TNT: un dossier explosif : Les valeurs et les pratiques des jeunes face au travail et au non-travail

Rédigé par Marc-André Houle

ROCAJQ 1995

Cette étude, initiée par le Regroupement des organismes communautaires jeunesse du Montréal métropolitain (ROCJMM), est produite par le Regroupement des organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec (ROCAJQ), 420 rue St-Paul est, Montréal, Qc, H2Y 1H4. Tél.: (514) 843-7942.

Ce qu'est le ROCAJQ:

Le ROCAJQ est un lieu d'information, de concertation et de représentation que se sont donnés des organismes communautaires jeunesse travaillant, chacun à leur façon, sur les multiples réalités socio-économiques et culturelles qui touchent les jeunes.

Les objectifs du ROCAJQ:

  • Regrouper les organismes communautaires autonomes jeunesse du Québec;
  • Promouvoir et développer l'intervention et l'action communautaires;
  • Informer, sensibiliser et éduquer la population à la réalité jeunesse;
  • Faire reconnaître auprès des décideurs politiques la nécessité d'une politique adéquate de financement des organismes communautaires autonomes jeunesse;
  • Favoriser la collaboration, l'échange de services, la concertation et la formation de ses membres et des autres intervenants et intervenantes du milieu.

Comité de lecture:

Bruce Fleming, Sylvie Gagnon,  Marc-André Houle Jean-Marie Richard

Recherche et Rédaction: Marc-André Houle

Insertion des citations: Sylvie Gagnon, Chantai Bureau et Patrick Côté

Collaboration: Michel Parazelli, Lucie Bélanger, Jacques Pector, Simon-Pierre Lacerte

Correction: Chantai Bureau et Sylvie Gagnon

Traduction: Sandy Feldheim

Mise en pages: Chantai Bureau

Photographies: Thalie Ampleman

Illustration: Éric Gauthier

Impression: Imprimerie Beautex inc.

Distribution: Fondation Jeunesse 2000,420 rue St-Paul est, 3e étage, Montréal, Québec, H2Y 1H4. Tél.: (514) 844-1737

Dépôt légal-1er trimestre 1995 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada ISBN: 2-9800628-6-3

TABLE DES MATIÈRES

 

Exploration du territoire

Historique

La méthode

Le contexte: travail et non-travail...

Crise du travail comme valeur fondamentale et non-travail

Les jeunes comme groupe social

Des histoires de vie dynamitées

Eva (nom fictif)

Nancy (nom fictif)

Paul (nom fictif)

Luc (nom fictif)

Yves (nom fictif)

Jean (nom fictif)

Denis (nom fictif)

René (nom fictif)

La détonation

A) Expériences de travail

Les types d'expériences

Le genre d'emploi

La durée

Les revenus

Les conditions de travail

Les relations de travail avec l'employeur

Les relations de travail avec les pairs

B) L'école: deux ou trois mots à son sujet

C) Les valeurs liées au travail

La famille et la valeur du travail

Les valeurs des jeunes face au travail salarié

Le non-travail comme virtualité

Attention! Zone Sinistrée!

Les expériences de travail

Les relations de travail

L'école

Les valeurs

Dégager des significations

Pistes d'action en vue!

Composition chimique

Notes

Exploration du territoire

Retracer les liens que les jeunes entretiennent avec le travail, explorer leurs valeurs et leurs pratiques à l'égard du travail en tant qu'institution sociale, voilà les objectifs de ce document. Une démarche entreprise il y a presque cinq ans, après un travail d'écriture et de réécriture donc de lecture et de relecture! après de multiples détours et retours sur les résultats, sur la démarche, sur la signification, nous arrivons à cette étape où il faut présenter les résultats.

Chemin faisant, l'évolution du contexte socio-économique québécois et, plus précisément, son influence sur les conditions de vie des jeunes, n'ont pas cessé de confirmer la véracité de notre propos. Par contre, nous avons constaté une évolution du côté des politiques sociales, tant à Québec qu'à Ottawa. Cette transformation a certes induit, chez les jeunes, une modification de leurs pratiques face au monde du travail. En tenant compte de ces changements, le document explore et présente la réalité des jeunes, en tout cas la réalité de certains et de certaines jeunes.

Historique

Cette recherche prend son origine au mois d'août 1990, lors des journées d'orientation du Regroupement des organismes communautaires jeunesse du Montréal métropolitain (ROCJMM), devenu maintenant le ROCAJQ.

Au cours d'une discussion sur les impacts de la réforme de l'aide sociale 1auprès des jeunes, un an après son implantation, les membres du ROCJMM ont porté leur attention sur la question des effets de la crise économique sur le marché du travail et, en définitive, sur les difficultés de l'insertion des jeunes au monde du travail. Un débat s'est engagé sur deux aspects: d'une part, la crise du marché de l'emploi, c'est-à-dire la rareté de nouveaux emplois en rapport avec les fermetures d'entreprises, le développement d'emplois précaires et temporaires pour les jeunes, etc.; d'autre part, la remise en question pour certain-e-s jeunes du travail en tant que valeur dominante. L'Assemblée du ROCJMM a mandaté quelques membres pour poursuivre la réflexion sur ces thèmes et initier une enquête auprès des jeunes qui participent aux activités des organismes du ROCJMM.

Le comité formé de quatre représentants-es du Regroupement, ainsi qu'une personne engagée à titre d'agent de recherche, a identifié à la première rencontre trois axes de recherche: les valeurs et les pratiques des jeunes face au travail, les politiques gouvernementales en matière d'emplois visant les jeunes et les pratiques des organismes communautaires jeunesse concernant le travail. L'objectif global était de traduire cette réflexion en stratégies d'actions potentielles pour le ROCJMM. Le présent document concerne plus particulièrement le premier axe, soit les valeurs et pratiques des jeunes face au travail. Le deuxième volet est disponible comme document de référence au ROCAJQ.

La méthode

Parce qu'il s'agit d'enquêter sur une réalité mouvante et relativement peu connue la représentation qu'on peut se faire de la situation des jeunes face à l'emploi nous avons voulu donner un caractère plus exploratoire à cette recherche par des entrevues dites semi-directives, c'est-à-dire des entrevues qui offrent aux jeunes les moyens de développer leurs points de vue autrement que par un oui ou un non. Elles permettent d'aller chercher ce qu'un questionnaire par téléphone, par exemple, ne peut faire: une quantité de détails, une profondeur du propos, une intensité qu'il faut prendre en compte à certains moments. Les rencontres permettent donc aux personnes interviewées de réfléchir sur des sujets qu'elles n'ont pas toujours eu la chance d'aborder et de revenir sur leur histoire personnelle. Cette manière de faire permet enfin de mieux cerner des pratiques sociales et des manières de voir méconnues par la majorité de la population.

En tenant compte des moyens disponibles, nous avons rencontré huit jeunes: six gars et deux filles. Les jeunes que nous cherchions devaient être âgés-es de 18 à 25 ans, et avoir une expérience du travail minimale, pouvant aller jusqu'à la simple recherche d'un emploi. Pour rejoindre ces jeunes, nous avons passé par l'intermédiaire des groupes-membres du ROCJMM. Cette façon de faire nous a permis d'établir plus rapidement un lien de confiance. La réponse des jeunes dans les rencontres fut excellente. Tous et toutes ont montré l'intérêt de répondre.

Il s'agit, à l'évidence, d'un échantillonnage pour le moins déséquilibré qui relativise la portée de l'analyse, notamment pour ce qui est du rapport spécifique des femmes au travail. Mais nous croyons que le caractère exploratoire ne s'en trouve pas pour autant altéré, car il nous fait pénétrer dans l'univers dejeunes et dans leurs confrontations avec l'institution du travail. Partant de ces différents portraits, nous avons tenté de compléter avec ce que les différentes études ont fait connaître sur le sujet.

Pour mieux explorer ce que peut comprendre une expérience dans le monde du travail, nous avons retenu les variables suivantes: le type d'expérience, c'està-dire les lieux d'expériences du travail salarié (par exemple le travail au noir, le travail "officiel" en usine, etc.), le genre d'emploi, la durée de ces emplois, les conditions de travail, le revenu, les relations patron/employé-e, les relations avec les pairs ainsi que la présence sur ces lieux de travail d'un syndicat. Ensuite, nous avons dû faire ressortir les variables qui concernent l'univers des valeurs et du discours des jeunes: l'importance du travail pour les jeunes et pour leur famille respective (selon des critères comme le revenu, les conditions de travail, le genre de travail, etc.), l'occupation du temps libre, le projet de vie, etc.

Certaines de ces variables sont de nature quantitative, elles servent à indiquer des informations factuelles (la durée de l'emploi et le revenu). Les autres variables sont de nature qualitative et ne peuvent se réduire à des nombres ou, dans la plupart des cas, à une réponse univoque, car il s'agit d'un vécu, d'une pratique. La recherche des variables s'est élaborée à partir d'un tour d'horizon de la littérature sur l'emploi et les jeunes.

Le contexte: travail et non-travail...

L'enquête couvre un large territoire: les valeurs et les pratiques des jeunes face au travail. Avant tout, il convient de définir le contexte dans lequel les jeunes oeuvrent. Pour situer notre propos assez rapidement, nous ne pouvons que remarquer les constantes transformations du système économique à l'échelle du monde industriel et des pays du Tiers-Monde. Au-delà des représentations des médias, notamment au niveau de l'obsession de la dette et du déficit, il faut savoir que depuis la première moitié des années 70, les conditions de la croissance économique de l'après deuxième guerre mondiale sont devenues précisément des obstacles à une croissance économique durable, sans récession économique à tous les deux ans:

«.. .ce qui est en cause, c'est la régulation même de la société, c'est-à-dire l'ensemble complexe des règles qui lui permettent de se reproduire sans engendrer des tensions économiques, sociales, politiques insupportables. C'est aussi l'organisation du travail, le type d'outil, la façon de produire, et même le mode de consommation qui sont en crise.»2

Sur cette toile de fond, se poursuit une mutation du monde du travail dont nous retenons deux aspects: une contraction du marché de l'emploi (chômage, fermetures d'entreprises, mises à pied, développement du travail précaire, etc.); et une remise en question du travail comme valeur fondamentale de notre société. Au sujet du premier aspect, retenons globalement que le monde du travail est l'objet d'un remodelage majeur, déterminé en cela par l'effet conjugué de l'introduction massive de nouvelles technologies dans le processus de production des biens et de la mondialisation des activités économiques.

Ainsi l'avancée technologique dans certains secteurs industriels a produit des gains de productivité importants et a mobilisé une main-d'oeuvre moins nombreuse. Il est question d'une diminution du volume annuel des heures de travail en Allemagne de 30 % depuis 1955, de 15 % en France en trente ans, alors qu'il se produit de trois à quatre fois plus de richesses qu'il y a trente-cinq ans en Europe.3 En fait, pour l'ensemble de l'Europe, on parle en 1993 de 14,6 millions de chômeurs-es.4

Cette réorganisation du travail se laisse de moins en moins entraver par des frontières nationales: on assiste à l'établissement de zones d'échanges économiques, tel l'ALENA, traité de libre-échange de l'Amérique du Nord, qui accélèrent les déménagements d'entreprises d'un pays à l'autre, le plus souvent où les salaires sont moins élevés. Une nouvelle division internationale du travail se dessine où il n'est plus question, par exemple, d'une production nationale. Maintenant, la série d'opérations conception-production-marketing-vente prend une identité transnationale, voire mondiale.5

L'impact de ces facteurs sur le marché de l'emploi est énorme. De plus en plus, une tendance prend forme: la dualisation du marché de l'emploi. Cela comprend un secteur, en régression, de l'emploi type: «le modèle d'emploi stable où le salarié travaille (en théorie) à vie pour le même employeur, à temps plein, avec avantages sociaux, etc.»6 face à un secteur, en plein expansion, de l'emploi précaire, c'est-à-dire «...de courte durée, sans perspective de stabilité, sans le recours d'avantages sociaux qui accompagnent les emplois régis par une convention collective.. .»7 et, pour ajouter, avec un revenu souvent près du salaire minimum.

Au Québec, la part du travail à temps partiel dans l'emploi total est passée d'un peu moins de 8 % à plus de 14 %, entre 1976 et 1990. Le ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu note, par exemple, que les emplois perdus par les hommes en 1990, au nombre de 13 000, étaient des emplois à plein temps.8 Il est question en Allemagne d'un tiers de la population active qui travaille à temps partiel; au Royaume-Uni, 36 % de la population active occupe ce genre de travail; aux États-Unis, 60 % des emplois créés au cours des dix dernières années ont des salaires sous le seuil de pauvreté.9

Il s'agit donc d'une tendance lourde qui n'est pas sans effet sur l'orientation des politiques de protection sociale, puisque l'on parle d'un chômage «structurel» avec un taux évoluant vers le 9 ou 10 %10 et de 450 000 ménages vivant de l'aide sociale11 pour le Québec. Il y a donc le passage, ici comme aux ÉtatsUnis ou chez certains pays européens, d'un régime de protection sociale d'assistance pour les gens exclus du travail, temporairement ou non, à un régime d'incitation au travail (le «Workfare»). Le cas de l'aide sociale au Québec est typique: d'une assistance sociale, elle s'est transformée en des mesures qui "pressent" les bénéficiaires à participer à des programmes d'employabilité pour avoir droit au montant mensuel maximal.

L'assurance chômage au Canada, avec la réforme de 1992 (loi C-113), abolit le droit aux prestations pour les gens qui ont volontairement quitté leur emploi. La prochaine réforme de la protection sociale au Canada, annoncée par le ministre fédéral du Développement des ressources humaines, Lloyd Axworthy, promet la création de deux catégories de prestataires de l'assurance-chômage: les chômeurs-es occationnels-les et les chômeurs-es fréquents-es, c'est-à-dire ceux et celles ayant eu recours trois fois en cinq ans à l'assurance chômage. Ces derniers devront participer obligatoirement à des programmes de formation ou de recyclage.

En dernier lieu, l'émergence de cette réorientation des politiques sociales fait place à un concept qui a toute son importance pour expliquer et gérer le nombre croissant de sans-emploi: l'employabilité, dont nous verrons plus loin l'impact sur les jeunes.

