La réforme de l'éducation : garantir l'actualisation de la mission éducative dans le respect de l'égalité des chances et de l'équité pour tous les élèves : mémoire présenté dans le cadre des travaux de la Commission de l'Éducation sur l'avant-projet de loi modifiant la loi sur l'Instruction publique

Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec, 12 août 1997

La parole est aux élèves...

Pour moi, l'égalité des chances à l'école, c'est d'être dans l'école de mon quartier, dans une classe ordinaire. J'ai quelqu'un qui fait valoir mes droits et mes besoins au conseil d'établissement de mon école. Mes parents participent avec les autres intervenants à l'élaboration du plan d'intervention qui va m'aider dans mes apprentissages académiques et sociaux. J'ai des services de qualité et des personnes qui me soutiennent dans mon cheminement.

Malgré ma différence, je me sens respecté-e comme personne, je suis appuyé-e et soutenu-e dans mes difficultés. J'ai confiance en moi et dans mon potentiel, je réussis.

J'ai ma place à l'école, j'ai le goût de prendre ma place dans la société, je développe des outils pour prendre ma place dans la vie. Je me sens préparé-e. Je suis heureux-se.

Alexandre, Caroline, Christian, Geneviève, Louis-Olivier, Mélissa, Simon, Sylvain, Virginie et tous les autres...

TABLE DES MATIÈRES

Préambule

1- La réforme de l'éducation : une mission éducative à garantir pour tous les élèves

2. La réforme de l'éducation : des enjeux qui appellent la vigilance

3. L'inclusion scolaire des élèves handicapés : des principes à respecter, des droits à reconnaître, des services à garantir

4. La réforme de l'éducation : des mises en garde sur l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur l'Instruction publique

4.1 Les conseils d'établissement : pouvoirs et composition

4.2 La direction d'école : le plan d'intervention, les manuels scolaires et le matériel pédagogique

4.3 Le comité consultatif de la Commission pour les services aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage

4.4 Les services complémentaires

4.5 La formation professionnelle et la reconnaissance des acquis

4.6 La formation continue

4.7 les normes organisationnelles et les règles budgétaires

5. La réforme de l'éducation : d'autres enjeux significatifs

5.1 Les services à la petite enfance

5.2 La formation des maîtres et la dynamique pédagogique

5.3 L'enseignement privé

6. Recommandations

7 . Conclusion

Préambule

Incorporée en 1985, la Confédération des Organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN) a pour mission de favoriser l'amélioration des conditions de vie des personnes ayant des incapacités dans une optique d'intégration sociale.

Née de la volonté des organismes de personnes handicapées de créer un mouvement de concertation, la COPHAN intervient dans les différents secteurs de vie des personnes ayant des incapacités afin qu'elles participent pleinement et entièrement à la société.

La COPHAN assume un rôle de rassembleur auprès d'une quarantaine d'organismes-membres représentant différents types de limitations fonctionnelles. Elle développe également des actions de partenariat avec un bon nombre d'organismes concernés par la problématique de la participation sociale des personnes handicapées. Elle assure, de concert avec ses organismes-membres, les actions de représentation auprès des décideurs et des partenaires socio-économiques.

La COPHAN est intervenue à plusieurs reprises en commissions parlementaires portant la réforme scolaire. En 1988, elle participait activement aux travaux sur le projet de loi 107 en avançant le principe du droit à l'intégration à la classe «ordinaire» dans l'école du quartier. Ce principe est toujours d'actualité. La COPHAN a appuyé les luttes des parents jusqu'aux plus hautes instances du système juridique afin de faire reconnaître le droit à l'intégration scolaire des enfants handicapés.

Plus récemment, en 1996, la COPHAN et ses organismes-membres concernés par la problématique de l'intégration scolaire se sont positionnés lors des États généraux de l'éducation par la présentation de certaines avenues pouvant contribuer à l'amélioration de la performance du réseau scolaire auprès des élèves handicapés.

La COPHAN a produit des outils et des guides de sensibilisation à l'intention des parents. Elle a développé avec ses organismes-membres concernés par la problématique scolaire, une position concertée sur la plate-forme de ses revendications en matière de services éducatifs inclusifs pour les élèves ayant des incapacités. Enfin, en juin 1997, la COPHAN présentait une ébauche de son rapport d'enquête sur des exemples de réussites en matière d'intégration scolaire.

