des travaux socialement utile leur assurant un montant de 10 000$. Un montant de près de 2000$ est donné en prime à la fin du projet si les jeunes se sont soit trouvé un emploi, soit retournés à l'école ou soit mis sur pied une entreprise. Il n'y a pas d'éligibilité à l'assurance-chômage au terme du programme.