«L'employabilité, en effet, est un concept en voie d'élaboration qui permet de définir l'exclusion du travail salarié comme relevant d'abord et avant tout de la responsabilité individuelle. Il permet de désigner des populations à risque par la constitution de "profils d'employabilité", de proposer des mesures de "relèvement de l'employabilité", épargnant du même souffle une réflexion et surtout une intervention sur le marché du travail et, à fortiori, une politique d'emplois».12

Crise du travail comme valeur fondamentale et non-travail

La remise en question du travail comme institution existe depuis toujours dans l'histoire du monde industriel et capitaliste. Un retour dans l'histoire indique qu'une des formes de refus du travail a été le fait d'individus exclus des terres ou de leurs activités d'artisans dans une période de transition entre le féodalisme et les premiers soubresauts du capitalisme. Les débuts du rapport salarial ont donc été engendrés dans la violence.13

Au sein du monde capitaliste, le remise en cause du travail a connu une évolution importante: d'abord portée par la classe ouvrière, par une critique de l'organisation du travail industriel et du pouvoir dans l'usine, elle s'est transformée par la suite soit en une critique écologiste (l'industrialisation et ses effets sur l'écosystème), soit en un refus «contre-culturel» du travail comme mode de vie, pour maintenant devenir, aujourd'hui, une pratique de désaffection vis-àvis le travail dont les sujets sont les gens exclus du travail ou évoluant dans ses marges, le travail précaire.

Paul Grell 14distingue, pour sa part, quatre phases dans l'évolution du rapport au travail. La première phase, que l'auteur situe autour des années 50, se caractérise par une étroite imbrication entre le travail et la vie hors du travail, cette dernière ne possédant aucune autonomie par rapport au travail. Ici l'expérience du travail enracine les conduites sociales, constitue le principe structurant les demandes sociales, d'où les expressions de "culture d'usine" et de "condition ouvrière". C'est à ce titre que l'on a dit que le mouvement ouvrier constituait le mouvement social qui transportait les aspirations de progrès social. Le travail est donc l'élément donnant l'identité aux individus; il forme la valeur fondamentale de la société. Le chômage, dans ce cas, est un phénomène résiduel qui frappe surtout les travailleurs-es les moins qualifiés-es.

La deuxième phase, approximativement durant les années 60, s'exprime par la séparation entre le travail et la vie hors du travail et, corollairement, le cloisonnement de ces sphères privé et public devenu possible par le développement de la consommation de masse. Cette consommation s'inscrit dans ce que certains auteurs ont nommé le compromis fordiste, c'est-à-dire l'acceptation par le mouvement ouvrier de conditions de travail rigides, sans droit de regard sur la manière de produire et le pouvoir dans l'usine, en retour d'ajustements salariaux permettant l'accès à une consommation de masse, sans compter la mise sur pied de services sociaux, protection sociale, etc., quelques fois appelés salaire indirect. Selon Grell, «(...) les aspirations du travail sont médiatisées par l'économique qui s'enracine partiellement, à travers les mécanismes de compensation, dans la vie hors-travail.»15

Les années 70 annoncent de nouvelles demandes sociales concernant le travail puisqu'on dénote une insatisfaction dans le travail. D'ailleurs, quelques signes inquiétants commençaient à percer: absentéisme, roulement de personnel, accidents, conflits dont l'enjeu est le pouvoir dans l'entreprise. De nouvelles exigences arrivent donc pour critiquer l'aliénation causée par la chaîne de montage, l'abrutissement du travail répétitif. On semble assister à un renversement alors que le temps hors du travail prend une importance majeure, d'où la revendication de la réduction du temps de travail dans certaines luttes ouvrières. Le chômage augmente de façon importante sans pour autant que le gouvernement amène les politiques nécessaires pour l'enrayer. À un tel point qu'on assiste, selon Grell, à l'extension de l'assurance-chômage pour couvrir l'ensemble des demandes de protection sociale.

La quatrième phase, les années 80, est celle du désinvestissement face au travail. Dans la phase précédente, le travail «(...) restait néanmoins pour le travailleur une activité principale et fondatrice à se réapproprier car la dévalorisation de son travail entraînait sa propre dévalorisation»16, ce qui avait amené des interventions pour «sauvegarder l'identité au travail et l'investissement affectif qui l'accompagnait (...)» Grell affirme que pour la quatrième phase «l'extériorité au travail est quasi complète». Selon lui, la culture de l'usine a été remplacée par ce qu'il nomme la "culture métropolitaine", portée par d'autres composantes du mouvement ouvrier, à savoir les jeunes et, qui plus est, les sur-qualifiés-es qui n'arrivent pas à trouver l'emploi correspondant à leurs aspirations. C'est hors de l'espace du travail que vont se développer les relations sociales et la formation de l'identité individuelle et sociale.

Le désinvestissement et la négation du travail, pour être plus précis, émergent dans une crise de l'emploi: accroissement de l'emploi à temps partiel, temporaire, à bas salaire, bref une précarisation. Pour Grell, «Le travail salarié n'est plus qu'une certaine quantité d'activités réifiées, un emploi quelconque qu'on exécute sans rien y investir de soi-même et qu'on quittera pour un autre emploi tout aussi contingent».17

C'est justement la remise en cause de l'institution du travail salarié comme valeur centrale dans la vie sociale et la contraction de l'emploi qui amènent l'extension de l'espace social du non-travail. Comme le rappelle Paul Grell et Marc Lesage,18 ce concept ne peut plus être seulement considéré comme un temps passif (l'attente d'un emploi par exemple). Le non-travail est devenu un temps nécessairement actif, «(...)délimité par des filières institutionnelles auxquelles se greffent des trajectoires sociales (la manière dont les individus évoluent dans l'espace social du non-travail)».19 Lors des entrevues avec les jeunes, la notion de non-travail recouvrait autant le fait d'être sans emploi que la possibilité de ne plus travailler, autant la possibilité de ne plus avoir besoin de travailler que la plausibilité d'une abolition du travail salarié.

Les jeunes comme groupe social

Entre les jeunes que nous avons rencontrés-es et le portrait statistique de la jeunesse au Québec, il y a de fortes corrélations. La jeunesse est sur-représentée dans les statistiques des sans-emploi: dans Le Devoir du 15 septembre 1993, une note faisait état que le niveau de l'emploi chez les 25 ans et plus augmentait de 13 600 pendant les six premiers mois de 1993 alors que le niveau des 15-24 ans chutait de 15 000; de plus on parlait d'un taux de chômage de 18,9 % en juin 93 pour les 15-24, comparativement à 11,7 % pour les 25 ans et plus.

De son coté le Conseil permanent de la jeunesse20 a fourni une série de données sur les jeunes et le travail, disant que:

  • 40 % des 25 ans et moins travaillaient à temps partiel en 1992 contre 24,9 % en 1982;
  • 70 % des 25 ans et moins au Québec connaissent une période d'attente entre des périodes d'occupation et de non-occupation comparativement à un taux près du tiers pour l'ensemble de la population;
  • Entre 1982 et 1992, le travail à temps partiel est passé de 48,8% à 67,5% chez les 15-19 ans, de 14% à 25,1% chez les 20-24 ans, de 8,5% à 10,7% chez les 25-29 ans et de 9,6% à 10,7% chez les 30 ans et plus;
  • En août 1992, parmi les 139 386 jeunes de 30 ans et moins bénéficiaires de l'aide sociale, il y avait 126 028 jeunes déclarés-es aptes, et 13 358 jeunes inaptes.

Cependant, quelques remarques s'imposent. Premièrement, la jeunesse en tant que groupe social, n'est pas le seul à être soit exclu du monde du travail, soit dans ses marges, le travail précaire. D'autres groupes sociaux subissent les transformations du marché du travail, comme les femmes et les communautés culturelles.

Deuxièmement, s'il s'agit d'un groupe social, ce n'est pas tant seulement en terme de classe d'âge qu'en terme de processus: le passage à la vie adulte. L'insertion sociale des jeunes se définit dans les sociétés occidentales par le début de la vie professionnelle, le départ de la famille d'origine et le mariage.21 Le passage à l'âge adulte ne peut dès lors qu'être différent selon que l'on provient des classes moyennes ou des milieux plus modestes, selon que l'on est une fille ou un gars. Il y a donc différents rythmes d'insertion dans le monde du travail. De plus, si certaines recherches font état que l'installation en emploi se prolongerait jusqu'à trente ans22, il ne peut pas être question d'une prolongation uniforme pour l'ensemble de la jeunesse québécoise.

Ces remarques nous semblent importantes parce qu'elles remettent dans un contexte plus large la situation des jeunes comme groupe social face au monde du travail. Elles permettent aussi de pondérer la situation des jeunes en général, ainsi que l'expérience des jeunes que nous avons rencontrés-es. En définitive, les jeunes, sans être un bloc homogène, font une expérience commune mais, cependant, différenciée de l'insertion dans le marché du travail. Paul Grell prend le terme de trajectoire pour expliciter cette expérience de pratiques reliées au travail et au non-travail: «ensemble de déterminants objectifs (scolarité, ressources) et de facteurs structurels (contraintes du milieu) en interactions complexes avec les capacités créatives de l'individu.»23

Par extension, nous pouvons dire que les valeurs des jeunes que nous avons rencontrés-es ne forment pas un ensemble uniforme et représentatif de "la jeunesse". Le défi consistait à dépister leurs propres valeurs derrière le discours social dominant sur le travail. Ces valeurs résultent d'une composition de plusieurs facteurs: l'influence du milieu social de la famille et celle de la société. Quelquefois, les valeurs peuvent résulter d'une rupture de ces conceptions, formées par l'expérience personnelle du travail. Il ne s'agit pas en tout cas d'une série d'énoncés cohérents.24

DES HISTOIRES DE VIE DYNAMITÉES

Nous voulons ici retracer brièvement l'itinéraire de chaque jeune afin de les replacer dans leur univers respectif et par souci de clarté pour s'y retrouver plus facilement. Pour ce faire, nous aborderons brièvement les aspects suivants: le passage à l'école, un tour d'horizon des différentes expériences face au travail et les activités hors travail.

Eva (nom fictif)

Vers 16-17 ans, Eva a fait un séjour de 2 ans dans un centre d'accueil suite à des conflits avec ses parents. Avec son diplôme de secondaire V, elle avait entrepris des études en arts plastiques au CEGEP mais elle les a abandonnées durant sa période au centre d'accueil, juste avant de rencontrer l'organisme communautaire jeunesse qu'elle fréquentait toujours au moment de l'entrevue.

Quant aux expériences de travail, Eva n'a jamais eu d'emploi dans le milieu officiel. En revanche, elle a participé à de nombreux programmes gouvernementaux et elle a une expérience du travail au noir assez considérable. Elle a aussi déjà quêté sur la rue Ste-Catherine.

Au moment de l'entrevue, Eva a 20 ans, elle est chômeuse et travaille au noir pour une compagnie de sondages par téléphone. Son implication dans un organisme jeunesse est très importante. À long terme, elle a comme projet de voyager, notamment en Afrique dans le cadre d'un échange international, car elle croit pouvoir apprendre des choses des cultures différentes.

Nancy (nom fictif)

Nancy est anglophone (lorsqu'elle sera citée plus loin, il s'agira d'une traduction de son entrevue). Elle a terminé le secondaire V et a fait une année au CEGEP. Elle a quitté le CEGEP lorsqu'elle est devenue enceinte. Son enfant a 16 mois au moment de l'entrevue. Avant de devenir enceinte, elle a fait un séjour en foyer de groupe.

Elle a eu différentes expériences de travail, notamment comme caissière dans un restaurant, femme de ménage, concierge, manoeuvre dans une usine durant le quart de nuit (remplissage de boîtes de boucles de Noël). Nancy a également une expérience sur le programme Extra dans un centre d'accueil pour personnes âgées (soins corporels, lavage de planchers, lavage de vaisselle). Elle a aussi travaillé comme bénévole à la SPCA (dactylo, magasin). Entre 15 et 17 ans, Nancy a fait de la prostitution. Présentement, ça fait deux ans qu'elle reçoit de l'aide sociale, mais elle n'arrive pas et complète avec du gardiennage. Elle fait aussi du bénévolat dans une maison d'hébergement pour femmes victimes de violence. Dans ses temps libres, elle fait de la musique, écrit de la poésie.

Elle rêve d'ouvrir un jour une maison d'hébergement pour jeunes en difficulté. Elle a 20 ans au moment de l'entrevue et habite seule avec son enfant.

Paul (nom fictif)

Paul n'a pas complété son secondaire II. Il a tenté un retour dans une école pour décrocheurs, sans succès. Il a ensuite reçu une formation en ferblanterie (formation qui n'est pas reconnue) au centre d'accueil du Mont St-Antoine. Par ailleurs, les conditions du programme de retour à l'école du Centre d'emploi exigent que la personne ait quitté l'école depuis 3 ans pour y être admissible, ce qui pose un problème dans le cas de Paul.

De 13 à 16 ans, il a eu des "petites jobs de jeunes" alors qu'il demeurait encore chez ses parents (comme camelot et livreur pour un fleuriste). À partir de 16 ans, il occupe une série d'emplois: chargeur de camion, emballeur chez Steinberg, paysagiste dans un cimetière, travail dans un entrepôt chez Woolco et à l'expédition dans une usine de machinistes. Il n'a aucune expérience de travail au noir ou illégal. Il a comme projet de devenir éducateur auprès des jeunes.

Au moment de l'entrevue, Paul a 18 ans, il est en chômage et vit seul en appartement.

Luc (nom fictif)

Luc a terminé son secondaire IV. Il s'agissait d'un programme professionnel long en mécanique durant lequel il a reçu surtout une formation théorique. Il a choisi la mécanique parce que les autres choix qu'on lui offrait l'intéressaient encore moins (ébénisterie et coiffure). Il a décroché à 18 ans. Dans l'organisme communautaire qu'il fréquente, il a acquis une formation pratique en comptabilité. De plus, il a commencé une session au CEGEP en comptabilité, mais ne l'a pas terminée.

