Mémoire à la commission parlementaire de
la justice loi sur le recours collectif
MARS 1978
Le mouvement ACEF:
Le mouvement ACEF existe depuis 1963. Son travail consiste
à lutter contre l'endettement chronique des
travailleurs. Dans ce travail, nous sommes appelés
à aider le travailleur qui s'adresse à nous pour
faire valoir ses droits à toutes les fois que son
intérêt l'indique. Au cours des années, au
dernier compte, nous avons aidé les travailleurs à
récupérer plusieurs millions en dettes,
intérêts ou charges illégales, abusives ou qui
les empêchaient simplement de survivre avec leur maigre
revenu.
Inutile de dire que nous avons presque toujours été
confrontés avec des pratiques
généralisées. Que ce soit le colportage de machines
à lait inutiles ou les ventes à tempérament
illégales d'une chaîne de magasins de meubles, ou
encore la vente de terrains sans valeur à flanc de coteau ou
au fond d'un marais, etc, toujours, des spéculateurs habiles
mais aussi des marchands reconnus, et même des banques, se
sont prêtés à des pratiques commerciales et
financières abusives, illégales, voire même
frauduleuses sur le dos de nombreux travailleurs, parfois des
dizaines de milliers, pour leur arracher leur déjà maigre
pouvoir d'achat.
D'autre part, certains, dont nos adversaires habituels, voient
la "lutte des classes" dans le "class Action". Il est certain que,
partout où des droits sont reconnus par les lois, il faut que
le citoyen ait les recours nécessaires pour les faire
appliquer. Mais les principaux droits démocratiques ne sont
reconnus que d'une façon très fragmentaire: droit au
travail productif, à une rémunération juste,
au revenu suffisant, au logement décent, à une
alimentation saine... droit de vivre sans s'endetter, surtout
pour des besoins essentiels. Impossible donc, pour les tribunaux
d'appliquer ces droits lorsqu'ils ne sont même pas reconnus
par les lois.
Pour prendre un exemple de notre cru, citons un jugement qui
pourrait encore se reproduire aujourd'hui: "Même s'il s'agit
d'une clause draconienne, exorbitante du droit commun, injuste et
abusive, elle n'est pas illégale, ou contraire à
l'ordre public ou aux bonnes moeurs?
(Bourassa c. Lamarche c. prov. 21307)
C'est donc parfaitement possible pour la justice (!)d'être
"draconienne, exorbitante, injuste et abusive". Que dire dans le
même sens des taux de crédit de plus de 30% couramment
exigés? Injuste et abusif, mais légal!
Reportons-nous maintenant à l'application des lois par les
cours. Dans le domaine de la consommation, mentionnons la
réduction, par la cour, de l'obtention de permis de l'Office
de Protection du Consommateur à une simple formalité
administrative. Une disposition d'apparence importante,
permettant d'enrayer les pratiques illégales est devenue
totalement inefficace. Sur des droits encore plus importants, que
dire de l'emprisonnement de simples piqueteurs, comme à la
Commonwealth Plywood ou de l'acquittement de la police
privée de Robin Hood?
En résumé,
- face à l'attaque faite contre les droits les plus
élémentaires, souvent la loi n'atteint même
pas les abus les plus criants;
- le système de justice finit trop souvent par infirmer
même la piètre valeur des bouts de lois que les
travailleurs réussissent à faire adopter par le
législateur;
- nous avons nous-mêmes dû faire un travail de
bénédictin et multiplier les séries de causes contre
les mêmes adversaires. Seule, une infime proportion de
citoyens pareillement lésés en ont
profité.
C'est dans ce cadre général, à la lumière de
nos 15 ans d'expériences concrètes et de l'endettement
chronique des travailleurs, plus grave que jamais, que nous
commentons le projet de loi sur le recours collectif.
Le principe du recours collectif;
Le recours collectif est un moyen de procédure: il ne
crée aucun droit substantif nouveau. En conséquence, la
cour ne reconnaîtra pas plus de droit par le recours
collectif qu'elle n'en reconnaît présentement dans
une cause individuelle.
Quel objectif principal doit donc atteindre une
procédure de recours collectif?
Assurément, l'adoption du recours collectif suit
l'évolution sociale (le droit est rarement
créateur!). Dans la société de consommation, le plus
souvent, un grand nombre de citoyens, qui ne se connaissent
pas, sont lésés par le même agent de la même
manière. Le recours collectif doit permettre
à ces citoyens d'intenter une action et d'obtenir
réparation dans un seul procès.
