L'Institut Canadien d'Education des Adultes, 506 est, rue Ste-Catherine — suite 800, MONTRÉAL 24 - Québec.
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présentation
Qui d'entre nous n'a pas eu un jour la curiosité de connaître plus à fond les mouvements et institutions que notre population s'est donnés dans le but de protéger ses libertés individuelles et collectives, comme d'assumer davantage ses responsabilités au sein non pas d'une société à subir, mais d'une civilisation à construire ?
Ces artisans, ces bâtisseurs aussi bien des secteurs coopératif, syndical, patronal, éducatif, culturel ou autres, nous les trouvons regroupés parmi les membres de l'ICEA tous animés, à des degrés divers et en fonction d'objectifs spécifiques, du souci généreux de donner et d'acquérir la formation nécessaire à l'édification et au développement d'une société meilleure, plus équilibrée, d'une « société juste » gage de paix et cela indépendamment de toute allégeance politique.
En prenant l'initiative d'offrir aujourd'hui une tribune au Centre des Dirigeants d'Entreprise, l'Institut Canadien d'Education des Adultes ouvre la porte, sans choix préconçu, à tous ses membres aussi variés que soient leurs champs d'activités. Nous estimons, en effet, qu'il est temps plus que jamais de faire connaître dans une publication facile d'accès, mais quand même de qualité, les réalisations des nôtres en éducation des adultes, la philosophie sous-jacente aux politiques et aux orientations des organismes du milieu, les problèmes auxquels ils doivent faire face et les solutions qu'ils proposent.
Etant mieux informés, nous arriverons ainsi à mieux nous comprendre, à saisir tout le mécanisme du rouage de notre société et l'importance de l'oeuvre accomplie, selon les secteurs de préoccupation. Facteurs de rapprochement, les Cahiers de l'ICEA consacrés à la promotion de nos membres posent toutefois de multiples interrogations. On peut, certes, être ou ne pas être d'accord sur tel ou tel aspect d'une question, d'une orientation, mais il est certain qu'on ne saurait rester indifférent, les pages qui suivent offrant ample matière à réflexion et à discussion et pouvant éventuellement faire l'objet de tables rondes sûrement très animées.
D'un contenu riche d'idées, le présent Cahier décrit le CDE comme avant-gardiste sur le plan social; désireux de tenter à fond l'aventure de la participation, mais quand même prêt à patienter afin de se donner des assises solides; orienté vers la formation dans un style « moderne » où une large place est accordée à l'information et à la remise en question; soucieux, tout en préservant sa propre identité, de donner toute sa dimension au « dialogue » et de composer en vue du bien commun, avec les subalter nes et les groupes autrefois catalogués « ennemis»; réaliste quand même et conscient des étapes à franchir. Finis donc les mythes du dirigeant d'entreprise exploiteur, croque-mitaine ou paternaliste.
Nous remercions l'équipe enthousiaste du CDE de sa collaboration, en particulier son directeur général, M. Jean Brunelle, dont l'audace tranquille est source de dynamisme inépuisable.
Les Canadiens français écrivent peu : c'est un fait. Aussi sommes-nous à même d'apprécier dans les pages qui suivent l'effort de réflexion et de synthèse nécessaire pour donner à sa pensée toutes les nuances souhaitables et décrire les faits en toute objectivité.
A nos membres, comme à nos collègues de France, de Grande-Bretagne, des Etats-Unis et même du Canada anglais nous sommes fiers de pouvoir offrir une publication aussi valable et intéressante que celles qui nous sont remises à l'occasion d'échanges ou de voyages. D'autres suivront, dans un avenir prochain.
Madeleine Joubert,
Directeur général de I' I. C. E. A.
Table des matières
Le centre des dirigeants d'entreprise et la formation des adultes
Le service de formation et son action
Pédagogie et formation des dirigeants d'entreprise
L'évaluation des programmes de formation du personnel de cadres et application au C.D.E.
Activités de consultation et de représentation
Le CDE dans le Québec d'aujourd'hui et de demain
Jean Brunelle
On peut dire que la plupart des tâches qui préoccupent le Centre des Dirigeants d'Entreprise ont une portée directe ou indirecte sur l'Education des Adultes. Qu'il s'agisse de l'homme, de la profession, de la société, le CDE s'efforce d'évaluer les principes, les orientations, les objectifs à la lumière de conceptions considérées comme fondamentales et d'introduire dans les esprits et les institutions des données propres à développer les notions de liberté et de responsabilité, de même que les valeurs morales et spirituelles indispensables au véritable progrès de la civilisation. Ancré dans le monde de l'action, soumis aux exigences concrètes du milieu dans lequel il doit exercer son mandat, il peut sembler s'éloigner à l'occasion de ces soucis et s'en laisser distraire par les exigences du quotidien. C'est le défi auquel sont acculés tous ceux qui doivent s'efforcer de modeler, aussi modestement que ce soit, une tranche de l'histoire des hommes.
Le CDE a été fondé en 1943, sous le nom d'Association Professionnelle des Industriels. Depuis une dizaine d'années, certains employeurs s'inquiétaient de l'absence d'initiatives patronales au Québec. Les premiers échanges de vues à ce sujet semblent avoir eu lieu vers 1933, à l'occasion de rencontres des manufacturiers du secteur de la chaussure tenues sous l'initiative de M. Eugène Gibeau, président de Slater Shoe Company. On aurait alors mentionné la possibilité de grouper les employeurs dans une association animée par les principes chrétiens.
En 1936, on tente de regrouper le patronat autour de la Ligue de l'Achat chez Nous. Plusieurs des employeurs concernés se retrouveront parmi les fondateurs de l'API. En 1938, création de l'Association des Industriels du Québec (AIQ) selon la troisième partie de la loi des compagnies. L'association est ouverte à tous les employeurs, sans distinction de race, de langue ou de religion. On perd sa trace vers 1941.
De 1939 à 1942, plusieurs projets de regroupement patronal sont élaborés par des membres du clergé et du monde des affaires. Ces efforts se heurtent à des obstacles qui demeurent, en bonne part, actuels et qui traduisent les attitudes mêmes des employeurs : individualisme, isolationnisme, absence de traditions culturelles et administratives, parfois de maturité intellectuelle. Dans un tel climat, reflet de l'insécurité économique et psychologique du patron canadien-français, les programmes d'ensemble et les idées générales passaient souvent pour un luxe excessif.
Toutes ces discussions et même les expériences avortées eurent toutefois un effet positif : celui de rendre sensible l'état de désorganisation du monde patronal. L'année 1942 marque le passage de l'ère des voeux à un début de réalité, grâce à la rencontre de M. Maurice Boisclair et du Père Emile Bouvier, s.j.. M. Boisclair, président de St-John's Silk Co. Limited, est un industriel aux idées avancées; le Père Bouvier est alors professeur d'économie politique à l'Université de Montréal. De leurs conversations naquit l'idée de fonder une association qui, réunissant les employeurs autour d'une vue élevée de leur rôle social, pourrait servir d'interlocuteur avec le syndicalisme, les deux collaborant à l'édification d'une société plus humaine et plus soucieuse du bien commun. Pressenti, M. Eugène Gibeau accepta de guider les premiers pas de la future association.
Après de nombreuses rencontres et discussions, l'API est fondée en 1943. Elle se veut orientée vers la création d'un ordre social chrétien. Cependant, elle se définit dès le départ, à la fois comme mouvement social et syndicat patronal. Les extraits suivants des statuts l'indiquent clairement :
Les préoccupations contenues dans ces articles reflètent des problèmes réels. Mais l'API choisit, dès ses débuts, de se donner des chaînes qui devaient l'empêcher de réaliser la pleine mesure des objectifs proposés :
Ces entraves ont peut-être permis à l'API, paradoxalement, de rester elle-même et de continuer à présenter pendant vingt-cinq ans, une image fidèle du patronat canadien-français.
En effet, nul ne pouvait prévoir, en 1943, que la croissance économique pût procéder, pendant le prochain quart de siècle, à un rythme aussi effarant, et que les Canadiens-Français n'y prendraient pas une part plus grande. Si l'API avait alors ouvert ses portes au patronat anglo-saxon, elle y aurait peut-être perdu son identité, les collaborations positives étant à ce moment, de part et d'autre, pratiquement impossibles.
Les exigences morales à l'endroit des membres étaient certainement inspirées par les objectifs sociaux de l'API. Si on y trouve les traces d'une rigueur excessive, il faut en attribuer la responsabilité à l'intégrisme de l'époque plutôt qu'à une classe particulière. Elles dénotent quand même une option ferme entre l'intérêt et les principes.
Que l'API pût oser devenir à la fois un facteur de promotion sociale et un agent de rénovation économique efficace, il y avait de quoi s'étonner, tant les deux intentions paraissent exigeantes et même contradictoires. Si l'API n'a pu remplir pleinement ces deux mandats, elle a su conserver à travers les années un souci sincère du bien commun, une vue réaliste des intérêts patronaux et une conception élevée de la fonction patronale, conditions d'une évolution positive et d'une action future plus efficace. Car l'orientation de l'API s'appuyait, sinon sur une vision prophétique, du moins sur des vues sobres et objectives de la situation.
L'activisme de l'époque, résultat de la guerre et de la surcharge de l'appareil productif, avait développé une atmosphère matérialiste et un sentiment d'impuissance devant les mandats impératifs engendrés par la politique de défense. Les patrons réfléchis éprouvaient le besoin de prendre quelque recul et de se sentir co-responsables de l'orientation à venir.
A la faveur du plein emploi, le syndicalisme avait fait lui-même des conquêtes rapides et affirmait déjà son intention d'agir énergiquement dans le monde du travail.
Ces facteurs, ajoutés au souvenir tout récent de la dépression et de ses misères, et à des motifs d'une générosité indéniable, rendaient nécessaire une action patronale cohérente. L'API devait, en somme, tenter de combler deux déficiences majeures :
De toute évidence, il s'agissait bien d'éducation des adultes. On ne pouvait prétendre modifier en profondeur le comportement des chefs d'entreprise, l'orientation des groupes patronaux et communautaires, le sens de la législation, sans procéder à un effort d'éducation, d'abord auprès des hommes d'affaires eux-mêmes. Or, ils demeuraient pénétrés, en grande majorité, par une conception hiérarchique de la société et par une tradition
conservatrice du rôle du patronat. La fin de la guerre voyait se modifier en profondeur la réalité politique, économique et sociale, modifications qui devaient s'accélérer et se préciser pendant les quinze années suivantes. Emportés par un mouvement d'expansion économique à peine interrompu par des récessions plutôt mineures, les agents principaux (Etat, syndicats, patronat) se trouvèrent accaparés par leurs tâches particulières et parallèles, négligeant les exigences de la concertation dont la nécessité ne devait leur apparaître que plus tard et, il faut bien l'admettre, d'une façon théorique beaucoup plus que réaliste. Il ne peut être question de présenter ici une critique de l'ensemble de la société québécoise de 1940 à 1960. Il suffira de rappeler à grands traits les comportements du patronat au cours de ces deux décennies.
Les chefs d'entreprise du Québec eurent d'abord à relever le défi de la croissance, défi énorme et multiforme, touchant aux domaines de l'administration, de l'entraînement, de l'implantation et de l'équipement, des produits, de la concurrence et du financement. Cet effort, déployé dans des conditions d'urgence par des hommes souvent imparfaitement préparés, constitue une somme de réussites et d'improvisations d'une qualité et d'une importance économique et sociale indiscutables dont la population ne connaîtra peut-être jamais la valeur réelle.
Les bouleversements profonds qui marquèrent cette période soulevèrent une série de problèmes collectifs urgents dans les domaines les plus divers : bien-être, éducation, loisirs, oeuvres sociales et de jeunesse... La liste est inépuisable. On assista, dans ce domaine, à une véritable mobilisation des chefs d'entreprise. On fit appel à leurs ressources administratives, intellectuelles et financières, dans un nombre incalculable de cas : campagnes de souscription, associations de bienfaisance, conseils municipaux, commissions scolaires, etc. Il serait alors impossible d'estimer les sommes perçues, les services rendus, les journées de travail consacrées aux services bénévoles par les hommes d'affaires de la présente génération. Egalement sous-estimées, ces manifestations d'esprit civique constituent, d'une certaine façon, un exercice et
une démonstration en acte d'éducation des adultes, une volonté consciente et délibérée de corriger les défauts du régime et les injustices de certaines situations.
Il serait futile de porter un jugement de valeur sur les motifs de pareils gestes. Il faut reconnaître, toutefois, que la conjonction des devoirs professionnels et des exigences sociales immédiates constituait, et constitue encore, pour nombre de dirigeants une existence plus que remplie et même, dans certains cas, un fardeau intolérable. De sorte que plusieurs d'entre eux se sont trouvés en état de n'accorder, aux objectifs de l'API, qu'une disponibilité minimale.
Ces objectifs, à la vérité, n'étaient pas populaires et leur validité est encore loin d'être universellement admise. Par leur nature même, ils s'adressent fatalement à une minorité. Transformer une société en profondeur, inviter une classe privilégiée à reviser son propre système de valeurs, non pas dans le but unique d'accroître la protection de ses intérêts particuliers, mais avec le souci de parfaire la qualité de son apport à l'ensemble de la civilisation, c'est faire appel à une sorte de désintéressement qui, aux yeux de certains, touche de près à des illusions inadmissibles.
Ambitions d'autant plus fragiles qu'elles ne pouvaient se réclamer ni d'un corps de doctrine scientifiquement éprouvé, ni d'un endossement général des hommes d'action, sa source unique d'inspiration se trouvant dans la doctrine sociale de l'Eglise. Or, pendant ces années troublées, aux idéologies aveuglément concurrentes, le syndicalisme disputait au patronat, au Québec aussi bien qu'en Europe, le privilège d'interpréter selon ses données propres l'enseignement social officiel du Vatican.
Il n'en reste pas moins que c'est sous l'égide des encycliques que l'API lança son programme de travail et qu'elle s'efforça pendant vingt ans d'exercer une influence positive sur les mentalités patronales. Elle obtint, dans ce domaine, des succès certains. Elle sut maintenir, en dépit de moyens trop limités, des préoccupations essentielles, rappeler la nécessité d'insérer, à tous les plans de l'économique, un contenu moral, spirituel et humain indispensable à l'évolution positive du milieu. A cette fin, elle utilisa les modes d'action appropriés : colloques, discussions, interventions de toutes sortes dans le domaine privé et public, dans la législation, auprès des organismes paritaires, etc.
Elle mit sur pied, dès 1944, un service de relations industrielles qui, consacré à la défense des intérêts patronaux au niveau de la convention collective, fit porter une partie importante de ses efforts sur l'éducation de la partie patronale et sur l'utilisation des éléments possibles de conciliation plutôt que sur l'affrontement aveugle et l'exploitation systématique des conflits.
On aura constaté que ces initiatives, propres à l'esprit de l'API, comportaient une large part de formation, d'éducation, selon des critères qui parurent souvent insolites et inspirés par une pieuse naïveté.
Mais le monde, le pays, le Québec évoluaient, et l'évolution venait confirmer les positions ou les avertissements explicites ou implicites de l'API.
Dès 1960, celle-ci avait prévu certains développements considérés comme inévitables : structuration de l'Etat, entraves au développement, emprise excessive du syndicalisme et des forces de gauche, progression d'un matérialisme envahissant. On trouvait là une série de problèmes d'envergure dont le patronat et singulièrement l'API ne pouvaient se désintéresser.
La gravité de la situation, décuplée par l'accélération de l'histoire, exigeait des interventions d'un type nouveau, différentes de celles que l'API avait jusqu'alors utilisées, quoique s'inspirant des mêmes principes. Il fallait concevoir à la fois une approche et des moyens d'action inédits. Bref, il fallait sinon tout réinventer, du moins tout remettre en question. Car, en dehors des encycliques, où on retrouve un effort d'intégration des diverses disciplines applicables à l'évolution des sociétés, il n'existe pas de synthèse donnant prise à des applications concrètes. La société est toujours à créer.
L'API se livra néanmoins à une évaluation de la situation.
Les avances évidentes de la socialisation sont le résultat non pas d'une intention ou d'une planification consciente, mais d'une multitude d'interventions éparses, nées du progrès technique ou
de poursuites quantitatives, donc de forces socialement indifférentes et aveugles. Une fois admise l'importance essentielle du développement («le développement est le nouveau nom de la paix » ), il faut poser le problème de la qualité du monde qui se refait sous nos yeux et dont l'évolution soulève des questions angoissantes. Pour ne parler que de la nation de pointe du vingtième siècle, les Etats-Unis souffrent de maux sociaux étendus et aigus. Il suffit de songer au paupérisme, au problème noir, à la prolifération des villes, à la détérioration de la santé mentale, pour mesurer la gravité des menaces qui pèsent sur la puissance américaine. Or, celle-ci est le modèle que les autres grands pays s'efforcent d'imiter, qui leur impose leur orientation. Dans cette tentative presque prométhéenne pour se hausser au palier du plus fort concurrent, dans ce réaménagement angoissé des structures continentales, nationales, ou dans la révision précipitée de leur comportement, certaines nations ne courent-elles pas le risque d'une tragique aliénation? Et tout autour, grandit à un rythme effarant le drame du Tiers monde, que les soucis actuels repoussent constamment à l'arrière-plan, mais qu'on ne peut ignorer indéfiniment sans vouer au désastre la civilisation elle-même.
Le Canada ne peut manquer de subir les contre-coups d'une pareille situation. Agissant au Québec, l'API était consciente des contraintes que le climat international, la philosophie ambiante imposent inévitablement au milieu québécois.
Ce climat porte la marque d'une conception matérialiste de la croissance, celle de la civilisation occidentale contemporaine. Ilot minuscule dans l'Amérique du Nord anglo-saxonne, le Québec réagit à sa situation par des attitudes dont les contradictions ne sont que l'illustration de la réalité.
Traditionnellement présent au monde en dépit de sa fragilité, il prend conscience de ses propres limites et de ses propres besoins et passe de l'attitude du don à celle de l'échange; désormais, il agit par intérêt plutôt que par générosité, il devient conscient de ses besoins, s'efforce d'y trouver des solutions.
Catholique obéissant, il se libère avec une impatience surprenante de l'emprise du clergé.
Las d'une domination politique contraignante, il doit constater malgré tout que l'autonomie ne serait qu'un leurre sans l'indépendance économique.
La prédominance économique des non-canadiens-français souligne un dilemme grave : doit-on procéder à la reprise brusque du pouvoir économique au risque de voir s'affaisser le niveau de vie, ou se préoccuper d'abord d'établir un partage plus juste des revenus, quitte à échelonner sur une plus longue période le règlement du problème économique ? Même si ces conflits et ces alternatives ne sont pas exprimés dans les termes utilisés ici, ils constituent dans la vie du Québec des éléments fondamentaux dont la population ne peut rester inconsciente, qu'il s'agisse du niveau des perceptions personnelles ou des options collectives. On peut suivre la présence de ces réactions quasi viscérales de la population québécoise tout au long de la « révolution tranquille ».
Comme toutes les révolutions, celle-ci fut peut-être avant tout le fait de quelques individus : journalistes, universitaires, hommes politiques, etc., dont les noms sont généralement connus. Vers la fin des années cinquante, l'opinion publique exigeait déjà des réformes politiques, sociales, économiques : elle parlait d'émancipation, de planification.
En quelques années, le syndicalisme avait su augmenter le nombre de ses adhérents, organiser son action, prendre une place prépondérante sur la place publique, jouer à plein son rôle revendicateur. Toutefois, il ne proposait pas une doctrine précise. Il se bornait à manifester énergiquement son opposition, il était de l'opposition. En agissant de la sorte, il ébranlait des certitudes, mettait en doute la validité de certaines attitudes, il créait ce climat d'insatisfaction qui provoque les changements. Il rendit le service non négligeable dans une économie de consommation, de contribuer à la hausse du pouvoir d'achat et au maintien de l'expansion. C'était une force jeune qui jouait avec allant son rôle d'éveilleur.
Au cours de la même période, le rôle du patronat fut moins spectaculaire. Conservateur par nature, il fuit les éclats et se méfie des mouvements brusques qui compromettent la stabilité. Il préfère procéder par des réformes positives. C'est en bonne partie à l'intervention de groupes d'employeurs que l'on doit la réorganisation du ministère de l'Industrie et du Commerce, la création du Conseil d'Orientation Economique du Québec et certaines mesures qui, si elles n'ont pas toutes donné les fruits qu'on en attendait, le doivent peut-être avant tout au scepticisme des pouvoirs publics et à la pauvreté des structures, surtout des structures patronales.
Tout en gardant à l'esprit la lourdeur et la complexité des tâches assumées par les dirigeants d'entreprise et le fait d'une absence de traditions administratives, on est obligé d'admettre que la mentalité patronale se méfie du changement. Dans le monde des affaires, on espère facilement et souvent contre toute raison, dans le retour de la tranquillité, d'un libéralisme confortable qui permet de remettre à l'Etat la solution des problèmes les plus urgents et les plus graves. Il existe dans cette attitude une part d'aveuglement, une part d'incompréhension des véritables dimensions des problèmes actuels, qui ne sont pas uniquement de caractère économique.
En 1966, l'API devenait le Centre des Dirigeants d'Entreprise. L'Association Professionnelle des Industriels n'était pas « professionnelle » au sens ordinaire du terme; et elle n'était pas réservée aux « industriels » puisqu'elle recrutait ses membres dans tous les secteurs de l'entreprise. Il était normal que cette réalité se reflétât dans son appellation. Plus important encore, son comportement s'était modifié considérablement.
Au début des années soixante, il était apparu que le travail de l'API devrait être adapté aux exigences d'une société en pleine transformation.
Traditionnellement, elle avait fait porter ses efforts sur trois pôles principaux : le dirigeant, l'entreprise, les lois ouvrières. Mais cette action paraît encore (car elle n'a pas changé) souvent contradictoire : généreuse dans les intentions, elle donne souvent l'impression d'une défense patronale intransigeante. Attitude justifiable dans la mesure où les revendications syndicales sont excessives et où ne se présente d'autre solution aux conflits du travail que celle de l'affrontement, du « bargaining power ». Dans ce contexte, l'API s'efforçait, d'une part, de répandre ses objectifs sociaux et réussit de fait, à modifier bien des comportements, à améliorer les conditions et l'atmosphère du travail dans nombre d'entreprises. Elle sut influencer la législation, participer à la réforme et aux tâches d'organismes paritaires et économiques; elle se pencha sur l'étude de sujets importants1. D'autre part, elle ne pouvait délaisser les intérêts des employeurs, sans trahir une partie de son mandat. Elle était partagée entre son rôle de mouvement social et son rôle de syndicat patronal. Certains de ses membres attachaient une importance prioritaire au premier alors que d'autres réclamaient des services toujours plus concrets, plus immédiats. Le CDE — nous utiliserons désormais le nouveau sigle — se trouve encore fréquemment dans la position — devant laquelle il ne recule pas — de défendre les intérêts de ses membres et de se faire le porte-parole du patronat dans les conflits de nature sociale et économique. Il ne refuse pas d'être sur la brèche, mais il prône des solutions plus positives de règlement des conflits.
On peut s'interroger sur la validité d'un mandat aussi écartelant. Nous avons dit qu'il tient au milieu lui-même. Il tient également au caractère interprofessionnel du CDE.
La variété de ses membres, l'étendue de ses préoccupations l'amènent nécessairement à considérer les problèmes dans des perspectives très vastes. Car le CDE est plusieurs choses à la fois :
— Mouvement voué au progrès social.
Il doit être sensible aux réalités qui se cachent derrière les
mots et les principes; pour lui, la « défense de l'entreprise privée » ne peut être un objectif absolu poursuivi dans un esprit réactionnaire. Il n'est justifiable que dans une perspective d'évolution; l'entreprise n'est pas une fin ultime, mais un moyen nécessaire à l'établissement d'une société meilleure.
— Association patronale.
Le CDE est aussi une association où des hommes d'affaires évaluent leurs problèmes et s'efforcent d'y apporter des solutions. Le CDE est trop près de l'entreprise pour sous-estimer l'ampleur des difficultés auxquelles elle fait face. Appelé à participer à leur solution, il ne peut ignorer que les obstacles à surmonter touchent à des ordres très différents : techniques, administratifs, structurels. En d'autres mots, il serait illusoire de prétendre résoudre à l'aide de remèdes uniquement techniques, ou uniquement administratifs, des problèmes qui relèvent de toute une branche professionnelle ou de l'ensemble des conditions économiques.
— Syndicat patronal.
Bien qu'il n'ait jamais été à proprement parler un syndicat patronal, le CDE est souvent le premier parmi les groupes patronaux à se préoccuper des conflits de travail, à illustrer et à défendre les positions patronales. Ce rôle, il s'efforce de le jouer avec objectivité, sans mesquinerie et avec le sentiment de remplir une tâche supplétive qui devrait relever éventuellement d'une organisation plus structurée, au sein de laquelle l'association professionnelle assumerait des responsabilités plus grandes à l'endroit de son propre secteur, les situations générales relevant d'un conseil du patronat. Au cours des années, le CDE a dû résister maintes fois aux pressions tendant à en faire un syndicat patronal agressif. En s'y objectant, il a peut-être écarté la seule chance qu'il eût de s'enrichir. Plus exactement, il ne pouvait se désister de la responsabilité de situer l'action globale du patronat dans l'ensemble du Québec. Question de définition, d'abord, mais aussi problème de réalisation, pour laquelle il ne pouvait compter que sur lui-même, c'est-à-dire sur des ressources limitées. Et il devait continuer de jouer un rôle supplétif sur plusieurs fronts; comme l'indique le tableau suivant :
LE CDE - DIFFÉRENTS ASPECTS DE SON ACTION
ASSOCIATION INTERPROFESSIONNELLE
Le CDE doit se préoccuper des besoins généraux des dirigeants d'entreprise :
MOUVEMENT PATRONAL SOCIO-ÉCONOMIQUE
À ce titre, il doit travailler à l'édification d'une société plus humaine en agissant :
SYNDICAT PATRONAL
Engagé dans les relations de travail, le CDE est amené :
Afin d'échapper au danger d'écartèlement mentionné plus haut, le CDE s'est vu contraint non seulement, comme il est normal, de dresser des priorités, mais de les réunir dans une synthèse susceptible d'assurer aux différents aspects de son action une unité indispensable. Les principes de base demeurant inchangés, le CDE formula ses priorités sous la forme suivante : le social est indissociable de l'économique.
La démarche inverse selon laquelle l'entreprise serait vouée aux seules fins économiques est à la source de plusieurs des maux actuels. Elle confirme une autre erreur qui consiste à considérer le syndicalisme comme le seul responsable du progrès social et à le dégager de toute responsabilité économique. Il faut réintégrer le social dans le milieu économique, à tous les niveaux d'activité, sous peine de tomber dans des méprises très graves.
La croissance économique est cependant le premier objectif du patronat et sa première responsabilité. La croissance est la base du progrès social, comme la pierre est la matière de la sculpture. Le milieu exige que le CDE se préoccupe de réaliser ses principes dans des actions concrètes.
Formulées en 1963, ces données se traduisent dans les initiatives suivantes :
Inspirées par une conception qui se veut cohérente au rôle multiforme du CDE, ces activités tendent à s'exercer, comme par le passé, auprès :
Elles visent le même but, avec des moyens différents, mais complémentaires et elles portent le même message à plusieurs
paliers de la société. Cet exercice consiste à inscrire la théorie dans des faits, à conférer à l'action la dimension idéologique particulière au CDE.
On est en droit de se demander si ce programme du CDE le met en concurrence avec d'autres groupes patronaux. A la fois association interprofessionnelle, mouvement et à l'occasion syndicat patronal, le CDE se conduit-il comme la mouche du coche, se mêlant des affaires de tout le monde dans une action stérile?
Il est utile, à ce point, de décrire brièvement le milieu patronal du Québec, en ajoutant quelques observations aux notes déjà fournies sur le sujet.
Celles-ci groupent les entreprises d'un secteur particulier : chaussure, meubles, textiles, etc.; elles répondent aux besoins communs des membres de la profession : production, marchés, statistiques diverses, représentation auprès de l'Etat, quelquefois auprès du syndicalisme, pour défendre les intérêts du secteur. Des dizaines d'associations de ce genre existent au Québec, les unes dynamiques et bien équipées, les autres jouant un rôle plutôt superficiel.