Pour ce qui est des expériences de travail, il a travaillé durant 6 mois comme magasinier chez Statistiques Canada, à 10,63 $/heure. Il a travaillé aussi dans le cadre de différents programmes gouvernementaux (deux Programmes de développement de l'emploi (PDE), une Option Déclic et un Atelier d'orientation au travail (A.O.T.)). À l'intérieur de ces programmes, il sera successivement commis de bureau, responsable d'un appartement supervisé, homme à tout faire (à un dollar l'heure). Au noir, il a eu quelques contrats de rénovation avec un "chum", par exemple, refaire le plancher d'un bar. Luc a "embarqué" sur l'aide sociale à l'âge de 18 ans.

Il sort beaucoup dans les bars pour s'amuser, socialiser et comprendre la culture du milieu de la rue à laquelle il s'identifie. C'est également en raison de son implication dans un organisme communautaire jeunesse qu'il cherche à rejoindre les jeunes qui se tiennent dans les bars. Il a fait quelques voyages et pense qu'il aimerait avoir sa propre entreprise.

Au moment de l'entrevue, Luc a 24 ans. En chômage, il attend sous peu un emploi temporaire dans la fonction publique fédérale.

Yves (nom fictif)

Yves a un secondaire II, c'est-à-dire pas de scolarité reconnue. Il est musicien autodidacte. Il a fait un séjour en centre d'accueil.

Il a commencé à travailler à 16 ans. Ses expériences sont brèves. Ce sont des jobs au noir: laveur de vaisselle, courrier, travail dans les usines de textile. Des emplois non syndiqués, mal payés et agrémentés de relations d'exploitation, mais qu'il accepte pour survivre. Yves a aussi travaillé dans la "shop" de son père, où il a reçu une formation de mécanicien. De plus, il a fait des jobs illégales comme des vols et de la prostitution.

Pour ce qui est de ses loisirs, il aime beaucoup jouer au hockey. Mais pardessus tout, en raison de sa dimension créative, il aime faire de la musique. La communication avec les gens est une autre de ses priorités.

Au moment de l'entrevue, Yves a 23 ans et il reçoit des prestations de l'aide sociale.

Jean (nom fictif)

Jean a quitté l'école au sec. V (17 ans). Ensuite, il est allé (2-3 mois) à l'école "Virage" pour jeunes décrocheurs en même temps qu'il travaillait. Il a fait une session au CEGEP en technique géodésique puis il a changé pour génie civil, dans l'optique de se diriger vers l'arpentage en bâtiment (l'option qu'il désirait réellement poursuivre), sauf qu'il lui manquait le cours de chimie.

Il était classé dans les "mauvaises têtes" d'après lui. À l'époque, il consommait régulièrement de la drogue; il se bagarrait souvent pour toutes sortes de raisons. C'est à l'école qu'il a débuté sa vente de drogue. Il est à noter qu'il réussissait bien à l'école, dans le secteur régulier.

À 17 ans, Jean a quitté la maison familiale paire qu'il voulait travailler en même temps qu'il étudiait et qu'il n'avait pas l'accord de son père.

Il est présentement sur l'aide sociale. Il vient d'être congédié de Purolator où il travaillait 20 heures/semaine depuis 3 mois comme déchargeur de vanne, en supplément de l'aide sociale. Comme il le dit lui-même, il a fait 20 emplois durant les 4 dernières années. Il a travaillé dans l'arpentage, comme chaîneur, dans la mécanique, dans la réception des marchandises d'une entreprise de stores, pour une compagnie de plomberie; pour une entreprise d'excavation pour vérifier le débit d'eau dans les égouts. Jean a une expérience considérable du travail au noir: il fait du remorquage avec son beau-frère, quelquefois des changements d'huile, du déménagement, etc., en plus de l'aide sociale.

Son expérience dans le secteur illégal est aussi importante: vente de drogue depuis l'âge de 16 ans et vol pour un receleur. Règle générale, ses emplois ne lui ont jamais rapporté un gros salaire en comparaison avec ses autres activités, plus lucratives. Il s'identifie à la culture des rockers via la musique qu'il écoute et les vêtements qu'il choisit.

Au moment de l'entrevue, Jean a 23 ans, et il est sur l'aide sociale depuis 20 mois.

Denis (nom fictif)

Denis a lâché l'école à 13 ans, puis de 13 à 15 ans il "traîne dans les rues". Il fait un séjour dans un centre d'accueil, qui durera 22 mois, où il suit un cours de cuisine, ce qui ne lui plaît pas particulièrement.

Il a travaillé chez McDonald pendant 4 mois, comme pompiste, dans une shop de soudure, dans une confiserie, comme ouvreur de caisses de bonbons. Un leitmotiv: "l'enfer total!" Il a quelques expériences au sein des programmes gouvernementaux: un A.O.T. pendant 2 semaines, puis il a fait un vol. Il n'a jamais reçu d'aide sociale.

Denis a une longue expérience du travail illégal, notamment dans la vente de drogue. Il a entrepris sa "carrière" à l'âge de neuf ans (âge où il consomma pour la première fois) et a gravi les échelons: recel d'armes et d'articles volés, prostitution, vente de drogue, etc. jusqu'à avoir son territoire de vente reconnu. Au fur et à mesure qu'il vieillit, de plus en plus de temps est consacré à ce type de travail, payant, mais très risqué.

Il occupe ses temps libres en "fêtant" et en regardant la télé. Il a suivit une cure de désintoxication, car il tente maintenant de couper les ponts avec ce milieu. Il écrit quelquefois des poèmes. Denis a comme projet de vie de devenir psychologue et conseiller en toxicomanie.

Au moment de l'entrevue, il est aux études, sur l'assurance-chômage, et il vit en appartement avec 3 personnes.

René (nom fictif)

René est sorti de l'école à 18 ans avec un diplôme de secondaire V, profil professionnel court en rembourrage. Il a toujours eu de la difficulté à l'école: il a été placé en classe "d'ortho" au secondaire pour ensuite faire le cours d'exploration technique et ensuite, dès le secondaire 3, le professionnel court. Il a également suivi une formation de 2 jours en scénarisation.

Il est sur l'aide sociale depuis environ 5 ans. Plusieurs de ses expériences de travail ont été faites à travers les stages des programmes "Stage dans l'entreprise" de l'aide sociale et "Jeune volontaire". Il a travaillé dans quelques industries: usine de fer, usine de vitres, usine de rembourrage, atelier de décapage de meubles (au noir). Il a fait un stage chez Croteau comme étiqueteur à la réception des marchandises. Il s'agissait d'un stage de l'aide sociale. Il a aussi participé à quelques projets (subventionnés ou non) de scénarios de bandes dessinées. Depuis l'âge de 15 ans, il a écrit une quinzaine de scénarios. Il est impliqué dans un organisme communautaire jeunesse. Un de ses rêves, c'est de terminer son cours secondaire régulier dans le but d'aller à l'université.

Ses expériences de travail n'ont duré que le temps d'un stage (environ 6 mois), quand ce n'est pas un avant-midi. Ses projets de B.D. sont inscrits dans une plus longue durée. Le travail en usine semblait très pénible, à cause du froid notamment. Pour salaire, il a déjà reçu environ 8,00$ de l'heure, mais le plus souvent, il était limité au revenu de stage sur l'aide sociale.

Au moment de l'entrevue, René a 25 ans, il est sur l'aide sociale et habite chez ses parents.

LA DÉTONATION

 A) Expériences de travail

Les types d'expériences

L'expérience de travail chez les jeunes rencontrés-es possède plusieurs facettes. Trois lieux d'expérimentation du travail leur sont offerts: le travail officiel, le travail développé par les programmes gouvernementaux et le travail au noir. Pour ce dernier, nous avons distingué le travail rémunéré par des entreprises, qui échappe aux normes étatiques (ce qui signifie ici entre autres choses, la santé et la sécurité au travail et l'impôt) et le travail dit illégal, par exemple la vente de drogue, le vol et le recel. Par ailleurs, le premier ne constitue pas habituellement un acte criminel, alors que le deuxième amène directement un dossier criminel.

Le genre d'emploi

Parmi les jeunes rencontrés-es, les expériences de travail officiel dans le secteur industriel sont fréquentes. L'emploi offert par les programmes gouvernementaux est important mais demeure, comme nous le verrons, peu durable. Sauf pour les expériences dans les groupes communautaires et populaires, seulement une personne a cumulé de l'expérience dans le travail de bureau (deux semaines comme dactylo) ou dans le commerce, si on accepte l'idée que le travail de courrier n'est pas exactement du travail de bureau.

Les projets gouvernementaux ont été profitables lorsqu'ils étaient parrainés par des organismes communautaires (dans le secteur jeunesse) et surtout dans le cadre des Projets de développement de l'emploi (PDE) du gouvernement fédéral, projet plus lucratif et plus formateur. Un jeune a expérimenté la plupart des programmes de l'aide sociale du Ministère de la sécurité du revenu du Québec; son expérience démontre par la preuve l'inefficacité de ces programmes en terme de possibilités d'embauché après le projet chez l'employeur, voire même en terme de formation.

Pour ce qui est du travail au noir, non déclaré, les jeunes le connaissent bien et utilisent cette alternative. La plupart du temps, les expériences des jeunes dans ce domaine se sont faites en majorité dans le secteur des services (restauration, courrier, sondages téléphoniques, etc.) Dans une moindre mesure, des jeunes ont oeuvré dans le secteur de la rénovation, de la mécanique (remorquage et changements d'huile) et du déménagement. Un jeune a travaillé à quelques reprises, de façon non déclarée, dans une usine de textile. En fait, un seul jeune n'a pas utilisé le travail au noir.

L'expérience de trois jeunes avec le travail au noir, version "illégale", est considérable: prostitution, vol, recel, vente de drogues. En fait, pendant un certain temps, cela a constitué une source de revenu autrement plus importante que n'importe quel travail. En un sens, nous pouvons faire l'hypothèse que c'est devenu un frein à leur insertion professionnelle.

La durée

En fait, c'est un constat que l'on retrouve dans l'ensemble des expériences: les jeunes passent d'un emploi à l'autre presque à tous les quatre mois, exception faite des programmes du gouvernement (PDE, article 25, projets de l'aide sociale). En général, ces programmes durent entre six et huit mois. La plupart du temps, ils ne débouchent pas sur des emplois permanents. «C'est bien plus payant pour eux, quand quelqu'un finit son stage, y en prennent un autre.» RENE.

Donc, en général, les raisons de la courte durée des emplois sont le fait des mises à pied (soit parce qu'il y a fermeture de l'entreprise, insatisfaction de la partie patronale, fin de contrat) et du départ des jeunes (pour des raisons aussi diverses que des conditions de travail inacceptables, un salaire insuffisant, des tâches trop insignifiantes, des relations de travail autoritaires). «J'ai fait 3 mois d'excavation; là, le bonhomme s,est fait saisir une pelle, ça fait que j'ai perdu ma job. Après ça, j'ai fait 3 mois dans la mécanique comme "helper" sur les gros 10 roues. Là, lui y arrêté de faire la mécanique. Y me dis: «J'vais vendre juste les pièces, j'ai pas besoin de toi.» Pis là après ça, j'ai travaillé chez Purolator.» JEAN. «À quinze ans, j'ai travaillé au MacDo. Là, j'ai lâché, j'ai recommencé. La première fois, j'ai travaillé 4 mois en ligne, là j'ai lâché. J'ai travaillé un mois chez Shell, un mois dans une shop de soudure, là je l'ai lâché. J'ai été un grand bout sans rien faire. J'ai recommencé à travailler chez MacDo 4 mois, pis depuis ce temps là, je ne travaille plus. Ah! C'est vrai! J'ai travaillé cet été 1 mois dans une confiserie à Laval.» DENIS. Cependant, il faut retenir que mise à pied et départ volontaire résultent de la nature même de ces emplois que nous pouvons considérer comme des emplois précaires, c'est-à-dire "de courte durée, sans perspective de stabilité, sans le recours d'avantages sociaux qui accompagnent les emplois régis par une convention collective..." 25Les jeunes s'en servent donc régulièrement mais par intermittence. «Mon expérience la plus longue ça a été 4 mois chez Steinberg. J'ai lâché ça, ils ne me donnaient pas assez d'heures. Une semaine j'travaillais 15 heures, l'autre, 25, c'est pas assez.» PAUL.

 «C'est bien plus payant pour eux, quand quelqu'un finit son stage, y en prennent un autre.»  RENÉ.

Les revenus

Les jeunes rencontrés-es n'ont pas fait état de revenus importants provenant du travail. Le travail en usine offrait un salaire supérieur au taux minimum: certains ont parlé de 8 dollars de l'heure; d'autres ont touché environ de 5 à 6 dollars de l'heure. Les salaires générés par les projets gouvernementaux passent de 7 ou 8$/heure (les PDE) au salaire minimum, pour ce qu'on appelait à l'époque les Ateliers d'orientation de travail (A.O.T.), l'équivalent aujourd'hui de l'Option point de départ dans le cadre du programme fédéral l'École avant tout. Les programmes de l'aide sociale équivalent approximativement à moins d'un dollar l'heure. «J'ai travaillé à l'Union française comme homme à tout faire pendant 6 mois sur le programme Déclic... Cheap labour: 1$ de l'heure. J'lâche ça j'ai dit, c'est pas pour moi.» LUC.

«Moi j'ai volé parce que j'avais faim. Quand tu fais de la prostitution, c'est pareil. La prostitution, ça devient un travail; tu fais un choix. Si tu vends ton corps, c'est plus payant qu'être secrétaire mais tu travailles pareil, tu fais ça pour gagner ta vie.» YVES.

 

Les jeunes ont dû cumuler, à un moment donné, travail officiel, prestations gouvernementales et travail au noir pour joindre les deux bouts. Dans ce cadre, le travail au noir apparaît chez la plupart des jeunes comme incontournable. Ces expériences ne s'avèrent pas toujours payantes en soi. C'est en complément avec le chèque mensuel de l'aide sociale ou de l'assurance-chômage que le travail au noir est utile. En fait, tous les jeunes sont passés-es par l'aide sociale ou l'assurance-chômage; ils et elles ont tous et toutes été appelés-es à combler tôt ou tard un cul-de-sac financier causé par l'entre-deux chèques. «J'ai fait de la vente au noir... Sainte-Catherine et Saint Laurent genre de vente... parce qu'il n'est pas possible de survivre dans le marché du travail, avec le manque d'argent. Le B.S. te donne pas grand chose pour vivre, 388$ par mois, ou 500$. Ça va payer ton loyer, tes factures. Tu as assez pour payer ta bouffe et c'est tout, rien de plus. Tu ne peux même pas avoir un chat. Tu te sens écrasée quand l'hiver arrive, tu ne peux même pas t'acheter des bottes. Je veux dire que c'est tellement grave, il n'y a pas de façon de survivre, même pas un repas décent ou de sortir au restaurant, donc ça (la prostitution) a été ma seule façon de survivre quand j'avais 17 ans.» NANCY.