La présente commission de l'éducation sur l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur l'Instruction publique constitue pour le milieu associatif des personnes handicapées une occasion d'actualiser ses représentations en matière de services éducatifs inclusifs pour les élèves ayant, des incapacités. Nous tenons à remercier les membres de la Commission de nous accorder une audition afin de réitérer les valeurs et les principes que nous préconisons ainsi que les moyens que nous proposons afin que les élèves handicapés puissent exercer leur droit à l'éducation en toute égalité, en toute équité avec leurs pairs à l'intérieur d'un système scolaire qui reconnaît ce droit pleinement et entièrement.

1- La réforme de l'éducation : une mission éducative à garantir pour tous les élèves

L'éducation étant l'un des fondements de la société, il importe de s'assurer que la mission éducative ne subisse aucune brèche dans le contexte de la présente réforme amorcée. À ce chapitre, les États généraux de l'éducation ont établi un consensus clair : donnera l'éducation une mission qui favorise le développement intégral des élèves et ce, en toute équité et dans le respect du principe fondamental de l'égalité des chances. La réforme présentement en cours doit rencontrer les trois finalités avancées dans le cadre des États généraux : l'instruction, la socialisation et la qualification. Ces trois axes doivent sous-tendre l'ensemble des actions des agents impliqués dans l'éducation afin d'assurer l'équité, la continuité et la cohérence à l'intérieur du système scolaire québécois.

Ainsi, l'école doit s'appuyer sur le respect de valeurs communément admises et reconnues par la société : l'estime de soi, le respect des autres dans leurs différences, la créativité, la rigueur, le sens de l'effort, la dignité, la coopération, la solidarité, la paix, le respect de l'environnement.

La participation des élèves handicapés à l'intérieur du système scolaire suppose qu'ils soient reconnus comme citoyens à part entière, ce qui implique que :

  • Que la société reconnaisse non seulement l'existence des personnes handicapées mais aussi l'exercice de leurs droits plein et entier
  • Que ces élèves handicapés n'ont pas seulement des besoins mais aussi des droits
  • Que le réseau scolaire n'a pas seulement des responsabilités administratives mais également des obligations de services éducatifs qui incluent les élèves handicapés et qui répondent à leurs besoins.

Afin d'actualiser la mission éducative de l'école pour les élèves ayant des incapacités, celle-ci doit être accessible, ouverte, équitable.

2. La réforme de l'éducation : des enjeux qui appellent la vigilance

La présente réforme se veut une réforme en profondeur. Elle interpelle l'ensemble des paliers à l'intérieur du système scolaire : les commissions scolaires, les écoles, le milieu. Les transformations et amendements proposés dans l'avant-projet de loi de la Loi sur l'Instruction publique précisent le cadre de l'organisation des services, les pouvoirs et les responsabilités des directions d'école, des conseils d'établissement. Cet avant-projet de loi représente un enjeu important puisqu'il élargit substantiellement les pouvoirs de l'école par le biais de la composition, des rôles et des responsabilités du conseil d'établissement. Il précise également les rôles des directions d'école et des centres de formation professionnelle.

Ainsi, le centre névralgique des décisions se concentre autour de l'école quant aux orientations, à l'élaboration et la mise en application de son projet éducatif. Même si le cadre général est toujours défini par le régime pédagogique, les lieux de décision sont déplacés vers les écoles et s'inscrivent dans l'optique d'une décentralisation actualisée à travers les responsabilités partagées entre les directions d'école et les conseils d'établissement.

Ces enjeux affectent l'ensemble des élèves mais ne sont pas sans inquiéter les milieux qui militent en faveur de l'intégration scolaire et sociale des élèves ayant des incapacités. Dans quelle mesure ces déplacements de responsabilités permettront-ils aux élèves handicapés d'accéder pleinement et intégralement aux finalités éducatives de l'école?

Comment se traduiront les volontés des décideurs scolaires à assurer un cadre de fréquentation, un lieu intégré et des services éducatifs qui incluent les élèves ayant des incapacités?

La réforme actuellement en cours mettra-t-elle en péril le consensus social par les États généraux? Assisterons-nous à la mise en place d'un système d'éducation à deux vitesses? Les élèves handicapés et en difficulté d'adaptation et d'apprentissage se verront-ils plus facilement confinés vers les écoles spéciales en raison de la réorganisation des commissions scolaires fusionnées?