L'Association des Manufacturiers Canadiens est un exemple avancé de ce type d'association. Elle regroupe tous les employeurs du secondaire, de quelque secteur qu'ils soient : produits chimiques, métalliques, bois, etc., auxquels elle fournit, sans déborder sur les attributions de l'association verticale (voir le paragraphe précédent), des services d'intérêt général : exportation, fiscalité, tarifs, etc. L'AMC se préoccupe également des questions d'ensemble : relations de travail, sécurité sociale, mais dans une optique différente de celle du CDE.
La Fédération du Détail et des Services est un autre exemple du même type d'association; elle agit dans le domaine du petit et moyen commerce, mais dans un esprit et avec des moyens différents, imposés par les conditions générales dans lesquelles ce groupe évolue.
Comme nous l'avons vu, une association de ce type recrute ses membres dans tous les milieux du monde des affaires. C'est le cas des Chambres de Commerce, du Montreal Board of Trade, etc. Même si les premières se définissent comme des organismes communautaires, elles jouent un rôle patronal dans la mesure où elles agissent comme groupe de pression pour les hommes d'affaires dans le domaine du travail, de la sécurité sociale, du développement, etc.
L'AMC se classe souvent, par la nature de ses interventions, dans ce dernier groupe.
À l'état évolué, c'est-à-dire dans une organisation patronale avancée, le mouvement agit comme agent de changement grâce au travail de ses membres sur les structures et les mentalités existantes. Après s'en être enrichis eux-mêmes, ils portent dans des organismes établis, dans une structure donnée, une idéologie, des principes, une vue de la société susceptibles d'améliorer les comportements individuels et collectifs et le fonctionnement des institutions. Au Québec, et même au Canada, il n'existe qu'un seul mouvement patronal : le CDE2.
Or, l'organisation professionnelle au Québec est très imparfaite : des centaines d'associations, mais sans liens organiques, sans structures formelles, sans politiques générales. Les quelques associations horizontales qui parlent au nom du patronat sont
loin de faire l'unanimité sur des sujets très importants : rôle de l'entreprise privée, droit de grève du secteur public, évolution sociale, etc., etc. Dans un tel contexte, un mouvement patronal à l'état pur ne saurait jouer qu'un rôle superficiel et verbal, sans prise sur la réalité.
Ce sont ces constatations très concrètes qui ont incité le CDE à orienter son action vers les priorités déjà mentionnées, qui constituent des urgences indiscutables, aussi longtemps que les secteurs d'entreprises, regroupés au sein d'un Conseil du Patronat par le canal d'une solide organisation, ne seront pas en mesure de répondre plus adéquatement à la gamme étendue et croissante des besoins économiques et sociaux et de proposer des objectifs globaux au monde des affaires et à ses interlocuteurs.
Le caractère particulier du CDE s'appuyait surtout, au début, sur la doctrine chrétienne et sur le caractère canadien-français de ses membres. Sans renier ce passé, on lui a conféré une dimension plus large. Ses postes supérieurs sont maintenant ouverts aux hommes de toute race, de toute religion; il recrute davantage parmi la grande entreprise anglo-saxonne.
Malgré la diversité évidente de l'entreprise du Québec, le CDE opte pour la solidarité, dans la mesure où elle est essentielle à la poursuite d'un progrès authentique qui soit autre chose qu'un nouveau mode de repliement. Pour lui, l'entreprise privée n'est pas une vache sacrée, mais une institution perfectible et susceptible de servir très efficacement au perfectionnement de la société et de devenir l'un des centres privilégiés où se réalise en fait la liberté et l'épanouissement des individus.
Pour le CDE, cette vue est trop importante pour qu'on l'abandonne aux lenteurs des adhésions individuelles. Il faut donner à des milliers d'entreprises des structures véritables, dont le Conseil du Patronat n'est que l'une des dimensions essentielles.
Une fois organisé, le patronat québécois peut contribuer puissamment à l'élaboration d'un cadre économique et social original, adaptable aux autres provinces canadiennes.
Aussi vastes qu'elles soient, ces perspectives doivent se réaliser par des étapes concrètes et mesurées dont le CDE s'efforce d'être l'initiateur et le promoteur. Ayant constaté que les nations européennes d'entre les deux guerres ont été bouleversées par des conflits patronaux-ouvriers aigus et ne s'en sont dégagées qu'à la suite d'expériences très douloureuses, il prône la prévision économique et sociale et l'application des moyens propres à en effectuer la réalisation.
Les circonstances l'obligent à mettre l'épaule à la roue, à démontrer que certaines formes d'action sont possibles.
L'idée du Conseil du Patronat obtient une faveur croissante (le projet relève désormais de vingt-cinq associations patronales); la formation acquiert au CDE une dimension privilégiée. Elle prend la forme de deux programmes distincts, l'un de formation des dirigeants et cadres, axé sur l'administration générale et les relations humaines; l'autre, de formation socio-économique dont le but est de souligner les aspects communautaires du rôle de l'entreprise et de conduire à des réalisations au plan régional ou dans des secteurs particuliers. Le premier de ces programmes fonctionne à plein, le second est en voie d'application; les deux font l'objet de chapitres distincts de ce Cahier.
Il faut noter, toutefois, que chacun de ces programmes comporte à la fois une dimension sociale et une dimension économique et que les deux constituent, à terme, un ensemble cohérent. En effet, si la responsabilité de l'entrepreneur est avant tout économique, la compétence devient une exigence primordiale : il faut d'abord réussir. Par ailleurs, le succès demeure superficiel et socialement inefficace, s'il ne déborde sur la collectivité sous forme d'emplois plus nombreux et plus rémunérateurs; d'une participation plus immédiate et plus large des cadres et des travailleurs aux objectifs globaux et aux responsabilités de l'entreprise; d'un accroissement de la richesse et d'une élévation du niveau social de la population.
Ces derniers temps, les expressions d'opinions du CDE se font plus nombreuses, l'accroissement du personnel rendant possible l'exécution de travaux et de recherches qu'on devait jusqu'alors négliger. Le CDE intervient publiquement, soit dans des cas d'actualité, soit pour proposer des réformes, des projets ou exposer des vues d'intérêt général. Ennemi des divisions stériles dans lesquelles on se complaît souvent, habitué à une longue pratique des relations de travail, plongé dans l'économique et dans le social, le CDE s'efforce d'introduire dans ses interventions et ses propositions une façon positive de concevoir l'avenir. Considérant que le socialisme aboutit historiquement à des résultats décevants, à la perte des libertés individuelles et collectives, à un optimisme excessif suivi de réveils brutaux, il est persuadé que le régime actuel est adaptable à des orientations prometteuses, à la condition que les hommes et les corps intermédiaires assument d'une façon adulte la tâche difficile de parfaire les institutions et la responsabilité de participer objectivement aux réformes nécessaires et aux orientations d'ensemble. La politique est trop importante pour qu'on l'abandonne entièrement aux soins de l'Etat, des théoriciens du socialisme, ou à l'influence prédominante d'un groupe particulier, de gauche ou de droite. L'équilibre ne peut résulter que de la confrontation de forces égales, conscientes de leurs droits, mais aussi des exigences du bien commun.
Dans ses interventions, le CDE tente de s'inspirer de ces données, pour lui essentielles, et de les adapter aux questions traitées. L'ensemble de ces programmes reflète une conception de la société, particulière, nous semble-t-il, au CDE. Dans cette optique, le patronat n'est pas une classe privilégiée, mais une élite responsable devant la nation; l'entreprise n'est pas un mécanisme aveugle et froid, mais un centre de croissance économique et d'épanouissement personnel, un véhicule du progrès réel.
Ces activités comportent une difficulté majeure, celle de faire la preuve malgré l'indifférence et le scepticisme :
Le choix du régime juridique donna lieu, à l'origine du CDE, à de vives discussions. Bon nombre de membres préconisaient le régime des syndicats professionnels, mais on opta enfin pour la formule d'incorporation en vertu de la troisième partie de la loi des compagnies du Québec, pour les motifs suivants :
Il convient de mentionner que le régime juridique et l'orientation idéologique du CDE, bien qu'ils aient été adaptés avec soin aux conditions du Québec, ont été influencés par les expériences de groupes européens d'inspiration similaire, notamment par l'Association des Patrons et Ingénieurs Catholiques de Belgique (APIC).
1 - STRUCTURES ÉLECTIVES
2 - STRUCTURES ADMINISTRATIVES |
Celles-ci reflètent un effort pour appliquer au fonctionnement du secrétariat certaines des données théoriques exprimées dans ces pages et pour résoudre des situations particulières :
Saisir une réalité en plein mouvement, en plus d'être difficile pour l'observateur, ne rend pas toujours justice à la chose observée.
Au risque de cristalliser certaines perceptions qui ne correspondraient pas à la réalité, ce texte n'a d'autre ambition que de présenter une photographie d'ensemble du Service de formation et de son action, en s'arrêtant aux aspects les plus caractéristiques, faisant grâce au lecteur des lignes de second plan.
Il s'agit d'un service qui compte à peine sa cinquième année d'existence, et qu'on retrouve en pleine croissance. C'est d'ailleurs cette dimension dynamique que le texte veut faire ressortir en rappelant les points saillants du passé pour mieux identifier la situation actuelle du service et ses perspectives de développement.
Printemps 1964. L'Association Professionnelle des Industriels vient de transformer son équipe de permanents. À un nouveau directeur général, en place depuis environ un an, s'ajoutent successivement un conseiller en productivité, un autre en administration du personnel et un troisième en animation sociale.
Un bureau est ouvert à Québec groupant les services d'administration du personnel, de productivité et d'animation sociale, le tout doté d'un secrétariat.
Après plusieurs tentatives menées à travers la Province pour activer la participation des membres à des programmes d'information et de consultation, les conseillers se rendent compte que les formules utilisées ne répondent pas aux préoccupations du marché. Une analyse de la situation d'ensemble débouche sur la conclusion qu'il faut changer l'orientation des programmes et trouver des formules plus appropriées aux besoins, compte tenu de la disponibilité des gens qu'on veut atteindre.
Certaines expériences pilotes sont menées à travers la Province, en particulier une série de laboratoires sur les relations humaines et la discussion en groupe. Nous en venons peu à peu à identifier
deux types d'activité qui deviendront le stage en travail d'équipe et le groupe de travail inter-entreprises.
Un programme est mis au point pour grouper les patrons au niveau des localités, les amener à échanger leurs connaissances et leurs expériences en administration et favoriser ainsi la collaboration inter-entreprise. La formule utilisée est le groupe de discussion animé par un conseiller. Le programme comprend une session de trois jours portant sur le travail d'équipe et une série de laboratoires pour discuter des cas d'administration soumis par les entreprises participantes. Discussion qui permet de dégager une conception générale de l'administration et de faire l'apprentissage d'instruments de travail pouvant servir au sein de l'entreprise.
Ce stage veut amener le participant à prendre conscience de ses besoins de formation sur le plan humain et sur le plan administratif. C'est le démarrage d'un processus de formation où l'élève apprend à devenir son propre agent de formation.
À cela s'ajoute une sensibilisation à des schèmes théoriques auxquels l'individu peut référer comme instrument de clarification et de compréhension.
a) Contenu
Les efforts de réflexion et d'analyse portent sur cinq aspects principaux du travail d'équipe :
La discussion peut entraîner le groupe sur un éventail de sujets plus ou moins reliés à ces catégories. Une attention cons- tante assure le lien entre la leçon du laboratoire et la réalité du milieu de travail. Chaque session prévoit une visite industrielle axée sur l'étude d'un « cas » présenté par l'un des participants. Occasion parfaite pour illustrer des applications du stage.
Le stage dure trois jours. L'horaire peut varier d'un groupe à l'autre selon la disponibilité des participants.
Généralement les groupes fonctionnent l'après-midi et le soir, ce qui permet au patron de faire son tour au bureau le matin.
Cette formule présente beaucoup d'inconvénients. On arrive en retard, on s'absente, on se concentre difficilement, on prend un temps énorme avant de créer l'atmosphère d'un laboratoire de formation. La plupart constatent à la fin qu'il aurait mieux valu couper toute communication avec les affaires et s'engager totalement dans un stage intensif.
Le stage utilise la formule du travail d'équipe. Le groupe devient son propre professeur et l'individu est lui-même son propre agent de formation. Le conseiller se réserve un éventail de rôles qu'il tient selon les besoins : animateur, informateur, conseiller ou simple participant.
Les séances de discussion alternent avec des laboratoires, des pauses, de façon à conserver un rythme enthousiaste, à soutenir l'intérêt et à tenir le participant sur un qui-vive continuel.
c) Techniques
Les techniques utilisées recherchent toutes à stimuler l'engagement et la participation active de l'individu de même qu'à développer la responsabilité du groupe.
D'abord, il y a des jeux. Celui du voyage en bateau qui démarre le stage. Imaginons dix ou douze personnes, se connaissant à peine, qui se retrouvent sur un bateau pour un voyage de 3 mois. Où aller, qui est capitaine, quel programme prévoit-on, quelle est la responsabilité de chacun, etc., autant de questions à répondre. Une situation ambiguë qu'il faut clarifier, avec tous les problèmes de relations interpersonnelles qu'on peut imaginer.
Le « rôle playing » est utilisé pour faire ressortir certaines attitudes et comportements au niveau des relations interpersonnelles qui constituent des blocages à la communication. On s'en sert également pour illustrer certains aspects du leadership.
Il y a la traditionnelle clinique des rumeurs dont on se sert pour mettre en évidence les points à surveiller dans la transmission orale d'un message. Nous utilisons également la même technique avec une image pour faire ressortir le biais de la perception individuelle. Un film, conçu expressément à cette fin, est souvent projeté.
Il y a ce que nous appelons le jeu du « miroir» où un groupe observe l'autre et évalue son fonctionnement. Nous retrouvons la même technique utilisée différemment lorsque l'animateur décrit le film d'une discussion.
Mentionnons encore l'étude de cas que nous utilisons avec un certain nombre de variations. N'oublions pas l'usage régulier et accentué du tableau et des graphiques. Le sociogramme nous permet d'illustrer par graphique, les types de changements sur le plan des relations interpersonnelles. Les noms ne sont pas révélés au groupe. Enfin, chaque participant reçoit un cahier contenant les procédures, les textes théoriques, les tâches et documents d'information.
d) Participants
Les stagiaires se recrutent principalement dans la petite entre- prise au niveau de la direction générale. L'entreprise moyenne délègue habituellement des cadres intermédiaires. A l'occasion, la grande entreprise y envoie des spécialistes.
Nos groupes comprennent dix à quinze participants recrutés dans une localité et les environs.
Deuxième étape du programme. Il s'agit d'une série de cinq laboratoires de discussion ayant comme objectifs de pousser l'apprentissage du travail d'équipe et du processus de solution de problème, d'amener les participants à mieux connaître leur entreprise respective, à se sensibiliser aux principes d'une administration efficace, à recueillir des idées et des suggestions pour résoudre leur problème et améliorer la productivité, à découvrir des possibilités de collaboration inter-entreprise, à favoriser le développement d'un climat de confiance et de solidarité dans le milieu patronal.
a) Contenu
Le contenu est relié aux «cas» soumis par les participants. L'animateur procède à une sélection des sujets compte tenu de l'intérêt général du groupe et des objectifs du cours.
b) Formule
Une fois le groupe constitué et prêt à fonctionner, chaque entreprise, par ses représentants, doit préparer un dossier comprenant trois types de renseignements :
Le groupe procède ensuite au choix de cinq cas représentatifs des fonctions majeures de l'entreprise telles que : direction générale, direction des ventes, de la production, des achats, du personnel et des services administratifs.
On fixe alors le calendrier des rencontres qui habituellement se tiennent à toutes les deux semaines.
Chaque laboratoire connaît sensiblement ce même processus de déroulement :
Le cours totalise une quarantaine d'heures et se termine par une séance d'évaluation.
Certains groupes, à la suite de ces rencontres, décident de fonctionner à l'année longue. D'autres inaugurent des formules de collaboration inter-entreprise, comme par exemple, bâtir un système de coût de revient, définir une politique de personnel, organiser un service d'achat dans l'une des entreprises participantes. Dans certaines localités, l'expérience donne naissance à des initiatives d'organisation professionnelle.
Une cinquantaine de dirigeants poursuivent le programme en groupes de travail inter-entreprises auxquels s'ajoutent une cinquantaine d'autres dans les stages en travail d'équipe. Plusieurs groupes sont prêts à s'engager dans la troisième étape, mais le manque de personnel nous oblige à reporter ce programme à l'année suivante.
c) Orientation
Le marché réagit lentement, mais les quelques groupes qui réussissent à fonctionner confirment le besoin de formation en administration. Définitivement, le potentiel est là, mais comment le développer ?
Certaines difficultés apparaissent très vite et freinent le développement du marché.
La disponibilité réduite des participants nous oblige à tenir les rencontres l'après-midi et le soir, pour leur permettre de « faire leur journée» durant l'avant-midi. De plus, on préfère fonctionner à raison d'une journée par semaine ou par quinze jours. Cette situation impose aux conseillers des déplacements nombreux qui rongent une forte proportion de leur temps, sans compter l'accumulation de la fatigue physique.
Par voie de conséquence, le peu de temps qui reste est voué à la rédaction des rapports auxquels les participants tiennent comme travaux de référence. La recherche, l'administration des programmes, la conception des instruments de travail et certains travaux de consultation sont partagés parmi trois conseillers dans leurs périodes de temps libre.
Une autre restriction majeure au développement du marché est le coût d'un tel programme qui ne peut être totalement défrayé par les participants sans devenir prohibitif. En fait, cette première année d'opération se solde par un déficit de $20,000 que l'Association absorbe à même ses revenus de cotisations.
Forte de cette expérience, l'équipe analyse la situation pour découvrir que le programme a une valeur réelle puisqu'il répond à des besoins de formation en administration au niveau de la petite et moyenne entreprise. Toutefois, il ne peut s'autofinancer à cause des coûts excessifs que les participants ne sont pas prêts à défrayer.
Le programme ne peut prendre d'expansion en restant sous la seule égide de l'Association. Il faut ou bien le transférer à un organisme dont le potentiel financier permet d'absorber les déficits ou bien solliciter le support financier du gouvernement.
Des démarches sont entreprises alors auprès du ministère de l'Industrie et du Commerce et du ministère de l'Education, plus précisément au Service de l'enseignement technique et spécialisé. Ce dernier s'intéresse au programme et y voit un moyen d'améliorer l'efficacité administrative des cadres et de développer la productivité de l'entreprise. Une série de rencontres débouche sur une entente qui permettra au programme de se développer et à l'équipe d'augmenter ses effectifs.
Assurée du support du directeur général et de l'exécutif qui endossent la nouvelle orientation grâce à la collaboration financière du ministère de l'Education, l'équipe lance le programme CAP (Coopération pour l'accroissement de la productivité) avec un objectif de 200 participants.
Le programme de coopération pour l'accroissement de la productivité (CAP) se donne comme objectifs de perfectionner la compétence administrative des dirigeants, d'identifier des besoins communs et de mettre au point des mécanismes de collaboration inter-entreprise pour satisfaire ces besoins. Bref, il s'agit de préparer le terrain à l'implantation des formules de groupement qui permettront à la petite et moyenne entreprise de se donner les services qu'elle ne peut se payer seule. Par exemple, une douzaine d'entreprises peuvent mobiliser les services d'un spécialiste à plein temps en relations industrielles, en génie, en comptabilité, etc., ou encore créer un centre de mécanographie et autres initiatives du genre.
Nous essayons d'abord de démarrer des projets de ce type, mais nous devons reconnaître les prérequis d'un climat de con fiance et de collaboration pour assurer l'efficacité de telles initiatives. Les barrières s'élèvent sur plusieurs plans à la fois, en commençant par celle du langage. Nous devons nous donner une langue administrative que les participants comprennent. Au niveau des attitudes et des mentalités, il y a également beaucoup de choses à faire. Le changement des structures sociales suppose un changement des structures mentales. Par son approche, le programme doit amorcer un processus de changement chez l'individu d'abord, lequel deviendra ensuite agent de changement dans son entreprise et dans son milieu.
Au stage en travail d'équipe (STE) et au groupe de travail inter-entreprises (GTIE) dont il fut question plus haut, s'ajoutent le groupe de travail en administration (GTA) et le groupe auto-diagnostic (GAD).
Le GTA comporte trois stages de trois jours qui poursuivent les objectifs suivants :
a) Le contenu
Le contenu du GTA s'intéresse aux principales fonctions de l'administration générale : planification, organisation des fonctions, ressourcement humain et contrôle.
Au chapitre de la planification, il s'agit d'analyser la nature de l'entreprise en fonction de son marché, de définir des objectifs et des politiques de productivité.
Une deuxième série de discussions porte sur l'organisation des fonctions dans l'entreprise, aux niveaux suivants : conseil d'administration, exécutif, présidence, direction générale, ventes, production, achats, personnel, services administratifs, etc.
Un troisième bloc d'activités étudie la communication, la délégation et le style de direction afin de sensibiliser le participant à son style et à l'impact de son style sur le comportement des autres et sur toute l'organisation.
Le tout couronné par la stratégie administrative qui comporte un ensemble de principes directeurs et une conception de l'administration qui puise ses fondements dans les théories modernes.
b) La formule
La formule est celle du GTIE. Chaque participant suggère un cas et le groupe choisit celui qui se prête le mieux à l'étude projetée. Pendant que le groupe travaille sur le cas, chacun peut en faire une application à sa propre situation et à sa propre entreprise de sorte que l'étude prend un caractère pratique.
c) Les techniques
Les techniques utilisées réfèrent à un ensemble d'instruments de travail bien structurés dont l'usage est déterminé selon une procédure définie.
Ces techniques sont conçues en fonction des champs d'application suivants :
Chaque participant dispose de ces instruments de travail qui sont reproduits au tableau pour l'usage en équipe.
L'animation des séances de discussion est assumée à tour de rôle par les participants, chaque animateur faisant l'objet d'une évaluation par le groupe.
Ce stage se veut l'apprentissage de la technique du diagnostic cherchant à identifier la situation, ses exigences et les besoins de changement. En même temps, il s'agit d'élaborer des programmes d'implantation pour changer la situation et améliorer la productivité de l'entreprise.
a) Formule
La formule consiste à diviser le groupe en équipes de deux participants qui doivent visiter l'entreprise d'un confrère pour y effectuer un diagnostic. Les résultats sont soumis à l'analyse du groupe, lors d'une série de réunions prévues et animées par un conseiller.
Cette formule, de même que celle du groupe de travail en administration, donnera naissance aux stages du programme actuel que l'on retrouve en phase II.
b) Participation
Le programme de l'année enregistre 317 inscriptions en STE, 193 en GTIE, 40 en GTA et une quinzaine en GAD.
Trois animateurs nouveaux viennent prêter main-forte aux trois seniors. Des travaux de recherche sont entrepris pour améliorer les formules et rendre le programme plus efficace.
Au mois de juin, nous avions rencontré nos objectifs en accumulant une foule d'expériences qui nous suggéraient des changements à apporter aux formules, aux techniques et au contenu.
Les transformations majeures inscrites au programme en cours peuvent s'identifier comme suit :
Assurés encore une fois du support financier et moral du ministère de l'Education, nous dotons notre équipe d'un septième conseiller.
Le marché, sensibilisé au besoin de formation en administration, manifeste un intérêt croissant pour nos programmes. La phase I enregistre 280 participants et la phase II, environ 75, au total 350 dirigeants.
Du côté de l'équipe, les formules sont plus rodées, les améliorations aux instruments de travail en accentuent l'efficacité et chaque conseiller maîtrise davantage son métier en élargissant l'éventail de la polyvalence au sein de l'équipe. Le budget dépasse les $150,000.
Bref, le programme est entré dans une période d'expansion et d'amélioration qui se continue.
Il n'est pas question de les énumérer toutes, mais retenons celles qui ont freiné l'utilisation optimale des ressources.
Parmi les principaux facteurs qui ont présidé à la naissance et au développement du programme, mentionnons :
Nous indiquons quelques chiffres pour préciser certains aspects de la participation des dirigeants au programme CAP.
Notons que la période couvre les années 1964 à 1967, plus précisément trois programmes annuels.
PARTICIPATION AUX STAGES DE JUILLET 1964 À JUILLET 1967
|
1964-1965 |
1965-1966 |
1966-1967 |
STE |
109 |
50 |
317 |
GTIE |
40 |
54 |
193 |
GTA |
— |
— |
40 |
GAD |
— |
— |
15 |
PARTICIPANTS PAR STAGE DE JUILLET 1964 À JUILLET 1967
STE ......................................................................................... 476
GTIE ........................................................................................ 287
GTA .......................................................................................... 40
GAD .......................................................................................... 15
NOMBRE DE PARTICIPANTS PAR CATÉGORIE DE FONCTIONS ET PAR RÉGION
Québec-Beauce .................................................................. 35 participants
Bois-Francs ........................................................................... 37 participants
Montréal .............................................................................. 25 participants
Lac St-Jean .......................................................................... 11 participants
Bas St-Laurent .................................................................... 61 participants
TOTAL: 169 participants
Québec-Beauce.................................................................... 23 participants
Bois-Francs ............................................................................. 23 participants
Montréal ............................................................................... 30 participants
Lac St-Jean ............................................................................ 8 participants
Bas St-Laurent ...................................................................... 12 participants
TOTAL : 96 participants
Cadres inférieurs
Québec-Beauce .................................................................... 13 participants
Bois-Francs ................................................................................ 2 participants
Montréal .................................................................................. 9 participants
Lac St-Jean .............................................................................. 3 participants
Bas St-Laurent ........................................................................ 9 participants
TOTAL : 36 participants
Nombre d'entreprises qui ont participé au programme CAP
Québec-Beauce ................................................................ 71 entreprises
Bois-Francs .......................................................................... 56 entreprises
Montréal ............................................................................ 52 entreprises
Mauricie .............................................................................. 8 entreprises
Lac St-Jean ....................................................................... 31 entreprises
Bas St-Laurent .................................................................. 44 entreprises
TOTAL: 262 entreprises
ÉVOLUTION DES PROGRAMMES (1964-68)
Années |
Nombre d'inscriptions |
Nombre de groupes |
Nombre d'heures de cours |
Nombre de conseillers affectés aux cours |
1964-65 |
150 |
14 |
420 |
2 |
1965-66 |
104 |
10 |
450 |
2 |
1966-67 |
375 |
46 |
2,000 |
6 |
1967-68 |
350 |
30 |
2,280 |
6 |
Le tableau tient compte de l'affectation des conseillers à la réalisation du programme seulement, plus précisément à l'organisation et à l'animation des stages. Il faut ajouter le temps requis pour l'administration du programme, les travaux de recherches et d'innovation, les activités de consultation, etc.
Pour comprendre davantage le service de formation, il est bon de le situer dans l'ensemble du CDE. Et ici je réfère tout simplement aux travaux précédents.
L'administration du service est basée sur le principe de la direction collégiale. Quatre conseillers se partagent les fonctions administratives : planification, organisation, ressourcement humain, direction, contrôle, sur le plan de l'innovation, des ressources de marchés, des ressources financières et des services administratifs.
Ce type de structure permet de développer la polyvalence au sein de l'équipe en assurant une flexibilité dans la répartition des tâches qui favorise l'utilisation optimale des ressources. Moyennant un fonctionnement adéquat, il assure des communications horizontales et verticales qui favorisent l'intégration et la coordination des programmes.
Les conseillers actuellement en fonction dans le service sont au nombre de six auxquels s'ajoutent deux secrétaires. Tous sont diplômés de Laval, en sciences sociales, génie ou commerce. Tous ont travaillé trois à cinq ans dans différents milieux d'affaires avant d'entrer dans le service. Tout le monde a suivi un ou deux stages en dynamique des groupes et autres stages spécialisés.
Mentionnons une collaboration étroite du service avec le professeur Laurent Bélanger, Ph.D., de l'université Laval, et le professeur William J. Reddin, Ph.D., de l'université de Fredericton.
Sans aller dans le détail, quelques idées maîtresses sur notre conception de l'administration faciliteront une meilleure compréhension des programmes.
Partant du fait que l'entreprise est une entité sociale et économique faisant partie d'une société en constante évolution dont elle subit l'influence, il appert qu'une approche administrative efficace doive être axée sur l'adaptation continuelle de l'individu et de l'organisation à la situation changeante de façon à y devenir un facteur de développement et de progrès.