La nouvelle procédure élargit donc l'accès au
tribunaux à des citoyens lésés qui,
présentement, n'obtiennent aucune réparation.
Par analogie, les petites créances ou l'aide juridique ont
augmenté le nombre de causes entendues sans créer de
droits nouveaux.
Cette amélioration de l'application des lois est la
caractéristique essentielle du projet de loi que nous
voulons défendre.
L'encombrement des cours, quoique réel et déplorable,
déborde le présent projet de loi et concerne
principalement l'administration judiciaire. S'il manque de
juges, qu'on en nomme!
C'est sous cet éclairage général que nous avons
examiné le projet de loi et nous relèverons donc les
dispositions qui, à notre avis, risquent d'en limiter
l'accès indûment A ce titre, nous traiterons
particulièrement de la requête, du jugement et du fonds
d'aide.
1. La requête
Le projet de loi exige une autorisation préalable du
tribunal pour l'exercice du recours collectif. Le
requérant devra donc, avant même de l'exercer,
justifier le recours collectif à la satisfaction du
tribunal et devant les représentations de l'intimé.
En plus des exigences régulières de toute requête
au tribunal, celle-ci comporte des caractéristiques propres au
recours collectif:
- définir le groupe,
- démontrer l'aspect collectif des questions à
traiter,
- démontrer l'impossibilité pratique d'appliquer
d'autres moyens de procédure (art. 59 ou 67),
- proposer un représentant et démontrer sa
représentativité.
Il y a là, surtout sous le coup des représentations de
la partie adverse, plein de matière à rejet ou à une
limitation sévère du recours collectif.
Prétendre, comme certains, que de nombreuses causes
futiles, vexatoires ou farfelues passeront cette
première étape, c'estcritiquer, non pas le projet de loi,
mais bien plutôt la Cour Supérieure elle-même!
Quant à nous, les exigences de la requête sont plus
que suffisantes pour éliminer ce genre de cause et toute
restrictions discriminatoires additionnelles sont
inacceptables.
En conclusion, selon nous, il est déjà évident
que plusieurs causes valables, mais insuffisamment
démontrées aux yeux du tribunal, ne passeront même
pas l'étape de la requête et de l'appel sur cette
requête. L'autorisation préalable prévue
dans le projet de loi, fait du recours collectif une mesure
exceptionnelle et extrêmement exigeante.
Toute exigence supplémentaire de preuve
équivaudrait à faire le procès avant le procès
'.
2. Le jugement:
Ce titre du projet de loi et spécialement le chapitre sur
le recouvrement collectif ne se révèle pas d'une parfaite
limpidité. Les conseillers que nous avons consulté
émettent des opinions contradictoires sur le sens à
donner à plusieurs articles.
Si le recouvrement collectif n'est possible que dans le cas
où "la preuve permet d'établir d'une façon
suffisamment exacte le montant total des réclamations
des membres" (art. 1031), de tels recouvrements seront rares et les
reliquats plutôt minces! Il n'y a surtout pas lieu de
s'exciter sur la "connotation punitive" de la loi: elle n'existe
pas.
En effet, comment prouver le total des réclamations
des membres avant même qu'elles ne soient faites, à
moins de les connaître déjà pratiquement toutes et
d'en savoir à peu près le montant.
Dans ces circonstances, pour qu'il y ait un reliquat, il
faudrait que les membres, une fois qu'ils sont pratiquement
tous connus, se désintéressent de la chose et
négligent de faire leur réclamation. On parle
souvent de gros reliquat sans réclamation, mais
qu'arrive-t-il, cas beaucoup plus plausible, si le montant
détermine s'avère insuffisant pour pourvoir à
toutes les réclamations?
Dans les articles 1032 à 1036, on voit bien la tentative de
dépasser, dans le cas d'un recours collectif, la
procédure traditionnelle de paiement de dommage en
espèces. Il semble que l'on se butte, ici, au code civil et,
quant à nous, il faut au besoin l'amender de telle sorte
à prévoir d'autres modes de compensation en faveur et
à la satisfaction des membres.
Certains opinent que des jugements d'ordonnances sont
possibles, ce qui élargirait l'éventail des
compensations. Mais cette éventualité n'est pas du
tout dégagée par le projet de loi de telle sorte que
l'onpeut douter que le tribunal ne s'y aventure souvent.
On croit, en définitive, que ces suggestions seront le seul
moyen de rendre les dispositions sur le titre plus claires et plus
faciles à administrer par le tribunal.