Nous souhaitons ici effectuer une mise en garde quant aux enjeux découlant de la réforme afin de ne pas perdre de vue les droits ries élèves handicapés et. leurs besoins en matière de services. Voici quelques enjeux dont les effets pervers risqueraient de compromettre vingt ans de progression durement gagnée au prix d'efforts et de luttes de la part des parents des élèves handicapés :

  • La fusion des commissions scolaires risque de noyer les efforts de celles prônant l'intégration des élèves handicapés au profit de la majorité qui préconisent la voie inverse. Dans le cadre de la mise en place de méga­commissions scolaires, donc d'un plus large bassin à desservir, la centralisation ou la concentration de services en un lieu donné risque de devenir une avenue privilégiée pour l'organisation des services aux élèves handicapés. Des ententes entre les établissements scolaires pour offrir des services à certains élèves amèment le risque élevé de voir ceux-ci concentrés dans une même école, loin du domicile et du milieu de vie de l'élève. Les incidences de cette organisation sur le transport scolaire ravivent les inquiétudes quant au nombre d'heures quotidien que le jeune aurait à investir pour recevoir ses services éducatifs
  • Le resserrement des cursus d'études vers les matières de base et les sciences risque d'orienter certaines catégories d'élèves ayant des incapacités vers des voies de formation pratique au détriment de la formation académique.

Ce même resserrement des cursus précise les matières académiques pour la finalité éducative d'instruire mais les finalités de socialisation et de qualification restent encore imprécises quant aux cursus et aux programmes qui devraient leur être impartis ainsi que les modes d'évaluation de ceux-ci.

Ainsi, peut-il exister une inéquité entre les trois axes de la finalité éducative pour les élèves ayant des incapacités. L'enjeu de la réussite scolaire risque de développer un effet pervers en creusant des fossés pour certaines catégories de personnes.

Les pouvoirs des écoles en matière d'orientation et de prestation de services éducatifs sont augmentés et renforcés par le biais des responsabilités des conseils d'établissement. Si la représentativité des parents d'enfants ayant des incapacités est absente ou insuffisante au conseil d'établissement, le projet éducatif de cette école pourrait occulter les besoins des élèves ayant des incapacités et les services éducatifs qui les incluent dans cette école même si la commission scolaire est dotée d'une politique d'adaptation scolaire qui respecte les principes d'intégration et de services éducatifs inclusifs

Le mode de financement des commissions scolaires et les ponctions substantielles affectées au système d'éducation québécois risquent de compromettre le maintien et le développement de services éducatifs qui tiennent compte des besoins des élèves, de tous les élèves. La marge de manoeuvre des commissions scolaires se rétrécit et les services d'accompagnement à temps complet n'est par garanti. Des îlots d'écoles spécialisées seront-ils assujettis à ces règles et ces compressions budgétaires pour remplacer les services éducatifs dans la classe régulière?

En dépit de la Loi sur l'Instruction publique qui garantit la prestation de services éducatifs jusqu'à 21 ans pour les élèves handicapés tels que définis par la Loi de l'exercice des droits des personnes handicapées, la redéfinition de 1 a catégorie de clientèle «à risque» pourrait compromettre l'exercice de ce droit pour certaines clientèles, notamment, pour les personnes vivant avec une déficience intellectuelle légère.

Encore une fois, les finalités éducatives pourraient se voir escamotées par une offre de services insuffisante et confinée à l'intérieur de voies d'exclusion.

3. L'inclusion scolaire des élèves handicapés : des principes à respecter, des droits à reconnaître, des services à garantir

Afin d'actualiser les trois axes de la mission éducative de l'école pour les élèves ayant des incapacités au même titre que pour leurs pairs, la présente réforme doit reconnaître et garantir concrètement des services qui s'inscrivent directement dans le prolongement des principes en cause.

Afin que tous les élèves puissent se développer de façon globale, intégrale et optimale, il convient de reconnaître, de promouvoir et d'actualiser le principe de l'égalité des chances au départ. Mais cette égalité des chances pour l'élève doit se traduire pour l'égalité des résultats d'une école à l'autre afin de garantir l'équité, la continuité et la cohérence dans l'offre de services.

Des principes à respecter

Fondée sur l'égalité des chances, la mission éducative de l'école doit s'inscrire en conformité et en continuité avec le continuum de développement de l'élève et se traduire par une gamme de services éducatifs inclusifs qui respectent ce même continuum. Ainsi, les principes à la base du cheminement des élèves ayant des incapacités sont : l'équité, la continuité et la cohérence.