Cette dynamique interne requiert une intervention rationnelle qui tienne compte à la fois de la dimension sociale (les relations humaines) et de la dimension économique (la production) dans une perspective d'intégration dont les normes seront dictées par les exigences de la situation et des objectifs à réaliser.
Ce processus nous fait déboucher sur le concept de formation permanente dont le but consiste à doter l'administrateur des attitudes et des comportements qui le rendront apte à développer le potentiel des ressources mises à sa disposition.
C'est à cette condition que l'entreprise pourra répondre aux exigences de son rôle social et économique dans la société. Rôle qui doit se définir en termes de facteur de progrès et de mieux-être.
Dans le prolongement de sa zone d'influence immédiate qui est son entreprise, l'administrateur que l'on peut qualifier d'agent de changement pourra étendre son rayonnement jusque dans les milieux où il évolue.
Ainsi, un programme de formation en administration qui s'adresse directement à l'individu comme chef d'entreprise ou comme administrateur, amorce un processus de changement qui, des structures mentales, passera dans les structures sociales et économiques. Si le point d'impact premier du programme est l'administrateur, par lui nous atteignons l'entreprise et la société.
L'ensemble des programmes cherche à améliorer l'efficacité de l'administrateur et la productivité de l'entreprise. Distinguons pour les fins de présentation trois types majeurs de programmes. Un programme de base, des programmes d'implantation à l'intérieur de l'entreprise et certaines activités spécifiques.
Le programme de base comporte une série de stages regroupés en deux phases que le participant peut suivre sur une période de deux ans ou moins. Ces stages qui se tiennent sous forme d'internat, sont ouverts à l'ensemble des dirigeants d'entreprise plus précisément aux présidents et directeurs généraux, aux responsables des fonctions majeures de l'organisation et aux spécialistes.
Le programme cherche à développer la compétence administrative en vue d'améliorer l'efficacité de l'administrateur; il comprend deux séries de stages de trois jours regroupés en deux phases.
La phase I comprend deux stages : l'un portant sur le travail d'équipe, l'autre sur le style d'administration. Ces deux stages mettent l'accent sur la dimension humaine de la compétence administrative.
a) Session en travail d'équipe (STE)
Nous y retrouvons sensiblement les mêmes éléments de base qui existaient dans le programme CAP. Rappelons brièvement les préoccupations majeures du stage.
— Changer les structures mentales
Aider l'individu à mieux se connaître, à identifier les blocages à la communication et à évaluer l'influence de son comportement sur celui des autres et vice versa; créer un climat qui permette au groupe de développer des relations authentiques interpersonnelles et intergroupes; permettre au participant de faire l'apprentissage d'une méthode rationnelle de travail; analyser les différents aspects du leadership et tracer la généalogie des principales théories des styles d'administration; autant d'objectifs spécifiques que se donne le STE.
Ces préoccupations sont toutefois dominées par celle de changer la manière de voir de l'individu et de le sensibiliser à l'« autre ». D'où l'insistance du stage sur le phénomène de la perception que le groupe analyse à partir de deux expériences : celle du voyage en bateau qui est expliquée au premier chapitre de ce texte et que nous avons conservée telle quelle; une deuxième qui utilise le film : A chaque homme sa vérité. Le « feed back » et l'évaluation systématique permettent une exploration approfondie de la perception et de ses conséquences sur l'agir humain.
— Apprendre à travailler
Le deuxième jour met l'accent sur la méthode de travail qui indique comment aborder un problème ou une tâche à réaliser. Le groupe fait l'apprentissage d'un processus de travail en réalisant deux tâches : la première consiste à définir un problème de personnel et à décider de l'action à prendre. La deuxième se déroule comme suit : chaque équipe doit d'abord préparer une activité de trente minutes qui aura lieu en soirée. Ensuite, deux délégués de chaque équipe se rencontrent à une table de négociation pour décider du programme de la soirée. Les équipes agissent comme conseillers. Cette expérience dont le but immédiat est l'apprentissage d'un processus rationnel de travail (définition de la situation, prise de décision, réalisation et évaluation) se prête très bien aux relations intergroupes et fait ressortir l'impact du groupe de pression sur l'individu. C'est un laboratoire qui fait l'objet d'une évaluation de groupe éminemment profitable pour les participants.
— Percevoir l'interinfluence
La troisième partie du stage traite de la motivation, de l'interinfluence et du phénomène du leadership dont une brève revue retrace les principales théories. Le groupe a certains travaux à effectuer, mais l'étude du leadership se fait principalement en référant aux expériences des deux premiers jours. Le fait de les revoir avec un certain recul et un nouvel éclairage en fait ressortir une dimension beaucoup plus significative.
— Le processus est amorcé
Il serait utopique de prétendre que ce premier stage transforme l'individu, mais il l'amène à se poser un certain nombre de questions sur ses attitudes, ses comportements, sa manière d'être et d'agir, sa philosophie, sa perception des autres et de l'univers qui l'entoure. Des questions... dont il n'a pas la réponse. C'est peut-être ça le plus valable. Il y pensera, s'interrogera, vérifiera et peut-être changera-t-il. Le processus est amorcé. Vient alors la session en style d'administration.
b) Session en style d'administration
Ce deuxième stage poursuit le processus de changement qui s'est amorcé chez l'individu en abordant cette fois ses attitudes et ses comportements sous l'angle des relations hiérarchiques. Il amène l'administrateur à analyser sa façon d'agir comme supérieur vis-à-vis de ses subalternes, c'est-à-dire, ses styles d'administration.
— La situation : référence de base
Le cadre de référence utilisé est la théorie des trois dimensions : la tâche, les relations et l'efficacité. Il s'agit pour l'individu d'analyser son comportement en fonction de ces trois variables dans une situation donnée.
La situation devient une référence fondamentale puisque c'est elle, par les exigences qu'elle comporte, qui permet d'identifier le style approprié, condition pour l'administrateur d'assurer l'efficacité de son leadership.
Toute situation est changeante et comporte des exigences propres. La théorie des trois dimensions formule comme hypothèse que le style de direction doit tenir compte de ce changement de sorte qu'il n'y a pas de style idéal absolu. Elle identifie la valeur du style en termes d'efficacité et le style efficace est celui qui est approprié à la situation. Ainsi, les deux facteurs qui favorisent la compétence du chef au niveau du leadership, c'est son habileté à diagnostiquer une situation pour en connaître les exigences et sa capacité d'adopter le type de comportement qui répond à ces exigences.
— Connaître ses styles
Le stage se donne comme but principal d'amener le participant à identifier son style de base, ses styles dominants et ses styles de support.
Il doit se familiariser avec la théorie de façon à pouvoir s'en servir comme instrument de travail et comme cadre de références. Le travail d'équipe le sensibilise aux styles des autres, développe son habileté à diagnostiquer une situation, à développer son efficacité personnelle et celle du groupe.
— Un stage structuré
Un certain nombre de tâches sont prévues telles que les tests individuels, l'analyse de films et de situations administratives. Chaque tâche comporte une procédure bien définie de sorte que 90% du temps est voué au travail en petits groupes de 5 ou 6 participants.
Des plénières sont prévues pour les échanges, les évaluations et les compléments théoriques.
La phase II comprend quatre stages portant sur la planification du développement de l'entreprise, l'organisation des fonctions administratives, le changement situationnel dans l'entreprise et la revision du progrès. Ces stages sont directement reliés à l'administration.
a) Session en planification générale (SPG)
Le stage a comme but d'étudier la stratégie de l'entreprise en relation avec sa planification, son organisation, son fonctionnement. L'approche consiste à faire une analyse critique de la nature de l'entreprise en fonction du marché et des facteurs qui en conditionnent les réactions.
Cette analyse permet de dégager certaines prévisions et de définir des objectifs généraux qui orienteront toute l'administration.
A cela s'ajoutent des politiques de productivité et une programmation à long terme du développement de l'entreprise.
b) Session en organisation des fonctions (SOF)
Les fonctions concernées ici sont celles du Conseil d'administration, de l'exécutif, du président, du directeur général et des directions ou gérances spéciales telles que : marketing, production, achats, personnel, contrôle, etc.
Le programme comprend les étapes suivantes :
c) Session en changement situationnel (SCS)
Le stage est conçu pour permettre au participant de faire une application concrète des connaissances acquises à son milieu de travail.
Chaque participant doit présenter un programme de changement qui est analysé par le groupe. Cette analyse permet au groupe d'évaluer chaque stagiaire comme agent de changement au point de vue efficacité.
d) Session en revision de progrès (SRP)
Elle a lieu quatre mois après la session précédente. A partir d'une évaluation des résultats du programme de changement de chacun des participants, le groupe redéfinit les zones de résistance rencontrée et la situation globale dans laquelle le changement s'insérait. L'approche de chaque individu est également évaluée de façon à déterminer si elle a été appropriée à la tâche à réaliser dans la situation spécifique de l'individu. Chaque stagiaire a également l'occasion d'expérimenter de nouveaux comportements ou de nouvelles approches, en cours de session, de façon à l'aider à mieux ajuster son action à sa situation.
— Formule
La formule consiste, pour les stages en planification et en organisation des ressources, de faire un jeu d'entreprises. Deux ou trois équipes ont à bâtir une entreprise à partir d'un certain nombre de données fournies par le ministère de l'Industrie et du Commerce. Chaque participant dispose d'un dossier où il trouve des instruments de travail, des schèmes théoriques et des procédures pour assurer le déroulement du stage en fonction de la réalisation des objectifs.
Pendant que l'équipe travaille à bâtir son entreprise, différents aspects de l'administration ressortent au niveau des principes comme des techniques. Le stagiaire établit des relations avec son milieu de travail et en prend note.
À la suite de ces deux stages, le participant prépare un projet de changement dans le but d'illustrer une application du cours. C'est à partir de son programme que le groupe l'évalue comme agent de changement.
— Participants
Ceux qui ont suivi la phase I et la phase II, une soixantaine de personnes environ, ont témoigné de la valeur pratique du cours, mais principalement de sa valeur comme processus de changement chez l'individu.
En effet, une des hypothèses de base du programme situe l'importance du cours sur l'amélioration de l'efficacité administrative laquelle requiert des attitudes, des comportements, une philosophie nécessaire pour faire du dirigeant d'entreprise un agent de changement. Cette hypothèse débouche directement sur le concept de la formation permanente. Le programme est justement conçu pour engager le participant dans un processus de formation qu'il pourra poursuivre au sein de son entreprise grâce au bagage de connaissances et d'expériences acquises au cours des stages.
Une entreprise dont les cadres supérieurs ont suivi tous les stages est passablement bien préparée à procéder à l'élaboration et à la réalisation de programmes internes qui assureront une amélioration de la productivité.
Jusqu'à maintenant les entreprises qui se sont engagées dans ce processus ont témoigné effectivement d'un accroissement de la productivité et d'une augmentation sensible des profits. Le programme, sans en être le seul responsable, a été un facteur de première force, si l'on en juge d'après les témoignages des responsables.
Ces programmes varient selon les besoins de l'entreprise. Ils sont taillés sur mesure. Pour une action en profondeur, nous exigeons que l'équipe de direction ait suivi la phase I du programme de base et la phase II. Il se peut que dans certains cas, la phase II se poursuive immédiatement au sein de l'entreprise, lorsque les conditions garantissent un minimum d'efficacité.
Tout programme interne élaboré vise essentiellement l'accroissement de la productivité par l'utilisation optimale des ressources.
L'efficacité d'un programme de cette nature présuppose certaines conditions :
Le cadre général des programmes d'implantation s'identifie en terme d'administration générale caractérisée par la planification, l'organisation, le ressourcement humain, la direction, le contrôle, applicables aux ressources de l'entreprise : connaissance, ressources de marché, ressources humaines, ressources matérielles, ressources financières.
Quant à notre rôle comme agent de changement, il est conditionné par la situation existante, principalement la nature de l'équipe de direction et sa préparation à devenir elle-même agent de changement au sein de l'organisation. Concernant le rôle du conseiller, c'est un aspect qui est traité au chapitre signé par M. Guy Darveau.
En plus de ces deux programmes majeurs, il nous arrive de prêter nos services à des activités de consultation ou d'animation répondant à des besoins spécifiques et sur une base limitée.
Les objectifs et les processus de déroulement sont alors clairement définis en collaboration avec les responsables concernés en identifiant les limites d'une telle intervention.
Nos programmes sont-ils efficaces ? Ont-ils la valeur que nous leur prêtons ? Répondent-ils aux besoins des dirigeants d'entreprise ? Autant de questions qui préoccupent au plus haut point l'équipe des conseillers.
Nous disposons de certains modes d'évaluation tels que :
Ce sont toutes des évaluations subjectives soumises au biais de la perception. Les changements effectués dans l'entreprise à la suite des stages et l'augmentation de la productivité, sans être traités de façon scientifique, sont des indices qui confirment l'évaluation subjective.
Il faut vraiment développer des instruments de mesures à caractère objectif. D'ailleurs l'évaluation de nos programmes fait l'objet d'un projet de recherche mené en collaboration avec le professeur Laurent Bélanger, Ph.D., de la faculté des sciences sociales de Laval, qui nous consacre, d'ailleurs, un chapitre à ce sujet.
Il semble justifiable, dans la situation actuelle, de conserver l'ensemble de nos programmes, particulièrement le programme de base. Une raison sérieuse à cela, c'est la possibilité d'en mesurer les résultats avec des instruments scientifiques qui sont en voie de développement. Par ailleurs, l'équipe est bien consciente que la situation peut changer et rendre le programme inapproprié. Il est bien évident que nous n'avons pas l'impression d'avoir trouvé la formule magique des trente prochaines années. Mais dans le moment, nos connaissances et notre expérience, compte tenu des besoins du marché, nous justifient de conserver pour un temps l'orientation actuelle, quitte à faire les ajustements adéquats.
Au chapitre des transformations, elles se feront surtout à l'intérieur des stages. Certains doivent être structurés davantage, d'autres exigent des instruments de travail plus rodés. Quant au contenu, une certaine partie doit être reprise pour fins de présentation.
Par ailleurs, le prochain programme prévoit l'addition d'un stage portant sur la revision du progrès. Ce stage se tiendrait quelques mois après la fin d'une phase II. L'objectif : permettre aux stagiaires de présenter leurs programmes de changement et d'en discuter avec leurs coéquipiers afin d'y apporter des améliorations et d'en accroître l'efficacité. Ce stage ferait partie de la phase II du programme de base.
Une transformation qui nous paraît majeure, c'est une nouvelle orientation concernant l'organisation des stages. Tout est à repenser en ce domaine. Présentement, la recherche se fait dans le sens de l'animation sociale qui intégrerait l'inventaire des besoins et des ressources disponibles, l'organisation des groupes, les relations avec le marché et le recrutement des membres. Il semble bien qu'une telle orientation accroîtrait l'efficacité des ressources.
L'expérience des quatre dernières années nous lègue beaucoup d'acquis sur lequel repose ce qu'on pourrait appeler la solidité de notre action. Cela dit, nous demeurons ouverts à toute transformation possible, y compris un changement d'orientation s'il s'avérait que les objectifs du service ne correspondent plus à la situation.
Si on situe l'action du Service de formation et du Centre des Dirigeants d'Entreprise dans le contexte québécois, canadien et nord-américain, nous avons la conviction d'oeuvrer dans un domaine, celui de l'éducation permanente, où s'inscrivent des garanties sûres du progrès social et économique.
On accepte de sens commun que les deux facteurs qui assureront le développement de la société moderne sont la recherche et l'éducation. Jacques-Servan Schreider dans son livre « Le Défi américain » démontre qu'en société post-industrielle, le principal facteur de progrès résidera dans les systèmes d'éducation et l'innovation technologique mise à leur service.
Une telle affirmation accentue l'importance de la formation chez nos dirigeants d'entreprise et chez nos administrateurs, à qui l'on doit reconnaître une position de leadership de premier plan en tant qu'agents économiques.
D'ailleurs, une affirmation de Robert McNamara met l'emphase sur le rôle de nos administrateurs dans cette société moderne : « La véritable faiblesse pour une société démocratique, écrit-il, vient de la faiblesse du «management ». Le « sous- management » n'est pas le respect de la liberté, c'est simplement laisser d'autres forces qui peuvent être : l'émotion, la haine, l'agression, l'ignorance, l'inertie, façonner la réalité à la place de la raison.»
La compétence administrative de nos dirigeants n'est pas une panacée à l'ère nouvelle que le prochain quart de siècle ouvre à notre société, mais ce sera sûrement un facteur de première force.
Dans cette perspective, le service justifie la raison d'être de ses programmes qui constituent l'apport particulier du CDE à l'effort concerté de la société.
Souhaitons, pour assurer plus d'efficacité à cet effort commun, qu'on vienne à une meilleure validation et coordination de tous les programmes qui ont droit de cité sur le marché.
Nous soulignons ici quelques opinions relevées d'un sondage auprès des anciens stagiaires du STE, GTIE et GTA. Nous avons choisi les appréciations qui mettent en évidence certains aspects du programme.
Malheureusement, les réponses au questionnaire n'étant pas signées, nous ne pouvons les identifier. Le questionnaire avait été envoyé à tous les participants au programme à travers la province, couvrant la période 1965-66.
« Cette nouvelle méthode d'animation fut pour moi une révélation : après avoir été dans l'armée canadienne pendant près de dix ans comme officier junior puis senior, je n'aurais pas cru possible d'obtenir un résultat quelconque d'un groupe d'élèves à moins d'avoir une discipline rigide : au début, cette nouvelle méthode d'animation me répugnait, mais après deux ou trois jours je l'acceptai sans aucune réserve et aujourd'hui, je me demande comment on a pu obtenir des résultats auparavant avec l'autre méthode. »
« Un des avantages du cours a été de me faire réaliser que l'on pouvait, dans certaines circonstances, apprécier des personnes qui normalement ne nous auraient pas été sympathiques. Par contre, cette appréciation réelle pour des individus ne réduit en rien les difficultés qu'ils présentent en groupe de travail. Même si je crois qu'il est théoriquement possible de travailler efficacement en groupe (et même si c'est quelque chose que je désirerais beaucoup) la session en travail d'équipe m'a démontré que cette forme de travail est excessivement difficile et qu'elle ne donnera des résultats qu'en fonction d'une sélection toute particulière des individus qui la formeront. Ce travail en équipe serait un idéal difficile à atteindre et les stages intermédiaires de plus ou moins grande réussite ne donnent pas suffisamment de résultats pour les efforts qu'ils requièrent. »
« Le cours est très bien construit, et fait de manière à ce que tous participent étroitement au cours. Etant structuré pour des groupes, on a l'impression qu'il est fait plus précisément pour chacun de nous en particulier, de là, son efficacité.»
« Je n'ai pas trop apprécié la session; je l'ai considérée un peu comme une initiation, j'attendais les « attrapes », les pièges; je n'ai pas aimé les longueurs et les efforts pour tuer le temps. Ce n'est qu'après la session que j'ai compris la leçon qu'il y avait à en tirer.»
« Comme il a été dit à notre dernière rencontre, il serait souhaitable que le groupe poursuive ses activités. Nous devrions essayer de recruter de nouveaux membres afin de leur communiquer ce que nous avons eu et leur mettre dans la tête cette coopération inter-entreprise.»
« J'ai été frappé par l'ouverture d'esprit qui s'est développée dans le groupe qui veut même poursuivre ses rencontres pendant l'été... ça me donne confiance.»
« J'ai appris à tenir compte des idées des autres au niveau des subalternes et des supérieurs. Je sais beaucoup mieux écouter qu'auparavant.»
« J'ai été impressionné par la preuve que j'ai obtenue de la puissance du travail d'équipe, de la force d'un groupe quand il met en commun toutes ses ressources intellectuelles. »
« J'évalue différemment les hommes. Je méprise aujourd'hui les « yes-men » que j'appréciais hier. »
« Nous avons cherché à développer l'esprit d'équipe chez nous et nos réunions sont beaucoup plus efficaces. C'est une amélioration de 100%.»
« Cette méthode nous aide à être beaucoup plus efficaces au niveau des idées. J'ai remarqué, par exemple, que nos idées étaient beaucoup plus précises et que nous prenions moins de détours pour les exprimer. »
« Nous avons sûrement appris quelque chose concernant la technique, mais après avoir agi comme animateur à tour de rôle, nous constatons que nous avons encore beaucoup à apprendre et c'est une bonne raison pour continuer.»
« J'ai beaucoup bénéficié des idées du groupe. J'ai même procédé à des changements dans mon entreprise et je peux dire maintenant que les résultats sont épatants.»
« Quand je sortais de nos séances d'étude, mes opinions étaient beaucoup plus précises et avaient beaucoup plus de poids; c'a été très utile lorsque j'avais à les discuter avec d'autres.»
« J'ai appris combien il peut y avoir de bonnes idées chez les autres et maintenant je prends tout le temps qu'il faut pour écouter mes coéquipiers et mes contremaîtres. Depuis que je fais ça, je réalise que j'ai des hommes de valeur qui ont de très bonnes idées. »
« Nous n'avons sans doute pas réglé beaucoup de problèmes, mais nous avons eu des discussions qui nous ont fait beaucoup réfléchir sur notre façon d'administrer et de nous comporter. »
« J'apprécie beaucoup ces rencontres, je crois qu'elles sont profitables à tous les participants et qu'elles améliorent notre formation d'hommes d'affaires. »
« Ces groupes de travail ou ces rencontres nous ont permis de mieux nous connaître, de discuter selon une méthode établie, de prendre des décisions et d'acquérir une plus grande confiance en soi et envers les autres. »
« Cette session de discussions inter-entreprises a été un enrichissement; elle m'a permis des observations psychologiques sur le comportement d'individus vivant dans des entreprises différentes, mais groupés en équipe pour fins d'analyse de problèmes disparates. La solidarité du groupe a été, pour moi, un facteur déterminant dans la solution des problèmes; l'individualité doit faire place à la communauté. »
« Pour moi la liaison de nos hommes d'affaires ne sera jamais assez présente et forte via des organismes comme le CDE. »
Guy Darveau
Au moment d'aborder cette étude, il nous apparaît essentiel de préciser certains points. Les considérations que l'on retrouve dans ce chapitre nous sont inspirées par diverses expériences réalisées par le CDE depuis quatre ans dans le domaine de la formation des dirigeants d'entreprise. Il ne faudrait donc pas leur donner une interprétation définitive, conduisant à des prises de position absolues. Au contraire, elles ouvrent la voie à une certaine recherche et laissent un très grand nombre de questions sans réponse. C'est l'esprit dans lequel nous nous situons.
Il ne s'agit pas, non plus, d'une étude académique sur la formation des dirigeants d'entreprise. Nous sommes avant tout des praticiens. Notre conception de la formation provient donc de l'expérimentation de diverses théories dans un milieu particulier.
En troisième lieu, nous désirons préciser la définition que nous donnons dans ce texte à l'expression « dirigeant d'entreprise ». Le « dirigeant », c'est tout individu dont la fonction implique une responsabilité administrative avec une ou plusieurs personnes. Le terme « entreprise » ne réfère à aucun type particulier tel que l'industrie, le commerce, la finance ou les services; il les englobe tous. L'expression « dirigeant d'entreprise » concerne donc tout individu occupant n'importe quelle fonction pouvant se situer, par exemple, dans le cas d'une entreprise industrielle, à partir du président jusqu'au contremaître, ces deux dernières fonctions incluses. Enfin, lorsque nous référons à la personne qui est propriétaire de l'entreprise et qui en dirige les destinées, nous l'appelons « dirigeant-propriétaire ».
***
Pour traiter de la formation des dirigeants d'entreprise, nous devons partir du concept général de l'éducation des adultes, qui considère la formation comme un tout, c'est-à-dire comme une action permanente sur un sujet déterminé. Une des caractéristiques principales de l'éducation des adultes est qu'elle doit s'inspirer de la situation et des besoins des individus concernés. A l'instar de toute fonction éducative, dans le secteur des adultes plus particulièrement, notre action doit donc être adaptée aux individus et au milieu dans lequel elle s'exerce.
Cependant, il s'agit bien ici d'une catégorie spéciale d'adultes. En effet, le champ d'action du CDE se situe expressément au niveau d'adultes qui ont un rôle particulier à jouer dans l'entreprise et, aussi, dans la société. Ses activités de formation s'adressent donc à tous les dirigeants d'entreprise, peu importe la nature des entreprises où ils sont et le niveau de direction qu'ils occupent.
Toutefois, même si la formation des dirigeants d'entreprise diffère par son contenu et ses méthodes de l'éducation des adultes en général, la pédagogie, c'est-à-dire la façon de concevoir l'éducation, pourrait ou devrait être la même. Formellement, un dirigeant d'entreprise s'éduque de la même manière que n'importe quel autre adulte.
Avant d'aborder proprement le processus pédagogique, nous tenterons de décrire brièvement la situation dans laquelle évolue le dirigeant d'entreprise et les principaux besoins qui s'en dégagent.
Nous vivons à une époque où les changements économiques et sociaux se succèdent à un rythme accéléré. L'entreprise, qu'elle soit productrice de biens ou de services, est alors constamment obligée de repenser sa conception administrative et son rôle. Mentionnons quelques aspects importants de cette situation.
L'entreprise évolue dans une économie de marché. Pour survivre, elle doit accéder à des marchés de plus en plus considérables et entrer en concurrence, de ce fait, avec des organisations de plus en plus vastes, pourvues de moyens quasi illimités. Même si les grandes corporations ne sont pas à l'abri de ces dangers, les petites et moyennes entreprises demeurent les plus vulnérables. On ne finit pas de dénombrer, à chaque année, les entreprises québécoises qui doivent fermer leurs portes, parce qu'elles ont perdu un leadership qui n'était que temporaire et qu'elles croyaient acquis pour toujours. Ce serait trop simple de chercher des boucs émissaires, par exemple le syndicalisme ou la concurrence déloyale des compétiteurs, pour expliquer des phénomènes aussi complexes. En réalité, l'entreprise existe par rapport à un marché qu'elle doit sans cesse reconquérir.
Or, ce marché possède des exigences qui rendent les opérations de l'entreprise de plus en plus complexes. Heureusement, l'évolution de la technologie permet de rencontrer ces exigences quand elle ne les précède pas. On peut facilement deviner les problèmes d'une entreprise qui se refuserait à suivre en parallèle ou même à devancer cette évolution. Il n'en demeure pas moins que les améliorations techniques, les processus administratifs et les produits (biens ou services) deviennent de plus en plus complexes et exigeants du point de vue des connaissances nécessaires aux opérations de l'entreprise. Toutes ces innovations remettent en cause continuellement le fonctionnement de l'entreprise.
En plus des ressources physiques, matérielles et financières, l'entreprise doit faire appel à des ressources humaines pour assurer son fonctionnement. C'est peut-être sous cet aspect que l'on rencontre le gaspillage le plus fréquent à tous les niveaux de l'entreprise. Or notre société accorde de plus en plus d'importance à l'homme. Il possède en soi des valeurs qui ne souffrent aucune comparaison avec les autres ressources de l'entreprise. Le développement des sciences humaines, les récentes théories administratives, la montée du syndicalisme et la législation amènent l'entreprise à reconnaître l'importance du facteur humain. De plus en plus, sur ce plan, l'entreprise doit dépasser le stade de l'accord théorique pour s'engager dans les faits.
L'entreprise affronte donc des problèmes nouveaux et éprouve le besoin de se redéfinir pour s'ajuster à de nouvelles situations. Sur le plan économique, l'entreprise doit remplir certaines exigences :
Sur le plan social, l'entreprise ne peut se contenter de vivre en marge de la société et de se replier sur elle-même. A juste titre, on réclame sa participation active à toute forme de planification. En raison de sa position stratégique, l'entreprise a un rôle particulier à jouer sur ce plan, rôle qui est malheureusement trop peu défini. Au cours des prochaines décennies, c'est peut-être sur ce plan que l'on assistera aux plus grandes transformations dans le sens d'une intégration des entreprises à leur milieu. Enfin, de plus en plus se dessine la nécessité d'une plus grande collaboration inter-entreprise, en particulier pour réaliser les conditions mentionnées précédemment. Même si l'urgence est à notre porte, les formules de collaboration, dans la plupart des cas, sont encore à innover.