L'évaluation monétaire du travail au noir est difficile, car le taux de rémunération connaît des variations importantes: on parle de 5 à 6 $/l'heure dans les industries du textile, et dans les sondages, tout près de 6 $/heure; pour les boulots de déneigement et de changements d'huile, c'est plus ou moins 25 $ de l'acte. En revanche, pour ce qui est du travail illégal, il est difficile d'évaluer les montants en question; mais on peut parler, d'après les jeunes rencontrés-es, de revenu supérieur aux autres expériences de travail nommées ici.

Donc, dans l'ensemble, le travail au noir est venu combler des moments d'absence de revenu dans l'attente de jobs, ou compléter l'insuffisance des revenus provenant des prestations gouvernementales. Par ailleurs, le travail dit illégal s'est substitué au travail salarié traditionnel dans certains cas.

D'autre part, on a parlé, à une occasion, de pratique de troc chez les jeunes. Ce troc passerait, par exemple, par l'échange d'un service (un toit pour une nuit) pour de la drogue. Ces échanges se font dans le cadre de réseaux d'amis-es et de relations interpersonnelles. En tout cas, il s'agit de réseaux informels, c'est-àdire non organisés. «Je vois plus ça: «Hey! Je te donne mon walkman si tu me donnes un quart...» un échange de trucs. C'est souvent lié à la dope, des fois, des échanges de services. Le troc c'est d'échanger des choses. (...) Ça existe plus dans la rue "un toit pour une suiffe". L'aide au déménagement mutuel, ça se passe encore.» Eva. D'autres formes de débrouille existent, par exemple la quête.

Les conditions de travail

Les conditions de travail ont été, dans la plupart des cas, insatisfaisantes, autant dans les expériences officielles que non déclarées. C'est une histoire qui se répète: on parle des heures de travail insuffisantes, des conditions insalubres et dangereuses (l'expression "c'est l'enfer!" est revenu à plusieurs reprises), de l'impossibilité de prendre des initiatives. «J'ai été travaillé dans une firme de récupération de papier. J'ai été là 3 semaines et dans 3 semaines y a 3 personnes qui se sont faites mal. Une personne, parce qu'on avait pas de casque, a reçu quelque chose sur la tête. Une autre personne s'est coupée le doigt parce qu'on n'avait pas de gant, rien, (c'était) absolument atroce là-bas.» Eva. Bref, ces boulots, avec la rigidité de leur cadre de travail, apportent peu de sens. «J'ai eu un Extra avec l'aide sociale où j'ai travaillé dans un foyer de personnes âgées. Je détestais ce travail et je détestais mon boss, je détestais tout. Tout ce que je recevais c'était 50 $ chaque deux semaines et ils me forçaient à travailler comme une esclave. Il fallait réveiller 50 personnes entre 7h00 et 8h00, les changer, les habiller, les nourrir et après, les remettre dans leurs chaises. Il fallait faire tout ça pour 8h00. Puis après, il y avait la vaisselle à faire jusqu'à l0h00et puis il fallait laver tous les planchers et quand t'avais fini, c'était le dîner et entre temps il fallait tout faire et il n'y avait que 2 personnes qui travaillaient là.» NANCY.

 «Travailler dans une shop qui, en hiver, n'a pas de chauffage, tu gèles comme un câline. Pis c'est dans le fer, qui est encore bien plus frette. T'sais quand tu vois de la neige, de la givre sur le fer, quand tu travailles dans la shop, c'est qu'y fait frette... » RENÉ.

En revanche, il y a quelques expériences heureuses. «J'ai travaillé dans une usine, une job trippante. J'avais 18 ans, j'ai travaillé de llh00 le soir à 7h00 du matin. J'ai tout fait là-bas: le ménage, remplir des boîtes, réparer les machines, les appareils. J'ai tout fait. C'était une usine de boucles, de boucles de Noël.» Nancy. On se souvient, pour certains, du travail bien fait, de cette volonté de "bien faire" les choses à l'intérieur de l'usine; de l'implication au travail auquel il est possible de s'identifier et d'aimer; du bon contact avec les ouvriers qui peuvent être une source d'apprentissage des bases d'un métier. Par ailleurs, le travail dans les groupes communautaires jeunesse permet, d'après ces jeunes, une très forte implication, une grande liberté d'action et un cadre de travail très ouvert, sans oublier une très grande capacité de prendre des initiatives personnelles. «L'autorité (dans un organisme communautaire) c'est plus quelqu'un qui va t'apprendre quelque chose, quelqu'un qui sait plus que toé, pis qui va réussir à t'apprendre. En même temps, tu peux y en faire apprendre.» EVA.

Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet "engouement" pour le travail illégal: l'absence de contrainte inhérente à l'usine ou au travail traditionnel (horaire de travail, discipline, travail peu intéressant), l'autonomie et des sommes d'argent "claires" d'exemptions de toutes sortes. «Quand je vendais... je faisais minimum dans le temps, même si ça allait mal un peu, je faisais rien que 500$ par semaine. Mais 500$ par semaine... tu peux te lever à midi, 1 heure, pis tu réponds à la porte, pis c'est eux autres: «Tiens, voilà un quart... tiens, voilà l'argent.» Pif, hostie! Jeudi, des fois, je ramassais quatre, cinq milles.» JEAN.

En l'absence de filière d'insertion plus évidente au monde du travail, sans oublier le jeu de l'exclusion scolaire, le travail "illégal" propose sa propre rationalité et ses solutions originales. Toutefois, oeuvrer dans ces secteurs apporte beaucoup de risques à tous les points de vue: des tâches dangereuses à accomplir, une instabilité... À des niveaux différents, ces trois jeunes ont quitté leur milieu d'activités pour réintégrer ce qui leur semblait être le territoire de la légalité, lorsque les risques leur semblaient trop élevés. «Des fois, j'allais toute seule, mais mon pimp était toujours proche. Il fallait que je l'appelle après chaque client, et sinon, je me faisais battre. Il fallait faire tant d'argent par nuit, sinon, je

me faisais battre. Je voulais mettre assez d'argent de côté pour déménager. (...) J'ai finalement arrêté à 17 ans parce que je me trouvais à l'hôpital. (...) La peur m'a fait arrêter.»NANCY. «C'était bien moins chiant, c'est sûr t'as pas de boss. La seule affaire qui faut que tu fasses c'est que tu charries des affaires. Ça c'est comme si tu l'fais pas, si le stock va pas où c'est qu'il est supposé s'en aller, c'est toi qui manges la marde... Tu risques de t'faire péter les cannes ou quelque chose dans le genre, là. Manger une bonne volée, t'faire tirer une balle, tu niaises pas, t'as pas intérêt à niaiser.» DENIS.

«J'ai finalement arrêté à 17 ans parce que je me trouvais à l'hôpital La peur m'a fait arrêter.» NANCY.

Les relations de travail avec l'employeur

Il est important de distinguer les différentes expériences de relations de travail entre les jeunes et les employeurs. En premier lieu, il y a les jeunes qui ont expérimenté un travail au sein des O.C.J. dans le cadre d'un P.D.E. ou par implication personnelle. «Les personnes qui travaillaient là, y te posaient pas de questions, t'sais, c'était ben cool. Le monde te prenait comme t'étais, y avaient pas de préjugé.» LUC

En deuxième lieu, et règle générale, les relations de travail avec les employeurs sont difficiles, voire conflictuelles, parce que très hiérarchisées et autoritaires. «Les boss dans le courrier là aussi c'est des crottés! C'est des sales! C'est du monde qui font plein d'argent sur ton dos quand toi tu travailles ben ben fort!» YVES. «Ma 2ième job a été dans une pizzeria, 40 heures par semaine, 5 jours. J'ai détesté mon boss, il avait un problème de comportement, il n'avait littéralement rien à faire, mais il était très sévère. Je veux dire que j'étais tellement malade et on ne pouvait pas aller aux toilettes et il m'a congédiée parce que je ne voulais par travailler un shift de 12 heures, j'ai perdu connaissance et il m'a forcé à travailler encore plus, il ne m'a pas permis de m'en aller chez nous. » NANCY. On parle parfois d'esclavagisme par référence aux travailleursses immigrés-es dans le secteur du textile, en se référant au fait que le "boss" est absent de la production et que, de l'autre côté, il empoche des profits par le travail des autres. À quelques reprises, on a fait l'observation que l'autorité ou la direction, en particulier dans l'usine, était invisible, absente physiquement. L'autorité passe par un intermédiaire: le contremaître, la secrétaire, etc. L'image de l'esclave est reprise aussi pour dire que les jeunes étaient traité-e-s comme "pas grand chose".

D'autres témoignages font référence à l'absence de respect. Un manque de respect conditionné par une division du travail, signifiant la coupure entre la direction et les employés-es, encore renforcée dans le cadre de l'usine. Enfin, certaines expériences font état de la difficulté d'être jeune dans un milieu en majorité formé d'adultes. Les jeunes ont l'impression d'être victimes de multiples images: l'anormalité (en raison du style vestimentaire), le refus du travail, la paresse, l'indiscipline. Sans oublier le double état d'être jeune et instable, état qui suscite la méfiance et l'incompréhension. «L'apparence que t'as, ça compte, mets-en! Tu vas arriver avec ton coat de cuir à shop, ah! "Watch-le lui". Juste un coat de cuir, l'apparence, la première impression. Combien de fois je me fais refuser(...). Je me suis acheter d'autres vêtements, mais t'es obligé de changer ta personnalité pour aller là. Faut que t'arrives pis "oui, Monsieur"». JEAN. «C'est quoi ton problème, je fume pas moé, je fume pas chez nous, pourquoi je fumerais icitte. Ils m'accusaient. Bon, c'est là que j'ai dit "Salut!" Juste à cause de mon habillement. Y ont vu une cigarette roulée, y ont senti, "elle prend du hash". Elle voulait juste me faire du trouble.» EVA.

«La boss, elle me traitait pas mai différemment des autres, je pense parce que j'étais sur l'aide sociale.» NANCY.

L'expérience d'irréductibilité dans les rapports avec les employeurs, en réaction à la discipline et à la hiérarchie est différente d'un-e jeune à l'autre. Ainsi pour ceux qui ont fait cohabiter le travail au noir et illégal avec sa version dite officielle, un leitmotiv s'impose: "ne pas se faire chier". Il s'agit d'une attitude de résistance à l'enrôlement du travail, d'autant plus que l'expérience de la consommation de drogues pendant les heures de travail produisait une exacerbation de ce refus.

De son côté, la politique de la Sécurité du revenu (l'aide sociale) gère des pans entiers de la vie d'un individu (revenu, travail, logement, réseau familial, loisirs) jusqu'à effectuer un contrôle sur les projets de vie des individus. Les rapports entre bénéficiaires et agents-es de l'aide-sociale constituent quelquefois de véritables relations de travail de type hiérarchisé et autoritaire, calquées sur le modèle de l'entreprise capitaliste.

Ainsi pour certains et certaines jeunes, l'aide sociale s'avère être l'équivalent d'un salaire. Dans un cas, le projet de retour aux études se bute littéralement aux politiques étroites du programme Retour aux études. De plus, la stratégie de l'aide sociale est d'empêcher la création de liens entre les agents-es de l'aide sociale et les bénéficiaires par une rotation des responsables de cas pour limiter d'éventuels passe-droits! Ainsi, il devient possible de restreindre les rapports entre l'institution et les gens à la simple administration des choses. «C'est pour ça qu'il y a un roulement au B.S. Si y changent de personnes, d'agents à tous les 6 mois ou à tous les 3 mois, c'est parce qu'ils veulent pas que tu t'entendes bien avec. (...) C'est juste parce que si tu t'entends bien avec une personne du B.S. y peut te passer des bébelles, tu vois, ou si tu veux pas avoir des jobs, des bébelles de même, y va te laisser faire, parce qu'y s'entend bien avec toi.» RENÉ.

Deux pratiques de négociation avec l'aide sociale sont à l'oeuvre chez les jeunes: soit le refus des mesures d'employabilité, pour se concentrer sur le cumul de boulots au noir en plus du chèque mensuel; soit l'utilisation de ces programmes (Stage en milieu de travail, EXTRA, etc.) comme une tentative d'insertion "professionnelle". Programmes qui ne garantissent pas nécessairement un emploi en bout de ligne. Selon un témoignage, certains agents de l'aide sociale considèrent les jeunes comme des "parasites sociaux", des "tas de marde", des "cas désespérés"; un rôle qu'il faut "assumer" pour qui refuse ces programmes.

Les relations de travail avec les pairs

D'un survol général, des évidences apparaissent. En premier lieu, il faut noter la difficile intégration des jeunes dans un milieu de travail majoritairement formé d'adultes plus âgés. «Ça allait super bien mais c'est parce que c'est l'ambiance, tu sais. Moi, quand je mange au dîner pis ça parle, pis ils sont là, pis tu sais: "Hey, Robinson s'est fait mal à une jambe, y est pas chanceux..." Le gars, sa femme, ça fait deux mois qu'est malade pis y se plaint pour Robinson. Ça fait quétaine en câline. Non y'a pas de discussion dans une shop, c'est quétaine. Ça réfléchit pas tu sais...ça me tanne moi.» RENÉ.

Ensuite, malgré une situation objective identique et des intérêts similaires, l'isolement semble plus fort que l'établissement de relations de travail entre jeunes. L'appartenance culturelle bien caractérisée (par exemple, un "rocker") peut être un facteur particulier d'isolement. Un style vestimentaire trop identifiable devient quelquefois un motif d'exclusion dans certains milieux, soit par les pairs, soit par la direction.