  • l'équité signifie que l'élève ayant des besoins spéciaux doit pouvoir bénéficier des mêmes droits, du même cadre éducatif, des mêmes possibilités d'accès aux services éducatifs inclusifs que ses pairs. Toute mesure d'exclusion qui aurait pour effet de restreindre voire de compromettre l'accès des élèves ayant des incapacités à ces droits, à ce cadre éducatif et à ces services inclusifs aurait pour conséquence de nuire à l'actualisation de cette mission éducative qui se veut pour tous. Nous n'insisterons jamais assez sur l'équité et l'égalité comme gages d'un plein accès à l'éducation
  • la continuité implique pour tous les élèves y compris les élèves ayant des incapacités, que l'ensemble d'un système scolaire québécois puisse respecter le continuum de services dispensés en petite enfance et au niveau préscolaire. Elle suppose également que le passage d'un niveau scolaire à un autre s'effectue de façon harmonieuse en poursuivant les lignes d'actions enchâssées dans le plan d'intervention établi avant le classement de l'élève. La continuité se traduit également par la qualité et l'adéquation des services éducatifs d'une école à l'autre, d'une commission scolaire à l'autre. L'établissement et l'application du plan d'intervention constituent cette garantie de continuité en autant que ce plan s'inscrit dans le projet éducatif établi par le conseil d'établissement.

La cohérence représente également une composante majeure des principes afin que l'élève soit pleinement intégré aux services éducatifs de son école. La cohérence doit transcender le projet éducatif de l'école afin de reconnaître les droits et les besoins des élèves ayant des incapacités. Qu'il s'agisse du choix des manuels scolaires, du matériel pédagogique, des activités académiques ou complémentaires, des ressources professionnelles et matérielles pour les élèves, encore une fois l'établissement et la mise en application du plan d'intervention doivent guider les actions visant l'atteinte des objectifs des axes à la base de la mission éducative de l'école.

Des droits à reconnaître

Afin de rencontrer les objectifs de la mission éducative de l'école dans le respect de l'égalité des chances et de l'équité, un ensemble de principes et de droits doit être reconnu et actualisé pour les élèves ayant des incapacités :

  • le droit de se développer dans le cadre le plus favorable à leur participation sociale pleine et entière, i.e. la classe ordinaire dans l'école du quartier;
  • le droit à des services éducatifs inclusifs dans l'école du quartier, en classe ordinaire pour toute la durée de la scolarité primaire et secondaire;
  • l'accessibilité réelle des ressources régulières afin de répondre adéquatement et efficacement aux besoins identifiés au plan d'intervention;
  • la reconnaissance des trois axes de la mission éducative (instruction, socialisation et qualification) à l'intérieur des cursus d'études;
  • la reconnaissance et l'intégration dans les cursus et dans les programmes, les connaissances et les habiletés acquises et développées par certains élèves ayant des limitations fonctionnelles;
  • l'élaboration et la reconnaissance des profils de formation et de sortie pour tous les élèves fréquentant l'école en tenant compte de leur bagage académique, de leur niveau de socialisation et de leur préparation aux différents rôles sociaux. Ces profils ne doivent pas cependant donner lieu à un système de scolarisation parallèle qui aurait pour effet d'exclure les élèves ayant des incapacités.

Des services à garantir

Les droits et les principes énumérés précédemment posent les premiers jalons d'une intervention qui respecte l'équité et l'égalité des chances pour les élèves ayant des incapacités. Mais si la mise en place de services éducatifs inclusifs ne s'actualise pas de façon efficace et efficiente, la mission éducative de l'école ne pourra se concrétiser pour le jeune ayant des besoins spéciaux. Les principaux services sont les suivants :

l'élaboration et l'application du plan d'intervention englobant la mise en place de services et de mesures requis pour permettre sa réalisation effective. Ce plan d'intervention doit se structurer à partir de la participation reconnue et valorisée des parents et de l'ensemble des intervenants définis dans l'avant-projet de loi