William H. Whyte Jr1 décrit avec force détails les attitudes, la mentalité et les aspirations de « l'homme de l'organisation». Ses recherches portaient sur les dirigeants intermédiaires des grandes corporations des Etats-Unis. On peut supposer qu'on retrouve sensiblement le même esprit dans leurs filiales canadiennes et québécoises. Toutefois, ce serait trop simple de calquer le portrait tracé par Whyte Jr.3 pour l'appliquer intégralement dans notre contexte. Ceci est encore plus vrai pour les entreprises typiquement canadiennes-françaises.
Les Canadiens-Français, en dépit de leur importance numérique (les quatre cinquièmes de la population) possèdent une très faible influence sur le plan économique dans la province de Québec. Partant de ce fait, Norman W. Taylor4 a cherché une explication à partir de l'examen des différences, du point de vue de leurs attitudes et de leur comportement, entre les chefs d'entreprise canadiens-français et canadiens-anglais de notre milieu. Au point de départ, Taylor formule les hypothèses suivantes5 :
« 1— Parce que, dans la société canadienne-française, le statut attribué aux affaires en tant que profession était relativement peu élevé, les chefs d'entreprise étaient issus surtout des couches sociales les moins privilégiées, les moins instruites.
2— La direction des entreprises manufacturières, chez les Canadiens-Français, a, en général, un caractère familial marqué et l'importance que l'on attache à la sécurité de la famille conduit à l'adoption de politiques conservatrices dans l'administration des affaires.
3— Le chef d'entreprise canadien-français a tendance à garder entre ses propres mains la direction de son entreprise, tant sur le plan financier que sur le plan administratif; cette pratique constitue un obstacle à l'expansion des entreprises.
4— Entre les chefs d'entreprise et leurs employés, leurs concurrents ou d'autres agents économiques, les relations ont un caractère personnel, contrairement à ce que l'on observe, en général, dans les sociétés fortement industrialisées. Ce mode de relations restreint la liberté d'action du chef d'entreprise et constitue ainsi un facteur défavorable à l'efficience et à la croissance.
5 — Bon nombre de manufacturiers canadiens-français sont peu préoccupés de suivre l'évolution du marché et de s'y adapter; c'est là la source de comportements non rationnels, chez ces chefs d'entreprise. »
Les entrevues qu'il a menées auprès de 32 dirigeants d'entreprise canadiens-français (dirigeants-propriétaires) lui ont permis de vérifier en grande partie ces hypothèses. Parmi les facteurs qui ont une influence prépondérante dans la conduite des affaires, Taylor retrouve chez les Canadiens-Français, le sens de la famille, des traits particuliers de l'individualisme et l'importance accordée aux relations personnelles. Voici un bref commentaire d'un d'entre eux :
« Je ne veux pas que mon entreprise devienne trop grosse. Je serai satisfait tant que je pourrai vivre à l'aise avec ma famille. Notre entreprise va bien mieux que je l'espérais — et si j'étais riche, j'aurais plus de travail et plus de soucis. Ça ne sert à rien d'être millionnaire au cimetière... » (Industriel de 47 ans, 160 employés).
Ce commentaire ne pourrait résumer tout entier le dirigeant-propriétaire canadien-français. Toutefois, Taylor a constaté des réactions diverses et, parfois, opposées de la part des interlocuteurs de langue anglaise. Sur le plan de l'individualisme, il décrit les dirigeants-propriétaires canadiens-français de la façon suivante : « Ce sont des individualistes, mais des individualistes dont les ambitions sont limitées. »
Ils se caractérisent par un désir d'indépendance, le plaisir d'être « son propre patron », la peur de perdre le contrôle, tant sur le plan financier que sur le plan des opérations. Pour assurer le progrès, ils recourent à l'autofinancement et recherchent la sécurité; ils ont peur des risques et éprouvent des résistances très grandes au changement. Dans leur entreprise, ils ont dû faire appel à d'habiles lieutenants, mais ils sont demeurés les seuls maîtres à bord.
Plus récemment, le professeur Laurent Bélanger effectuait des recherches sur la mobilité occupationnelle des dirigeants d'entreprise du Québec. Il a pu découvrir des ressemblances et des différences entre les dirigeants des deux groupes ethniques sur divers plans.6 Un questionnaire fut envoyé à 1,200 dirigeants d'entreprise et il obtint un pourcentage de réponses de plus de 32%. L'interprétation des réponses peut nous fournir des indices intéressants sur plusieurs plans. Ainsi, les données révèlent que 80% des dirigeants d'entreprise de langue anglaise sont nés en dehors du Québec, tandis que 90% des dirigeants de langue française sont nés au Québec. Leurs pères étaient des ouvriers spécialisés (15.2%) et des propriétaires de petites entreprises (17.3%) dans les deux principales sources d'origine, tandis que les dirigeants de langue anglaise sont les fils de dirigeants supérieurs (17.3%) et de dirigeants moyens (12.5%). Des phénomènes analogues se reproduisent sur le plan de l'éducation et de l'expérience administrative.
Au point de départ, nous pouvons donc assumer que nos dirigeants d'entreprise ont quelque chose qui leur est propre. Ils sont d'un lieu, d'une époque et d'une culture. Influencés par le milieu, ils ont développé des attitudes particulières.
Les dirigeants-propriétaires qui s'inscrivent à nos programmes viennent presque exclusivement des petites et moyennes entreprises canadiennes-françaises. Leur père, quand ce ne sont pas eux-mêmes, ont été des pionniers. Même s'ils avaient l'avantage de posséder une sorte de leadership naturel, ils ont eu à travailler dur dans des conditions parfois difficiles : manque de capitaux, faible préparation académique, manque de connaissance générale des affaires, etc..
Ils se voient maintenant obligés de changer sur plusieurs plans à la fois pour assurer l'existence même de l'entreprise. L'expansion est à leur porte et ils sont presque forcés de s'y engager ou de s'orienter différemment. Les méthodes empiriques, utilisées avec succès jusqu'à présent, ne répondent plus aux nouvelles exigences. Dans la plupart des cas, sans trop l'avouer, ils sont pris par surprise et réagissent à leur façon, même si, par tendance naturelle, ils préféreraient s'en tenir au statu quo.
D'autre part, les autres dirigeants qui s'inscrivent à nos programmes de formation viennent principalement de deux sources, soit des petites et moyennes entreprises, soit des grandes corporations. Les premiers ont été fortement influencés par le style particulier de leur entreprise. Ils sont allés à l'école du patron et on y retrouve souvent les mêmes attitudes, mais cette fois à partir d'un angle nouveau. Ils possèdent un respect quasi absolu de l'autorité, dont ils ont, par ailleurs, une conception assez traditionnelle. S'ils adoptent une attitude de dépendance en présence de leurs supérieurs et de respect des normes établies, ils empruntent automatiquement le style de leurs supérieurs lorsqu'ils se retrouvent en face de leurs propres subalternes. Pour eux, ce qui caractérise le subalterne, c'est la soumission, l'obéissance, l'exécution, la collaboration, etc.. Tout comme leurs patrons, ils se défendent d'être des théoriciens. Ils se définissent avant tout comme des praticiens, des hommes d'action. Dans l'analyse d'une théorie, ils réfèrent constamment à leurs propres expériences.
Par contre les dirigeants des grandes entreprises possèdent une plus grande ouverture d'esprit sur divers plans. Ils ont acquis et développé des attitudes et habitudes qui caractérisent les grandes corporations. Ils ne sont qu'un chaînon dans la grande chaîne et ils le savent bien. Ils ont eux aussi un très grand respect pour les normes établies, mais ces normes sont imposées par l'organisation et non par un individu. Ils sont conscients de ces limites et de l'interdépendance de leurs fonctions. Parce qu'ils éprouvent souvent de la difficulté à se situer, ils ont développé une certaine méfiance à l'égard des autres et de l'organisation dans son ensemble. Lorsqu'ils prennent des initiatives, ils sont bien conscients de la nécessité de se protéger. Ils ont acquis des méthodes de travail, et même un langage, qui les distinguent nettement de leurs confrères de la petite et moyenne entreprise.
Il serait illusoire de vouloir tracer un portrait complet des dirigeants d'entreprise de la province de Québec et d'identifier toutes les attitudes qui les caractérisent, tenant compte des diverses situations. Il serait faux d'ailleurs de laisser croire que tous les dirigeants d'entreprise possèdent ces caractéristiques — et d'autres que nous n'avons pas mentionnées — au même degré. Certains d'entre eux sont tout à fait conscients de la nécessité du change- ment et ont pris les moyens de le réaliser. Toutefois, ces quelques indices nous permettent de constater que les dirigeants d'entreprise qui s'inscrivent à nos programmes possèdent une culture, une conception de la vie et des particularités dont il faut tenir compte :
Face à cette situation, l'individu cherche d'abord à découvrir ses propres besoins, à se situer, à s'expliquer ce qui l'entoure. Il sent bien qu'il a acquis, depuis quelques années, des besoins nouveaux, mais il lui reste à les définir.
Il sent qu'il doit d'abord être informé des découvertes et des innovations qui modifient son travail et son existence. Ces con- naissances nouvelles, accessibles à tous, sont utilisées par d'autres de façon avantageuse et il s'aperçoit rapidement que son action devient marginale, s'il n'en fait pas autant.
Il perçoit également un besoin de formation technique. C'est sa compétence à produire qui est en jeu. A chaque jour, il éprouve des difficultés à maîtriser ses fonctions. En même temps qu'il acquiert une spécialisation de plus en plus poussée, il doit avoir une ouverture sur un maximum de domaines. Les connaissances techniques qu'il a apprises à l'école ou à l'université sont déjà passées de mode. Quelle n'est pas sa surprise de constater qu'après quelques années dans l'entreprise, il doit faire face au recyclage ! Cette formation technique lui permettra de franchir l'écart constant entre les découvertes techniques et leur utilisation productive.
Il éprouve aussi, de façon parfois plus dramatique, un besoin de formation générale. Sa formation spécialisée lui a permis d'acquérir une compétence sur le plan technique presque exclusivement. Or, plus les dirigeants montent dans la hiérarchie, moins ils utilisent la discipline qui leur est propre, pour accomplir des fonctions administratives, fonctions pour lesquelles ils ne sont malheureusement pas préparés. Ils sont alors obligés de faire appel à leur intuition et à leur habileté personnelles, souventes fois biaisées par leurs connaissances spécialisées. C'est alors le com- mencement du drame. Vouloir appliquer intégralement des règles
physiques ou mathématiques dans son comportement avec autrui et dans l'application d'un processus général d'administration en- gendre des difficultés, dont il n'est pas toujours facile de mesurer les effets.
Enfin, le dirigeant se rend compte à chaque jour qu'il ne peut plus, peu importe son niveau de responsabilité, prendre seul des décisions. Il ne possède que très rarement l'information nécessaire à une prise de décision efficace; l'information est maintenant partagée. Le dirigeant prend alors conscience de l'interdépendance des fonctions administratives et éprouve le besoin d'améliorer ses relations avec les autres et d'apprendre à travailler en équipe. En réalité, le dirigeant fait partie d'une équipe qui ne constitue qu'une partie d'un tout qu'est l'entreprise, composée de plusieurs équipes qui doivent entrer fréquemment en relations pour assurer leur fonctionnement efficace.
Nous vivons dans une période d'évolution accélérée. Selon certaines prédictions, « la seconde moitié de ce siècle se passera à répandre ce que la première moitié aura inventé. »7 Cette « socialisation » du progrès suppose des changements constants aux niveaux des situations et des individus. Il n'y a pas que le développement des sciences physiques : les sciences sociales ont connu un essor considérable au cours des dernières décennies. Les théories administratives se succèdent les unes aux autres selon un progression décrite par William J. Reddin8 de la façon suivante :
ÉVOLUTION DES THÉORIES ADMINISTRATIVES |
|||
Emphase |
Relation |
École |
Période |
Travail |
Travail-travailleur |
Organisation scientifique (Frederick Taylor et autres) |
1920 |
Travailleur |
Travailleur-climat |
Relations humaines (Elton Mayo et autres) |
1930 |
Groupe |
Administrateur- groupe |
Dynamique des groupes (National Training Laboratories) |
1950 |
Dirigeant |
Administrateur- subalterne |
Styles d'administration (Lippitt, McGregor, Blake, etc.) |
1960 |
Situation |
Administrateur- situation |
Administration situationnelle (William J. Reddin) |
1967 |
Les quatre premières catégories tendent à mettre l'emphase sur l'un ou l'autre des éléments d'une situation. Or, toute situation dans laquelle est placé un administrateur (ou dirigeant) est composée de divers éléments que Reddin résume ainsi :
Un changement situationnel signifie donc un changement soit dans l'un ou l'autre de ces éléments, soit chez l'administrateur, puisqu'il est lui-même une des composantes de la situation. Pour connaître la situation, le dirigeant doit d'abord être en mesure d'évaluer correctement chacun de ces éléments. Cependant, cette évaluation n'implique pas qu'il obtiendra nécessairement de meilleurs résultats.
Lorsqu'un changement se produit quelque part (sous l'influence ou non du dirigeant), on peut dire que la situation est changée. L'efficacité du dirigeant dépend alors de sa capacité de changer de façon appropriée, compte tenu de la situation et du milieu dans lequel il se trouve. Nous rejoignons ainsi le processus général de l'éducation des adultes qui permet à l'individu d'atteindre un certain équilibre dans un contexte de changement situationnel.
Ainsi, à un travail et à une réalité qui changent constamment doit correspondre un rajustement continu de la part de ceux qui détiennent les postes clés. Le dirigeant peut alors se contenter d'une acceptation passive. Il peut aussi devenir un élément moteur du progrès économique et social ou, selon l'expression, un « agent de changement ».
Or, toutes ces innovations deviennent efficaces en autant qu'elles sont comprises et voulues par les individus les premiers impliqués. Autrement, ils constituent des freins au changement. La première difficulté pour un dirigeant est d'abord d'accepter d'entrer dans un tel processus qui implique pour lui un changement en profondeur. La méfiance, la rigidité, le conformisme et la crainte engendrent une anxiété et un négativisme réfractaires au changement, lequel doit être considéré dans un sens positif.
Pour nous, la formation doit donc s'inspirer de ce contexte de changement et permettre aux dirigeants de se situer et d'y jouer un rôle actif et positif. Cependant, avant de décrire notre approche, nous voulons mentionner un autre facteur qui conditionne cette approche à la formation des dirigeants d'entreprise.
Depuis une quinzaine d'années, nous assistons à des changements profonds dans tous les secteurs qui ont trait à l'enseignement et à l'éducation en général. Les divers mouvements d'éducation des adultes ont joué un rôle prépondérant dans cette évolution. Ce ne sont pas surtout les techniques, les méthodes et les programmes que la société remet en question, mais d'abord la conception même de l'éducation. Dans la province de Québec, par exemple, cette évolution des tendances pédagogiques sert de toile de fond aux principales recommandations du Rapport Parent.
Cette orientation implique, à la base, une nouvelle conception de la nature humaine. L'être humain n'est plus considéré comme un vase à remplir, mais comme un être qui doit apprendre telles ou telles connaissances. Il n'est pas à éduquer, il s'éduque. Il n'est plus la « chose passive et irresponsable ».
« Dynamiquement, la personnalité doit être conçue comme un ensemble de potentialités demandant à être actualisées. Il y a en elle un besoin fondamental de créativité, à la fois sur le plan expressif et sur le plan de l'auto-développement, de l'auto-organisation... Les attitudes systématiquement directives, en contraignant le développement de l'individu, le rendent dépendant, c'est-à-dire inauthentique; elles empêchent l'individu ou le groupe de s'auto-contrôler réellement; elles provoquent des blocages, des ressentiments ou des inhibitions, spécialement en matière d'apprentissage et d'acquisition de connaissances. Ce que l'on a perdu du côté de la liberté et de la responsabilité, n'est donc pas regagné, malgré certaines apparences, du côté de l'ordre et de la formation».9
Cette contestation des attitudes directives en éducation s'accompagne d'un mouvement qui met l'accent sur l'aspect psychosociologique et fait ressortir l'importance de certains phénomènes de groupe. La nature des relations interpersonnelles dans un groupe, les attitudes, les phénomènes de leadership, les jeux d'influence et le climat affectif sont des facteurs qui conditionnent l'accomplissement de la tâche. Aujourd'hui, on ne nie plus l'existence de ces phénomènes; ce qu'on discute, c'est l'importance relative qu'il faut leur accorder.
Une telle conception de l'éducation nous amène à reviser également les fins poursuivies. Ainsi conçue, l'éducation vise, non pas d'abord à la transmission du savoir, mais à l'épanouissement de la personnalité. Il existe, chez tout individu, des possibilités non utilisées. L'éducation cherchera donc à créer des conditions favorisant leur émergence. Et puisque les connaissances acquises ne sont valables que pour un temps limité, l'important, pour l'individu, est de se trouver en position d'acquérir de nouvelles connaissances ou, selon l'expression de Cari Rogers, « apprendre à apprendre ». S'adressant à un reporter de Réalités, ce dernier affirmait : « Dans les sociétés évoluées et mobiles, l'éducation ne peut avoir d'autre objectif que d'apprendre à apprendre et apprendre à changer. » Et il poursuivait ainsi : « Eh bien, j'estime d'abord qu'enseigner est une fonction très surévaluée. Enseigner signifie instruire. Cela ne m'intéresse pas d'instruire quelqu'un, de décider que telle et telle connaissance doit être inculquée, d'obliger autrui à savoir quelque chose. Trop de gens sont aujourd'hui guidés, dirigés. C'est une relation que je trouve néfaste. Ensuite, de quelles connaissances s'agit-il? Quels sont ces faits sacro-saints, incontestables qu'on souhaite à tout prix incruster dans de jeunes esprits ? La seule chose dont je suis sûr, c'est que la physique telle qu'elle est enseignée aujourd'hui, et la chimie, et la génétique, et la sociologie, et la psychologie, et la plupart des disciplines seront complètement passées de mode dans dix ans. Même les faits historiques sont question de culture et d'époque. Nous nous trouvons actuellement dans une situation tellement évolutive qu'elle met en question tout l'acquis de notre culture. Aucune connaissance n'étant plus certaine, la seule chose que nous puissions enseigner actuellement, c'est apprendre à apprendre. »
Une telle conception a pour effet de modifier de façon considérable la « relation pédagogique » et implique un changement majeur au niveau des attitudes de l'enseignant. Le maître qui adopte une telle attitude ne se présente plus devant sa classe avec le même esprit. Max Pages10 décrit ainsi la fonction d'enseigner :
« Enseigner vraiment à ses élèves, c'est accepter qu'ils changent et s'ils changent, ils vont obliger le professeur à changer lui aussi, à faire face à une situation nouvelle. Or, accepter le changement d'autrui ou de soi-même est difficile, c'est accepter autrui tel qu'il est, c'est-à-dire différent de soi-même, c'est s'accepter soi-même tel qu'on est, différent de ce que l'on rêve d'être, c'est accepter ses limites, ce qui est une condition pour les dépasser, c'est, en un sens, accepter la mort. C'est pourquoi je dirai que, de ce point de vue, enseigner c'est se détruire, se nier et se recréer de nouveau. »
Nous nous situons dans un contexte d'évolution et il nous apparaît important de le mentionner. On sait très bien que tous les responsables de l'enseignement ne sont pas encore rendus à « se détruire, se nier et se recréer de nouveau ». Toutefois, ces théories semblent avoir une influence sur les praticiens actuels et donnent naissance à un très grand nombre de mouvements ou d'écoles. Il serait impossible de tenter de définir les caractéristiques particulières de chacune des écoles. Jean-Claude Filloux11 a résumé cette évolution selon quatre catégories dont nous avons fait une synthèse dans le tableau suivant :
ÉVOLUTION DES TENDANCES PÉDAGOGIQUES |
||
Emphase |
Principaux thèmes |
Approche |
Centrée sur le programme |
Connaissances théoriques |
Didactique |
Centrée sur l'élève |
Besoins et intérêts de l'élève |
Méthodes actives |
Centrée sur le groupe |
Processus d'interaction des individus |
Dynamique des groupes |
Centrée sur la réalité |
Interrelations des éléments d'une classe |
Situationnelle |
Il est intéressant de noter le parallèle qu'on peut établir entre l'évolution des tendances pédagogiques et celle des théories administratives, si l'on compare le travail scolaire (les programmes) et le travail dans l'entreprise, l'élève et le travailleur, la classe et le groupe de travail, le professeur et le dirigeant, et enfin la réalité d'une classe et la situation d'entreprise. En effet, dans des contextes différents et par des cheminements particuliers, l'enseignement et l'administration reflètent des tendances analogues qui consistent à centrer ses préoccupations, non pas sur un seul, mais sur tous les éléments qui composent une réalité.
Nous tenterons maintenant de préciser où et comment se situe notre approche parmi ces diverses tendances.
« Si tu donnes un poisson à quelqu'un, il se nourrira une fois. Si tu lui apprends à pêcher, il se nourrira toute sa vie.»
Kuan-Tzu.
L'évolution des tendances pédagogiques et des théories administratives dans notre société a influencé considérablement l'approche pédagogique qui caractérise actuellement le CDE. Depuis quatre ans, le CDE conçoit et réalise un programme de formation intégré à l'intention des dirigeants d'entreprise. L'historique, le contenu et les modalités de réalisation de ce programme ont été décrits dans le chapitre précédent.
Au CDE, nous appuyons notre action sur certaines hypothèses de base que l'on peut résumer comme suit :
Ces hypothèses constituent des jalons pouvant servir à décrire le processus dans lequel s'engage tout individu qui désire le changement. On pourrait adopter ces hypothèses et utiliser l'approche traditionnelle. Elles ne peuvent pas servir à éclairer notre approche, si elles ne sont pas reliées à une certaine philosophie concernant la nature de l'homme. Aussi, nous partageons les
hypothèses, mises de l'avant par McGregor, qui se résument de la façon suivante12 :
Ces dernières hypothèses concernant la nature humaine sont essentiellement positives. Elles suscitent le développement d'attitudes basées sur la confiance en l'homme, sur la foi en ses possibilités créatrices, sur son sens de responsabilité, etc.. Elles conduisent à une conception de l'administration qui repose, non pas sur l'autorité et le contrôle, mais sur la motivation des individus, l'autodiscipline et l'autocontrôle. Ces deux groupes d'hypothèses comprennent deux idées majeures : la nécessité du changement situationnel et le rôle des individus engagés dans ce processus.
La formation s'adresse essentiellement à l'individu, à la personne : elle est donc centrée sur l'homme et non sur les techniques. Mais elle s'adresse à l'individu en situation et non pas à un être désincarné. Chaque individu possède un système de valeurs, des attitudes, des besoins, des connaissances, des expériences et des ressources qui lui sont propres et qui le différencient des autres en général et de ceux avec qui il doit faire équipe. Ces composantes, nous ne pouvons les abstraire de l'individu et c'est de là que nous partons.
Il s'ensuit une pédagogie essentiellement pratique, basée sur des expériences reliées le plus près possible à des situations perçues comme des problèmes réels, incluant les limites externes que l'on rencontre dans la vie de tous les jours. Ces expériences peuvent se dérouler au sein ou à l'extérieur de l'entreprise. L'endroit importe peu; ce qui compte, c'est la relation avec le présent qui permet de faire un lien concret avec toute réflexion théorique.
Ainsi conçue, la formation vise moins à la transmission des connaissances qu'à un changement au niveau des attitudes et des mentalités et à l'acquisition de nouveaux systèmes de valeurs. Cette évolution lente et progressive doit inspirer à l'individu des comportements différents et il devient ainsi plus exigeant vis-à-vis de lui-même. C'est en ce sens qu'on peut parler d'un apprentissage vraiment «significatif».
En effet, il ne s'agit pas de permettre aux individus d'acquérir un certain vernis intellectuel et de pouvoir parler de façon éloquente des nouvelles théories administratives. Il existe presque toujours une distance entre ce qu'on croit et ce qu'on fait. L'acquisition de connaissances théoriques, sans changement de comportements, ne fait qu'accroître cette distance et donne à l'individu une vague impression de savoir ou, tout simplement, une bonne conscience. L'individu croit ainsi qu'il a fini d'apprendre, alors qu'en réalité il a oublié l'essentiel : « apprendre à apprendre ».
Le problème central de la formation en est un de changement : changement de l'individu et changement de la situation. Se former pour un individu signifie donc devenir apte à identifier correcte ment les situations qu'il vit, bien connaître ses possibilités de changement pour faire les ajustements nécessaires et développer les nouveaux mécanismes opérationnels.
Partant des hypothèses et des objectifs formulés précédemment, le processus dans lequel les individus s'engagent, comme responsables, peut être décrit brièvement de la façon suivante :
Pour accomplir ce processus, les dirigeants d'entreprise éprouvent un besoin de formation sur le plan humain et sur le plan administratif.
Sur le plan humain, ils doivent d'abord se connaître et s'accepter, puis connaître et accepter les autres, apprendre à concilier leur besoin réel d'autonomie et le respect d'autrui, expérimenter le travail en équipe, devenir conscients de leurs attitudes et comportements et des effets qu'ils entraînent, utiliser leurs possibilités créatrices, etc..
Sur le plan administratif, ils doivent d'abord s'interroger sur leur façon d'administrer l'entreprise, sur les fonctions essentielles qu'ils ont à accomplir, sur leurs méthodes de travail, sur leurs niveaux de connaissances techniques relativement aux exigences de la tâche, etc.. Une prise de conscience de ces différents domaines devient alors salutaire et accroît la motivation des individus concernés.
Les programmes, les contenus, les techniques et les modalités peuvent varier à l'infini, mais l'approche demeure la même. Nos programmes de formation s'appliquent parfois au sein d'une entreprise particulière, parfois chez des individus venant de diverses entreprises. Dans l'un ou l'autre cas, la formation ainsi conçue possède les caractéristiques suivantes :
Elle tend à faire disparaître toutes les entraves. On n'impose pas un programme de formation. Les individus qui y sont engagés doivent être conscients du besoin qui existe et de la nécessité d'y subvenir.
Les participants doivent être les agents actifs et conscients de leur formation. Elle tend à faire disparaître progressivement la dépendance et la passivité.
La réalité changeante pose constamment des défis nouveaux aux individus. Les besoins de formation évoluent en fonction de la situation de l'entreprise, elle-même en perpétuel changement. La formation des dirigeants est donc conçue de façon à pouvoir s'ajuster aux diverses exigences successives de l'entreprise et de la société. Un tel besoin de formation existe toujours et n'est jamais complètement satisfait.
C'est-à-dire qu'elle doit s'exercer en fonction de la situation, des besoins et des possibilités des individus. Elle doit s'intégrer le plus possible à la réalité et tenir compte de tous les éléments qui composent les situations globales ou particulières des dirigeants d'entreprise.
Toutefois, il est bien évident que la formation rencontre sa véritable dimension lorsqu'elle s'accomplit en tout ou en partie dans le cadre naturel du participant, c'est-à-dire dans son entreprise. Elle se distingue alors nettement de la formation académique telle que conçue par les écoles d'administration et les universités en général. Dans la revue Think (novembre-décembre 1967), Chris Argyris trace un parallèle inquiétant entre les caractéristiques de la formation des dirigeants d'entreprise selon la conception des universités et les besoins des individus dans l'organisation :
FORMATION UNIVERSITAIRE |
FORMATION DE L'ENTREPRISE |
1) s'adresse à l'individu 2) se produit au moment des cours 3) n'est pas reliée à un pro- blème immédiat 4) se vérifie au moyen d'exa- mens obligatoires 5) est conçue et contrôlée par le professeur |
1) s'adresse à l'individu comme membre d'une équipe, dans un système qui comprend plusieurs équipes 2) se présente au moment où un problème est perçu 3) se relie directement à des problèmes réels 4) se vérifie par l'efficacité des résultats obtenus 5) est contrôlée par ceux qui y participent, avec l'aide du conseiller |
Ces distinctions permettent de situer notre action par rapport à la formation académique qui possède, par ailleurs, des valeurs certaines et remplit une fonction nécessaire. Toutefois, nous sommes bien conscients de l'existence de certains besoins qui ne peuvent être satisfaits par d'autres que les individus concernés et dans le cadre de la situation qu'ils vivent.
« Parler est un besoin, écouter, un talent. » Goethe.
