Programmes sociaux et droit à l'égalité pour les personnes ayant une limitation fonctionnelle : une étude sur les effets de programmes sociaux sur les droits de la personne et les pistes de solutions à la discrimination systémique

COPHAN

Décembre 2000

Recherche et rédaction : Daniel Hubert

Sur l'importance des mots et de l'histoire :

« Handicapé, c'est un vieux mot anglais, paraît-il, « hand in cap », passer le chapeau, quêter... C'est une affaire qui devrait apparaître en quelque part: l'histoire des personnes handicapées, d'où viennent-elles... et où vont-elles comme communauté ? »

Un répondant de la recherche (E 2-18)

Mot de remerciement

La présente étude a été réalisée grâce au concours de plusieurs personnes et organismes. La Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN) tient à remercier :

  • Toutes les personnes ayant des limitations fonctionnelles et les proches qui ont participé à la recherche-terrain.
  • Tous les membres de la COPHAN qui ont participé à cette étude.
  • Le Conseil des Canadiens ayant des Déficiences (CCD) qui a financé cette étude par l'octroi d'un programme du ministère du Développement des ressources humaines Canada (DRHC).
  • Monsieur Daniel Hubert pour la recherche et la rédaction de cette étude.
  • Messieurs Richard Lavigne et Jérôme Di Giovanni du comité de lecture
  • Mesdames  Nicole  Filion  et  Chloé  Serradori  du  comité  encadrement de  la recherche.

TABLE DES MATIÈRES

Mot de remerciement

Note sur la terminologie

Introduction - Pourquoi cette étude ?

Partie 1

La recherche-terrain

1. Le contexte :  la réforme de programmes sociaux sur fond de mondialisation et de lutte au déficit budgétaire

2. Le domaine de la santé et des services sociaux

3. Le domaine de la sécurité du revenu et de l'intégration au travail

4. Présentation de la recherche

5. Présentation des résultats

État de situation

A. Santé et services sociaux

B. Soutien du revenu, emploi et intégration au travail

Quelques pistes de solutions

C. La responsabilité de l'État

D. L'imputabilité

E. La reconnaissance des besoins

F. L'adaptation

G. Les droits et libertés

H. Les contributions du milieu associatif

6. Analyse et interprétation des résultats

7. Confirmation des observations et perceptions recueillies par la recherche

Partie 2

La recherche juridique

1. Introduction

2. La reconnaissance des droits : bref rappel historique

Le droit à l'égalité

3. Les caractéristiques de l'exclusion

4. Le « paradoxe de la différence »

5. La discrimination

6. La limitation fonctionnelle comme motif de discrimination

7. L'obligation d'accommodement ou la reconnaissance juridique des besoins spéciaux

8. Les droits à faire respecter et les besoins à combler

Partie 3

Des propositions de pistes de solutions

1. Introduction

2. L'Union sociale et le Québec

3. À l'unisson et le Québec : positionnement de la COPHAN

4. Les propositions d'orientation générale

5. Les orientations communes CCD-COPHAN

6. Les orientations propres à la COPHAN

7. Les axes d'intervention pour les domaines de la recherche

Conclusion

Annexe 1 : À part... égale

Annexe 2 : L'union sociale (extraits)

Annexe 3 : Loi canadienne de la santé (extraits)

Annexe 4 : Mémoire du groupe de travail de la commission pour le développement de l'emploi des personnes handicapées

Annexe 5 : Portrait statistique sur l'emploi et l'inclusion socio-économique

Annexe 6 : Guide d'entrevue

Annexe 7 : Grille d'analyse des comptes rendus d'entrevue

Annexe 8 : Profil des répondants

Annexe 9 : Liste des associations dont les répondants étaient membres

Annexe 10 : Présentation de la COPHAN

Notes

Note sur la terminologie

II nous paraît important, dans le contexte des travaux des 20 dernières années sur la classification des déficiences, incapacités et handicaps1, de nous assurer que l'analyse qui va suivre ne perpétuera pas les confusions de langage qui ont, dans les textes juridiques, profondément desservi les personnes ayant des incapacités. La distinction fondamentale qu'il faut faire est entre déficience et incapacité ou limitation fonctionnelle, d'une part, et handicap, d'autre part.