Mais il y a quelques exceptions: des liens basés sur l'apprentissage, la formation d'une gang d'amis-es ou des relations souvent bonnes mais qui demeurent dans le cadre unique du travail. Le lien unificateur ne se construit pas tant sur l'implication, impossible du reste lorsque le travail n'exige rien d'autre qu'une attention minimale, que sur le partage d'une finalité commune: le salaire. L'expérience semble prouver que cela ne forme pas de lien fort et durable.

 «Moi? Ben moi, je m'identifie pas au B.S Moi, je m'identifie à qu'est-ce que je fais, à tout ce que je fais.» RENÉ.

Pour d'autres expériences, les rapports sont régis par la compétition, ne laissant que peu de place pour les relations. À certains moments, les liens au travail sont quasi nuls, tellement il n'y a pas d'identification à l'usine et aux ouvriers. Il s'agit dans ces cas d'un refus catégorique de s'ancrer dans cette réalité. Ailleurs, le facteur ethnico-culturel est un frein, qu'on pense aux usines de textile; le mot d'ordre peut se résumer ainsi: "ne pas s'écoeurer mutuellement".

Par contre, des jeunes ont parlé avec satisfaction des relations de travail lors de leurs expériences avec les O.C.J. Le travail mêlait amitié, implication et solidarité. Les conditions de travail mêmes favorisaient l'établissement de relations plus enrichissantes.

Globalement, les relations de travail avec les pairs semblent peu significatives lorsque le travail ne constitue pas un lieu important d'investissement personnel. On peut se risquer à établir une relation entre la nature précaire des expériences de travail des jeunes et l'absence de relation de travail tout court, exceptions faites des relations utilitaires. Ainsi, le travail n'aurait pas opéré de lien ni soudé des vécus communs, propices à une identification, parce que la durée des expériences pour chaque emploi se trouvait trop courte, comme on l'a vu précédemment.

Mais on peut aussi dire que le travail, tel que vécu par les jeunes, ne représente pas de sens particulier pour eux et elles. Ces deux variables durée de l'emploi et absence de sens sont constitutives de l'emploi précaire qui se développe pour la jeune main-d'oeuvre. La seule importance que prend l'emploi tourne autour du revenu qu'il procure. Comme celui-ci n'est pas très élevé, nous l'avons également vu, les jeunes ont adopté un comportement de nomades face au travail, allant d'un lieu à l'autre, sans aucun enracinement.

B) L'école: deux ou trois mots à son sujet

L'histoire scolaire des jeunes se résume, sauf exception, en quelques mots: incompréhension, ruptures, exclusions. La plupart des jeunes rencontrés-es, sauf deux exceptions, ont abandonné l'école sans terminer le secondaire, malgré certaines tentatives de retour. Quatre jeunes ont séjourné en centres d'accueil.

D'une part, l'école ne correspond pas aux aspirations des jeunes interviewéses. L'école servirait à apprendre des choses pour fonctionner dans la société (écrire, lire et calculer) le plus rapidement possible. Sans plus. Elle pousse dehors les jeunes qui s'y intègrent mal selon au moins deux modalités: soit carrément vers la porte de sortie; soit vers les programmes d'enseignement professionnel ou de cheminement particulier. D'une façon comme de l'autre, il s'agit de scénarios piégés puisque la formation reçue, par exemple en cheminement particulier, ne correspond pas souvent au goût des jeunes. Quelquefois, c'est le marché du travail qui ne reconnaît pas cette formation, ou qui ne permet pas aux jeunes de travailler, tant les ouvertures sont restreintes. Pour les jeunes qui ont suivi cette formation, ils et elles ont ensuite connu le travail précaire sous toutes ses formes. C'est une formation bidon, une voie de garage pour ces jeunes. «Mais de toute façon, ma façon de penser était pas pareille à 17,16 ans... Ça fait qu'il me mette là (professionnel court). Parce que moi si j'avais pensé comme aujourd'hui, j'aurais refusé pi j'aurais dit...j' va aller en régulier.» RENÉ.

Parmi les jeunes rencontrés-es, les réactions face à l'école empruntent plusieurs chemins. Certains contestent la finalité de l'école. D'autres ont subi l'école tout en émettant une critique passive de celle-ci. Pour ces jeunes, l'école devrait les mettre sur le chemin de la réussite. Ils et elles entretiennent de l'espoir face à l'école. Il y aurait aussi une tendance à se culpabiliser devant leurs échecs précédents tout en objectant néanmoins que l'école ne les prenait pas au sérieux.

Que reproche-t-on à l'école? L'école est un "enfer total". Il n'y a eu aucun rapport positif avec un adulte significatif, mais plutôt une série de rejets. Le personnel scolaire se renvoie la balle, "un cas désespéré" serait une formule entendue. D'où une résistance passive jusqu'au moment de se faire mettre dehors de l'école définitivement. Certains-es jeunes rencontrés-es développent une approche très volontariste à propos de leur retour à l'école, allant jusqu'au projet de faire des études supérieures.

On ressent de la colère envers l'école car elle n'aide pas les gens qui apprennent à des rythmes différents. L'école, dans un souci d'efficacité, envoie ces jeunes en "classe spéciale" (ou classe "d'ortho"). Plus tard, on les envoie dans le programme "cheminement particulier" de manière à ce qu'ils et elles puissent être sur le marché du travail le plus tôt possible. Des jeunes constatent que l'école prépare les futurs ouvriers, sans souci pour leurs aspirations. Dans l'optique où la société n'a pas besoin d'autant d'administrateurs que de "cheap labour", l'école doit s'occuper d'en former suffisamment. Inutile de dire que les jeunes ne se reconnaissent pas dans le projet de l'école-usine. «L'école c'est fait pour la société, pour diviser la société en parties. Comme la Rive-Sud a été fait pour absorber, par rapport à Montréal, le travail qu'il y a là-bas. L'école, c'est fait pour absorber les pauvres des riches si on veut là.» RENÉ.

 

«Le système y est tu bon? Non ça m'aidait pas ça me décrissait plus que d'autre chose. Parce qu'y jouait comme à la balle avec moi au fond.» DENIS.

 L'école secondaire est généralement considérée comme "plate". «Le CEGEP était cool. C'étaient les meilleurs moments de toute ma vie. J'avais tant d'amises, tout le monde était amical, j'aimais mes cours, je pouvais choisir ce que je voulais faire. J'ai détesté l'école secondaire parce que je ne pouvais pas choisir. J'étais poche en math, en physique, et en chimie, je ne comprenais rien à ça! Mais au CEGEP, comme la socio, je m'intéressais beaucoup à ça. J'ai été forcée de lâcher après un an. J'étais enceinte, j'avais trop de problèmes personnels.» NANCY. Mais en général, l'école ne rejoint aucune motivation, aucun désir des jeunes. Elle ne sait pas se greffer à la réalité des jeunes, depuis leurs centres d'intérêts. Il y a aussi la révolte associée au fait que même si un jeune étudie pendant 15 ans, il n'y a rien qui lui garantit un avenir (travail, salaire, etc.).

«J'ai pas fini mon secondaire II pis j'ai de la misère. Mais le gars qui a fini son université qui a de la misère lui avec, c'est quoi qu'y a?» PAUL.

L'école a un rôle standardisant, mais on peut lui résister par la voie de la "délinquance", celle qui déroge aux normes. Le centre d'accueil, dans cette optique, est un lavage de cerveau encore plus "straight" que l'école: l'apprentissage du "droit chemin" est celui qu'on y fait. Cette notion du "droit chemin", concrétisée par exemple par l'éthique salariale, est une fabrication de nos sociétés comme toute autre valeur. Par contre, dans un cas particulier, le centre d'accueil a constitué un choc quasi culturel. On y a découvert la réalité de d'autres jeunes: pauvreté, drogue, conflits familiaux, etc. Une révélation qui n'a pas été sans provoquer un sentiment de révolte.

L'école c'est enfin l'ennui, la discipline, se lever de bonne heure. Si les amis-es et la liberté sont ailleurs, lâcher l'école constitue une solution. L'école alternative devient une préférence, plus conforme à ce qu'on peut vouloir rechercher: liberté, responsabilités et moins de discipline. Pour l'instant, quelques jeunes ont choisi une filière différente de l'école, les organismes communautaires jeunesse, pour l'apprentissage autant que pour l'insertion dans le marché du travail.

C) Les valeurs liées au travail

La famille et la valeur du travail

L'origine sociale des jeunes diffère: trois proviennent de la petite-bourgeoisie ou classe moyenne, les quatre autres jeunes sont issus-es de ce qu'on pourrait appeler les classes populaires et ouvrières. Mais ce découpage est trop brut, entre autres choses parce que ce milieu ouvrier est loin d'être tel qu'on se le représente. Il s'agit, d'une part, de la classe ouvrière industrielle, parfois syndiquée; et d'autre part, d'un milieu ouvrier plus défavorisé, dont les composantes sont le travail précaire et le travail peu valorisant socialement.

La plupart des jeunes rencontrés-es ont été amenés-es à partir tôt de la famille. Pour aller où? Souvent les jeunes font l'expérience de l'appartement, le plus souvent partagé avec des amis-es. Ainsi, on peut donc parler d'un apprentissage précoce du monde adulte: départ de l'école, de la famille, tentative de travail, de vivre en appartement. Les jeunes veulent prendre en charge leur autonomie, revendiquée ou non, et s'insérer dans le champ des adultes; expression corollaire d'une jeunesse qui ne s'est pas vécue. «J'ai vécu une jeunesse d'adulte. Dans la dope tu vieillis vite pis c'est ça...» DENIS.

Pour ce qui est de la valeur du travail dans la famille, il y a trois types distincts de représentations:

  1. Dans certaines familles, le travail est valorisé à la fois parce que c'est un "gagne-pain" et aussi parce qu'il s'agit d'un investissement de soi où il y a la notion du travail bien fait. Nous pouvons formuler l'hypothèse que le discours familial s'élabore autant dans le "gagner sa vie" que dans le "s'investir, s'identifier au travail, bien faire ce travail". L'éthique du travail serait particulièrement efficace. Il s'agit, dans certains cas, de transmettre le goût du travail bien fait, l'implication dans le travail soigné, le respect du travail de l'autre, que ce soit à l'intérieur de l'usine ou ailleurs. La réussite sociale et l'accumulation des fonctions de "prestige" sont importantes dans ce premier type de représentation.
  2. Pour d'autres, le travail est une réalité incontournable parce qu'il est nécessaire pour "gagner sa vie", sans aucune autre considération (sens de la vie, finalité du travail réalisé, conditions de travail, etc.) Dans cette représentation, le travail c'est l'usine, exclusivement l'usine et son univers. Ici, les pratiques de "débrouille" ou les projets personnels (ou en association avec des O.C.J.) ne sont pas reconnus comme une forme de travail, mais plutôt comme une anomalie, "une magouille" pour citer un jeune.
  3. Enfin, pour certaines familles, le travail n'est valable que pour l'argent qu'il procure. Toutefois, différence notable, on valorise autant la débrouillardise et le fait de ne pas demander de l'aide des parents que le travail lui-même. Ce qui reste conforme avec des "choix de carrières" comme le travail au noir, les petits boulots et l'intermittence avec l'aide sociale ou l'assurance-chômage.

«C'est tu moi qui ai manqué un bout de ma jeunesse ou elle n'a pas duré assez longtemps ou quoi?» JEAN.

Dans ce modèle, on considère le revenu plutôt que le travail, peu importe sa source (salaire, prestations gouvernementales). Il n'y a pas de culture du travail; ce qui est valorisé, c'est de pouvoir se débrouiller le plus tôt possible pour sortir de l'univers familial.

«La vie, ça rien à voir d'aller travailler. Ben le travail pour moi, c'est pour faire marcher la société, c'est le capitalisme (...) pour caser le monde, je ne sais trop où. C'est le fric de toute façon qui mène. Mais ça rien à voir avec la vie. (...) On vit pas, on existe.» RENÉ.

Les valeurs des jeunes face au travail salarié

Pour les jeunes que nous avons rencontrés-es, la crise du travail les prive injustement d'obtenir leur place dans la société. Nous constatons, par contre, une séparation entre les jeunes pour qui le travail salarié n'est pas central et d'autres jeunes, qui considèrent le travail comme important.

Les jeunes réfractaires à l'institution du travail sont à la recherche d'une source d'identité et de reconnaissance sociale par le biais d'une pratique génératrice de sens. Cette pratique, quoiqu'omniprésente, ne se situe pour l'instant qu'à l'extérieur de marché de l'emploi; elle n'a de reconnaissance que celle de l'entourage, soumise aux aléas de la débrouillardise individuelle. «De toute façon aussi, mon père lui, ça fait 35 ans qu'il travaille dans une shop, pis après 35, ans il fait 8 et demie de l'heure pis y a pas de fonds de pension, y'a rien... pis lorsqu'il va finir de travailler dans 2 ans, il aura rien. Fais que je veux pas que ça m'arrive parce que moi j'ai pas d'études pis c'est certain que c'est là que je m'en vais. (...) Fais que c'est pour ça que je fais un paquet de projets d'un bord pis de l'autre.» RENÉ.

Il y aurait donc une vision instrumentale du travail: "seulement pour l'argent" dit-on. Tous les jeunes le disent mais il y a des positionnements différents. À vrai dire, une minorité voit le travail salarié comme uniquement instrumental.

Il s'agit de travailler un laps de temps pour se faire un peu d'argent, soit carrément un coup d'argent pour retourner dans l'espace-temps du non-travail, soit un surplus de fric pour compléter l'aide sociale. Ici les stratégies changent forcément (le travail au noir ou le contrat temporaire) mais le but reste le même: retourner à ce qu'on aime après un voyage dans la Sibérie-travail.

Toutefois, cette vision opérationnelle (on "utilise" le travail) précise surtout que les jeunes veulent investir leur énergie créatrice ailleurs, sur d'autres activités non sanctifiées par le salariat (musique, implication sociale, écriture, etc.) ou dans des activités ludiques (recherche du plaisir, paresse, sorties, etc.) «J'aime ça, ben oui parce que ça demande à penser soi-même, ça demande à...ouais penser soi-même. Parce que quand tu travailles dans une shop, tu penses pas toi-même. C'est parce que ça te touche toi, c'est personnel à toi.» RENÉ. Il n'y a pas absence de projet chez eux. À la limite, faute d'une possible insertion par le travail salarié, ces jeunes ont trouvé ailleurs les réponses à leur besoin de faire ce qu'ils et elles aiment et, du même coup, au besoin essentiel de s'identifier à quelque chose. Il n'y a pas un refus pur. Au contraire, il y aurait une incapacité de l'institution du travail à intégrer ces nouvelles sensibilités.