  • les balises identifiant les services à offrir doivent être clairement établies par le MEQ afin d'éviter les disparités dans les sous-régions
  • la gratuité des équipements et du matériel pédagogique doit être maintenue et l'accessibilité des équipements doit être affirmée
  • les critères d'inscription à l'école ne doit pas devenir une mesure d'exclusion pour les élèves ayant des incapacités à l'intérieur de leur choix et que le projet éducatif tienne compte et se préoccupe de la réussite de l'inclusion des élèves handicapés aux services éducatifs de son école
  • les normes organisationnelles des services d'une commission scolaire devraient prévoir la modalité d'élaboration, de réalisation et révision du plan d'intervention afin de guider les directions d'école dans leur élaboration et sa mise, en application et ce dans le but d'éviter les disparités entre les écoles, lesquelles pourraient influer sur les principes d'équité, de continuité et de cohérence
  • les modalités d'application du régime pédagogique doivent être révisées afin d'éviter des aberrations vécues entre autres par des élèves qui devaient effectuer trois heures de déplacement quotidien pour se rendre à une école spéciale
  • la préoccupation de la réalité culturelle et ethnique des élèves handicapés doit être prise en considération à l'intérieur des cursus, des manuels scolaires et du matériel pédagogique. Elle doit être aussi considérée à l'intérieur des activités complémentaires afin d'orienter également la mission éducative sur ses trois axes d'intervention en permettant à ces élèves de posséder le profil de sortie des réseaux primaire et secondaire le plus adéquat possible.

4. La réforme de l'éducation : des mises en garde sur l'avant-projet de loi modifiant la Loi sur l'Instruction publique

Les principes, les droits, les services, les responsabilités partagées entre les différents paliers du système scolaire doivent faire l'objet d'une codification qui les oriente, les précise et les balise dans leur application. Voilà bien un objectif louable.

Cependant., en scrutant, de plus près les amendements proposés dans l'avant-projet, de loi modifiant, la loi sur l'Instruction publique, force nous est de constater certaines omissions en ce qui concerne les élèves ayant des incapacités. Les conséquences peuvent amener des flous, des zones grises qui limiteraient substantiellement, et même dans certains cas, qui causeraient des torts irréparables dans l'actualisation de l'égalité des chances à l'intérieur des axes de la mission éducative de l'école. Les lignes qui suivent se veulent des mises en garde et même des recommandations visant la prise en compte des droits et des besoins des élèves handicapés et de leurs familles.

4.1 Les conseils d'établissement : pouvoirs et composition

a) À priori, la responsabilité partagée d'attribuer à la direction d'école mais également au conseil d'établissement, l'établissement du plan d'intervention pour les élèves handicapés, nous apparaît heureux. Cependant, nous demeurons prudents car nous interrogeons quant aux moyens concrets qui seront mis de l'avant pour atteindre cet objectif. À cette fin, il devrait être précisé que le plan d'intervention soit établi avant le classement scolaire et ce, en collaboration avec les parents et les intervenants. Ainsi l'imputabilité ne relève plus seulement d'une personne ou d'une instance, mais bien de l'ensemble des participants devenant partie prenante de son élaboration et de son suivi.

b) La définition du projet éducatif, les choix du matériel pédagogique, des manuels scolaires, des modifications possibles au régime pédagogique sont dévolus au conseil d'établissement. Cette responsabilité procure indéniablement une «couleur» éducative qui est fort souhaitable pour faire de l'école un lieu d'appartenance pour tous les élèves. Cependant, nous sommes enclins à formuler certaines réserves par rapport au peu de cas que l'on peut faire des droits et des besoins des élèves handicapés. Voici quelques exemples de sombres scénarios qui pourraient se produire si cette réalité était occultée.

  • les résultats d'entente inter-établissements pourraient mener à la forte concentration d'élèves handicapés à l'intérieur d'une ou de quelques écoles dont la vocation serait définie par le projet, éducatif de cette ou de ces écoles. Ces résultantes affecteraient sensiblement les principes et les services éducatifs inclusifs auprès de ces élèves. Entre cette forme de ghettoisation et les écoles spéciales, la frontière est plutôt mince
  • le choix des manuels scolaires et du matériel pédagogique étant sous la responsabilité des directions d'écoles et des conseils d'établissement, il devient facile à prévoir qu'un élève handicapé rencontrant déjà certaines difficultés d'adaptation au matériel puisse se trouver désorganisé dans l'éventualité d'un déménagement dans un autre établissement n'ayant pas les mêmes outils pédagogiques
  • la possibilité de modifier le régime pédagogique en mettant l'accent sur tel ou tel aspect du curriculum d'études risque d'orienter le projet éducatif de l'école vers l'excellence (dans l'optique de la réussite éducative académique) créant ainsi un système scolaire à deux vitesses duquel pourraient être exclus les élèves ne cadrant pas dans ce champ d'excellence.
  • Et les exemples peuvent se multiplier si les conseils d'établissement omettent de considérer que les trois finalités éducatives s'adressent à tous les enfants.

c) En rapport avec la composition du conseil d'établissement, nous souscrivons à la représentativité des parents et du milieu communautaire ainsi que de la durée du mandat de deux ans permettant ainsi d'assurer une certaine continuité et une certaine cohérence au sein du conseil. De plus, nous saluons positivement le fait que les représentants des parents au conseil d'établissement soient élus par leurs pairs.