  • la déficience : toute anomalie, perte de substance ou altération d'une structure ou fonction psychologique, physiologique ou anatomique;
  • l'incapacité ou  la limitation fonctionnelle2 :  toute  réduction  (associée à cette déficience) partielle ou totale de la capacité d'accomplir une activité d'une façon normale ou dans les limites considérées comme « normales » pour un être humain, dans l'accomplissement des rôles sociaux ;
  • le handicap (le désavantage) : interaction entre la déficience ou la limitation fonctionnelle et les facteurs environnementaux.

La déficience et la limitation fonctionnelle sont donc des caractéristiques de la personne, évaluées par rapport à des normes cliniques ou sociales, alors que le handicap provient de facteurs extérieurs à la personne : son existence est le fruit de l'inadaptation de l'environnement humain et social aux caractéristiques intrinsèques de la personne.

Il est donc problématique, dans ce contexte, de parler de « personnes handicapées » pour parler des personnes qui ont des limitations fonctionnelles : en effet, dans la mesure où les éléments à l'origine du handicap sont neutralisés par des adaptations, une personne qui a encore une limitation fonctionnelle n'est plus handicapée.

Il ne s'agit donc pas ici d'un simple jeu de mots, mais plutôt de concepts qui sont au cœur de la difficulté de comprendre la nécessité d'adapter la société aux besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles : une personne qui a une limitation fonctionnelle n'est plus handicapée si elle peut bénéficier d'un moyen pour pallier sa limitation et si son environnement est adapté et ne l'empêche plus de faire tout ce qu'elle est capable de faire. Il nous paraît donc essentiel de prêter attention au vocabulaire que nous utilisons, pour prendre conscience des ambiguïtés et des embûches que le vocabulaire traditionnel charrie.

D'une certaine façon, on pourrait dire que l'objectif que nous poursuivons dans la présente étude est de trouver les moyens d'assurer que les personnes qui présentent des déficiences et des limitations fonctionnelles n'en soient pas pour autant handicapées.

Ce qu'il importe de retenir, c'est ce qu'un chercheur du Conseil de l'Europe a si bien exprimé :

«II n'y a pas de personne handicapée sans situation handicapante... Le handicap n'est pas fixé, mais dynamique et résulte de l'interaction permanente entre la personne et la situation concrète. » 3

Introduction - Pourquoi cette étude ?

Les années '80 ont été marquées par un progrès important dans la reconnaissance des droits des personnes ayant des limitations fonctionnelles. En 1978, le Québec, introduisait le handicap comme motif de discrimination dans sa Charte des droits et libertés de la personne4, adoptait la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées et mettait sur pied l'Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ), en lui donnant un mandat global de coordination de l'intégration sociale des personnes ayant des limitations fonctionnelles. C'est en exécution de ce mandat qu'en 1981, Année internationale des personnes handicapées, l'OPHQ convia l'ensemble des forces vives du Québec à un sommet économique. L'ambitieux plan d'action formulé ensuite par l'OPHQ sur la base des engagements pris par les différents acteurs sociaux et économiques, fut publié en 1984 sous le titre de À part... égale. Le gouvernement du Québec a par la suite adopté les orientations définies dans À part... égale « comme objectifs fondamentaux de l'action gouvernementale » 5 à l'égard des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Pourtant, au cours des années 90, dans le contexte de la réorganisation des activités économiques sur le plan mondial (mondialisation des économies, lutte contre les déficits nationaux, rationalisation de l'État, fin de « l'État-providence », privatisation des services publics, etc.), on a eu l'impression très nette au sein des associations vouées à la défense des droits des personnes ayant des limitations fonctionnelles, que la situation de ces personnes s'était dégradée. En fait, on a eu la conviction que, du titre du plan d'action élaboré par l'OPHQ on n'avait retenu que la première partie, « à part... » en oubliant la seconde, « égale ». L'impression vivement ressentie était que l'on n'avait apporté aucun remède à la ségrégation et à l'exclusion des personnes ayant des limitations fonctionnelles, alors que, depuis le milieu des années 80, on croyait avoir identifié et mis en place tous les éléments permettant d'assurer leur intégration, sinon leur inclusion.

La Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN) et le Conseil des Canadiens ayant des déficiences (CCD), organismes qui regroupent les associations intervenant en ce domaine aux niveaux québécois et canadien, ont donc décidé qu'au-delà de ces impressions, il fallait considérer la situation d'une façon rigoureuse, en entreprenant des recherches, dont une au Québec. Cette dernière allait se dérouler dans un contexte particulier.

En effet, elle s'amorçait au début de 1998 au moment où les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux menaient un dernier sprint de négociation sur le projet d'Union sociale6. Le projet, conclu en février 1999 et auquel le Québec n'a pas adhéré, vise à établir les principes du financement des programmes et services sociaux dans l'ensemble du Canada. Il a entraîné la production d'un document d'orientation consacré exclusivement aux personnes ayant des limitations fonctionnelles et intitulé À l'unisson.

D'où la présente étude divisée en trois parties. La première est le fruit d'une recherche qualitative visant à identifier les effets et les impacts sur le quotidien des personnes ayant des limitations fonctionnelles, de quatre programmes sociaux régis par deux lois québécoises7. Cette recherche a été conçue de manière à s'appuyer sur le savoir et l'expérience de membres et de responsables d'associations. Vingt-trois répondants recrutés par le biais des associations membres de la COPHAN ont contribué à cette recherche.8

En considérant de près avec celles-ci le vécu des personnes ayant des limitations fonctionnelles, on se retrouve de toute évidence face à un appauvrissement et à une réduction des services, ainsi qu'à une exclusion toujours actuelle des personnes. Sur la base du traitement et de l'analyse systématiques des informations tirées de ces entrevues, on trouvera dans cette première partie un portrait de société et une réflexion. Il importe ainsi de prêter une grande attention aux réponses des répondants face à cette exclusion et aux perspectives de résolution des problèmes identifiés qu'ils ont fait valoir.

La deuxième partie du rapport présente une recherche juridique qui s'ouvre sur un portrait de la reconnaissance des droits des personnes ayant une limitation fonctionnelle et une présentation des grandes notions en matière de droit à l'égalité. Il s'agit d'apporter des éléments de réponse aux questions suivantes: comment assurer l'exercice de ces droits qu'on avait si bien reconnus dans les années 80 ? Comment remédier à la ségrégation, à l'exclusion et à la pauvreté dont sont plus que jamais victimes les personnes ayant des limitations fonctionnelles ?

Celles-ci ont encore l'impression que leurs concitoyens et concitoyennes perçoivent l'adaptation de la société à leurs besoins comme une faveur. C'est peut-être là au premier chef que se situe le problème : cette recherche fait ressortir l'accommodement comme une condition sine qua non de l'exercice de l'ensemble des droits fondamentaux, une condition essentielle d'accès à la citoyenneté, en pleine égalité.

Si l'on veut combattre efficacement la discrimination dont sont victimes les personnes ayant des limitations fonctionnelles, il faut répondre aux besoins liés aux déficiences et que la société dans son ensemble accepte d'en assumer les coûts. Comme dans le cas d'autres formes de discrimination, il faut apprendre à traiter les personnes également, tout en tenant compte des différences. Il faut apprendre à résoudre ce que nous évoquerons dans le texte comme le « paradoxe de la différence ».

On comprendra, dans les pages qui suivent, que faire assumer les coûts associés à la compensation de leurs déficiences par les personnes ayant des limitations fonctionnelles, aboutit immanquablement à porter atteinte à leurs droits économiques, sociaux et culturels. Nous ferons valoir, en fait, que les limitations fonctionnelles associées à des déficiences sont un risque et un fardeau que la société dans son ensemble doit accepter de porter. Nous verrons également qu'il faut de toute urgence adopter un éventail de mesures pour assurer qu'à court et à moyen termes, ces personnes jouissent du plein exercice de leur citoyenneté et participent sans limitation à la vie de la société, conformément aux engagements pris par le Québec et le Canada devant la communauté internationale.

Une conclusion s'impose : les personnes ayant des limitations fonctionnelles sont victimes d'une discrimination systémique à laquelle on ne peut remédier que par des remèdes systémiques. Ces remèdes ne peuvent être élaborés et appliqués sans le concours des premiers concernés, c'est-à-dire les personnes ayant des limitations fonctionnelles elles-mêmes, et sans un leadership politique clair dans ce sens.