3. Le fonds d'aide :
Prévoir un fonds d'aide pour le recours collectif va de soi
dans la situation québécoise si l'on ne veut pas rendre
cette procédure illusoire.
Toutefois, telle qu'elle est présentement conçue,
"l'aide" est, en fait, un prêt si l'on gagne sa cause
et un don si on la perd (article 40). Voilà de bien
curieuses dispositions qui avantagent le perdant.
Sûrement, si on a besoin d'aide, c'est qu'on n'a pas les
moyens de payer les énormes frais souvent exigés pour un
recours collectif. Que restera-t-il aux membres alors
d'autant plus que le fonds taxera également les
réclamations et le reliquat.
Nous pensons également qu'il faut que ce fonds soit le plus
indépendant possible de l'Étatqui peut être
visé par un recours collectif.
Il faut donc distinguer l'administration et le fonds
lui-même dont l'administration est fiduciaire.
L'administration devrait être financée annuellement par
l'État,mais le fonds devrait demeurer totalement
indépendant.
L'article 15 devrait Être modifié en conséquence
et l'article 42 devrait être rayé de telle sorte
que les jugements civils ne deviennent pas une occasion
d'enrichissement de l'État.
Deux remarques secondaires, mais qui ont leur
importance:
- A l'article 24, l'entente ne prévoit pas, à
l'alinéa e) , que l'aide puisse être augmentée, par
exemple, dans un cas d'expertise supplémentaire et celui
d'appel.
- Le deuxième paragraphe de l'article 25 doit limiter le
remboursement aux sommes non encore dépensées comme
à l'article 31.
Remarques générales:
L'État, au cours des dernières années, a
radicalement augmente ses prestations et ses services aux
citoyens. Comme le secteur privé, l'État est
susceptible de léser le citoyen dans ses
activités. Souvent, le seul recours possible est
un recours individuel devant un tribunal
administratif.
A notre point de vue, sans retarder l'adoption de la
présente loi, le gouvernement devrait mettre en branle
immédiatement les réformes nécessaires pour
permettre le recours collectif devant les tribunaux
administratifs.
Résumé des recommandations
- La procédure prévue est
exigeante et exceptionnelle. Nous
considérons inacceptable de
la restreindre davantage.
- Le titre sur le jugement
prévu au projet de loi est
difficile à interpréter et
demande quelques clarifications.
- La loi doit dégager
d'autres types de jugements
que ceux prévus au projet
dans l'intérêt des
membres.
- Nous recommandons d'amender, au besoin, le code civil
pour augmenter la latitude des tribunaux dans la compensation de
dommage.
- L'aide ne doit pas être un prêt pour les vainqueurs
et un don pour les perdants. Nous recommandons
d'éliminer le premier paragraphe de l'article 60.
- L'administration du fonds d'aide doit être
séparée du fonds lui-même.
- L'État doit pourvoir à l'administration du
fonds.
- Le fonds lui-même, à part les mises de fonds
initiales, doit rester indépendant de l'État.
- Nous recommandons que le gouvernement prévoie le recours
collectif des citoyens devant les tribunaux administratifs.
Conclusion
L'institution du recours collectif est certainement une
réforme utile qui permettra à de nombreux citoyens
d'obtenir justice et c'est là toute sa portée
sociale.
Comme cette réforme a lieu dans le cadre de notre pratique
actuelle du droit, elle permettra également à plusieurs
avocats de s'enrichir à même les "belles causes" que
produira cette réforme.
Plusieurs adversaires de ce
projet voudraient, par ailleurs,
réduire sa portée à un
simple réaménagement de la
procédure actuelle ou établir toutes
sortes de restrictions qui, en
définitive, couperaient
l'accès à cette nouvelle
procédure.
A l'appui de ces
arguments, on invoque
souvent l'expérience
américaine qui, en fait,
ne s'applique pas au projet
de loi ou à notre
droit. On compare des
patates avec des pommes .
Nous invitons le
gouvernement à ne pas se laisser
berner par ces hauts cris. La loi
doit permettre à tout groupe lésé
d'intenter son action et d'obtenir
les compensations
adéquates. Sa portée
est déjà limitée par
ses exigences mêmes et par
le cadre de notre propre
pratique du droit.
Enfin, ce n'est qu'à
l'expérience pratique que nous pourrons juger
de l'efficacité de
la loi et il ne faudrait
pas l'émasculer au
point de départ.
La Fédération des
A.C.E.F.
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