S'inspirant d'une telle approche, il n'est pas facile de déterminer de façon concrète le rôle des conseillers. Ce rôle se définit par un réseau de relations formelles et informelles et varie en fonction de certains facteurs :
S'agit-il d'un groupe homogène ou hétérogène ? D'où viennent les participants ? Quel est leur niveau de responsabilité ? Quel est le degré de dépendance qui existe au départ ?
Quelle est la nature de la tâche à accomplir? S'agit-il de la première ou de la deuxième rencontre ? Le groupe est-il réuni pour un stage intensif ou pour quelques heures seulement ?
Même si tous les conseillers s'inspirent de la même approche et des mêmes principes de base, ils influencent, comme participants, la nature des relations qu'ils établissent avec le groupe et chacun des individus. Le conseiller y est engagé pleinement avec ses connaissances particulières, ses attitudes et son style personnel, en résumé, avec toute sa personnalité.
Toutefois, il existe un certain nombre de points communs à partir desquels les conseillers actuels du CDE définissent leur rôle. Actuellement, la très grande majorité de nos activités de formation se déroule sous forme de session intensive pouvant réunir de 20 à 40 dirigeants d'entreprise, redivisés en sous-groupes de 6 à 12 participants; dans chaque sous-groupe, on retrouve un conseiller, parfois deux.
Dans ce contexte, la relation qui s'établit n'en est pas une de professeur à élève. Dès le début, nous tâchons de préciser avec le groupe que nous n'avons aucune théorie particulière à imposer.
De plus, il est bien évident que, sur un très grand nombre de points particuliers, les connaissances et les expériences des participants sont très supérieures à celles des conseillers. Elles sont également très diversifiées, ce qui constitue une richesse pour le groupe. Ainsi, toute l'efficacité des sessions repose sur la participation active des membres, ce qui va à rencontre du modèle traditionnel de l'enseignement et du mode habituel d'opération des entreprises.
Il ne s'agit pas, non plus, d'une relation d'expert vs dirigeants d'entreprise. Les situations vécues dans le groupe se rapprochent le plus près possible de la réalité, c'est-à-dire qu'elles se situent sur un terrain qui est familier à tous. La relation d'expert vs dirigeants d'entreprise maintient ou accroît un degré de dépendance qui empêche tout simplement d'apprendre, de changer réellement et de connaître et d'exercer son potentiel. L'animateur serait alors vu sur un piédestal, et c'est là, d'ailleurs, qu'il se serait placé lui-même.
Enfin, nous éliminons l'attitude du laisser-faire, qui compromet sérieusement l'efficacité de la tâche et engendre un certain degré de frustration inutile. L'animateur serait alors perçu comme
un être mystérieux, un magicien, un lâche, ou encore un incompétent. C'est facile et tentant, devant un groupe, d'abriter son incompétence et son manque de courage derrière une carapace au lieu de dire tout simplement : « Je ne sais pas... ». Une telle attitude entraîne des craintes et des résistances qui nuisent à la vie du groupe.
Au point de départ, nous pouvons assumer que le conseiller possède tout d'abord un capital de connaissances, de méthodes et de techniques qu'il désire mettre à la disposition du groupe, sans pour autant les imposer. De plus, il est un être humain, au même titre que les autres participants du groupe. Ceci étant perçu de part et d'autre, il ne s'agit donc pas de jouer à cache-cache, ou de tenter de dominer le groupe. Il est donc important, pour le conseiller, de découvrir et de mettre à la disposition du groupe les sources d'information les plus importantes pour une situation donnée. Ces informations peuvent se trouver chez lui, dans le groupe, et/ou dans des ressources extérieures au groupe.
Pour atteindre ces objectifs, il doit donc tenter de créer un climat favorable à l'utilisation optimale de toutes ces ressources, en se souvenant que les participants sont les premiers agents de leur formation. Le programme est donc orienté de façon à permettre la prise de responsabilité progressive des individus et des groupes concernés, vis-à-vis sa réalisation. L'effort de l'animateur tend à éliminer la dépendance que le groupe développe naturellement à son égard, à rendre le groupe et les individus responsables et à acquérir un statut de participant, au même titre que les autres qui lui permettent de jouer son rôle de conseiller, sans pour autant dominer la discussion.
En général, au début, un tel rôle et un tel climat vont à rencontre des attentes des participants qui se réfèrent, pour la plupart, au modèle traditionnel qu'ils ont connu dans l'enseignement ou dans l'entreprise. Il s'ensuit un certain degré de frustration (qui n'est pas toujours le même) qui favorise un véritable apprentissage. Toutefois, passé ce degré, les effets semblent être négatifs.
Jusqu'ici, nous avons traité du rôle du conseiller sans le définir dans des actions concrètes et en faisant abstraction des méthodes et des techniques utilisées. Ce qui apparaît fondamental,
c'est l'attitude du conseiller, attitude basée sur l'acceptation de soi et des autres et sur l'acceptation du changement. Il s'ensuit normalement un climat de compréhension et de confiance mutuelle nécessaires à la réalisation des objectifs. Une telle attitude conditionne fortement la nature des relations interpersonnelles qui s'établissent dans le groupe et vis-à-vis du conseiller.
À partir de là, n'importe quelle technique peut être utilisée; nous n'avons donc aucune restriction à ce niveau : discussions, exposés didactiques, travaux individuels ou en groupe, utilisation de moyens audio-visuels, etc.. Les méthodes et les techniques sont ainsi ramenées à leur véritable dimension, c'est-à-dire, à celle de moyens pouvant favoriser un véritable apprentissage et non pas une fin en soi. Il en est ainsi des programmes et des contenus qui doivent être d'une très grande souplesse pour s'ajuster aux diverses situations.
Le conseiller se trouve donc constamment sur une corde raide. D'une part, il doit tenir compte des relations interpersonnelles qui s'établissent dans le groupe et l'amener à s'interroger sur certains facteurs qui conditionnent son mode de fonctionnement; d'autre part, il doit tenir compte de l'exécution de la tâche et de la réalisation des objectifs qui consistent à apprendre à devenir des administrateurs efficaces sur tous les plans, et non pas à explorer la signification et l'importance en soi de phénomènes psychosociologiques. Les relations interpersonnelles sont inséparables de la tâche. L'accent ou l'importance d'un aspect par rapport à l'autre est déterminé, non pas théoriquement, mais en fonction de chaque situation.
Il nous est plus facile de définir concrètement le rôle du conseiller en formation au CDE en référant à diverses fonctions qu'il doit accomplir :
Une des fonctions du conseiller consiste à organiser des stages, c'est-à-dire à voir au recrutement et à la sélection des participants, l'organisation matérielle, la préparation des documents, les cédules, la coordination, etc.
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Chaque conseiller est un animateur de groupe. Il aide le groupe à s'interroger sur son propre fonctionnement interne et sur son efficacité au niveau de la tâche. Il amène le groupe à explorer sa situation sous tous ses angles et les individus à s'interroger sur eux-mêmes, sur leurs attitudes et comportements, leur mode de pensée, leur ouverture d'esprit, l'identification de leur potentiel, etc..
Le conseiller en formation possède, sur certains thèmes que le groupe veut explorer, des connaissances qu'il met à la disposition du groupe. Ces connaissances peuvent provenir de ses expériences et recherches personnelles, de la mise en commun des ressources de l'équipe des conseillers et, parfois, de sources extérieures. Il s'agit bien, cependant, d'un rôle d'information. Jamais, il n'a à prendre des décisions au nom du groupe. Il doit pouvoir reconnaître la différence entre une demande légitime d'information et une fuite de responsabilités.
Il arrive très souvent, surtout lorsqu'une session se déroule en internat, qu'un participant désire discuter avec un conseiller un problème personnel qui ne concerne aucunement le groupe comme tel. Conservant la même approche, le conseiller se rend disponible et aide l'individu à explorer sa situation. Ses interventions doivent être identifiées en termes de support, de façon à ne pas freiner la démarche personnelle de ce dernier.
A certains moments, le conseiller se présente dans un groupe à titre d'observateur seulement. Au cours de l'évaluation, il fait part au groupe de ses observations sur le mode de fonctionnement du groupe, aux niveaux de la tâche, de la méthode de travail, ou des relations humaines. Il remet en question certaines choses acquises et invite le groupe à explorer de nouvelles avenues.
Un conseiller en formation ne peut tenir le coup s'il ne s'adonne pas à des recherches personnelles visant à compléter sa propre formation. Que ce soit par des lectures personnelles, des expériences vécues au service de l'entreprise ou en s'inscrivant lui-même à des stages, il est absolument essentiel qu'il assure, à chaque année, son « ressourcement » personnel. Une certaine partie de cet ajustement se fait régulièrement par une mise en commun de nos propres expériences et par un travail d'équipe soutenu. Nous sommes tous conscients d'un fait : aucun d'entre nous n'aurait pu accomplir seul le chemin parcouru.
En somme, un tel rôle n'est pas facile à décrire; il est encore moins facile à réaliser. A chaque arrêt, nous remettons en cause telle activité et tel comportement. On verra d'ailleurs dans un autre chapitre les difficultés que pose un tel programme sur le plan de l'évaluation.
Cette conception de la formation des dirigeants que nous avons tenté de décrire dans les lignes précédentes possède une certaine originalité, du moins, dans le milieu dans lequel elle s'exerce. Elle vise à rendre les individus progressivement responsables à l'égard de l'identification de leurs besoins, du choix des moyens et de l'implantation. Elle constitue dans le milieu canadien-français une expérience particulière qui fait partie des rares réalisations en ce domaine pratiquement inexploité dans notre milieu.
On peut prévoir, d'ici dix ans, un développement considérable et des réalisations concrètes pour répondre aux besoins de plus en plus conscients. Cette diversité permettra de réaliser des expériences aussi diverses qu'enrichissantes. Toutefois, nous ne pouvons nous payer le luxe de disperser nos efforts sans prévoir des mécanismes de collaboration, de coordination et d'intégration des programmes. Déjà, les dirigeants commencent à se demander « qui fait quoi ?»
De plus, il faudrait prévoir la mise sur pied d'une véritable école de formation des dirigeants d'entreprise qui pourrait, sans nier la valeur des organismes existants, jouir d'un leadership reconnu par ces derniers, sur les plans de l'approche à la formation et des modalités de réalisation.
Enfin, l'heure est peut-être venue de songer sérieusement à la préparation de ceux qui désirent oeuvrer en ce domaine. Jusqu'à présent, on a procédé par intuition. Après avoir reçu une formation de base suffisante pour travailler dans l'entreprise, c'est par goût et par intérêt qu'un individu décidait de s'adonner à la formation. Le conseiller en formation, même s'il est formé dans une discipline particulière, devient alors un généraliste. Un centre de formation des «formateurs» pourrait rendre d'immenses services à tous ceux qui s'intéressent à ce domaine, qu'ils soient au service d'organismes comme le CDE ou directement à l'emploi d'une entreprise.
Laurent Bélanger
Au moment où l'idée d'éducation permanente fait son chemin dans notre société industrielle, on ne peut s'empêcher de constater qu'elle est bien accueillie, non seulement par les collets bleus, mais aussi par le personnel de cadres et les dirigeants supérieurs de l'entreprise privée aussi bien que publique.
En effet, depuis la deuxième guerre mondiale, on assiste à une multiplication des programmes de formation pour les agents de maîtrise et les cadres intermédiaires. On voit même des membres de la haute direction opérer un retour à l'université pour rafraîchir leurs connaissances sur le fonctionnement de l'entreprise et les relations qu'elle doit entretenir avec le milieu économique et socio-culturel dans lequel elle s'insère.
Cet engouement pour les programmes de formation offerts par les universités et par divers organismes comme American Management Association, Scientific Methods Inc., COSE, CDE, pour n'en nommer que quelques-uns, s'explique assez facilement.
Le développement de la connaissance dans le domaine de l'informatique (méthodes de traitement de l'information par les ordinateurs) et la diffusion des résultats de recherche dans le domaine des sciences de l'homme présentent un terrain de prédilection pour alimenter la réflexion des administrateurs qui ont le souci d'accroître leur compétence par une meilleure compréhension de l'organisation moderne et des hommes qui la composent.
Le maintien de la croissance économique et la complexité du jeu des variables qui la soutiennent, le vieillissement des cadres dirigeants actuels, l'accroissement de la scolarité et le changement dans la composition de la main-d'oeuvre sont d'autres raisons qui militent en faveur d'un accroissement de la quantité et de la qualité des dirigeants à tous les niveaux de la pyramide de l'entreprise.
Par ailleurs, au moment où cette idée d'éducation permanente se concrétise dans des efforts pour accroître la compétence des individus, on commence à peine à s'interroger sur la valeur des programmes. En effet, il ne faut pas se surprendre de constater que les tentatives d'évaluation scientifique des programmes de formation pour le personnel de cadres remontent à peine à une quinzaine d'années. Une étude de l'Organisation de Coopération et de Développement Économiques13 rapporte «qu'un psychologue britannique, Castle, a compilé en 1952 une bibliographie exhaustive (467 titres) sur la formation du personnel d'encadre- ment sans trouver une seule tentative d'évaluation expérimentale de cette formation ».
Encore là, on peut toujours trouver des raisons pour expliquer facilement cette lacune :
Les réponses aux questionnaires soumis aux formés et le contenu des entrevues semi-dirigées révèlent un ensemble d'attitudes favorables à l'endroit du contenu des programmes, de la conduite des sessions et des organismes qui les dispensent.14 Cet enthousiasme manifesté à la suite des programmes assure la continuité de ces derniers et éclaire les formateurs dans la révision des objectifs et méthodes de formation.
À l'aide des instruments de recherche dont nous disposons actuellement en sciences psychosociales, nous croyons qu'il est possible de dépasser ce genre d'information qui demeure utile, même si elle est basée sur des impressions, et d'arriver à une évaluation plus précise des résultats concrets d'un programme de formation. Le projet que nous avons à l'esprit consiste en une application de la démarche expérimentale dans l'évaluation du programme de formation offert par le Centre des Dirigeants d'Entreprise.
Pour faciliter la compréhension de ce projet, il serait peut-être utile de jeter un regard discursif sur les travaux publiés depuis quelques années dans le domaine de l'évaluation des programmes de formation. On y retrouve des réflexions portant soit sur les principes de l'évaluation, soit sur les principales démarches utilisées, soit sur les effets qu'ont produits certains programmes. Il ne faut pas s'attendre ici à une revue exhaustive et critique de toutes les tentatives d'évaluation. Notre attention se centre plutôt sur des études déjà connues par ceux qui oeuvrent dans le secteur de la formation et dont la diffusion est plutôt restreinte.
1. McGehee et Livingstone15 rapportent qu'à la suite d'un programme de formation à la réduction du gaspillage (programme impliquant contremaîtres et ouvriers), le taux de rebut a été réduit de 61.6%. Cette réduction s'est maintenue au même niveau durant deux années consécutives. Le succès du programme peut être attribué à la facilité de définir le but en termes opérationnels, de l'expliquer aux participants et de permettre à ces derniers d'évaluer leur progrès dans la réalisation du but. 2. Les études de Fleishman, Harris et Burtt16 démontrent qu'il est beaucoup plus difficile d'évaluer les résultats d'un pro- gramme de formation en relations humaines dont le but vise, comme on le sait, une modification des attitudes de l'individu et de son comportement dans l'entreprise.L'essai d'évaluation de Fleishman et Harris à l'International Harvester Co. a été conçu suivant un plan expérimental rigoureux. Deux instruments ont été mis au point. Le premier s'intitulait « Description du comportement du personnel d'encadrement » (Supervisory Behavior Description Questionnaire). Cet instrument permettait aux subordonnés de décrire le comportement de leur supérieur. Le deuxième instrument « Questionnaire d'opinion sur le commandement » (Leadership Opinion Questionnaire), s'adressait aux contremaîtres et permettait de décrire leur conception du rôle de chef. Les instruments devaient permettre de retracer deux dimensions du commandement : la considération et l'initiative concernant la structure. En des termes plus récents, la considération serait l'équivalent d'une orientation vers les relations humaines et l'initiation concernant la structure serait celui d'une orientation vers la tâche. Les tests étaient conçus pour rendre les deux dimensions indépendantes, la présence de l'une excluant celle de l'autre.
Le programme d'une durée de quinze jours visait à développer chez les participants un style de commandement démocratique sans mettre l'accent sur le rendement ou encore la tâche à exécuter.
Pour mesurer l'efficacité du programme, on établit deux groupes de contremaîtres : un groupe expérimental, celui qui devait participer au programme; un groupe témoin, celui qui en était exclu. Les deux groupes passèrent le test « Leadership Opinion Questionnaire » avant et après les sessions prévues au programme. Les subordonnés furent aussi invités à passer le test construit pour eux.
Une comparaison des réponses obtenues aux deux tests avant et après le programme ne permit pas de constater une différence significative au plan des attitudes et du comportement entre les formés et les non-formés. Même si les résultats globaux de cette étude ne sont pas concluants, on peut cependant déceler, après une analyse partielle des données, une différence entre les contre-maîtres avant et immédiatement après le programme de formation en relations humaines. Les contremaîtres formés ont manifesté moins d'autoritarisme et plus de considération pour les personnes après le programme. Cependant, au retour dans leur milieu habituel de travail, ces mêmes contremaîtres ont manifesté une orientation vers la tâche à un degré plus élevé que celui qu'on a pu constater chez eux avant leur période de formation. Cet essai d'évaluation ne fut pas un échec complet, puisqu'il a mis en relief des points importants en matière de formation.
Un premier point concerne le phénomène du transfert. Il semble difficile pour les formés de transposer dans leur situation de travail des attitudes et comportements acquis au cours d'une session intensive lorsque l'organisation n'est pas prête à les recevoir. En d'autres mots, nous ne voyons pas comment des individus sensibilisés à l'approche « démocratique » peuvent à leur retour, fonctionner dans une entreprise où les supérieurs hiérarchiques et la haute direction épousent à fond l'approche autoritaire et centrée sur la production.
Donc, un programme de formation en relations humaines, pour produire des effets durables, doit d'abord s'adresser aux échelons supérieurs de l'entreprise; ou bien, il doit être élaboré en tenant compte de la philosophie des dirigeants et des besoins de l'entreprise.
Un deuxième point porte sur l'utilisation de la dichotomie « considération » et « initiating structure » pour englober toutes les dimensions du commandement et élaborer les tests en conséquence, et cela sans tenir compte des exigences des situations administratives concrètes. Les difficultés rencontrées par ces auteurs en ont probablement incité d'autres à réfléchir sur les limites que comporte le fait de privilégier un style à l'exclusion d'un autre ou de construire un modèle où s'opposent théoriquement deux dimensions, alors que, dans la réalité, il n'y a pas nécessairement opposition. Nous rejoignons ici la critique formulée par Andrews en 1957 à l'endroit de l'essai d'évaluation tenté par Fleishman et ses collègues.17 Des auteurs comme Tannenbaum, Blake et Reddin admettent la possibilité de plusieurs styles de commandement qui peuvent être exploités selon les exigences de la situation.
3. Après un examen critique des méthodes d'évaluation utilisées par le groupe de Harvard, les compagnies Aluminium of Canada, Standard Oil of New Jersey et Detroit Edison, Paul C. Buchanan18 proposent un système théorique d'évaluation des programmes de formation. Les critères auxquels le système doit obéir sont les suivants :Au cours d'un premier essai d'évaluation, Buchanan doit faire un effort pour coller de près la démarche expérimentale, qu'il prônait deux ans plus tôt.19 Ne pouvant instituer un groupe expérimental et un groupe témoin, et devant l'impossibilité d'obtenir des données avant et après le programme de formation,
Buchanan demande deux mois après aux supérieurs et subordonnés des formés de relater des exemples précis reflétant un changement dans la performance des individus au travail et de préciser si ce changement est attribuable au programme suivi. Les réponses aux questionnaires sont analysées par deux spécialistes en sciences sociales qui ne sont en aucune façon en relation avec l'entreprise où se fait l'évaluation. Lorsque les deux spécialistes, travaillant séparément, concluent qu'un changement de comportement s'est produit chez le participant, on considère que le programme a produit un effet pour ce participant. Une analyse plus poussée des réponses permet de juger si le changement opéré par un participant est consistant avec le but du programme et reflète la connaissance ou les attitudes acquises au cours du programme.
À la suite des résultats obtenus, l'auteur soutient que cette méthode d'évaluation est applicable, fiable et valide.
4. À l'aide d'un questionnaire rempli par 6,000 dirigeants d'entreprise, d'entrevues avec les instructeurs, les supérieurs immédiats et les collègues des formés, Kenneth Andrews20 a accumulé une masse d'information sur les effets des divers programmes offerts par les universités nord-américaines et les entreprises.Dans l'ensemble, les formés sont revenus plein d'enthousiasme à l'endroit de l'expérience de formation. Le travail en groupe leur a permis d'accroître leur capacité de comprendre le point de vue des autres et d'augmenter leurs connaissances sur le fonctionnement intégré d'une entreprise.
Les témoignages des dirigeants de trois compagnies Humble Oil, Westinghouse et Alcan nous permettent de croire que les cadres formés ont réellement bénéficié des programmes. Des changements sont perceptibles tant au niveau des individus qu'au niveau du climat de l'organisation.
Andrews conclut qu'il faut s'acharner à définir ce qu'on entend par « efficacité d'un programme de formation » et à trouver les moyens pour l'accroître. La démarche clinique utilisée par Andrews ne permet pas de mesurer d'une façon précise la nature
des changements survenus chez les formés, mais elle fournit une information précieuse pour une reformulation possible des objectifs d'un programme et la mise au point de nouvelles méthodes de formation.
5. Mahoney, Jerdee et Korman21 affirment qu'une évaluation systématique d'une activité de formation est impossible sans une définition opératoire des objectifs poursuivis. L'évaluation conduite par le Management Development Laboratory du Centre de Relations Industrielles de l'Université du Minnesota illustre l'application de la démarche expérimentale pour évaluer un pro- gramme de formation en administration au sein d'une entreprise.Les buts poursuivis par le programme étaient les suivants:
Les auteurs ont élaboré trois instruments pour juger de l'efficacité d'un programme : un test de connaissance (knowledge test), un test d'analyse de cas (case analysis test) et enfin, un test d'attitudes (attitude scale). Les tests furent administrés avant et après le programme à deux groupes différents : les dirigeants qui devaient suivre le cours et qui l'ont effectivement suivi; un groupe témoin, c'est-à-dire un certain nombre de dirigeants exclus de l'expérience de formation.
Comparés au groupe témoin, les formés ont amélioré d'une façon significative leur habileté dans l'application de l'approche rationnelle à la solution des problèmes. Ils ont aussi développé le sens d'une responsabilité à l'endroit de leur perfectionnement personnel. Cependant, les formés ne possédaient pas après le cours une meilleure connaissance des principes d'administration que celle observée chez le groupe témoin. En cherchant les raisons
de cet échec, on a découvert que les instructeurs ne possédaient pas une bonne connaissance des principes d'administration. Cependant, ces instructeurs ont démontré beaucoup d'habileté dans la conduite des réunions.
Cet essai d'évaluation nous amène à conclure que la démarche expérimentale est applicable. Elle permet de juger dans quelle mesure les buts d'un programme sont atteints et de déceler les raisons qui peuvent expliquer un échec ou un succès dans l'atteinte des objectifs de formation.
6. L'expérience tentée par le Service de psychologie appliquée de l'Association Française pour l'Accroissement de la Productivité représente à l'heure actuelle, l'effort le plus complet d'évaluation des incidences d'un programme de formation.22
Une estimation des effets de la formation et des facteurs qui la conditionnent a été réalisée sur trois points :
La démarche utilisée est assez complexe puisqu'elle utilise concurremment l'approche expérimentale et l'approche clinique.
Les modifications individuelles des attitudes ont été étudiées à l'aide de trois (3) tests passés avant et après formation par deux cents (200) agents de maîtrise :
Malheureusement, nous ne pouvons rapporter ici les résultats obtenus à l'aide de ces trois instruments. Le lecteur voudra bien se référer aux cahiers de l'A.F.A.P.
L'étude de la carrière professionnelle a été menée à l'aide d'un questionnaire rempli par des enquêteurs au cours d'une visite auprès de cent cinquante-quatre (154) agents de maîtrise qui avaient participé au programme de formation.
Pour juger de la capacité de l'entreprise à assimiler les nouveaux formés à leur retour dans leur situation de travail, les enquêteurs ont procédé à une série d'entretiens psychologiques en profondeur avec le supérieur hiérarchique immédiat des formés et avec des représentants de la direction de l'entreprise. Sur ce point, les résultats démontrent que les entreprises assimilent différemment les effets de la formation. Les facteurs qui peuvent expliquer ce phénomène sont les suivants :
Cet essai d'évaluation démontre l'applicabilité de la démarche expérimentale dans la mesure des incidences de la formation. Cette démarche complétée par l'approche clinique permet aussi de juger si la formation a des effets durables lorsque les formés ont opéré un retour de leur situation de travail.
7. Dans un article intitulé « Breakthrough in Organisation Development », Blake, Morton, Barnes et Greiner24 tentent de démontrer, par une analyse de cas, la possibilité d'utiliser avec succès les sciences du comportement dans un effort pour améliorer le fonctionnement d'une usine et la compétence de ses dirigeants. Un nombre de huit cents (800) dirigeants et cadres techniques sont soumis à une expérience de formation comprenant six
phases distinctes et utilisent la grille directoriale (« The Managerial Grid »). Cette grille, largement diffusée dans la province de Québec, permet de retracer cinq styles de commandement basés sur deux variables clefs :
Pour évaluer la nature des changements survenus au sein de toute l'usine, les auteurs utilisent des critères dont on se sert habituellement pour mesurer l'efficacité des opérations. Au cours des différentes phases de formation, des données sont recueillies sur la productivité, les profits, les pratiques de la direction touchant la fréquence des réunions, les critères d'appréciation du personnel, le nombre de mutations et de promotions au sein de l'usine et à l'extérieur.
Une comparaison des résultats accumulés à différentes étapes du programme permet aux auteurs de conclure que le programme de développement des cadres a produit des effets positifs. Encore là, il est difficile d'attribuer au programme seul les changements observés à l'aide des critères énumérés plus haut. Par exemple, l'accroissement des profits entre les années 1962 et 1963 (années des premières phases du programme) peut être attribué à une amélioration de l'équipement ou une réallocation plus efficace du personnel. Les auteurs sont eux-mêmes conscients des limites que comporte le choix de leurs critères pour déceler les incidences du programme.
Un changement au niveau des perceptions, attitudes et valeurs devait se refléter dans une amélioration des relations interpersonnelles (relations entre supérieurs et subordonnés, relations au sein d'un groupe de travail et relations intergroupes).
Les dirigeants ont rempli un questionnaire en portant un jugement sur l'état des relations interpersonnelles à deux périodes différentes. Les réponses permirent de détecter une amélioration sensible au cours des premières phases du programme.
Cette revue rapide de quelques essais d'évaluation démontre que plusieurs approches peuvent être utilisées pour déceler les incidences d'une action de formation.
Il est difficile de porter un jugement sur la supériorité d'une approche comparée à une autre. La démarche clinique par voie de questionnaire et d'entrevues permet de recueillir une information utile pour améliorer soit le contenu, soit les méthodes de formation, ou encore réviser les objectifs d'un programme en fonction des besoins de l'entreprise ou de la philosophie des dirigeants. Cependant, cette approche seule ne permet pas de mesurer d'une façon rigoureuse les résultats anticipés par les formateurs et ceux qui défraient les coûts des activités de formation. Sur ce point, la démarche expérimentale serait préférable. Celle-ci comporte aussi des limites. Il semble difficile d'établir des groupes expérimentaux et témoins qui soient homogènes en termes d'âge, sexe, ancienneté, occupation, avant et après un programme de formation. Les coûts impliqués sont probablement plus élevés. Encore là, nous ne disposons d'aucun chiffre pour prouver cette affirmation.
L'idéal serait de coller le plus près possible l'approche expérimentale quitte à compléter, lorsque c'est nécessaire, l'information par la conduite d'entretiens, l'administration d'un questionnaire, ou encore par une discussion de groupe avec les formés eux-mêmes. Nous avons donc choisi de recourir à la démarche expérimentale dans notre essai d'évaluation du programme de formation offert par le Centre des Dirigeants d'Entreprise.