Donc, pour ces jeunes, l'argent ne constitue pas une fin en soi. Le travail salarié ne peut donc pas les arracher à leur passion. À travers la pratique de cette activité, il devient possible de communiquer, d'exercer sa créativité avec autonomie. L'implication dans un groupe communautaire, on l'a vu, permet de travailler collectivement sans hiérarchie et de mieux traduire l'importance d'être utile "à la communauté".

Ce qui n'évacue pas le goût de "bien faire les choses", goût que quelques jeunes ont hérité de leur apprentissage dans une entreprise. La transmission du partage d'un savoir-faire par le collectif ouvrier n'a pas disparu complètement. Néanmoins, personne n'oublie l'exploitation dans les usines, ni le profit empoché par les propriétaires. «Dans une shop à 6 $ de l'heure tu fais pas d'argent tu te fais exploiter. (...) Pour vivre tu as à faire un minimum de travail. T'as pas besoin de te mettre dans une situation d'exploité. Je ne vois pas une vie sans travail, je vois une vie sans exploitation(...) De savoir que ces gens là prennent des décisions importantes de pouvoir alors que c'est nous qui faisons le travail.» YVES.

Mais le travail est aussi, selon le commentaire d'une jeune, un outil d'esclavage qui sert à manger, donc il acquiert une valeur instrumentale (gagner de l'argent). Ce qui introduit un renversement de perspective entre le domaine du privé et du public: le travail salarié servirait à la vie personnelle (la consommation, les besoins élémentaires, etc.) Par cette vision, l'activité publique serait libre, au service de la communauté. «Quand je travaille à la compagnie de sondage, ce n'est pas du travail, pour moi, c'est dans ma vie personnelle parce que je veux avoir de l'argent (...) pour acheter des cigarettes, du linge (...). Ici (dans un organisme communautaire) le travail ça sert à tout le monde.» EVA. On a donc ici l'idée de la projection dans l'intérêt public, général. L'idéal, pour le moment, consisterait à concilier la raison instrumentale (le salaire) et l'implication sociale dans un tout.

 «Le travail, ça te donne de la confiance en toi et puis c'est pas mal le fun, trippant d'avoir un revenu, t'es pas forcé d'être dépendante sur tout le monde et c'est mieux que de rester à la maison à rien faire, au moins tu te sens un peu utile.» NANCY.

«Moi j'ai fait un choix d'être pauvre; pas le choix nécessairement d'être pauvre dans le sens de se mettre dans une situation de pauvreté par choix, mais j'ai décidé que je ne trippais pas sur l'argent.» YVES.

«Je ne vois pas une vie sans travail, je vois une vie sans exploitation.» YVES.

«Ma vision du travail c'est de rendre service à ta communauté. (...) Le résultat du travail fait devrait  appartenir à tout le monde.» YVES.

Pour d'autres jeunes, l'horizon du travail salarié est indépassable. Le besoin exprimé envers le travail traduit le besoin de s'ancrer dans la vie pour lutter contre ce qui semble être un sentiment de dérive. Le travail peut occuper littéralement le corps et l'esprit face au goût de la fête totale, du flânage perpétuel, disent quelques jeunes. «La dernière fois que j'ai perdu ma job, c'était dur en criss parce que j'étais ben parce que je savais qu'à chaque jour, j'avais de l'ouvrage pis chaque semaine j'va avoir une paye pis on va s'en sortir, tu sais. Là on est sorti de la dope ben criss on est pas sorti des problèmes, certain hostie. On est tout le temps dans merde, tout le temps criss.»JEAN. On semble insister davantage sur l'espérance d'une occupation intensive de son temps, de manière à échapper au temps mort, représenté par la solitude ou par la tentation du "party", que sur la fonction instrumentale (gagner sa vie) du travail. Le travail y est vu comme un puissant facteur de réinsertion sociale, de normalisation pour d'autres.

«Que c'est superficiel, travailler pour consommer, c'est ben superficiel, ben superficiel.» EVA.

 Quel sens amène le travail ici? Une identité sociale autre que celle de "jeune bum", une inscription reconnue dans le jeu de la société, cette même société qui stigmatise ceux qui ne rentrent pas dans les standards (travail, consommation, etc.) Cette aspiration au travail n'est traversée que par la nécessité de "gagner sa vie" et d'être reconnu-e comme tel. On parle bien quelquefois d'un travail intéressant, qui "te motive à tous les matins", quitte à avoir un salaire moindre. «J'aimerais mieux gagner moins mais faire une job que j'aime.» PAUL. «J'haïs pas ça travailler un peu avec mes mains, manuel, pis tu fais tout le temps la même affaire, tu sais, je dis pas je serais pas capable, ben une chaîne, ça passe pis là t'as toujours la même crisse de "boat" à visser. Non, non ça prend de quoi qu'y faut quand même que tu te serves de ta tête un peu. Y faut que ça soit intéressant travailler hostie.» JEAN.

Dans cette optique poussée à l'extrême, le travail sert avant tout à gagner sa vie et à s'occuper: on ne peut pas ne pas travailler! «Oui, pour tout le monde, c'est important (le travail), c'est la vie. C'est l'argent. Tu peux pas vivre sans argent. Tout coûte cher. Faut que tu payes partout.» PAUL. «Travailler, c'est gagner son cash pour vivre. Si tu travailles pas, t'as pas de cash, à part le B.S. Même le B.S., t'es aussi bien de dire que t'as pas d'argent. Ça revient à la même affaire.» DENIS. Ce qui est forcément contradictoire parce que le travail dans ses composantes (horaires, discipline, autorité) est également vu comme un emmerdement. Enfin, dans cette perspective, on croit que s'il y a du travail pour toute personne qui le veut bien, il y a des emplois plutôt moches.

Résumons-nous:

  1. Le salaire n'est pas important pour tout le monde; certains-es découvrent des manières de substituer l'auto-limitation des besoins au travail salarié. Il s'agit de ponctuer l'aide sociale et le chômage par les petits boulots, au noir ou non. D'autres, dans l'attente d'un emploi, se livrent à des activités illicites pour subvenir à leurs besoins.

Certains-es jeunes voient le salaire comme une composante majeure, sans quoi il ne vaut pas la peine de travailler. Travailler signifie ici gagner sa vie et être reconnu-e comme tel par la société et ses instances (institutions, familles, pairs, sens commun). Mais si certains-es comptent sur le travail salarié, d'autres souhaiteraient que leurs activités personnelles, qui apportent un sens à leur vie, soient aussi reconnues. Pour eux et elles, c'est du travail au sens plein du mot.

Tout le monde est d'accord qu'il faut de l'argent pour vivre, d'où les stratégies multiples à l'oeuvre: alternance entre travail officiel, travail au noir, aide sociale et liberté.

  1. Les conditions de travail sont importantes: tous et toutes ont expérimenté le travail où les conditions (lieux physiques, sécurité, horaires) étaient dégueulasses. Quelques jeunes préfèrent un travail moins bien payé mais offrant des conditions supérieures; d'autres préfèrent carrément ne pas travailler car ils et elles sont sûrs-es de ne rien trouver d'intéressant.
  2. Les finalités du travail n'ont pas la même importance pour tous et toutes. Le salaire peut parfois et pour quelque temps prendre une importance plus grande que le travail lui-même. Par contre, des jeunes affirment que savoir ce que l'on fait, à qui sert ce travail, les finalités concrètes, demeurent de la plus grande  importance. D'après leurs expériences, les emplois laissent généralement peu d'initiative, de liberté et d'autonomie aux gens. En fait, il semble que ces dimensions (conditions de travail, revenu et finalité) sont rarement conciliables dans l'état actuel des choses. Il ne faut pas se surprendre que ces jeunes cherchent à l'extérieur du travail salarié des activités plus conformes à leurs goûts et valeurs.

«Faut que tu aies du plaisir dans le travail; que tu sois content de ce que tu fais. C'est important ça.» YVES.

«Pour beaucoup de gens le travail c'est d'avoir de l'argent pis être responsable. Mais ils veulent pas comprendre on dirait que quand tu fais des actions plus open, au local des jeunes, plus militantistes pis t'es pas payée ça peut rapporter ben plus que de l'argent.» EVA.

«Moi, j'veux savoir qu'est-ce ça donne après les sondages, c'est quoi le produit final. On peut jamais avoir ça. C'est des gros bonhommes en haut de la firme qui peuvent voir ça là pis nous autres, on est les p'tits employés-es qui s'tapent les 500 sondages. On a pas d'affaire à voir ça.» EVA.

  1. Le travail donnant un sens à la vie existe toujours. Mais deux tendances viennent influencer cette réalité. La première, c'est la crise de la séparation entre les activités créatrices et le salaire. Devant l'impossibilité de concilier ce qu'on veut faire avec la possibilité d'être payé, on inscrit une coupure (momentanée ou définitive) entre le projet de réalisation de soi et un travail salarié. Nous avons vu plus haut les différentes stratégies adoptées par les jeunes. Il est fascinant d'entendre les jeunes rappeler que les emplois proposés ne correspondent pas à leur recherche de sens, même si une certaine éthique du travail reste valorisée.

Pour l'autre tendance, le travail salarié comme reconnaissance sociale demeure une valeur en soi. Ce qui est en crise ici, c'est la possibilité concrète pour les jeunes de travailler étant donné le manque d'emplois et la dualisation entre l'emploi protégé, mieux payés et le travail précaire, celui que les jeunes exercent. À long terme, une crise de sens surviendra puisque les conditions d'insertion sociale des jeunes seront constamment remises à plus tard. Cette indétermination pourrait comporter beaucoup d'incertitudes; mais ce qu'il y a de sûr, c'est que l'absence d'emploi signifie l'impossibilité de s'inscrire dans la société, autant que l'augmentation de la pauvreté. On touche donc, dans ce cas, à la notion de citoyenneté.

  1. Les deux tendances se reflètent dans la perception et l'occupation du temps libre. D'un côté, ceux et celles, pour qui le travail est incontournable, occupent le temps libre de façon passive, en attente. De l'autre côté, pour ceux et celles qui ont investi ailleurs, dans les activités non rémunérées, il n'y a pas de coupure absolu entre le temps de travail et de non-travail.

Il y aurait dans quelques cas, une volonté de discipliner le temps libre. Pour d'autres, c'est un continuum où alternent les loisirs et l'implication, néanmoins structuré de manière analogue à un emploi.

Mais pour tous les jeunes, l'importance de se trouver une voie, un projet, dans le travail est capital. L'investissement personnel paraît primordial, d'où l'idée d'un enracinement semblable à un processus identitaire qui se retrouve dans les deux tendances.

Le non-travail comme virtualité

On a voulu savoir si le fait de ne pas travailler pouvait exister en tant que style de vie. Question qui se voulait volontairement ambiguë pour observer la manière dont les jeunes se l'accaparaient. En effet, comment projeter le nontravail, espace social encore périphérique aujourd'hui, vers une situation où il est dominant, pour ne pas dire central, dans la société. Mais, de manière moins radicale, il s'agissait de savoir si le non-travail peut être envisageable de façon durable dans le cadre actuel de la société.

Une différence sépare les jeunes rencontrés-es en deux groupes: un noyau quasi-irréductible pour qui le travail est omniprésent, tant dans la conception du temps que par l'absence ou presque d'une vision du non-travail. «C'est indispensable, si tu travailles pas, t'as pas d'argent. (...) Tant qu'à rien faire , aussi ben d'aller travailler.» DENIS; et un noyau pour qui le non-travail est possible, sinon déjà une réalité. «Ma définition de travailler, c'est n'importe quoi, hein! T'es pas obligé d'être dans une usine pour travailler là! Tu peux être chez vous en train de planter des fleurs ou élever la maison, comme je te dis c'est travailler pareil.(...) Moi, je le sais que j'ai pas les moyens, tu sais, mais je les fais pareil, (écrire des scénarios) juste pour me valoriser, si on veut, ou faire quelque chose en tout cas.» RENÉ.

Pour le premier noyau, il semble y avoir une difficulté à investir le temps autrement que par le travail. Il n'y a pas de projet autonome hors de l'espace du travail salarié qui dépasse la logique du loisir occupationnel. Dans le cas d'une attente trop prolongée pour ces jeunes, il faut "tuer" le temps parce qu'il ne faut pas être laissé à soi-même. Le travail salarié structure donc l'ensemble de la vie quotidienne.

Ce qui n'empêche pas le réalisme d'être de mise pour ceux et celles qui parlent du non-travail. Il faut gagner sa vie disent ces jeunes, ce qui signifie qu'ils et elles doivent trouver des stratégies d'alternance entre le travail contractuel et des périodes de chômage.

«Ma définition de travailler, c'est n'importe quoi, hein! T'es pas obligé d'être dans une usine pour travailler là! Tu peux être chez vous en train de planter des fleurs ou élever la maison, comme je te dis c'est  travailler pareil. RENÉ.

«Pour moi, quand je vais au B.S., je m'abstiens pas de dire que je travaille parce que n'importe quoi c'est travailler...tu sais le travail peut ne pas être rémunéré.» RENÉ.

Exceptionnellement, l'idée d'une société basée sur d'autres principes (pas d'argent, un travail nécessaire à la société à temps partiel, une libre occupation du temps) est sortie du lot. L'auteur n'en réaffirme pas moins que c'est impossible, tant les gens sont trop habitués au règne de l'argent, à l'idée de "gagner sa vie". Quelques jeunes se sont rebellés-es contre cette expression en disant qu'une vie se vit, elle ne se gagne pas.