Toutefois, nous trouvons que les articles de l'avant-projet de loi sont muets quant au nombre de parents représentés ainsi que leur poids majoritaire au sein du conseil d'établissement puisque le nombre des parents est déterminé, après consultation, par la commission scolaire. L'on déplore souvent le manque de participation des parents aux instances scolaires. Cette situation n'est peut-être pas étrangère au fait que les parents se sentent souvent minoritaires. De plus, nous constatons que les représentants de la communauté ne sont pas précisés et en ce sens, nous émettons certaines réserves puisque la nature des liens ou de l'apport que ces représentants pourraient apporter au conseil d'établissement ne sont pas précis.

Étant donné qu'à l'intérieur de chaque école, un certain nombre d'élèves handicapés y reçoit des services, nous réclamons qu'un poste de représentant des parents soit nommément ajouté à la liste des représentants, afin de garantir la préoccupation des élèves handicapés au sein du projet éducatif de l'école.

Enfin, nous pensons que le président du conseil d'établissement doit être obligatoirement un parent afin d'assurer une pleine représentativité des besoins de l'élève dans l'élaboration du projet éducatif. Et ce, d'autant plus que la nature des liens avec l'école des représentants du milieu communautaire n'est pas précisé.

4.2 La direction d'école : le plan d'intervention, les manuels scolaires et le matériel pédagogique

L'avant-projet de loi précise les responsabilités de la direction d'école en matière de services éducatifs et plus précisément le plan d'intervention pour les enfants handicapés. Nous croyons qu'il y aurait avantage à renforcer le rôle des parents dans le cadre d'une responsabilité partagée. Il serait indispensable de préciser que le plan d'intervention doit être établi avant le classement de l'élève.

Il devrait aussi être précisé que des mécanismes de consultation plus étroits devraient s'établir entre l'école et le comité consultatif des services aux élèves handicapés et aux des élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage (EHDAA) afin d'assurer une plus grande efficacité dans la mise en oeuvre et dans l'évaluation périodique du plan d'intervention.

Les réserves que nous formulons en regard des difficultés que pourraient rencontrer les élèves handicapés sont les mêmes que dans la section 4.1. De plus, nous ajoutons qu'il incombe à la direction d'école la responsabilité de proposer des manuels scolaires et le matériel pédagogique adaptés aux besoins spécifiques des élèves handicapés. Enfin, avec l'aide des parents de ces élèves et à l'intérieur des grands paramètres d'intervention, la direction d'école pourrait aussi assumer un rôle de sensibilisation et de support auprès du conseil d'établissement quant aux besoins des élèves ayant des incapacités.

4.3 Le comité consultatif de la Commission pour les services aux élèves handicapés et aux élèves en difficulté d'adaptation et d'apprentissage

Aucun amendement ne vient modifier substantiellement les articles portant sur la composition de ce comité. Toutefois, est-il nécessaire de préciser que la responsabilité qui incombe à la direction d'école dans l'élaboration, dans le suivi et dans l'évaluation du plan d'intervention, est également partagée par un grand nombre d'intervenants impliqués? Il convient de mentionner que le comité consultatif des services aux EHDAA d'une commission scolaire doit assumer un rôle accru de vigilance notamment au niveau des normes organisationnelles et des budgets alloués aux services à ces élèves. Et ce, afin de garantir l'équité en matière de services quelle que soit l'école que fréquentent ces élèves.

4.4 Les services complémentaires

Ces services sont enchâssés dans les responsabilités confiées aux conseils d'établissement. Organiser les services de garde, les services socio-culturels, voilà autant d'occasions pour les membres du conseil d'établissement de développer une constante préoccupation de favoriser la participation sociale et scolaire de l'élève handicapé. Ces services complémentaires représentent souvent une occasion de mise en valeur des axes de la mission éducative notamment au niveau de la socialisation et de la préparation des rôles sociaux.

4.5 La formation professionnelle et la reconnaissance des acquis

a) La formation professionnelle est assurée par un centre de formation professionnelle. Le centre est un établissement d'enseignement destiné à assurer des services éducatifs prévus par le régime pédagogique applicable à la formation professionnelle.