Le programme du CDE s'adresse à toute personne qui accomplit des tâches directoriales dans une entreprise qu'elle soit petite, moyenne, gigantesque, privée, para-publique ou publique. D'une façon globale, les stages d'étude et de réflexion visent à accroître chez les dirigeants leur compétence sur le plan des relations interpersonnelles et leur capacité d'analyser diverses situations administratives dans toutes leurs dimensions en vue de dégager l'orientation et l'action à prendre.
En s'inspirant largement des théories des styles administratifs, le programme vise d'une façon spécifique à accroître chez l'administrateur une flexibilité à adopter le style administratif qui correspond aux exigences de la situation administrative dans laquelle il se trouve et auxquelles il doit faire face. Le programme s'inspire donc de la théorie situationnelle du leadership qu'on pourrait brièvement caractériser comme étant la rencontre de l'homme et de la situation.
Le programme ne vise donc pas à inculquer chez l'administrateur la nécessité d'implanter dans son entreprise un style de commandement « démocratique » comme certains programmes de relations humaines l'ont fait dans le passé.
Comme premier instrument de mesure pour évaluer le degré de flexibilité que devrait acquérir l'administrateur au cours des périodes de formation selon le programme du CDE, nous avons élaboré quatre batteries de tests qui nous permettront de déterminer le nombre de stagiaires qui auront opéré un changement au plan des valeurs, attitudes et comportements à l'endroit des autres (en particulier leurs subordonnés) et à l'endroit de la tâche à accomplir.
Chaque batterie comprend dix sentences décrivant les styles administratifs suivants :
L'analyse de la distribution des scores nous permet de situer le stagiaire sur les grilles de styles de leadership déjà élaborées par différents auteurs tels que Blake, Reddin, pour ne mentionner que les plus connus.
Ce premier instrument nous permet de détecter la nature d'un changement au plan des valeurs, attitudes et comportements. Cependant, il ne nous permet pas de juger si le changement opéré par le stagiaire est approprié; en d'autres mots si le changement effectué répond aux exigences de la situation administrative dans laquelle il se trouve actuellement ou d'autres situations avec lesquelles il sera confronté dans sa carrière d'administrateur.
Pour juger de l'habileté d'un stagiaire à adopter le style qui répond aux exigences de la situation, c'est-à-dire de son degré de flexibilité, un travail de recherche s'impose. Pour le moment, nous envisageons d'explorer quelques avenues qui nous conduiront à la mise au point de ce second instrument de mesure.
Une première possibilité consiste dans l'élaboration d'un test de situations stratégiques ou difficiles. Le test comprendrait une série de cas en administration présentés sous une forme simplifiée. Chaque cas serait suivi d'une dizaine de réponses décrivant succinctement le style d'administration le plus approprié en regard de la situation décrite. On demanderait à des spécialistes de la formation des cadres ou à des administrateurs chevronnés d'exprimer leur accord ou désaccord, sur chaque réponse. On pourrait ainsi dégager le type idéal d'administration qui répondrait aux exigences de la situation. On demanderait ensuite aux stagiaires d'indiquer, à leur tour, leur assentiment ou désaccord à l'endroit de chacune des réponses à deux moments différents, c'est-à-dire avant et après la période de formation.
Une étude approfondie portant sur la comparaison des scores obtenus aux tests des styles de base et au test des situations difficiles, nous permettrait de juger du degré de flexibilité acquis au cours de la période de formation.
Cependant, le test des situations critiques que nous venons de décrire comporte une limite sérieuse comme instrument d'évaluation. L'hypothèse de base d'un programme de formation est le transfert. Les formateurs s'appliquent au cours des stages de formation à inciter les stagiaires à découvrir des modifications qu'ils peuvent apporter en espérant que ces modifications, possiblement opérées en situation de formation, seront transposées dans la situation de travail. Comme les cas de situations critiques
seraient élaborés en vase clos, c'est-à-dire sans tenir compte de la philosophie de la direction, de la technologie ou de la taille de l'entreprise où le stagiaire détient un poste, il serait difficile d'anticiper le transfert avec certitude. En des termes plus simples, nous croyons qu'un stagiaire peut rencontrer des difficultés à mettre à profit le degré de flexibilité qu'il aura possiblement acquis, si l'entreprise où il se trouve est incapable d'assimiler cet effet du programme de formation.
Pour éviter les écueils que présente le phénomène du transfert, on pourrait songer à une deuxième avenue qui serait une adaptation de celle que nous venons de décrire et qui relèverait d'une démarche clinique.
Au lieu d'élaborer en vase clos des cas de situations difficiles, on pourrait mettre sur pied une équipe d'interviewers qui se chargeraient de visiter les entreprises et les stagiaires qui ont terminé les stages de formation, conduits par l'équipe du Centre des Dirigeants d'Entreprise. La démarche consisterait, d'abord, à interviewer le stagiaire en lui demandant de décrire la situation globale dans laquelle il opère, l'ensemble de problèmes administratifs avec lesquels il a été confronté et les solutions qu'il a mises de l'avant.
Ensuite, il faudrait interroger le supérieur immédiat du stagiaire de même que ses coéquipiers et ses subordonnés en leur demandant de décrire la façon dont le stagiaire s'est comporté dans la situation qu'il aura lui-même décrite au point de départ.
Une série de questions chercheraient à découvrir si le supérieur immédiat du stagiaire, ses coéquipiers et ses subordonnés ont observé un changement chez le stagiaire après sa période de formation.
Des comparaisons entre l'information ainsi obtenue par voie d'entrevues semi-dirigées et celle fournie par les tests portant sur les styles de base, donneraient quelques indications sur le degré de flexibilité acquis par le stagiaire à la suite des stages suivis au CDE après avoir réintégré les cadres de son entreprise.
Même si cette démarche nous aidait à évaluer d'une façon approximative la persistance de l'effet de la formation dans l'entreprise que réintègre le stagiaire, elle présenterait de nombreuses difficultés. Au point de départ, on perdrait la rigueur de la précision statistique que présenterait la première possibilité. En deuxième lieu, elle ne permettrait pas d'obtenir une information sur le stagiaire avant la période de formation, ce qui rendrait impossible une comparaison avant et après le programme, comparaison nécessaire pour juger si les modifications survenues peuvent être attribuées au programme lui-même. Enfin, cette démarche clinique nous apparaît beaucoup plus dispendieuse puisqu'il faudrait engager et former des interviewers capables d'effectuer le travail.
Ces raisons nous incitent à croire que la première approche, utilisant le test des situations critiques, serait plus pratique dans la confection d'un deuxième instrument de mesure permettant de juger de la capacité du stagiaire à opérer un choix judicieux du style administratif qui l'aiderait à faire face, d'une façon efficace, à la situation administrative dans laquelle il se trouve.
À la lumière de la description des buts du programme de formation et des instruments de mesures qu'on peut développer, nous sommes maintenant capable d'esquisser les grandes étapes à parcourir pour réaliser un premier essai d'évaluation.
Un tel projet ne peut être réalisé sans la collaboration de ceux qui bénéficient du programme de formation et sans le support financier des organismes qui s'intéressent à la promotion de la recherche et à la progression de la connaissance dans les sciences psychosociales.
Les résultats obtenus pourront permettre un réajustement plus objectif et plus rapide des programmes en fonction des objectifs poursuivis et des besoins des participants. Cette évaluation pourra fournir des normes de progression constante.
Les techniques d'évaluation elles-mêmes pourront devenir des outils de formation adaptables à toutes ces phases du programme.
Robert Robitaille
Le Centre est nettement présenté dans ce Cahier comme un mouvement de formation et de promotion du dirigeant d'entreprise. On se plaît à dire qu'il a à son crédit bien des réalisations, mais aussi une pensée structurée qui éclaire ses réalisations passées et oriente son action présente et future.
Son souci constant est de transcrire sa pensée dans des actions concrètes à tous les niveaux. Le CDE incarne son esprit dans des activités globales de représentation et de consultation qui le poussent à mener à bien des travaux de recherches approfondies et à faire valoir des politiques patronales qui le mettent à l'avant-garde comme mouvement. Le CDE incarne aussi sa pensée dans son programme de formation destiné aux dirigeants d'entre- prise. Les chapitres précédents en témoignent largement.
Le Centre a cependant le souci principal de traduire sa pensée dans ses contacts avec ses membres et à travers les services qu'il est appelé à leur rendre. C'est ici que s'inscrivent les activités régionales qui ont pour but de mettre sur pied les programmes qui répondent le mieux aux besoins divers des dirigeants d'entreprise dans leurs milieux et d'établir un joint vital entre les membres et l'organisme central qui les unit.
Le lecteur le sait sans doute, mais peut-être est-il opportun de le rappeler : le Centre compte environ 500 entreprises membres qui délèguent plus de 800 représentants. Ces membres sont groupés dans huit sections appelées « régionales ». Ces régionales regroupent des dirigeants d'entreprise de l'industrie, du commerce et des services, qu'ils soient de la petite, moyenne ou grande entreprise. La grande entreprise y est présente, mais se trouve évidemment en minorité.
Chaque année, les membres de chacune des régionales élisent un bureau de direction, chargé d'administrer les affaires de la régionale. Le président et un directeur de chacune des régionales sont délégués au Conseil d'administration central, qui lui-même nomme les membres de l'Exécutif.
Ces bureaux de direction rassemblent les leaders du milieu et jouissent d'une assez grande autonomie. Cette autonomie n'est limitée que par les décisions ou orientations du Conseil d'administration, où d'ailleurs chacune des régionales est représentée. La structure est donc tout à fait démocratique et ne freine en rien le dynamisme qui doit être généré dans chaque groupe régional.
Il faut noter que les critères géographiques qui ont présidé à la formation des huit régionales actuelles sont bien antérieurs à ceux qui ont présidé à la formation des régions et sous-régions économiques que nous connaissons depuis quelques années. Si la nécessité s'en faisait sentir, il pourrait sans doute y avoir révision des territoires en fonction des régions économiques, mais les divisions actuelles semblent encore très utiles et adaptées à la situation.
Le lecteur se demandera sans doute quelles régions sont couvertes actuellement par le Centre et où sont constitués ces noyaux que sont les régionales. Pour être bref, nous nous contenterons d'énumérer chacune des régionales, tout en mention- nant, à titre indicatif, les principales villes englobées :
— Régionale de Montréal :
Montréal et la région métropolitaine
— Régionale de Richelieu - Yamaska :
St-Hyacinthe - Sorel – Granby
— Régionale des Bois - Francs :
Drummondville - Victoriaville - Plessisville - Daveluyville - Nicolet
— Régionale de la Chaudière :
Thetford - Mines et les comtés de Beauce et Frontenac
— Régionale de la Mauricie :
Trois-Rivières - Shawinigan - Grand-Mère – LaTuque
— Régionale de Québec :
Québec et la région métropolitaine - Lévis - Bellechasse – Montmagny
— Régionale du Bas St-Laurent :
Rivière - du - Loup - Rimouski - Mont - Joli - Matane
— Régionale de Saguenay - Lac St-Jean :
Chicoutimi - Jonquière — Kénogami — Alma -Roberval - Dolbeau
Quelques membres du CDE se trouvent en outre disséminés dans des territoires non organisés.
On l'aura constaté, le Centre n'atteint pas les dirigeants d'entreprise de toute la Province. Certains affirment qu'il gagne- rait à s'étendre et à être mieux connu. Nous ne pouvons que partager cette opinion qui, pour nous, est un objectif à long terme.
Le vocable « activités régionales » vient tout simplement du fait que des rencontres et des activités de types divers sont organisées régulièrement à l'intention des groupes régionaux. L'affectation récente de deux conseillers permanents à plein temps pour soutenir les structures régionales, a donné naissance au « service d'activités régionales ».
Ce service s'efforce de nouer des liens vitaux entre le Centre et ses membres groupés selon les régions et représentés par le bureau de direction. Le Centre aurait certainement peu d'impact dans notre société, si sa pensée et ses réalisations n'étaient diffusées à travers ses membres, comprises et appliquées à l'intérieur des entreprises, et dans le milieu.
C'est au service d'activités régionales que revient la tâche d'informer les membres des recherches entreprises par le CDE, des représentations et des prises de position, des divers programmes en cours et de leur évolution. Les membres sont aussi mis au courant de ce qui se passe dans les autres sections régionales.
C'est en outre à lui qu'il revient d'établir des réseaux de consultation plus ou moins formels. Cette consultation se fait à travers les canaux ordinaires de communication, mais plus particulièrement au cours des assemblées générales ou du bureau de direction. Parfois même, se tiennent des assemblées interrégionales pour mettre en commun les réalisations, pour évaluer ces dernières et pour déterminer des orientations pour l'avenir. Ainsi, récemment, les directeurs de toutes les régionales étaient conviés à une session d'études pour réexaminer les objectifs, les structures, les programmes et les orientations futures du Centre. Il en est sorti des recommandations très positives qui, après étude, seront soumises au Conseil d'administration et à l'Assemblée générale.
Cependant, cette information et cette consultation des membres seraient bien impuissantes si elles n'étaient complétées par la recherche constante des besoins des dirigeants d'entreprise, de l'évolution de l'entreprise, des problèmes propres à chacune des régions. Cette recherche, alliée à la consultation constante des membres, permet d'éclairer de façon plus objective les programmes en cours, de tenter une évaluation sommaire, et d'apporter des corrections pour que les programmes collent davantage à la réalité et répondent plus adéquatement aux besoins.
Notre époque est caractérisée par la rapidité de l'évolution dans tous les domaines, évolution qui s'apparente parfois à la révolution. Notre société québécoise est loin d'échapper à ce phénomène; elle est marquée de changements significatifs à tous les niveaux : politique, économique et social. Des pressions, souvent contradictoires, remettent sans cesse en cause ce qui existe. Qu'il s'agisse de l'évolution du rôle de l'Etat, de celui des corps intermédiaires, de celui de l'entreprise, ou des mécanismes de la vie économique et sociale, cette évolution implique directement le chef d'entreprise et ne doit pas se faire sans lui. Le dirigeant d'entreprise joue dans notre société un rôle de premier plan : selon qu'il sera efficacement présent ou non à cette évolution, elle jouera pour ou contre lui.
Il importe donc pour un mouvement comme le CDE de se préoccuper de répondre aux besoins des dirigeants d'entreprise dans le domaine socio-économique, afin de leur faciliter la prise
en charge de responsabilités importantes et de canaliser leur action commune, comme groupe patronal. A cette fin, notre préoccupation première est de faire l'inventaire des besoins réels des dirigeants d'entreprise en matière socio-économique et d'établir un ordre de priorité dans ces besoins à satisfaire.
Ensuite seulement peut être mis en oeuvre un processus de formation socio-économique par lequel le dirigeant d'entreprise prend conscience des problèmes économiques et sociaux reliés à la vie de l'entreprise dans ses rapports avec l'ensemble de la société, acquiert les connaissances nouvelles appropriées à la solution de ces problèmes et s'engage dans des actions positives pour faire évoluer la situation et résoudre les problèmes.
C'est d'abord ce premier objectif de formation socio-économique que vise le service d'activités régionales.
Nous sommes convaincus que c'est d'abord à une promotion de la personne qu'il faut viser. C'est pourquoi nous en faisons un objectif particulier. Attendre de la personne qu'elle retrouve le sens de ses responsabilités et offre sa collaboration à l'oeuvre économique et sociale exige d'abord qu'on l'aide à prendre conscience de sa dignité de personne libre et, en l'occurrence, pour le dirigeant d'entreprise, de la dignité de la fonction patronale qu'il exerce.
C'est un fait, la fonction même de chef d'entreprise, ou d'homme d'affaires en général, a trop longtemps été considérée dans notre société comme une fonction secondaire, dépourvue de dignité réelle. Se dirigeaient vers les carrières des affaires ceux qui ne pouvaient pénétrer dans les carrières classiques : médecine, droit, génie... Pour une bonne partie de l'opinion publique, les patrons furent souvent assimilés à des profiteurs, ou tout au moins à des gens qui ont surtout développé leur habileté à s'enrichir...
Ajoutons à cela des facteurs comme la domination économique étrangère et les lenteurs du progrès de l'éducation au Québec, et nous pourrons cerner quelques causes de la pénurie d'hommes d'affaires compétents, capables d'assumer des postes de haute direction. Le Québec a longtemps souffert de cette situation, même si elle tend maintenant à se résorber.
Tel est le second objectif poursuivi par le service d'activités régionales : revaloriser par tous les moyens le dirigeant d'entreprise à ses propres yeux et aux yeux de ses partenaires dans la construction de notre société. Par son initiative, sa compétence et son sens des responsabilités, le dirigeant d'entreprise, et par extension tout administrateur, est appelé à jouer un rôle important dans la vie économique et sociale.
Chaque région a ses problèmes particuliers et les disparités régionales en matière de développement économique sont parfois très apparentes. Les chefs d'entreprise en sont conscients. Mais ils sont aussi conscients que leur action, prise isolément, a peu de chance d'être réellement efficace. Si, cependant, leurs énergies sont canalisées à l'intérieur d'un mouvement comme le CDE, elles ont plus de chance d'être efficaces et d'apporter les résultats attendus. Le CDE, à travers son service d'activités régionales, entend favoriser la prise en charge des problèmes régionaux par les personnes mêmes du milieu et les supporter le plus efficacement possible dans leur action.
Certes, nos actions ne peuvent s'attaquer de front au développement régional dans son ampleur. C'est plutôt là le rôle des organismes de concertation, tels les Conseils Économiques Régionaux. Il s'agit plutôt pour nous d'apporter une collaboration positive à ces organismes ou, dans certains cas, de réaliser des expériences pilotes, de nature à attirer l'attention sur certains problèmes importants et à initier un mouvement qui puisse ensuite prendre de l'envergure.
Nos actions, qui visent à la formation socio-économique, à la promotion des dirigeants d'entreprise et au développement régional, si intimement liées qu'elles puissent être à l'exploitation des ressources d'une région, se fondent essentiellement sur les ressources humaines.
Notre rôle, du moins nous le pensons, ne consiste pas à trouver des solutions concrètes à tous les problèmes. Il consiste plutôt à faire la coordination des ressources humaines, à organiser des groupes, à les animer. Chaque personne est amenée, à l'intérieur du groupe, à prendre de plus en plus conscience de ses possibilités et de ses ressources, à identifier par elle-même la situation et les problèmes, à rechercher des solutions selon des méthodes objectives et rationnelles, à utiliser les ressources et les services à sa disposition, à prendre les décisions que la situation impose et à s'organiser pour l'action.
Dans cet esprit, le rôle des conseillers aux activités régionales est de stimuler, soutenir et coordonner les actions initiées par les leaders du milieu. Plusieurs de ces leaders se retrouvent au sein des bureaux de direction de chacune des régionales. Notre rôle n'est pas de faire le travail, ce qui irait à rencontre de nos objectifs. Notre rôle est plutôt « d'organiser », c'est-à-dire d'amener les groupes à se former, à se réunir et à accomplir une action efficace; cela en fournissant aux groupes régionaux les services nécessaires : recherche, animation, secrétariat, relations publiques.
Le bureau de direction de chaque régionale est le centre nerveux des activités. C'est là qu'on retrouve les leaders du milieu qui ont été élus par les membres en vue d'administrer les affaires de chaque régionale.
Leur rôle est de concevoir, administrer et réaliser, de concert avec le conseiller permanent qui y est affecté, un programme d'activités répondant aux objectifs énoncés plus haut, en tenant compte des besoins et des intérêts particuliers des dirigeants d'entreprise de chacune des régions.
Des suggestions précises concernant des thèmes à l'étude, des types d'assemblées, des formules d'animation et des actions à entreprendre, sont soigneusement préparées par les conseillers du service. Au début de chaque année, le bureau de direction se réunit pour décider de l'orientation des activités, établir une programmation précise et s'organiser pour l'action. Chaque régionale est libre de construire son propre programme et de choisir ce qui lui convient dans les suggestions préparées par les conseillers. L'essentiel est que le programme adopté colle le plus possible aux besoins prioritaires du milieu.
Les tâches sont ensuite réparties et assumées tout au cours de l'année par plusieurs directeurs : organisation des activités, recrutement, finances et relations publiques. Cela permet d'assurer une large participation des membres et une utilisation optimale des ressources du milieu.
Les directeurs sont enfin amenés à évaluer les programmes et les actions en cours de réalisation, à examiner leur portée sur les membres et le milieu et à mettre en oeuvre, s'il y a lieu, les correctifs nécessaires.
Ce sont en somme ces leaders du milieu qui font la force d'un mouvement comme le CDE, si l'on sait tirer avantage de leur connaissance du milieu et de leur dynamisme.
Nos activités de groupe utilisent présentement, à des degrés divers, trois formules : visite industrielle, déjeuner-dialogue et journée d'étude.
Il n'est certes pas utile de décrire ici en détail le déroulement et l'organisation d'une visite industrielle. Il faut cependant signaler qu'elle nous semble profitable en autant que l'objectif de la visite est bien choisi et énoncé de façon précise. Visiter une entreprise revêt presque toujours un certain intérêt, mais la visite est beaucoup plus intéressante et profitable lorsqu'elle est orientée dans un but précis qui peut être l'illustration d'une idée nouvelle, ou d'une trouvaille administrative qui a donné à l'entreprise un succès renouvelé. Ce peut être aussi la recherche de la solution d'un problème particulier à une entreprise.
À cet effet, chaque visite industrielle est en général précédée d'une explication sommaire des divers aspects de l'entreprise : historique, organisation, production, marchés, etc. La visite se fait ensuite par petits groupes de huit personnes au maximum. Elle est
finalement couronnée par un forum où chacun peut poser les questions qu'il désire, faire les observations appropriées ou pour- suivre une discussion en regard de l'objectif de la visite.
Le déjeuner-dialogue ou souper-forum est aussi fréquemment utilisé pour l'information et la discussion sur des questions socio-économiques. L'assemblée coïncide alors avec le repas et les participants sont réunis, autant que possible, en tables rondes de sept ou huit personnes. Ce souper, qui favorise les échanges inter- entreprises, est suivi d'une causerie d'au plus trente minutes par un spécialiste invité ou par un des membres. Puis, la discussion s'engage, où chacun peut rechercher des informations supplémentaires ou poursuivre le dialogue avec le conférencier et ses collègues. L'objectif recherché est la participation la plus active de chacun, en vue de l'assimilation réelle de l'information et de la création d'un véritable dialogue où chacun peut s'exprimer.
En maintes occasions, nous combinons dans la même journée une visite industrielle et un déjeuner-dialogue. Cela permet d'économiser du temps et d'être plus efficace. Cette formule combinée est spécialement utilisée lorsque c'est le chef de l'entreprise visitée qui prononce lui-même la causerie, ou lorsque le sujet du souper-causerie est directement relié à l'objectif de la visite industrielle.
Enfin, le temps est souvent une limite paralysante lorsqu'on veut traiter un sujet de façon plus étendue et approfondir suffisamment les questions pour prendre les résolutions qui s'imposent. La journée d'étude permet alors d'atteindre cet objectif et facilite la participation d'un plus grand nombre de personnes. Elle nécessite cependant une organisation plus soignée et la mise en oeuvre de techniques d'animation plus poussées, qu'il n'est pas nécessaire de décrire ici parce qu'elles sont déjà connues du lecteur.
Sans remonter loin dans l'histoire, il suffira, pour donner une idée des programmes, de mentionner que la plupart de nos activités de 1966-67 ont porté sur le thème des relations patronales- ouvrières. Le CDE a toujours été reconnu pour ses idées avant-gardistes en ce domaine. Les sujets à l'étude se sont succédés
dans un ordre logique de façon à couvrir les problèmes les plus importants et à les considérer dans leurs interrelations. Plusieurs spécialistes, tant de l'intérieur que de l'extérieur du CDE, ont collaboré à la réalisation de ces programmes. Une expérience particulière vaut d'être soulignée : quelques sujets, par exemple celui portant sur les comités ouvriers-patronaux, ont été traités successivement par un représentant patronal et syndical. Cela a permis, dans bien des cas, d'illustrer la différence de pensée, mais aussi de faire des découvertes intéressantes et de favoriser un dialogue plus ou moins facile en d'autres circonstances.
Quant à l'année qui vient de s'écouler, chacune des régionales fut amenée à bâtir son programme propre. Les intérêts de plusieurs se sont cependant concentrés sur l'évolution de la petite et moyenne entreprise dans le contexte québécois : étude du contexte économique, organisation, financement, production, création de marchés, conditions d'expansion et voie d'avenir. Une autre régionale a coiffé de ce titre ses activités touchant divers sujets d'ordre administratif et communautaire : « Les dirigeants d'entreprise s'interrogent ! » Enfin, une régionale a conçu un programme pour trois ans sous le thème de la formation du dirigeant d'entreprise. La première année a porté sur la situation du dirigeant d'entreprise dans le milieu québécois.
Plusieurs régionales ont en outre entrepris de collaborer avec les Conseils Economiques Régionaux. Il faut, à cette occasion, signaler des initiatives plus poussées. Ainsi, au Saguenay – Lac-St-Jean, le CDE a participé de très près à la mise sur pied et au fonctionnement d'un comité de relations patronales-ouvrières. Ce comité tente d'être un terrain de rencontre et de dialogue entre représentants patronaux et syndicaux. Une déclaration commune de principes sur la collaboration patronale-ouvrière a fait l'objet de travaux et d'échanges réciproques qui ont donné des résultats positifs en vue d'améliorer le climat des relations patronales-ouvrières dans cette région.
Dans la régionale du Bas-St-Laurent, une collaboration a été initiée avec le Conseil Régional de Développement de la région pilote. Il était essentiel que les dirigeants d'entreprise de la région soient sensibilisés aux implications du plan du BAEQ, qu'ils soient au courant des intentions du gouvernement concernant
l'avenir économique de la région et qu'ils fassent entendre leur voix au moment opportun. Le CDE a donc collaboré avec le CRD au niveau de l'information et de la sensibilisation des hommes d'affaires aux implications du plan. Cela, en organisant des causeries et des échanges de vue dans les clubs sociaux de la région, et en favorisant le regroupement des hommes d'affaires selon divers secteurs d'intérêt. Maintenant que l'entente fédérale-provinciale pour le développement de cette région est conclue, il faut mettre en oeuvre un plan d'action, nécessaire pour la participation intense des hommes d'affaires à la réalisation des objectifs. Sans leur concours, il serait certainement illusoire de prévoir un relèvement économique de la région.
Plusieurs membres du CDE se plaisent à souligner le dynamisme de plusieurs régionales et le progrès accompli. Plusieurs autres nous font part du profit qu'ils ont retiré à participer à nos rencontres régionales : acquisition de nouvelles connaissances lors de nos soupers-forums, découverte d'idées nouvelles applicables dans leur entreprise lors de visites industrielles, rencontre de personnes inconnues lors de nos assemblées, échanges inter-entreprises, etc.
Nous pourrions multiplier les témoignages de ce genre, mais il n'est guère opportun de se lancer ici des fleurs. Nous allons plutôt tenter une évaluation subjective de nos activités en fonction des buts énoncés plus haut, aucune mesure objective n'étant disponible pour évaluer l'impact de nos activités sur le milieu.
Il faut d'abord mentionner un certain nombre de difficultés constantes, outre les limites de connaissances, d'expérience et de disponibilité des conseillers. Nous devons constater d'abord que les objectifs énoncés, soit la formation socio-économique, la promotion du dirigeant d'entreprise et le développement régional, sont parfois loin des préoccupations quotidiennes de nos membres, aux prises avec des tâches administratives très exigeantes. Il est alors difficile d'obtenir une motivation profonde à l'égard de ces objectifs, qui n'ont d'ailleurs pas été énoncés avec assez de clarté. De plus, à cause des fortes disparités régionales, il existe
une réelle difficulté à concevoir des activités qui répondent aux besoins communs des membres de plusieurs régions, et partant, de planifier même à court terme l'organisation de ces activités. Enfin, l'éventail de besoins à satisfaire étant très vaste, nous ne pouvons nous attaquer à tous en même temps et il n'est pas facile d'établir un ordre de priorité. Cela, d'autant moins que les besoins réels ne correspondent pas toujours aux besoins ressentis et exprimés, et que la responsabilité de décision est partagée.
En ce qui regarde la formation socio-économique, notre action n'a guère dépassé le stade de la sensibilisation et celui de l'acquisition de connaissances nouvelles. Plusieurs de nos activités se sont rapportées directement à l'information. Il faut toutefois remarquer que cette information fut souvent abondante et de qualité. Cependant, peu d'actions concertées ont découlé de nos activités. Il s'est agi plutôt d'actions d'individus dynamiques et éclairés.