Le non-travail existe déjà sous une forme individuelle autant que par le biais d'un groupe. Le troc est un moyen de subsistance alternatif au travail salarié, par obligation ou par choix. Ses conditions d'existence peuvent être liées à l'impossibilité de recevoir le chèque de l'aide sociale ou comme complément à cette aide. Quelques jeunes renoncent à l'aide sociale, étant donnée son accès difficile avec la loi 37. «J'avais 19 ans pis ça c'était la nouvelle réforme qui est arrivée là, pis là je voulais du B.S. (...) Pis là, à un moment donné, y disent non, le grand boss y veut pas te donner ton B.S. Ça faisait 2 ans que j'habitais plus chez mes parents, mais pour eux-autres, y commençaient à compter à 18 ans. Ça faisait donc un an, disons, que j'habitais plus chez mes parents. C'était supposément mes parents qui étaient obligés de payer. Y veulent encore plus séparer le monde. Ah! J'ai laissé faire.» EVA.

«Tout est important si le monde semble le reconnaître... Y a certaines choses qui sont reconnues dans la société. Si le moindrement tu fais à côté, tu n'as aucune reconnaissance. T'es un parasite.» YVES.

 Deux jeunes vivent sans le travail salarié ou à sa périphérie. La majeure partie de leur temps est occupée par la pratique de plusieurs activités porteuses de sens, faisant appel à leur créativité, développant leurs qualités ainsi que leurs ressources... assez insoupçonnées, dirions-nous. De temps à autre, ces jeunes iront au travail pour compléter leur revenu; ou carrément, choisiront le travail au noir, mieux adapté à leur trajectoire pour le moins fluide. Rappelons que le travail au noir n'est souvent que l'envers du secteur officiel. Une chose certaine, c'est l'obligation de recourir au travail salarié à quelques occasions. Mais une donnée nouvelle peut changer le portrait: la loi 37, encore, qui oblige les individus à se déclarer aptes et disponibles à un programme d'employabilité au risque de se faire couper leurs prestations mensuelles de façon significative.

Une dernière observation: l'ensemble du non-travail se vit de manières multiples mais le vécu à l'intérieur d'une activité principale s'avère semblable. Pour ceux et celles qui ont choisi de s'investir dans une activité, l'effort, la discipline, la régularité, la pratique d'un horaire, amènent l'idée que le vécu est similaire à celui du travail salarié. De plus, il y aurait sensiblement la même éthique (travail bien fait, importance de la finalité concrète, c'est-à-dire du produit) et le même processus d'identification, sans toutefois la gratification supplémentaire du salaire, ultime reconnaissance pour ce qu'il procure au plan matériel, mais surtout par le fait qu'il sanctifie socialement une forme d'insertion des jeunes dans la société.

Attention! Zone Sinistrée!

 L'objet de la recherche consiste à explorer les pratiques et les valeurs des jeunes face au travail par le biais d'entrevues en profondeur. Afin de mieux comprendre ces pratiques et ces valeurs, nous avons tenté, en introduction, de situer le contexte global actuel.

Ainsi, nous avons parlé d'une mutation du travail dont les deux aspects retenus sont la contraction du marché de l'emploi et la remise en question du travail comme valeur fondamentale. Les impacts de cette mutation sont la dualisation du marché de l'emploi et le passage d'une politique de protection sociale d'assistance aux gens exclus du travail à des politiques d'incitation au travail. Par extension, la dualisation de la société, marquée par une fracture sociale entre un secteur prospère et l'autre en constant appauvrissement, se concrétise.

Il nous a semblé important de dégager la notion de non-travail, à l'instar de nombre d'analyses, pour saisir l'espace où s'articulent les pratiques et les valeurs face à cette mutation du travail.

Enfin, nous avons tenté de démontrer les corrélations entre la situation des jeunes qui ont participé à la recherche et la jeunesse comme groupe social par rapport à l'emploi. Ce faisant, nous avons précisé les précautions à prendre avec la notion de jeunesse.

Avant de passer à une conclusion plus générale, voyons de manière schématique l'analyse des entrevues par thèmes.

Les expériences de travail

Les expériences de travail des jeunes rencontrés-es en entrevue font écho aux statistiques colligées dans l'introduction. Les jeunes ont fait l'expérience du travail précaire tel que défini précédemment: la durée de l'emploi, les conditions de travail, le revenu, l'absence d'une convention collective, etc. Les pratiques des jeunes dans ce marché du travail précaire peuvent se résumer ainsi:

  1. Soit le passage d'un travail à une période d'inactivité sur des programmes de sécurité du revenu (l'assurance-chômage et l'aide sociale) pour revenir plus tard sur le marché du travail, donc une succession;
  2. Soit la combinaison d'un travail salarié et d'une prestation, la plupart du temps, de l'aide sociale. Le travail au noir est souvent utilisé dans ce cas précis.

Les relations de travail

Les relations avec les collègues des milieux de travail ne sont presque jamais significatives, alors que les relations avec les employeurs sont difficiles et même conflictuelles. De sorte qu'on peut parler, dans la plupart des cas, d'une absence d'identification à ces lieux du travail précaire. Certaines représentations sociales des jeunes semblent influencer ces relations de travail. Il y aurait, selon les jeunes, une double détermination sociale dans le fait d'être jeune en soi et d'affirmer un style vestimentaire bien précis. Le fait d'être sur l'aide sociale tout en poursuivant des projets plus personnels, semble douteux aux yeux de la société. De plus, les jeunes ont rapporté à maintes reprises que souvent les gens leur accolent cette image désolante d'une «jeunesse paresseuse». Ces jeunes se butent donc aux normes de la société, que ce soit au travail, devant les agents-es de l'aide sociale ou face à la famille.

L'école

A l'exception d'une fille et d'un gars, les jeunes que nous avons rencontrés-e-s n'ont pas terminé leur secondaire V. Il s'agit globalement d'un court passage dans l'institution scolaire. S'il peut être vrai de dire qu'un secondaire V garantit un meilleur emploi (des statistiques indiquent néanmoins que le taux de chômage est de 14, 3 % pour les 15-24 ans ayant un diplôme post-secondaire complété, 11 % pour les 25 ans et plus, donc au-dessus du taux de chômage global)26, encore faut-il réussir à traverser l'étape que constitue l'école. Les opinions exprimées apportent une critique de l'école autant qu'une désillusion à son égard.

Les valeurs

Les différentes classes sociales auxquelles les jeunes appartiennent (les classes moyennes et la classe ouvrière) projettent des conceptions différentes de l'institution du travail. Pour les familles des classes moyennes, le travail est important pour le salaire et pour ce qu'il représente comme statut, comme investissement individuel et comme critère de réussite.

Pour les familles de la classe ouvrière, il y a deux conceptions: la version industrielle de la classe ouvrière et, d'autre part, la version éclatée dont le lieu n'est plus l'usine mais plutôt les secteurs des services du travail domestique. Dans le premier cas, le travail est incontournable parce qu'il permet de «gagner sa vie» sans autre considération. Dans le deuxième cas, le travail n'est qu'une des activités qui procurent de l'argent à côté de n'importe quelles autres activités de débrouillardise.

Les valeurs face à l'institution du travail exprimées par les jeunes sont attribuables en partie à l'héritage familial et en partie à leur propre expérience sur le marché de l'emploi précaire. Pour sa part, le discours social dominant qui porte sur le travail semble très efficace. Chaque jeune en entrevue s'est positionné face à ce discours dans des attitudes de rébellion, de passivité, ou les deux à la fois.

La remise en cause de l'institution du travail salarié est réelle: cela vise le travail en soi (sa perte de sens) et les conditions dans lesquelles il se réalise (la précarité, les bas salaires, les tâches dégradantes...) D'un côté, le monde du travail n'offre pas de sens autre que le salaire parce qu'il ne reconnaît pas les activités autonomes que les jeunes réalisent. De l'autre, il n'offre pas de place durable à ces jeunes, ni de forme d'apprentissage: il n'y a pas ou peu d'insertion solide dans le monde du travail.

Paradoxalement, pour quelques jeunes, le travail reste important parce qu'il apporte un salaire, un sens à la vie et une identité sociale. Le sens que l'on donne au travail diffère en fait selon ce que l'on trouve ou non ailleurs. Cette quête de Tailleurs n'est pas innocente puisque l'occupation du temps libre est également vécu de manières très différentes. D'une part, il y a l'attente d'un travail, attente qui peut être insupportable, et, d'autre part, il y a l'occupation du temps de façon autonome et créative. Ces manières de vivre l'espace du non-travail correspondent aux conceptions des jeunes: d'un côté, le non-travail ne peut pas exister; de l'autre, le non-travail est possible et même déjà en voie d'être réalisé.

Dégager des significations

Nous tenterons de répondre à deux questions: quelles significations faut-il nent à repenser notre rôle avec les jeunes ainsi que notre manière de concevoir les politiques sociales et la question du travail.

Premièrement, la situation des jeunes que nous avons interrogés-es ressemble à la situation globale de la jeunesse sur le marché de l'emploi: exclusion de l'emploi type (c'est-à-dire l'emploi stable), sur-représentation dans les emplois précaires; et recours massif à l'aide sociale et à l'assurance chômage. En risquant d'établir un parallèle entre le travail et l'école (avec un taux de décrochage à Montréal de près de 40%), nous sommes en présence de deux institutions qui, ayant pour but de socialiser et d'intégrer les jeunes, fonctionnent par exclusion. Nous parlons donc d'un groupe social spécifique qui est mis hors-jeu.

Deuxièmement, les pratiques des ces jeunes (succession de périodes de travail, de chômage et d'aide sociale, travail au noir, etc.) sont partagées par d'autres sujets sociaux. Une comparaison, à titre d'exemple, avec les femmes tentant un retour sur le marché du travail et celles qui sont à la recherche d'un premier emploi,27 démontre que ces pratiques sont en développement au fur et à mesure que le marché de l'emploi se transforme. Pensons ici à la prolifération des emplois précaires et à l'augmentation de la durée du chômage. Pour sa part, Alain Bihr 28 parle de l'éclatement de la classe ouvrière française au profit d'une multitude de figures ouvrières se réalisant dans le travail au noir, les petits boulots, etc.

Dans ce contexte, la présence du non-travail, qui se propage à côté de la sphère du travail, doit être pris en compte. La recherche avec les jeunes démontre en plus qu'il y a des expériences actives et autonomes du non-travail. Nous ne pouvons passer sous silence que ces pratiques s'exercent dans des conditions difficiles, précaires et dans la pauvreté. Ces expériences de débrouillardise et d'activités autonomes brisent quelques clichés au sujet des gens exclus du travail, notamment la représentation du désoeuvrement ou de la paresse chez les jeunes. Le désoeuvrement, comme nous l'avons vu, est une réalité indéniable sauf qu'il ne touche pas tous les jeunes de la même façon. D'après les entrevues, pour quelques jeunes, le désoeuvrement provient d'une impossible reconnaissance de leurs activités par la société, tandis que pour d'autres c'est l'absence d'un travail tout court qui l'engendre.

En somme, il importe de ne pas s'empêcher de voir ce phénomène: les transformations du système économique produisent une exclusion qui provoque En somme, il importe de ne pas s'empêcher de voir ce phénomène: les transformations du système économique produisent une exclusion qui provoque sa part de désarroi et de désoeuvrement, sans oublier un appauvrissement. En revanche, il y a l'effet caché: la présence de jeunes actifs et actives dans l'espace social du non-travail qui tentent de se débrouiller de manière informelle et qui conçoivent avec perspicacité leur situation.

Pistes d'action en vue!

Face aux mutations de l'économie et du travail, la revendication du plein emploi prend-elle encore son sens? Pour plusieurs, le projet du plein emploi fait l'objet d'une investigation dont les axes sont la réduction du temps de travail et la redéfinition de la fiscalité29. En attendant l'application politique peu probable d'un tel projet, il se profile une société où le travail est le fait d'une minorité, dans les secteurs industriels importants où l'investissement technologique est supérieur au travail humain, dans le secteur de la gestion et dans celui de l'information. Parallèlement, il se développe des emplois précaires dans les secteurs des services où des industries du secteur «mou» (par exemple le textile, les chaussures et certains services). André Gorz a été un des premiers à parler de la société duale. Pour sa part, Paul Grell extrapole, à partir de ces transformations, le développement de ce qu'il appelle "la banlieue du travail", c'est-à-dire un espace hors salariat, le non travail.30

Ces auteurs remettent en cause les possibilités d'un plein emploi en raison des directions que prennent les mutations de l'économie capitaliste. Si l'un (Gorz) parle d'un temps libre à développer par un partage du travail ou une réduction du temps de travail, l'autre (Grell) parle d'une réforme des politiques sociales en vue d'obtenir une véritable politique de revenu pour tout le monde, une forme de revenu minimum garanti. Une politique fiscale, redistributrice de la richesse collective (revendication reprise souvent par plusieurs groupes comme les syndicats et les organismes communautaires) devient un enjeu majeur dans cette optique.31

Pour leur part, les gouvernements canadien et québécois, bien en deçà des débats ci-haut mentionnés, ne parlent plus de stratégie de création d'emplois mais plutôt de programmes visant à rehausser le niveau d'employabilité des populations dites à risques (pensons aux jeunes) ou bien à recycler la main-d'oeuvre sur le chômage. L'inflexion néo-libérale aidant, ils délèguent aux organismes communautaires le soin de gérer eux-mêmes les programmes d'employabilité. Pensons aux exemples récents des Corporations intermédiaire de travail (C.I.T.) au niveau québécois et du Service jeunesse Canada, ainsi qu'à l'ensemble des programmes québécois qui n'ont pas fait la preuve de leur efficacité.32

Les organismes communautaires jeunesse sont ainsi considérés comme de véritables gestionnaires de l'employabilité des jeunes. Pour les organismes voulant agir dans le domaine de l'emploi, ces programmes leur sont accessibles et certains leur procurent même du financement. En étant à ce point captif des programmes d'employabilité issus de la loi 37 (loi de l'aide sociale), jusqu'à quel point les groupes communautaires ne perdent-ils pas la capacité d'agir de façon critique avec les jeunes dans le champ du travail et du non-travail?

Toutefois, refuser ces programmes n'amène pas pour autant les réponses aux questions suivantes: comment travailler l'appropriation individuelle et collective d'une réalité aussi complexe que le travail et le non-travail avec les jeunes? Comment leur permettre une prise de pouvoir sur leur vie? En premier lieu, reconnaître leur espace de non-travail est déjà un pas important. Mais, permettre et soutenir leurs initiatives, leur débrouillardise, leurs choix en quelque sorte, s'avère aussi incontournable. Forcer le débat public sur le non-travail comme une réalité des jeunes l'est tout autant. Ce travail trouve son corollaire, à notre avis, dans la revendication d'une politique de sécurité du revenu et d'assistance qui assure aux prestataires un plus grand respect de leur vie privée et une plus juste redistribution de la richesse collective.