Quoique ces centres offrent des alternatives qui présentent in intérêt, ceux-ci ne doivent pas devenir une voie d'évitement dans le contexte où l'on assiste à un resserrement des cursus d'études.

À ce chapitre, les personnes ayant une déficience intellectuelle sont susceptibles d'être orientées rapidement et systématiquement dans cette voie au lieu de la voie académique où les cursus s'orientent vers les matières de base et les sciences. La voie de la formation professionnelle doit comporter le maintien d'une passerelle entre la formation académique et le marché du travail.

Pour ce faire, il importe de favoriser la poursuite des études secondaires de formation générale ou l'intégration dans le champ de la formation professionnelle pour les élèves ayant complété le premier cycle du secondaire ou pour ceux en âge d'intégrer cette formation.

Dans le respect de l'égalité des chances, les centres de formation professionnelle doivent augmenter leur capacité d'accueil en révisant les règles d'admission pour tenir compte des besoins et la diversité des clientèles. Nous croyons que l'accès à la formation professionnelle passe par l'évaluation des acquis fonctionnels et les méthodes d'enseignement en tenant compte des besoins des jeunes handicapés. L'arrimage entre la formation et les stages en entreprise pourra se faire avantageusement par le biais de stages/études.

b) La reconnaissance des acquis représente un enjeu important, pour officialiser le profil de sortie de l'élève handicapé, notamment au niveau de la formation professionnelle. Or, ces acquis particuliers sont actuellement, peu reconnus. Souvent la formation s'effectue à rabais et les programmes ne recevront pas de sanctions officielles. Le peu d'expertise dans la reconnaissance des acquis particuliers (apprentissage du braille et du langage gestuel) freine l'accès aux études post-secondaires. Pourtant, ces apprentissages pourraient avantageusement être reconnus et crédités en remplacement de cours optionnels.

L'avant-projet de loi est complètement silencieux sur cette question pourtant cruciale dans le continuum école-travail pour les élèves ayant des incapacités.

4.6 La formation continue

La formation continue possède deux volets : la formation de base (alphabétisation) et le perfectionnement/recyclage. Une meilleure scolarisation au cours des niveaux primaire et secondaire permettra d'éviter cette voie d'alphabétisation contrairement aux générations précédentes où les jeunes élèves handicapés ne recevaient pas toujours les services les plus adéquats lors de leur formation académique.

Les personnes ayant des incapacités ont un taux de scolarité plus bas que la population québécoise. Il faudra donc que la politique de la formation continue ait pour mission de corriger cette situation.

Pour toutes sortes de raisons, on retrouve les personnes handicapées, la plupart du temps, dans les classes à cheminement particulier. Notons que cette situation n'est pas la résultat du choix de l'étudiant ou de ses parents. Actuellement, cheminement particulier veut presque dire exclusion à jamais du système régulier, les passerelles pour passer d'une classe à l'autre sont inopérantes. On se retrouve donc sans possibilité d'accès à des études supérieures.

La formation continue ne doit pas devenir la voie d'évitement pour les élèves moins performants. Quelque soit le lieu de scolarisation, les services doivent répondre aux besoins particuliers des élèves handicapés. Le plan d'intervention demeure encore un outil à utiliser.

4.7 les normes organisationnelles et les règles budgétaires

Les compressions budgétaires frappent durement les services en adaptation scolaire, compromettant dramatiquement l'accès adéquat aux ressources pour les élèves ayant des besoins spéciaux et affectant aussi l'égalité de leurs chances en éducation.

Même si les comités consultatifs des services aux élèves handicapés et en difficultés d'adaptation et d'apprentissage jouent un rôle aviseur quant à la nature des normes organisationnelles visant les services, nous constatons les manques de transparence des commissions en matière de dépenses imputées aux services pour les EHDAA.

Pourtant, l'allocation spécifique à l'adaptation scolaire doit être priorisée comme un choix de société. À ce chapitre, le plan d'intervention est l'outil qui permet de définir les besoins réels du jeune. Nous anticipons que le partage des responsabilités entre les directions d'école et les conseils d'établissement d'une part et les comités consultatifs de services aux EHDAA permette un meilleur arrimage dans les actions auprès des commissions scolaires.

Considérer la mise en place des services éducatifs inclusifs pour les élèves handicapés comme un investissement dans l'avenir au lieu d'une dépense, voila le défi qui relève d'un choix de société. Est-il utile de rappeler que le maintien de deux systèmes scolaires parallèles est plus coûteux et plus lourd à gérer qu'une véritable concertation des intervenants sur les services à offrir aux EHDAA?