La promotion du dirigeant d'entreprise est constamment poursuivie par les activités globales de représentation du CDE. Même au niveau régional, cependant, nous pouvons dire que nos rencontres ont permis, en général, de projeter une image nouvelle du dirigeant d'entreprise devant lui-même et l'opinion publique. Une certaine amélioration de nos relations publiques a favorisé de façon concrète la revalorisation de la fonction de dirigeant d'entreprise.
Quant au développement régional, nous avons déjà signalé plusieurs amorces de collaboration avec les Conseils Économiques Régionaux. Dans quelques cas, cette amorce a été suivie de résultats positifs. Il faut reconnaître toutefois que peu d'actions poussées et persévérantes ont été menées à terme. Il fallait sans doute un départ !...
Malgré cette évaluation qui n'est certes pas très louangeuse, mais se veut critique, les activités régionales ont cependant pris un nouveau départ en créant un renouveau de dynamisme dans les groupes régionaux et en redéfinissant leurs objectifs et leurs moyens d'action.
Ces objectifs étant maintenant fixés, — ils sont énoncés dans la première partie de cet article, — il nous apparaît désormais prioritaire de procéder à un inventaire plus systématique de la situation de chacune des régions en vue d'identifier les besoins réels qui sont parfois très différents des besoins ressentis ou exprimés par l'ensemble des dirigeants d'entreprise. Nous nous proposons d'abord de recueillir tous les renseignements sur la situation de chacune des régions, déjà colligés par des organismes de concertation, tels les Conseils Economiques Régionaux. Puis, nous envisageons de faire des sondages personnels dans les entreprises, selon une sélection préétablie et un questionnaire traduisant nos préoccupations majeures. Nous espérons, au terme de ce double processus, être en mesure de mieux identifier les besoins réels et de dresser un ordre de priorité dans ces besoins à satisfaire.
Nous sommes cependant conscients que cette enquête requiert beaucoup de temps et que nous ne pouvons interrompre les actions déjà entreprises. Nous devrons donc mener de front cette enquête et continuer nos activités. Mais ces activités elles-mêmes ont besoin d'être rénovées, tant dans leur conception que dans leur organisation. Nous nous proposons donc de mettre sur pied des activités spécifiques d'un type nouveau, tout en maintenant nos activités actuelles les plus efficaces. Ces programmes pilotes, tels une semaine du patron, des « Jours du CDE », certaines expériences de regroupement de services, seront préparés avec soin et soumis à chacun des groupes régionaux. Et, étant donné qu'ils pourront être identiques pour plusieurs régionales, cela en facilitera beaucoup l'organisation qui pourra être davantage soignée et revisée périodiquement.
À l'intérieur même de chaque régionale, nous projetons une organisation beaucoup plus efficace, en collaboration avec les bureaux de direction. Chaque président pourra être assisté de trois vice-présidents chargés de tâches spécifiques telles que : organisation, recrutement et relations publiques, ainsi que d'un secrétaire-trésorier. Chacun de ces vice-présidents pourra s'entourer d'une équipe fonctionnelle en vue de la participation la plus large et la plus effective des membres à l'organisation de nos activités. Les conseillers pourront alors être dégagés de tâches trop immédiates et fournir de meilleurs services pour lesquels
ils sont préparés, spécialement dans le domaine de la recherche et de l'animation.
Il ne faut pas présumer trop vite de l'avenir, mais ces étapes, que nous nous proposons de franchir, nous conduiront peut-être à la mise en oeuvre d'un véritable programme de formation socio-économique. Ce programme intégré est l'objectif auquel nous tendons. L'évaluation sérieuse de chacune de nos expériences, menée de pair avec la recherche auprès d'organismes extérieurs, pourra sans doute nous permettre de réaliser ce que certains qualifient de rêve, mais qui en fait serait le complément nécessaire du programme de formation administrative déjà dispensé par le CDE.
L'esprit des activités régionales est de promouvoir par des activités concrètes la prise en charge par les dirigeants d'entreprise de leurs responsabilités socio-économiques et de les soutenir dans leur action.
Chacune des actions, prise isolément, a certainement peu d'impact. Mais l'esprit qui les anime toutes ne laisse pas de promouvoir un changement profond de la mentalité patronale. Et c'est ici que nous rejoignons les objectifs globaux du CDE : réforme des structures et des mentalités, union de l'économique et du social, organisation professionnelle, développement socio-économique.
Nos activités sont conçues dans un esprit de prospective et essentiellement orientées vers l'avenir. C'est par nos actes d'aujourd'hui que nous construisons la société de demain. Les groupes régionaux, vitalisés de l'intérieur, sont de plus en plus préoccupés de penser et d'agir en fonction de l'avenir.
Est-ce là de l'éducation des adultes ? Tout dépend de la définition qu'on en donne. Pour nous, l'éducation des adultes n'est autre chose que ce processus par lequel la personne devient consciente à la fois de ses potentialités et de ses besoins, acquiert
les connaissances nouvelles nécessaires pour s'adapter à des situations nouvelles, et pose les actes appropriés à la situation.
Si l'on s'accorde avec cette définition, c'est là la description même de l'approche du service d'activités régionales. Au lecteur de conclure, et peut-être de se joindre à nous dans cette oeuvre de construction de la société nouvelle.
Ghislain Dufour
Défini en termes de mouvement d'action et de promotion socio-économique des dirigeants d'entreprise, le CDE se préoccupe d'analyser l'état de nos institutions et de jouer un rôle actif dans l'application des solutions appropriées.
De cette définition du CDE, deux objectifs fondamentaux ressortent et viennent justifier la raison d'être d'un service consacré spécifiquement aux activités de consultation et de représentation. Ces deux objectifs, qui dans la pratique n'en forment qu'un, sont 1) l'élaboration de politiques patronales cohérentes et 2) la participation du dirigeant d'entreprise à l'élaboration de ces politiques. Il s'agit là de deux objectifs auxquels un mouvement patronal ne saurait se soustraire dans le climat d'isolement qui prévaut au Québec, tant au niveau de l'entreprise qu'à celui des secteurs professionnels.
Le CDE croit que toute promotion socio-économique du dirigeant d'entreprise n'est possible que si la réussite particulière d'un dirigeant trouve à s'insérer dans un cadre plus vaste, soit celui du milieu dans lequel il vit. Or, pour répondre à ses attentes, le dirigeant a besoin d'un organisme qui se préoccupe au-delà, mais avec l'entreprise individuelle, de la solution de problèmes à laquelle il ne saurait lui-même s'astreindre pleinement. Le dirigeant d'entreprise a également besoin de se sentir solidaire d'un organisme qui peut regrouper toutes les énergies disponibles, afin de refondre dans des lignes de pensée et d'action toutes les actions personnelles qui seraient peut-être autrement vouées à l'échec.
Il a besoin, en somme, même si ce besoin n'est parfois que latent, qu'à des problèmes patronaux un organisme apporte des solutions claires et nouvelles. Qu'il s'agisse d'attitudes à prendre vis-à-vis le syndicalisme, de dialogue ou de mode de collaboration à engager à différents paliers, d'actions concertées à entreprendre dans le domaine économique, de prises de position à formuler sur des problèmes politiques ou autres, le dirigeant d'entreprise doit pouvoir compter sur des politiques patronales bien définies.
Le service des activités de consultation et de représentation à l'intérieur du CDE se veut donc une réponse à ces besoins de représentation et de consultation du dirigeant d'entreprise.
Quelques outils sont à sa disposition. Il s'en sert avec le plus de souplesse et d'efficacité possibles.
Cette diffusion systématique des prises de position du CDE à divers paliers, (gouvernements — corps intermédiaires — ensemble des membres — public, etc.) se fait par l'utilisation des techniques habituelles propres à tout programme de relations publiques.
Nous retrouvons toutefois ici, lorsque l'on parle de relations publiques, une dimension très importante qui est à la base de certaines activités du CDE. Ce dernier en effet s'efforce d'agir sur les mentalités, sur les structures, les institutions, en somme sur le milieu-cadre dans lequel évolue le dirigeant d'entreprise. Il ne peut entreprendre cette action qu'avec la participation du dirigeant d'entreprise lui-même, même si ce dernier n'est pas toujours immédiatement prêt à épauler un mouvement dont les résultats ne se traduisent qu'à long terme.
Le CDE, par définition, se doit en outre d'être à la fine pointe du progrès, d'innover, de précéder le changement, de formuler des politiques en fonction de l'avenir. Si déjà toute innovation a pour effet de déranger sinon de troubler, le fait d'accoler l'innovation au futur ne facilite pas une meilleure réceptivité.
Il incombe donc aux activités de représentation :
Le Service de consultation et de représentation, tel que décrit, existe donc en fonction stricte de l'élaboration et de la mise en oeuvre de politiques patronales cohérentes orientées vers l'amélioration du présent et la préparation de l'avenir.
Ce rôle de consultation et de représentation, même s'il fait aujourd'hui l'objet d'activités mieux structurées, le CDE l'a assu mé tout au cours de son histoire. Les prises de position actuelles s'inscrivent dans une ligne de pensée qui a sans cesse évolué en fonction de l'avenir.
Cette ligne de pensée se retrouve assez bien résumée dans ces commentaires du directeur général du CDE consignés au rapport général du Centre des Dirigeants d'Entreprise pour l'année 1966. On y lit ceci :
« Le présent rapport n'a pour objet que de rappeler les pré- occupations majeures du CDE, qui furent celles de l'API depuis sa fondation : l'homme, et en premier lieu, le dirigeant, en sa qualité de responsable d'une unité de travail; l'entreprise, source de richesses matérielles et humaines; l'organisation patronale, expression et support, à la fois, de l'unité et de la pensée d'une élite économique... ces trois éléments étant tournés vers le bien commun, vers la formation d'une société dans laquelle l'homme puisse prendre toute sa dimension. La logique de cette position traditionnelle du CDE est indiscutable. Mais pour que ces principes se réalisent dans les faits, il ne suffit pas de réfléchir et de prêcher, il faut accentuer l'action... »25
Le rapport ne fait nullement mention des actions concrètes qui dans le passé ont tenté de traduire ces réflexions. Il ne saurait être question de s'attarder ici à cette recherche. Il apparaît opportun toutefois d'en indiquer quelques-unes. Qu'il s'agisse des inter- ventions du CDE lors de la refonte des lois du travail en 1964; de la qualité de son service de relations industrielles; de ses préoccupations dans le domaine politique et/ou constitutionnel comme l'a démontré son mémoire sur le bilinguisme et le biculturalisme présenté à la Commission royale d'enquête nommée à cet effet; de ses préoccupations également dans le domaine économique (étude sur les comités paritaires, banque d'expansion industrielle, organisation professionnelle, rôle de l'Etat, etc.); de la qualité des thèmes de ses congrès annuels; autant d'actions concrètes, entre des dizaines d'autres, qui ont caractérisé le rôle avant-gardiste passé du CDE.
Ce rôle, tel que sommairement décrit et référant aux trois éléments mentionnés (l'homme — l'entreprise — l'organisation professionnelle), n'a pas été assumé sans résultats véritables. Son évaluation qualitative, tant sur l'homme que sur l'entreprise ou l'organisation professionnelle, n'est pas facile, mais certains témoignages parlent d'eux-mêmes. Celui, par exemple, d'un haut fonctionnaire : « Les gens qui réfléchissent considèrent le CDE comme le mouvement patronal qui 'pense son action' ». Ou encore ce témoignage d'un spécialiste bien connu : « A Ottawa, on s'étonne que le CDE ait réussi à faire accepter l'idée du Conseil du Patronat en aussi peu de temps. » Nous ne pourrions ignorer également cette opinion de M. J. Réal Cardin, directeur du Département des relations industrielles de l'université Laval, qui affirmait dans une étude préparée pour le colloque national sur les relations ouvrières-patronales tenu les 21 et 22 mars 1967, sous l'égide du Conseil Economique du Canada : « L'Association professionnelle des Industriels, au Québec, s'est intéressée à ces problèmes depuis quelques années par toutes sortes d'initiatives qui la placent vraisemblablement à l'avant-garde au sein du monde patronal au Canada en ce domaine. »26
Qualifié de telle façon par ces différents témoignages, on ne saurait mettre en cause la valeur du rôle passé du CDE. On ne saurait lui tracer un avenir tellement différent de celui qu'il a assumé à date. Les orientations présentes sont le prolongement de celles du passé. Tout au plus, les hommes ont changé, les approches sont différentes, les mécanismes de réalisation sont adaptés aux situations actuelles.
Ce prolongement du rôle passé identifié dans le présent s'effectue donc de la façon suivante :
La réalisation pratique des objectifs du CDE, de son rôle communautaire, n'est possible que si les activités de consultation et de représentation du CDE réfèrent dans l'action concrète à des sphères de préoccupation bien identifiées. Ces sphères de préoccupation, choisies pour leur importance dans la vie de l'entre- prise, sont les suivantes :
Il est bien évident que tout problème d'intérêt patent pour le monde patronal en général, même s'il ne s'inscrit pas automatiquement dans l'une ou l'autre des sphères mentionnées, retiendra
l'attention du CDE qui y consacrera le temps et les énergies disponibles.
Les activités, à l'intérieur d'une dimension comme celle des relations de travail, peuvent être très diversifiées. Il devient alors nécessaire de se raccrocher à certains énoncés de principe qui vont constituer dans le temps et dans les modalités certains cadres de référence habituels. Nous aimerions citer deux de ces énoncés :
« Les lois actuelles sont empreintes des souvenirs d'une époque en grande partie révolue, où l'ouvrier était exploité, où l'État ne lui offrait aucune protection, où il ne pouvait s'appuyer sur aucun organisme voué à la défense de ses intérêts. Les lois du travail doivent être repensées dans une optique de productivité, dans un esprit positif. » (Le directeur général du CDE) et ce corollaire :
«Sans doute une participation toujours plus grande des travail- leurs suppose une conception différente de l'entreprise et même de toute la société économique. Pourquoi faudrait-il que nous vivions toujours des structures élaborées au siècle dernier, ou même dans la deuxième moitié de celui-ci ?»27
À la lumière de ces énoncés, choisis entre tant d'autres, il devient possible de déceler certaines idées maîtresses qui constitueront autant de champs d'action du CDE : législation ouvrière, communications à tous les niveaux de l'entreprise, institutions actuelles ou à créer, nécessité de mécanismes nouveaux,... etc.
Les gouvernements utilisent et utiliseront davantage encore la politique fiscale comme outil de contrôle et d'orientation des activités économiques. Les rapports Bélanger au Québec et Carter à Ottawa ont suggéré des modifications profondes dans les lois fiscales elles-mêmes, modifications appuyées sur des conceptions parfois surprenantes du bien communautaire.
Si ces questions soulevées dans le domaine de la fiscalité sont graves, lourdes de conséquences pour l'entreprise et méritent un
examen approfondi, ce problème de la fiscalité n'en demeure pas moins pourtant qu'un des aspects économiques du régime d'entreprise.
Convaincu de la valeur de l'entreprise privée, de son rôle communautaire, le CDE s'attardera à identifier des problèmes concrets et à y accoler des solutions possibles : parité des salaires, zones économiques, fusion d'entreprises, utilisation des ressources disponibles, coordination des efforts trop souvent dispersés, etc., etc. ...
L'avenir économique du Québec est indissoluble de l'avenir constitutionnel du Canada. Le dirigeant d'entreprise du Québec ne peut ni ne doit se tenir à l'écart des discussions et des délibérations dont l'avenir constitutionnel du pays fait l'objet. Ce n'est pas toujours sans cause qu'on accuse le monde patronal d'être absent du débat. Théoriciens et hommes politiques posent pour lui les jalons de la route qui sera sienne un jour et personne du milieu ne semble s'en préoccuper vraiment. On assiste actuellement à une escalade dans les diverses options constitutionnelles, chacune présentant des vues et des opinions divergentes, chacune également à la recherche ou déjà en possession d'une partie de l'opinion publique. Pour le monde des affaires, industrie, commerce, services, pour ce monde qui fournit la presque totalité des emplois au Québec, le temps n'est plus au haussement des épaules, au hochement de la tête. C'est le temps de s'arrêter, de réfléchir, de discuter.
Le CDE entend toutefois dépouiller le débat de toute sentimentalité, de toute émotivité. Son intérêt est centralisé vraiment sur le relancement de l'expansion économique du Québec et sur le rôle que doit y jouer l'entreprise privée. Abordant le problème des options constitutionnelles par le biais de l'économique, le CDE entend poser le véritable problème, en substituant aux discussions actuelles l'approche du niveau de vie, du chômage, des investissements, etc
Toutes les mesures sociales présentent bon nombre d'aspects différents, avec des conséquences sociales et économiques souvent plus ou moins contestées par les hommes d'affaires. Au nom d'une évolution sociale nécessaire sinon urgente, l'intervention de l'Etat se fait de plus en plus poussée dans le domaine de la sécurité sociale; s'interroge-t-on toujours assez sur la nécessité d'accorder tout au moins le rythme des investissements sociaux de l'Etat aux ressources économiques disponibles ? L'Etat doit d'abord tenir compte et en priorité de multiples besoins communautaires auxquels la population seule ne peut répondre.
Le CDE considère que la base même de la satisfaction des besoins individuels et communautaires repose sur l'expansion économique, et qu'une mesure de sécurité sociale ne doit pas constituer un handicap à sa réalisation.
C'est pourquoi les récentes propositions du rapport de la Commission Castonguay sur un régime universel et obligatoire d'assurance-santé ont fait l'objet d'une étude attentive de la part du CDE, et d'un mémoire présenté au premier ministre du Québec.
Nous avons déjà mentionné que les quatre sphères d'activité identifiées réussissent assez bien à coiffer les préoccupations actuelles du CDE, à l'intérieur de ses activités de consultation et de représentation. Il n'en reste pas moins que fonctionnant sur- tout dans ces domaines au moyen de comités dont nous verrons les structures par la suite, le CDE, toujours à l'intérieur de ce programme, dépasse parfois ces cadres.
Qu'il s'agisse des problèmes relatifs à l'information dans son sens le plus général (média d'information, conseil de presse, etc.), qu'il s'agisse de la collaboration « ad hoc » apportée à certaines études faites par d'autres corps intermédiaires, etc., le CDE n'en- tend pas s'isoler dans ce que certains qualifient de chapelle patronale. Préoccupé d'abord et avant tout par les problèmes qui assaillent le régime d'entreprise, il n'en demeure pas moins conscient des implications de toutes les autres dimensions communautaires.
Le Service de représentation et de consultation n'est possible que par la mise en commun des ressources d'une équipe. Même si un conseiller est davantage préoccupé par le contenu des activités de ce service et responsable surtout de son « déroulement fonctionnel », la poursuite des objectifs ne peut être que le lot d'une collaboration entre individus intéressés à leur réalisation. Le directeur général consacre, en dehors de ses fonctions normales, une bonne partie de son temps aux activités de ce service. Les conseillers aux activités régionales y participent également de façon très active par l'intermédiaire de leurs propres activités de consultation et de représentation auprès de l'entreprise. Une quarantaine de dirigeants d'entreprise, par leur collaboration aux différents comités d'étude, participent à sa réalisation. Le président général demeure toujours un collaborateur très précieux de ce service.
On ne saurait surtout ignorer les différents membres qui à un titre ou à un autre représentent officiellement le CDE à l'intérieur de certains organismes permanents ou à l'occasion de certaines circonstances spéciales. Qu'il s'agisse de la représentation au sein de l'Uniapac (Union internationale chrétienne des dirigeants d'entreprise), de la représentation au sein du Conseil Supé- rieur du Travail, de représentations « ad hoc », toutes ces différentes participations deviennent, par extension, sinon de façon directe, une collaboration précieuse à l'ensemble des activités de représentation.
La consultation dans une association comme le Centre des Dirigeants d'Entreprise est d'une importance particulière. Les meilleures idées, les meilleures politiques patronales sont handicapées au départ si elles n'ont pas fait l'objet d'une certaine discussion de la part des individus qu'elles impliquent ou impliqueront. Les activités de représentation elles-mêmes, sans être compromises, risqueraient de perdre de leur poids si elles ne devaient jamais être alimentées ou soutenues par la consultation.
Cependant, la consultation comporte, en soi, certaines limites. Entre autres : le temps disponible ou mieux l'urgence de la situa- tion à laquelle il est nécessaire de répondre, et la nécessité de projeter en certaines occasions des idées auxquelles ne saurait rapidement souscrire l'ensemble des « consultés ».
La première limite s'explique assez facilement. Il est en effet essentiel de s'adapter très souvent au déroulement rapide des événements. C'est alors en se référant à des objectifs globaux et à une philosophie bien identifiée (ce qui constitue quand même une certaine forme de consultation puisque ces objectifs et cette philosophie ont déjà reçu l'assentiment des membres) qu'il deviendra possible de prendre des positions précises sur des problèmes donnés. D'ailleurs un mouvement comme le CDE qui ne faciliterait pas cette possibilité d'expression rapide d'opinions risquerait fort de tomber dans un embourgeoisement inefficace.
La deuxième limite présente également des difficultés. En tant qu'agent de changement soucieux de briser avec un certain conservatisme, le CDE ne peut dans tous les cas escompter une adhésion totale de ses membres à certaines de ses opinions. Tenter de créer d'ailleurs l'unanimité autour de toutes questions (nous pensons par exemple à un sujet aussi litigieux que celui du droit de grève dans les secteurs publics) est illusoire. Aucun mouvement, aucune association, aucun parti politique ne peut prétendre rallier rapidement tous ses commettants sur quelque question que ce soit.
Tous les moyens doivent être utilisés pour appuyer de la façon la plus représentative possible une opinion à émettre ou une action à entreprendre. Le CDE procède régulièrement à cette consultation, soit par des contacts personnels (membres de l'exécutif — chefs d'entreprise — chefs de file — etc.), soit par certains mécanismes usuels (questionnaires — autres associations — recherches, etc.); mais il a également établi un mode beaucoup plus formel de consultation en organisant sur une base permanente différents comités d'étude. C'est à ce dernier mode que nous nous arrêtons essentiellement ici.
Le CDE peut actuellement s'appuyer sur la compétence des membres de quatre comités d'étude agissant à l'intérieur des quatre sphères d'activité précédemment décrites. Ces comités sont ainsi identifiés :
Ajoutons à ces quatre comités le projet d'un comité d'étude sur la définition et le rôle de l'entreprise moderne.
Comme on peut le constater, chaque comité oeuvre à l'intérieur d'un champ d'action bien déterminé. Il reçoit son mandat global de l'association par ses représentants dûment mandatés. A l'intérieur de ce mandat général, il structure lui-même son travail, ses recherches, etc.
Essentiellement, les comités sont des « outils » de travail à la disposition du CDE. Comme mentionné précédemment, ces outils ne sont pas exhaustifs, en ce sens que le CDE se doit « d'inventorier » et d'utiliser toute autre ressource disponible afin d'atteindre ses objectifs.
Chaque comité a un caractère strictement consultatif auprès du mouvement. Selon des mécanismes qui restent encore à roder, les conclusions et/ou recommandations d'un comité d'étude peuvent ou non être remises aux bureaux de direction régionaux pour fins de consultation.
Chaque comité d'étude est formé d'un nombre assez restreint de participants (8 à 15) de façon à permettre une utilisation optimale des ressources. Ces comités sont composés :
Le fonctionnement de chaque comité est assuré par un président, secondé du conseiller du CDE. Le président est responsable de l'animation des diverses réunions du comité et sert de lien entre les membres du comité et le secrétariat du CDE. Tout comité peut instituer les sous-comités d'étude qu'il juge nécessaires pour l'aider à s'acquitter de son mandat.
Les comités d'étude constituent donc une ressource positive à la disposition du mouvement, mais comportent des limites (représentation provinciale, multiplicité des comités, disponibilité, etc..) avec lesquelles le mouvement doit savoir composer. C'est d'ailleurs parce qu'il est tout à fait conscient de ces problèmes que le CDE peut dresser ici une liste partielle des sujets qui ont fait récemment et avec succès l'objet des préoccupations des membres de ses divers comités :
En jouant son rôle d'agent de formation et de promotion socio-économique, le CDE ne peut ignorer l'importance des relations qu'il doit entretenir avec les différents publics auxquels il s'adresse. Le CDE n'existe pas pour exister. Il ne consulte pas pour consulter. Il existe et consulte pour agir, pour atteindre selon les besoins et les circonstances, les individus et les milieux. Ces individus et leurs milieux sont ainsi identifiés :
Dans ses activités de représentation, le CDE agit alors en utilisant les moyens qui lui semblent les plus adéquats pour réaliser les objectifs poursuivis. Les moyens sont nombreux et variés, selon les publics concernés.
a) Il existe une étroite relation entre le conseiller affecté à ce service et les conseillers affectés aux activités
régionales. Ces derniers sont en étroite liaison avec les membres et les bureaux de direction régionaux. Ils doivent être en mesure de discuter des projets d'études, de suivre leur déroulement, de présenter des rapports sur l'évolution des études entreprises. Les membres ne peuvent être privés de cette information relative aux études et prises de position du CDE. Il ne pourrait que s'ensuivre un désintéressement normal, mais surtout un non-engagement concret vis-à-vis les orientations proposées.
b) Le CDE possède un bulletin mensuel où il fait véhiculer l'information nécessaire. Il s'agit des « Chroniques du CDE ». On retrouvera dans ces Chroniques tant des articles de fond que des résumés d'articles sélectionnés. On y retrouvera le résumé des principales prises de position du CDE (mémoires, communiqués), les activités précises du mouvement, soit celles de son service de formation ou celles de ses activités régionales; le lecteur pourra enfin y puiser des renseignements utiles concernant soit des activités extérieures auxquelles le CDE a participé, soit une liste de publications d'un intérêt immédiat, etc.
Les « Chroniques » ne sont pas adressées aux seuls membres du CDE. Sur sa liste de distribution, on retrouve un bon nombre de personnes susceptibles de puiser un jour ou l'autre aux sources de la pensée du CDE. C'est ainsi par exemple qu'un récent article commandé par le CDE pour ses Chroniques, article qui voulait exprimer une prise de conscience du patronat sur un problème donné, a été reproduit et largement diffusé par d'autres publications.
c) En dehors des Chroniques, le CDE utilise parfois la formule du bulletin spécial. Cette façon de procéder a l'avantage d'attirer l'attention sur un problème et d'en faire saisir toutes les implications. A titre d'exemple, nous pourrions citer le bulletin spécial émis sur le rapport de la Commission Castonguay proposant un régime d'assurance-santé universel au Québec.
Ce rapport est très aride et comporte plus de 338 pages. Les membres du comité de sécurité sociale ont supposé que rares étaient les hommes d'affaires qui avaient eu le loisir d'en compléter la lecture. Pourtant, son contenu faisait depuis longtemps déjà l'objet des débats publics. Nous avons cru bon adresser aux membres un résumé très succinct du rapport, en vue de leur offrir la possibilité de se situer rapidement par rapport au contenu. Ce bulletin avait également l'avantage de préparer les esprits aux conclusions du comité d'étude du CDE qui, subséquemment, faisait connaître ses conclusions et recommandations sur le rapport en question.
d) La formule des colloques ou mieux des journées d'étude n'est pas nouvelle. Déjà utilisée par le CDE, et plus ou moins délaissée, cette formule est maintenant reprise.
En plus de comporter l'avantage de réunir sur une même tribune des spécialistes d'une question donnée, elle permet également de grouper des participants autres que les membres habituels du CDE. Elle permet encore d'aborder des questions qui, pour le CDE, peuvent constituer des préoccupations nouvelles dont, en d'autres lieux ou circonstances, on pourrait douter des résultats.