En second lieu, les organismes communautaires jeunesse doivent entamer une réflexion sur le rôle qu'ils entendent jouer lorsqu'il est question concrètement de mise sur pied de lieux de travail pour jeunes. Avec la naissance des notion de développement local et développement communautaire, le mouvement communautaire est vu, en période de désengagement de l'État, comme un partenaire possible au sein d'une concertation mobilisée (les Corporations de développement communautaires, CDEC) pour revitaliser les quartiers urbains ou les régions les plus touchés par les transformations économiques. L'expérience urbaine du développement local à Montréal n'est pour l'instant guère concluante en ce qui concerne l'impact des organismes communautaires et des CDEC sur le développement économique.33 Cette réflexion doit nous conduire à entrevoir d'autres manières d'expérimenter l'insertion au travail avec des composantes telles que la formation et l'apprentissage dans des perspectives que les groupes définissent eux-mêmes avec les jeunes.

Avec leur culture propre (espaces de socialisation et de vie démocratique), les organismes communautaires jeunesse doivent poursuivre leurs actions avec les jeunes sur la question du travail. Ces actions sous-entendent de rassembler les jeunes, de défendre leurs droits, de travailler le processus de mise en commun de leurs expériences, de permettre leur prise de parole sur la place publique. En ce sens, les groupes communautaires jeunesse ont été jusqu'ici une forme de rempart contre l'exclusion des jeunes. C'est, à notre avis, leur action la plus importante.

Composition chimique

 Articles

Alain Bihr, «le prolétariat dans tous ses éclats», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique, mai 1993.

André Gorz, «Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique, mai 1993.

Bernard Cassen, «Imperative transition vers une société de temps libéré», Le Monde diplomatique, novembre 1994.

Christine Lefebvre, «Les jeunes et les mutations du marché du travail», Perception. C.C.D.S., vol. 17, no. 1,1993.

Claude Julien, «Ces "élites" qui régnent sur des masses de chômeurs», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique, mai 1993.

Guy Paiement, «Sans travail, peut-on vivre?», Relations, no.590, mai 93.

Ignacio Ramonet, «Mondialisation et ségrégations», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique, mai 1993.

Le Devoir. 13-8-93, p. A-2.

Madeleine Gauthier, «Diversité des rythmes d'entrée des jeunes sur le marché du travail», L'Action Nationale, vol. LXXX, no 4, avril 1990.

Monique Provost, «L'employabilité et la gestion de l'exclusion du travail», Nouvelles pratiques sociales, vol. 2, no. 2, 1989.

Paul Grell, «La banlieue du travail salarié: enjeu de la politique salariale?», Nouvelles pratiques sociale, vol. 2, no.2, 1989.

Pierre Desbiens, «Quand Eve filait et Adam bêchait, où était le gentilhomme?» dans Hérésie, vol. 1, no, 1, automne 1986.

Richard Morin et Michel Parazelli, «Développement local communautaire», Territoires, Paris, no 349, juin 1994.

Monographies et études

André Gorz, Métamorphoses du travail. Galilée, Paris, 1989.

Conseil permanent de la jeunesse, Dites à tout le monde qu'on existe. Avis sur la pauvreté des jeunes, document de travail préliminaire, Avril 1993.

Denis Clerc, Alain Lipietz, Joël satre-Buisson, La crise. Éditions Syros, Alternatives économiques, Paris, 1983.

Madeleine Gauthier, L'insertion de la jeunesse québécoise en emploi. Institut québécois de la recherche sur la culture, août 1990.

Marc Lesage, Les vagabonds du rêve. Éd. Boréal Express, 1986

Olivier Galland, Sociologie de la jeunesse. L'entrée dans la vie. Armand Colin, Sociologie, Paris, 1991.

Paul Grell, Études du chômage et de ses conséquences: les catégories sociales touchées par le non-travail. Histoires de vie et modes de débrouillardise. Montréal, groupe d'analyse des politiques sociales, Université de Montréal, 1985.

Perspective sectorielles du marché du travail au Québec et dans ses régions 1991. 199? et 1995. Les Publications du Québec, Direction de la recherche, Ministère de la main-d'oeuvre, de la sécurité du revenu et de la formation professionnelle, Québec, 1992.

Richard Morin, Anne Latendresse et Michel Parazelli, Les corporations de développement économique communautaire en milieu urbain: l'expérience montréalaise. Montréal, Etudes, matériaux urbains et documents 5, Département d'études urbaines et touristiques, UQAM, 1994, 241 pages.

Dictionnaire

Raymond Boudon et François Bourricaud, Dictionnaire critique de la sociologie. Presse Universitaire de France, Paris, 1992.

NOTES

1 Avant 1989, au lieu de la Loi sur la sécurité du revenu (loi 37), il y avait la Loi sur l'aide sociale (depuis 1969). Le but de la Loi sur l'aide sociale était de reconnaître à tous ceux et à toutes celles qui n'avaient aucune ressource le droit d'avoir un revenu. Alors que cette loi amenait une différence dans les montants mensuels destinés aux jeunes adultes (18-30 ans) et les adultes, la présente loi sur la Sécurité du revenu divise en deux catégories d'aide financière les bénéficiaires, sans tenir compte de l'âge: apte (provenant de Action Positive pour le Travail et l'Emploi) et inapte, recevant le programme Soutien financier. Les bénéficiaires de cette catégorie sont les gens qui ne sont pas en mesure de travailler. Pour les bénéficiaires de la première catégorie, la loi instaure différentes sous-catégories pour départager les gens qui veulent participer à des mesures d'employabilité (programme EXTRA, PAIE, Stage en milieu de travail, etc.) et les autres qui ne veulent pas: disponible/non disponible, participant/non participant. La non-participation entraîne une diminution du montant mensuel alors que la participation le bonifie. Toutes ces mesures (inefficaces) sont dénoncées depuis cinq ans avec d'autres dispositions entraînant une coupure dans le montant mensuel, pensons ici aux clauses de partage de loyer, de contribution financière des parents, enfant(s) à charge, etc. Enfin, la loi s'accompagne de mesures de contrôle des bénéficiaires pour débusquer les fraudes éventuelles... Il faudrait un livre au complet pour analyser les conséquences de la loi 37!

2 Denis Clerc, Alain Lipietz, Joël Satre-Buisson, La crise. Éditions Syms, Alternatives économiques, Paris, 1983, page 20.

3 André Gorz, «Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique. mai 1993, page 48.

4 Claude Julien, «Ces "élites" qui régnent sur des masses de chômeurs», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique. mai 1993, page 39.

5 complémentaires,éparpillés à travers la planète et qui s'articulent les unes aux autres (...) une entreprise française peut emprunter en Suisse, installer ses centres de recherche en Allemagne, acheter ses machines en Corée du Sud, baser ses usines en Chine, élaborer sa campagne de marketing et publicité en Italie, vendre aux États-Unis et avoir des sociétés de capitaux mixtes en Pologne, au Maroc et au Mexique.» Ignacio Ramonet, «Mondialisation et ségrégations», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique, mai 1993, page 6.

6 Christine Lefebvre, «Les jeunes et les mutations du marché du travail», Perception. C.CD.S., vol. 17, no. 1,1993, page 15.

7 Madeleine Gauthier, «Diversité des rythmes d'entrées des jeunes sur le marché du travail», L'Action Nationale, vol. LXXX, no. 4 avril, 1990, page 483.

8 Perspective sectorielles du marché du travail au Québec et dans ses régions 1991. 1992 et 1995. Les Publications du Québec, Direction de la recherche, Ministère de la main-d'oeuvre, de la sécurité du revenu et de la formation professionnelle, Québec, 1992, page 27 et 28.

9 André Gorz, «Pourquoi la société salariale a besoin de nouveaux valets», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique. mai 1993, page 50.

10 Perspectives sectorielles...opus cit., page 27.

11 Le Devoir. 13-8-93, p. A-2.

12 Monique Provost, «L'employabilité et la gestion de l'exclusion du travail», Nouvelles pratiques sociales, vol. 2, no. 2,1989, page 73.

13 Pour sa part, Pierre Desbiens parle du paysan sans terre du Moyen-Age comme d'une personne déclassée c'est-à-dire «privé-e de ses instruments de travail et de sa condition» comme d'un-e «exclu-e du féodalisme et qui ne trouve pas encore une place parce que le salariat n'est pas encore une institution». D'où un ensemble de moyens instaurés par les pouvoirs pour contenir ces groupes: des législations permettant soit de fixer le vagabondage (par exemple interdir l'accès aux villes), soit de contraindre au travail les vagabonds; le renfermement en institutions des mendiants, malades, vagabonds ou fous.

«Au Moyen-Âge, les classes pauvres prennent l'allure de classes dangereuses à l'intérieur desquelles les marginaux et marginales sont, aux XIVe siècle et XVe siècles, généralement des jeunes, sans qualification professionnelle, ni attache familiale; déraciné-e-s, ils et elles mènent une vie errante, travaillant quand ils et elles le peuvent, c'est-à-dire pas très souvent, volant fréquemment, tuant si nécessaire, car la violence explicitée est une des caractéristiques de l'époque et tuer est un geste presque banal.»

Pierre Desbiens, «Quand Eve filait et Adam bêchait, où était le gentilhomme?» dans Hérésie, vol. l,no, 1, automne 1986, page 39.

14 Paul Grell, Etudes du chômage et de ses conséquences: les catégories sociales touchées par le non-travail. Histoires de vie et modes de débrouillardise. Montréal, groupe d'analyse des politiques sociales, Université de Montréal, 1985.

15 Paul Grell, Étude du chômage.... opus cit., p.42.

16 Paul Grell, Étude du chômage.... opus cit., p.46.

17 Paul Grell, Études du chômage.... opus cit., page 47.

18 Marc Lesage, Les vagabonds du rêve. Éd. Boréal Express, 1986

19 Paul Grell, Étude du chômage.... op. cit. page 3.

20 Conseil permanent de la jeunesse, Dites à tout le monde qu'on existe. Avis sur la pauvreté des jeunes, document de travail préliminaire, Avril 1993.

21 Voir Olivier Galland, Sociologie de la jeunesse. L'entrée dans la vie. Armand Colin, Sociologie, Paris, 1991.

22 Voir Madeleine Gauthier; L'insertion de la jeunesse québécoise en emploi. Institut québécois de la recherche sur la culture, août 1990.

23 Paul Grell, Étude du chômage.... op. cit. page 7.

24 Boudon et Bourricaud donnent quelques éléments intéressants sur le concept de valeur: «(Il) n'est pas objectif au sens où peut l'être un énoncé logico-expérimental. Il est vrai que les valeurs ne se réduisent pas à des préférences individuelles puisqu'elles procèdent de discussions, de conflits, ou de compromis entre une variété d'opinions et de points de vue, et qu'elles «engagent» ceux qui y adhèrent. Mais il ne faut pas en conclure que les valeurs sont des principes évidents, explicites et univoques, à partir desquels on pourrait «déduire» des arrangements normatifs particuliers. En outre, parce qu'elles se forment dans un environnement «pluridimentionnel», elles se donnent toujours en composition.» dans Raymond Boudon et François Bourricaud. Dictionnaire critique de la sociologie. Presse Universitaire de France, Paris, 1092, page 602.

25 Gauthier, Madeleine, «Diversité des rythmes d'entrée des jeunes sur le marché du travail», L'Action Nationale, vol. LXXX, no 4, avril 1990, p.483.

26 Conseil permanent de la jeunesse, Dites à tout le monde qu'on existe. Avis sur la pauvreté des jeunes. 1993, page 73.

27 Paul Grell, Études du chômage et de ses conséquences: les catégories sociales touchées par le non-travail. Histoires de vie et modes de débrouillardise. Montréal, groupe d'analyse des politiques sociales, Université de Montréal, 1985.

28 Voir Alain Bihr, «Le prolétariat dans tous ses éclats», Les frontières de l'économie globale, Manière de voir no 18, Le Monde diplomatique, mai 1993, page 45-46.

29 Guy Paiement, «Sans travail, peut-on vivre?», Relations. no590, mai 93, page 104 et Bernard Cassen, «Imperative transition vers une société de temps libéré», le Monde diplomatique, novembre 1994, page 24-25.

30 Entre autres, Métamorphoses du travail. Galilée, Paris, 1989.

31 Paul Grell, «La banlieue du travail salarié: enjeu de la politique salariale?», Nouvelles pratiques sociale, vol. 2, no.2,1989, pages 97-106.

32 Paul Grell, «La banlieue du travail salarié: enjeu de la politique salariale?», Nouvelles pratiques sociale, vol. 2, no.2,1989, pages 97-106; et Guy Paiement, «Sans travail, peut-on vivre?», Relations, no.590, mai 93, page 104.

33 Les CI.T. sont des organismes qui louent les services ou vendent les produits de gens rémunérés par le programme PAIE (programme d'aide à l'intégration à l'emploi) du ministère de la Main-d'Oeuvre et de la Sécurité du revenu d'une durée de six ou neuf mois. Les secteurs d'intervention des CI.T. sont le maintien à domicile (objectifs 8 000 postes) des personnes âgées ou des personnes handicapées et différents autres secteurs de services. Certaines CIT. louent les services à des entreprises qui, elles, n'ont pas à débourser d'avantages sociaux. Notons qu'il s'agit de postes payés et non d'emploi, puisqu'après six mois (neuf mois dans les secteurs du maintien à domicile) les corporations doivent trouver d'autres prestataires disponibles.

Service Jeunesse Canada est un nouveau programme qui offre aux jeunes de 18 à 25 ans un projet d'une durée de six à neuf mois dans le domaine des travaux socialement utile leur assurant un montant de 10 000$. Un montant de près de 2000$ est donné en prime à la fin du projet si les jeunes se sont soit trouvé un emploi, soit retournés à l'école ou soit mis sur pied une entreprise. Il n'y a pas d'éligibilité à l'assurance-chômage au terme du programme.

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