5. La réforme de l'éducation : d'autres enjeux significatifs

5.1 Les services à la petite enfance

Nous avons à maintes reprises insisté sur la nécessité d'assurer un continuum famille-école-travai1. En effet, le dépistage précoce constitue un investissement qui garantit une meilleure adaptation des services. Cependant, le manque de concertation entre les services publics destinés à la petite enfance limite encore substantiellement les efforts dans l'atteinte de l'équité, de la continuité et de la cohérence. À quand la création d'une politique globale à la petite enfance, incluant les enfants ayant des déficiences? Pourtant cette politique constitue la clé de voûte du véritable continuum de services durant toute la scolarisation.

5.2 La formation des maîtres et la dynamique pédagogique

a) Afin de bien outiller le futur enseignant à prodiguer un enseignement auprès d'une clientèle diversifiée, nous n'insisterons jamais assez sur la nécessité du développement de compétences spécifiques à l'intérieur du programme de formation des maîtres.

Le virage de la classe à clientèles diversifiées implique un perfectionnement en ce sens et un ressourcement des enseignants par les commissions scolaires en collaboration avec les milieux de recherche et les milieux associatifs de personnes handicapées qui possèdent souvent une expertise riche et significative.

b) La qualité de la relation maître-école et de l'enseignement reçu demeure déterminante pour le développement optimal et global de l'élève handicapé, le plan d'intervention doit guider l'enseignant dans les stratégies pédagogiques et ce, en collaboration avec les parents quant à l'atteinte des objectifs visés.

Enfin, les enseignants doivent être évalués régulièrement, sur leur pratique pédagogique et soutenus efficacement lorsqu'ils interviennent avec des élèves handicapés.

5.3 L'enseignement privé

Deux problèmes majeurs confrontent les familles d'enfants handicapés lorsque vient le temps de choisir l'école pour répondre aux besoins de leurs jeunes. Certaines commissions scolaires se déresponsabilisent face à l'accueil des élèves handicapés en les orientant vers les écoles spéciales privées. D'autre part, les élèves présentant certaines déficiences ou difficultés d'apprentissage ont de la difficulté à se faire admettre dans les écoles privées régulières. Dans les deux cas, nous demandons une plus grande responsabilisation et un soutien accru pour la réussite du jeune et l'actualisation de la mission éducative dans une optique d'égalité des chances.

6. Recommandations

  1. Que la réforme de l'éducation renforce les finalités de l'éducation établies par les consensus des États généraux et que ces finalités guident les réformes dans les curriculums et dans les programmes dans l'intérêt de tous les élèves.
  2. Que les principes d'équité, de continuité et de cohérence guident la réforme de l'éducation pour tous les élèves. Ces principes devant encadrer les politiques d'adaptation scolaire adoptées par les commissions scolaires et appliquées par les conseils d'établissement des écoles dans le but de favoriser l'intégration scolaire et sociale des élèves.
  3. Que les compressions budgétaires n'affectent pas les ressources donnant des chances égales en éducation pour les élèves ayant des besoins spéciaux.
  4. Que dans les transferts de responsabilités soient garantis les valeurs et les principes qui sous-tendent les finalités de l'éducation.
  5. Que la composition et les pouvoirs des conseils d'établissement prennent en compte les besoins et les droits des élèves ayant des besoins spéciaux par le biais d'une représentation de parents de ces élèves.

7 . Conclusion

La Confédération des Organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN) et ses associations-membres formulent le voeu que la Commission de l'Éducation chargée d'entendre les groupes concernés par la réforme de l'éducation accueillera le présent mémoire dans un esprit d'ouverture. Nous espérons qu'elle agira comme courroie de transmission du flambeau qui nous a été confié par les associations de parents qui veulent pour leurs jeunes une école plus humaine, plus ouverte aux déficiences, plus à l'écoute des besoins et proactive dans son offre de services éducatifs qui incluent les élèves handicapés à part entière au même titre que les élèves non handicapés.

Renforcés par les consensus établis lors des États généraux de l'Éducation sur la mission éducative de l'école l'instruction, la socialisation, la qualification, nous souhaitons que les principes d'équité, de continuité, de cohérence s'affirment à l'intérieur des services qui incluent les élèves handicapés au même titre que tous les autres élèves.

Une école qui garantit aujourd'hui l'égalité des chances pour ses élèves qui ont des besoins spéciaux, cette même école investit dans l'égalité des résultats pour ses citoyens qui formeront la société de demain.

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