Les membres du CDE semblent croire en cette formule du colloque, comme l'a démontré la réponse lorsqu'on leur a proposé un projet précis de colloque sur les options constitutionnelles. C'est dans cette optique d'ailleurs qu'a été organisé récemment un colloque provincial dont le thème était : « La négociation par secteur favorise-t-elle la croissance économique ? ». Le succès obtenu indique bien les possibilités d'action en ce domaine.
e) Le congrès annuel, qui a certes besoin d'être rénové, demeure encore un bon médium de communication avec les membres et les dirigeants d'entreprise en général. Le thème du dernier congrès du CDE : « Expansion économique, base du progrès social » constitue un exemple des expressions de pensée que peut avoir à transmettre le CDE au patronat en général.
a) Qu'il s'agisse d'un mémoire annuel ou de mémoires particuliers identifiant un problème spécifique, la formule du mémoire présenté aux autorités gouvernementales concernées est une des formes de représentation que le CDE utilise régulièrement. Trois mémoires, constituant autant de prises de position spécifiques, faisaient récemment l'objet de revendications de la part du CDE :
— Mémoire sur une réforme du Conseil Supérieur du Travail
Ce mémoire préconise une collaboration plus étroite des agents syndicaux et patronaux, en leur confiant la responsabilité, au sein du C.S.T., d'élaborer de véritables politiques socioéconomiques, sans s'en reporter à une intervention toujours de plus en plus poussée de l'Etat. La recherche de cet objectif suppose que l'Etat accepte de confier aux deux parties (syndicale et patronale) plus de pouvoirs qu'il ne leur en accorde actuellement.
— Mémoire sur la nécessité d'une enquête publique dans le domaine des relations de travail
Ce mémoire s'en prend au choix actuel des méthodes utilisées dans le règlement des conflits qui existent dans les relations patronales-ouvrières. La méthode la plus usuelle est celle qui consiste à amender les lois. Le CDE propose de revoir les lois du Travail en tenant compte des implications sociales et économiques qui régissent l'ensemble des relations du travail, avant de procéder à tout amendement à la législation présente.
— Mémoire à l'encontre d'un régime d'assurance-santé au Québec, mais proposant des solutions de rechange
L'assurance-santé, mesure acceptable en principe, n'est pas recommandable dans le contexte économique actuel. Le CDE croit toutefois en certaines mesures qui répondraient en partie aux problèmes de la santé au Québec :
b) Les entrevues ou les rencontres formelles avec les responsables des différents ministères permettent également au CDE d'être présent dans les milieux où se prennent les décisions qui engagent tous les dirigeants d'entreprise. Qu'il s'agisse du ministère du Travail ou de l'Industrie et du Commerce, qu'il s'agisse des organismes para-gouvernementaux, etc., cette présence est essentielle au prolongement concret des options que préconise le CDE.
Si la collaboration ouvrière-patronale préconisée à l'intérieur de l'entreprise ne doit pas être un mythe, il faut d'abord que les structures qui viennent coiffer l'entreprise puissent collaborer avec le syndicalisme. Le CDE croit à cette collaboration, qui en aucun temps n'est synonyme d'abdication. En ce sens, il favorise le dialogue et les échanges avec les agents syndicaux. Il croit possible des « poussées » conjointes comme ce fut le cas récemment. Lorsqu'il s'est agi en effet de proposer au gouvernement de modifier le statut d'une institution consacrée comme le Conseil Supérieur du Travail, il a tenu à solliciter le support des organismes syndicaux. Le bien commun a priorité sur les intérêts des individus ou des groupes.
Le CDE n'hésite pas également à proposer aux agents syndicaux d'élaborer devant des auditoires patronaux les principes à la base de leurs actions. N'en arriverait-il qu'à provoquer une meilleure connaissance des problèmes réciproques, que cette action serait valable.
Le CDE n'est pas présent (et ne pourra jamais espérer l'être) à toutes les délibérations qui ont cours à l'intérieur des différents corps intermédiaires de la Province. Il compte sur ses membres
pour assurer cette présence et diffuser, à l'occasion, les objectifs que poursuit le CDE.
Il lui arrivera toutefois de participer directement à certaines activités de ces corps intermédiaires. A titre d'exemple, il agit actuellement comme représentant officiel du patronat à l'intérieur du comité de relations de travail d'un Conseil Economique Régional, ce qui lui a permis de participer à une expérience unique au Québec, soit une déclaration conjointe patronale-ouvrière sur les relations de travail (Voir Annexe 2). Il lui est arrivé souvent d'avoir à siéger sur des comités d'étude de certains corps intermédiaires.
De tous les publics du CDE, voilà peut-être celui qui est le plus difficile à atteindre directement. Chacun sait pourtant combien certaines mentalités, certaines structures, certains comportements sont conditionnés par ce que peut penser ou dire le grand public.
Le CDE doit donc le rejoindre. Il utilisera à cet effet les deux grands média d'information, la presse écrite et la presse parlée. Dans le premier cas, son principal outil de travail sera le communiqué. Présent régulièrement à toutes les grandes questions d'intérêt public ou communautaire, ses communiqués sont donc nombreux et ne craignent pas de souligner les faiblesses dans les attitudes, les situations, etc. Quant à la presse parlée, le CDE se rend disponible lorsque l'occasion lui en est fournie.
Une présence constante auprès de tous les publics que nous avons énumérés exigerait une disponibilité en ressources humaines et matérielles que le CDE ne possède pas. Il y a bien évidemment les conseillers de tous les autres services qui assurent, auprès de certains publics, une présence constante. Mais cette présence réfère à des tâches bien identifiées qu'une activité générale de représentation bien structurée se doit de coiffer.
Il y a de plus la valeur même de la représentativité. Pour le CDE, « être représentatif » réfère bien entendu à la valeur d'un contenu de pensée, mais également au nombre des individus ou mieux des entreprises elles-mêmes qui endossent cette pensée
et qui la concrétisent dans l'action. Le passé et le présent témoignent de la représentativité du CDE aux niveaux pensée et action. Que cinq cents entreprises, représentées par huit cents individus, endossent actuellement l'action du CDE dans le milieu patronal québécois, voilà qui pourrait satisfaire bien des gens. Le CDE ne s'en satisfait toutefois pas. Au contraire, ces cinq cents entreprises, fussent-elles les plus dynamiques, ne représentent en somme qu'une minorité de nos dirigeants d'entreprise. Qu'il s'agisse d'un mémoire au gouvernement provincial, qu'il s'agisse d'une représentation vis-à-vis un autre corps intermédiaire, plus on fera bloc autour d'une action, plus les possibilités d'obtenir des résultats positifs seront assurées. Mais surtout, plus le CDE comptera de membres, plus les collaborations de toutes sortes se présenteront, davantage seront garanties les possibilités pour le CDE de réaliser les deux objectifs que nous avons précédemment identifiés.
Il nous apparaît évident que les activités de consultation et de représentation au sein du CDE doivent être accentuées. La pensée et l'action du CDE dans les domaines que nous avons précédemment situés ne représentent en somme qu'une faible partie de ce que l'on devrait attendre du monde patronal. Or même s'il est spécifique dans son action, il n'en reste pas moins que le CDE est plus ou moins noyé dans l'ensemble des autres mouvements, associations ou corps intermédiaires québécois; cette situation annihile une grande partie de ses efforts. Il lui faut donc redoubler d'énergie et tenter de plus en plus d'établir des programmes d'action portant sur une longue période. Il lui faut également développer davantage certains outils qui vont permettre une diffusion plus continue de ses politiques et réalisations.
On aura vu dans cette description des activités de consultation et de représentation au sein du CDE que tout gravite autour d'un sujet bien déterminé, d'un individu, qui est ici coiffé du titre de « dirigeant d'entreprise ». Toutes les activités entreprises ou à entreprendre veulent essentiellement rejoindre cet individu, l'amener à prendre conscience par lui-même de ses responsabilités
sociales, tout en lui permettant de s'épanouir dans un milieu plus évolué qu'il aura lui-même contribué à bâtir. Aucune des activités de ce service ne s'apparente donc à des activités à caractère académique où le dirigeant pourrait avoir l'impression de parfaire son bagage de connaissances techniques.
Le CDE rejoint plutôt le dirigeant là où il est, dans son entreprise; le CDE constate alors qu'il en est parfois prisonnier, qu'il est souvent replié sur son marché et sur ses besoins particuliers d'évolution. Involontairement peut-être, le dirigeant d'entreprise a oublié d'élargir le champ de ses préoccupations et de s'intéresser à ce qui l'entoure. Soucieux de parfaire ses connaissances administratives ou plus souvent technologiques en fonction de la rentabilité de son entreprise, il en arrive souvent à être plus ou moins au fait des réalités qui l'entourent. Et un bon jour, c'est le réveil brutal lorsqu'il constate que tout autour de lui s'est dressé un réseau de contraintes, qu'elles soient d'ordre économique, législatif ou politique, contraintes contre lesquelles il ne peut rien et contre lesquelles il ne peut malheureusement pas protester trop vigoureusement, n'ayant pas été disponible, au moment opportun, afin d'apporter sa collaboration à l'établissement de politiques qui auraient contrecarré ou tout au moins atténué les contraintes actuelles.
Cette situation, malheureusement trop réelle, exige que quelqu'un s'y attarde. Nonobstant les habitudes ancrées de repli sur l'entreprise individuelle ou encore cette mentalité voulant que le dirigeant n'ait pas le temps nécessaire pour se préoccuper des problèmes d'ensemble, des besoins existent qui doivent être comblés.
Ils seront comblés, du moins en partie, en le sensibilisant au départ à cette responsabilité qui lui incombe de non seulement parfaire ses connaissances administratives, technologiques ou économiques, mais également de s'attarder aux problèmes sociaux et politiques du milieu dans lequel il vit. S'il assume cette responsabilité au départ, son intégration et sa participation active à l'élaboration ou à l'implantation de politiques patronales deviendront plus facilement des acquis.
Bien sûr, le tout ne va pas facilement. Le dirigeant d'entreprise ne voit pas dans une telle avenue les résultats de sa participation d'une façon aussi immédiatement palpable qu'il peut les voir au niveau de sa participation à son association verticale par exemple. Il lui est de plus nécessaire de s'ajuster presque continuellement à des options en perpétuel renouvellement. Mentalités, structures, institutions, autant de mots au contenu plein d'écueils possibles, qui ne peuvent qu'impliquer le retour au passé, l'analyse du présent, la préparation de l'avenir, et avec lesquels il doit continuellement composer.
L'individu dirigeant d'entreprise trouve donc dans les activités particulières de ce service du CDE :
Jean Brunelle
Il n'est pas facile de juger, surtout de l'intérieur, les effets réels de l'action d'un mouvement comme le CDE. Si l'on s'en tient à la somme des adhésions effectives, le CDE reste un groupe minoritaire dans le monde patronal. Il ne donne pas l'impression d'une force compacte, munie de moyens puissants et capable, à l'occasion, d'imposer, du moins jusqu'à un certain point, ses volontés. De fait, le monde patronal ne pourra posséder une telle influence que quand il aura su se donner une cohésion beaucoup plus grande, une discipline de pensée et d'action appuyée :
À l'heure actuelle, aucune association patronale ne peut pré- tendre exercer ce rôle au Québec, ou au Canada : le patronat, même s'il compte de nombreux porte-paroles et quelques groupes de pression influents, demeure inorganisé. Ses politiques sont fragmentaires, souvent contradictoires. Mal équipé pour participer à la discussion des affaires publiques, il voit s'amenuiser son prestige auprès de la population et des hommes d'Etat. Au Québec, en particulier, les décisions se prennent de plus en plus sans lui, parce que le patronat n'est pas identifiable. Une telle situation ne peut durer sans compromettre dangereusement l'équilibre de nos institutions.
Dans le contexte d'affrontement syndicats-employeurs qui prévaut ces dernières années, le CDE aurait pu s'assurer une popularité facile en se faisant le champion du conservatisme et de la réaction. Cette attitude de sa part aurait constitué une démission grave. Il a préféré faire entendre la voix de la raison et rappeler aux chefs d'entreprise que leur impréparation constitue une déficience très sérieuse. Il s'est efforcé de combler, dans la mesure compatible avec son mandat et ses ressources, quelques- uns des vides de l'organisation patronale. C'est ce dont ce Cahier est fait. On ne peut mentionner ici les obstacles nombreux qu'il a dû affronter en adoptant cette ligne de conduite, les défis qu'il a dû relever. Mais en choisissant cette voie, il croit avoir rendu le service de montrer un aspect important de la réalité et avoir contribué à l'avènement prochain d'une présence patronale authentique et bienfaisante. Et il aura acquis, en chemin, un respect certain.
Au rythme où les choses évoluent, l'avenir menace à tout moment de nous envahir. Les sociétés n'ont pas prévu, n'ont pas voulu la somme de difficultés qu'elles ont créées et qui les assaillent, et auxquelles il faut trouver rapidement des solutions qui ne peuvent être simples. Rapidement, car le monde occidental traverse une période d'une singulière gravité.
Au centre du drame, se trouve le patronat, mal préparé, au Canada et au Québec, à jouer un rôle adapté aux circonstances.
Dans son mémoire à la Commission Laurendeau-Dunton (1964), le CDE faisait ressortir, entre autres, les éléments suivants :
Le problème se pose donc de l'organisation professionnelle qui permettrait au patronat, dans cette perspective, de jouer un rôle précis et cohérent :
Ce rôle que nous attribuons aux corps intermédiaires peut sembler inutilement complexe. Il peut soulever la crainte d'un nouveau corporatisme, etc.
Il nous semble évident que nos institutions politiques ne répondent plus, depuis quelques années, aux exigences de la situation.
Pour ne mentionner que le domaine économique, les gouvernements demeurent largement impuissants devant les problèmes du plein emploi, du partage des revenus, du développement régional, etc. Devant l'impréparation des corps intermédiaires, ils se voient contraints d'improviser des interlocuteurs, de procéder à des expériences d'animation sociale. Des corps intermédiaires plus représentatifs et plus puissants pourraient jouer là un rôle précieux, peut-être irremplaçable.
L'État peut craindre de laisser se créer des organismes assez puissants pour contester ses propres décisions. L'alternative n'est pas réjouissante, et nous la connaissons déjà : elle consiste à abandonner la contestation à des éléments impulsifs et à subir des interventions désordonnées, là où l'ordre devrait régner. Si la société ne sait pas s'ériger sur une base démocratique, les
poussées de revendication aveugle nous conduiront inévitablement vers des régimes de répression.
L'organisation patronale, dans cette perspective, acquiert une urgence considérable, pose des défis d'envergure. Comme on l'a vu plus haut, des étapes sont en voie de réalisation au Québec. Quand l'organisme patronal de base sera en place, il pourra servir de modèle dans les autres régions, car elles connaissent des situations identiques.
L'organisation professionnelle est une préoccupation fonda- mentale du CDE. Pour être efficace, toutefois, une fédération patronale doit s'appuyer sur des associations sérieuses, munies des moyens d'action et du personnel nécessaires. Il faudra rapidement apporter aux associations verticales une attention prioritaire. La formation du Conseil du Patronat devrait permettre bientôt d'évaluer l'ensemble de la situation, de poser un diagnostic et de définir les moyens d'apporter les correctifs qui s'imposent. Le Conseil du Patronat devrait également permettre aux associations patronales horizontales de coordonner davantage leurs interventions, d'éviter les dédoublements d'efforts ou les contradictions, inévitables dans le contexte actuel.
Toute tentative d'organisation, surtout de type communautaire, doit reposer sur une doctrine. À travers le monde occidental, les chefs d'entreprise sont restés trop souvent étrangers aux préoccupations globales, aux conséquences de l'action entrepreneuriale dans le milieu. Satisfaits en trop grand nombre de mener un combat d'arrière-garde, de s'opposer parfois à des évolutions légitimes, ils s'exposent à compromettre non seulement leur propre statut et leurs propres intérêts, mais aussi le prestige du patronat tout entier et la valeur de son action dans le milieu.
Les bouleversements graves qui ont, ces derniers mois, ébranlé plusieurs pays européens et qui se manifestent sous des formes particulières aux Etats-Unis, devraient susciter, chez les hommes d'affaires, un exercice approfondi de réflexion. C'est le système qui, au fond, est mis en accusation, avec ses qualités indéniables et ses défauts évidents. On ne saurait se contenter d'affirmer que les défauts du régime sont la contrepartie nécessaire des avantages qu'il procure. Si le patronat lui-même ne procède pas aux adaptations requises, la société peut voler en éclats.
À cet effort de pensée, le CDE croit pouvoir apporter une contribution intéressante, appuyée sur vingt-cinq années d'expérience, d'observation attentive et d'engagement.
L'entreprise est au centre de la vie patronale et, dans une large mesure, de la vie économique et sociale. Or, il est remarquable qu'on ait toujours évité d'élaborer une définition socialement acceptable de l'entreprise. Une telle déficience est intolérable en ce qu'elle conduit à des ambiguïtés sans fin, à des quiproquos tragiques. « Faute d'une vision claire de la fonction des entreprises, aucune politique industrielle digne de ce nom n'a été élaborée au niveau européen. »28 La même remarque s'applique au milieu nord-américain.
En 1963, le CDE avait souligné cette carence devant le comité parlementaire du Québec chargé d'étudier les amendements au Code du Travail. Personne n'y comprit le moindre mot, même les prétendus experts dont certains voyaient dans ces propositions un manque évident d'esprit pratique.
Il reste, toutefois, que l'entreprise est, avec la fonction publique, le lieu privilégié de la contestation et qu'elle le demeurera aussi longtemps qu'on n'aura pas dissipé la confusion qui entoure son statut. Tant que persistera l'impression que l'entreprise prospère est celle qui sait faire servir l'alliance du talent, de l'organisation et de l'argent à l'exploitation des travailleurs et de la population, on assistera à une désaffection grandissante à son endroit et à des protestations de plus en plus fréquentes. Et les lois n'y pourront rien changer.
C'est évidemment à l'entreprise elle-même, et aux associations patronales, qu'il appartient d'apporter une réponse à ce problème majeur. L'entreprise présente deux aspects principaux :
À ce titre la direction est entièrement responsable de l'orientation et des décisions administratives, compte tenu de la participation et de la promotion des individus, qui doivent être des préoccupations essentielles de l'entreprise et qui, si elles étaient négligées, ne pourraient qu'ajouter à l'aliénation de la population et envenimer les relations entre les classes.
Responsable d'une cellule de l'activité économique, la direction doit rester identifiée aux résultats de ses initiatives et en assumer la responsabilité entière. Des conditions externes à l'entreprise peuvent diminuer ou annuler la liberté de la direction : c'est alors que l'organisation professionnelle, ou outil collectif du secteur ou de l'ensemble patronal, acquiert une importance vitale; il s'agit manifestement, là aussi, d'une responsabilité de la direction. Le CDE peut jouer un rôle, supplétif et provisoire, mais très utile, à ce niveau de l'organisation.
Dans la mesure où elle affecte le bien public, l'entreprise acquiert incontestablement un caractère communautaire.
Il est donc nécessaire qu'elle se soumette à une éthique, à une conception de la société où l'interdépendance et la solidarité servent de critères à une autodiscipline sévère. A défaut de quoi, elle devra subir de la part de l'Etat, des contrôles de plus en plus serrés et peut-être courir le risque de voir disparaître une partie plus ou moins grande de ses libertés.
Il est essentiel que l'entreprise soit définie dans ses caractéristiques propres, avec son dynamisme et sa spécificité; mais aussi dans ses relations avec une société donnée sur laquelle elle exerce fatalement des influences, pour le meilleur ou pour le pire. Faute de projeter des conceptions nettes de ces deux réalités, l'entre- prise se condamnerait à rester à la remorque de l'évolution et à subir des assauts d'une violence croissante.
Centre nerveux du développement matériel et humain, l'entreprise demeure, dans les meilleures conditions, un instrument entre
les mains de ceux qui la dirigent. Ceux-ci méritent, à titre personnel et collectif à la fois, de sérieuses responsabilités. A cause de son influence sur l'entreprise et, par elle, sur la nation toute entière, la formation des dirigeants, au double point de vue administratif et social, acquiert une importance de premier plan. Cela concerne, bien sûr, l'université. Mais l'association patronale aussi bien que l'Etat ne peuvent en aucun cas se désintéresser du problème que constitue la formation, surtout la formation des administrateurs adultes. L'administration est devenue une science et cette science évolue rapidement : l'homme d'affaires doit retourner fréquemment aux sources sous peine de se laisser dépasser. Quant à l'aspect social du rôle du dirigeant, il est trop peu connu, sa valeur civilisatrice, trop peu comprise. Il faut gagner, dans ce domaine, des retards évidents et, pour y parvenir, les efforts conjugués de tous les intéressés, université, Etat, patronat, sont indispensables. Toute hésitation devant cette tâche ne servirait, particulièrement au Québec, qu'à compromettre la croissance économique et le progrès social qui, en dernière analyse et quel que soit le régime en vigueur, tiennent à la qualité et à la vision des hommes en place.
Lancés avec enthousiasme, les projets de planification du Québec n'ont pas fait long feu. Pour avoir négligé de consacrer aux organismes de planification l'attention qu'ils exigent, pour leur avoir attribué des mandats paralysants, les gouvernements du Québec ont privé la Province d'une politique économique ordonnée.
Mais les gouvernements ne sont que partiellement responsables. S'ils ont fait porter une part excessive des investissements sur la sécurité sociale au détriment de la croissance, c'est en partie à cause d'un déséquilibre chronique entre les organismes populaires et le monde patronal. Celui-ci hérite du devoir de formuler ses vues dans des programmes pratiques, susceptibles de provoquer, après discussion, des décisions précises.
De tels programmes doivent porter sur une politique globale du développement et sur ses aspects économiques, sociaux, régionaux et sectoriels.
Le CDE devra se préoccuper d'une telle étude (qu'il a déjà abordée sous différentes facettes) en tenant compte des apports souhaitables des divers agents de la société et des réformes de structures qui s'imposent.
Quand on fera l'histoire de la présente décennie, au Québec, on constatera peut-être que l'aveuglement, un certain sectarisme, un attachement inexplicable à des formules périmées auront été les principaux obstacles à la réalisation des plus beaux projets. Dans la réalité concrète, l'Etat, le syndicalisme et le patronat ont refusé d'appliquer, chacun pour soi, les réformes essentielles à leur adaptation aux exigences d'une société nouvelle. Les gouvernements se sont laissés emprisonner dans des formules traditionnelles, au lieu de mobiliser le dynamisme potentiel des corps intermédiaires dans des organismes de concertation renouvelés29.
La puissante organisation syndicale prolonge indûment l'ère de la revendication, au lieu d'assumer un rôle positif dans l'évolution de nos institutions; quant au patronat, ses déficiences ont été soulignées ici assez abondamment et nous n'avons pas à y revenir.
Ces démissions aboutissent à la manifestation classique du rationalisme contemporain : le refuge dans un pseudo-réalisme qui n'est qu'une vue de l'esprit. Entraînés, par une déviation séculaire, à situer les apparences au-dessus de la réalité, l'intérêt au-dessus de la justice, la théorie au-dessus de la vie, nous renvoyons les problèmes au niveau des concepts, avec l'intention inconsciente de les éloigner de nous en les idéalisant plutôt que d'y apporter une attention immédiate et de nous compromettre, de nous engager dans leur solution. Car il nous faudrait alors changer parfois ce qui existe, reviser nos comportements, mettre en doute nos branlantes sécurités. C'est ainsi que nous nous amusons sans fin avec trente-six formules concurrentes d'amendement à la constitution, au lieu d'apporter aux institutions et aux modes d'opération les changements précis qui nous permettraient d'orienter la société vers des tâches concrètes d'une urgence extrême.
Ces tâches sont connues. Mais nous les abordons au gré de l'actualité, sans planification, à coups de tactiques improvisées, sans stratégie. A chacune des vagues qui déferlent sur nous avec une violence et une fréquence croissantes, nous faisons appel aux vieilles recettes, aux vieux trucs.
Mais cette tempête que nous essuyons n'est pas une tempête comme les autres. Elle marque la fin d'une époque. L'homme d'aujourd'hui aspire irrésistiblement à un contrôle plus exact de son destin. Cette volonté d'autonomie et de participation éclate chez tous les groupes populaires qui se sont trouvés engagés dans les centres de l'évolution récente, qu'il s'agisse des étudiants, des travailleurs, des assistés sociaux... La liste s'allonge et les groupes périphériques entreront dans le jeu à brève échéance. Bien sûr, il s'agit d'une nouvelle poussée de revendication, provoquée peut-être, du moins en partie, par les précédents syndicaux. Mais il ne suffit pas d'identifier l'origine du problème pour en conjurer les effets.
Si la démocratie doit survivre, elle ne pourra ignorer les plus fondées des réclamations nouvelles. Coincée entre le fascisme et l'anarchie, elle ne pourra éviter l'une et l'autre qu'à la condition de procéder, à l'échelle des institutions responsables, à une alliance indispensable des droits et des responsabilités. Cette alliance est une condition sine qua non du maintien de la démocratie et devrait s'appliquer à tous les groupes chargés de responsabilités économiques et sociales, aussi bien qu'aux individus qui les composent. Elle constitue la seule chance de rendre sensible la solidarité des individus et des groupes à l'intérieur d'un même régime et, pour jouer efficacement, elle doit être inscrite dans le fonctionnement des institutions.
Le CDE n'est pas l'Etat, il n'est pas tout le patronat. Toutefois, animé par une conception personnaliste de la société, il ne saurait se soustraire à l'obligation de travailler de toutes ses forces à l'avènement d'une telle société, en tenant compte évidemment du caractère particulier de son mandat, dont le contenu peut varier selon les changements qui se produiront dans l'organisation
patronale. Mais à un titre ou à un autre, il devra se préoccuper :
Le CDE devra provoquer des dialogues plus suivis et plus structurés entre dirigeants d'entreprise et, notamment, avec les organismes syndicaux, avec les institutions publiques.
Il devra creuser l'analyse du milieu et formuler en termes plus précis sa conception de la société et en particulier de l'organisation patronale.
Il devra au besoin assumer des tâches concrètes, aux six paliers des préoccupations patronales : l'homme, l'entreprise, l'association, les structures patronales, les organismes de concertation, l'État.
L'ensemble de ces perspectives constitue une somme théorique et un fardeau très concret, d'une ampleur inquiétante. Mais si l'on tient à une certaine conception de l'homme et de la société, quelle serait l'alternative ? Il faut bien reconnaître que cette conception est exactement celle que projettent les slogans des partis politiques et des Etats démocratiques. C'est l'objectif qu'on n'atteint jamais, parce que les mécanismes traditionnels faussent les règles du jeu. Les déceptions d'une grande partie de la population engendrent une suite de conflits innombrables qui deviennent insolubles, parce qu'on n'y apporte que des solutions partielles. Les solutions, en effet, sont de nature quantitative : salaires, bien-être, loisirs. Mais les aspirations, en ce qu'elles ont de plus respectable, touchent également à un désir de participation, de responsabilité face aux oeuvres communes. Comme il ne peut être question de confier à des millions de personnes isolées le soin d'organiser leur propre travail dans la poursuite des objectifs communautaires, il convient d'en remettre le soin aux organismes qui en sont l'émanation.
Même restreint aux conditions du patronat, qui concerne particulièrement le CDE, le problème atteint, bien sûr, des dimensions impressionnantes. Il pourrait sembler un songe creux, si des exemples concrets — suédois, hollandais, et autres — ne pouvaient servir de modèles aux sceptiques. Quant à la solution, qui devrait se réaliser par étapes appliquées aux différents niveaux déjà mentionnés, elle suppose une somme d'efforts impliquant tous une large part d'éducation des adultes, c'est-à-dire, l'intégration des hommes dans le milieu, leur participation responsable au perfectionnement de la société.
C'est une tâche devant laquelle les hommes d'affaires, pour leur part, et la présente génération des Québécois ne devraient pas reculer.
Problèmes constitutionnels |
1954 |
Banque d'expansion industrielle |
1956 |
Enseignement technique et professionnel |
1961 |
L'éducation |
1962 |
Commission des accidents du travail |
1962 |
Code du travail |
1962-1964-1967 |
Caisse de retraite universelle |
1964 |
Bilinguisme & biculturalisme |
1964 |
Loi de la convention collective (décrets et comités paritaires) |
1964 |
Assurance santé (Commission Castonguay) |
1967 |
Réforme du Conseil supérieur du travail |
1968 |
Le régime d'entreprise évoluant selon la libre concurrence, il doit être dirigé avec souplesse; on doit trouver dans ce système un climat qui permette au capital et au travail un libre dialogue, exempt de tout complexe. La surveillance de l'Etat et des interventions appropriées seront aussi nécessaires pour prévenir les abus, tant du côté syndical que patronal.
N.B. — En collaboration avec le Centre des Dirigeants d'Entreprise.