Pour clore cette étude, nous avons regroupé dans la troisième partie du document les pistes de solutions issues de la recherche-terrain et de la recherche juridique. Cet exercice de synthèse a été facilité par le fait que les travaux et les débats entre les organismes communautaires et les gouvernements autour du projet À l'unisson fournissaient des matériaux de réflexion sur les orientations des politiques sociales. De plus, la COPHAN a pris part à ces travaux tout en continuant à faire valoir ses positions dans le cadre des réformes législatives et des consultations gouvernementales, qui étaient en cours au Québec et qui concernaient les domaines de notre recherche. Cette situation a favorisé l'élaboration de propositions de pistes de solutions à soumettre aux membres de la COPHAN et à faire connaître au grand public.

La présente recherche vise donc à développer la réflexion et à renforcer l'action en faveur des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Elle est basée sur une conviction profonde : une société entièrement adaptée aux besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles répondrait également mieux aux besoins de l'ensemble de ses membres.

Partie 1 

La recherche-terrain

1. Le contexte :  la réforme de programmes sociaux sur fond de mondialisation et de lutte au déficit budgétaire

Dans plusieurs pays occidentaux, les années 90 ont été marquées par la lutte contre  les  déficits  dans  les  finances  publiques  et le phénomène  de mondialisation des marchés et de libéralisation de l'économie.  Le Québec et le Canada (et la plupart des provinces canadiennes) n'ont pas échappé à ces tendances majeures qui ont entraîné une   remise en question profonde du rôle de l'État. Les gouvernements ont le plus souvent justifié la rationalisation des dépenses publiques en faisant valoir la nécessité pour les économies locales de devenir de plus en plus compétitives, dans le contexte de la mondialisation des marchés et du libre-échange, qui les forcent désormais à tenter d'arracher des parts de marché aux autres unités économiques.

On a une illustration de cette situation avec les négociations qui se poursuivent au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en vue de la conclusion d'ententes qui permettraient aux entreprises transnationales de mettre la main sur des secteurs présentement sous contrôle étatique, notamment ceux de la santé et de l'éducation. L'intervention de l'État dans ces secteurs est ainsi présentée comme une entrave au commerce qu'il faut faire disparaître, en établissant des nouvelles règles du jeu. Les négociations très feutrées des gouvernements des pays des deux Amériques, en vue de la création d'une Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), procèdent de la même logique.

Au niveau canadien, la lutte au déficit s'est traduite à partir de 1994 par une réduction importante des transferts sociaux aux provinces. En 1997, le ministère fédéral des Finances établissait dans ses documents budgétaires que les compressions avaient pour effet de faire passer les transferts de 19,3 à 11,8 milliards de dollars en quatre ans. Ces compressions ont été réduites en raison, entre autres, des surplus accumulés à Ottawa,9 mais elles ont affecté les provinces et les ont obligées à faire des choix financiers et politiques.

Dans sa poursuite du déficit zéro, le Québec a, quant à lui, adopté une loi sur l'équilibre budgétaire. Les plus récentes réformes des services de santé et des services sociaux, d'une part, et de la sécurité du revenu et de l'intégration au travail, d'autre part, ont surtout consisté à régionaliser les services et à mettre sur pied des mécanismes destinés à en réduire les coûts.

2. Le domaine de la santé et des services sociaux

Les compressions budgétaires fédérales et provinciales et la réorientation du système de santé québécois doivent être mises en perspective. Comme le soulignait récemment la COPHAN :

« Les compressions dans les transferts sociaux fédéraux en matière de santé ne sauraient justifier à elles seules les compressions que le gouvernement provincial a imposées dans le secteur de la santé et des services sociaux (...) Les décisions de réorientation du système de santé et de services sociaux prises par le Québec dans ce qu'il a appelé les efforts de rationalisation constituent véritablement des choix politiques qu'on a voulu inscrire dans la logique de libéralisation : en effet, plutôt que de choisir de protéger le système de santé et de services sociaux ainsi que le niveau de services offerts, pour le bien-être de la population, en recherchant un financement accru par la voie d'une modification fondamentale de notre système fiscal, le Québec a délibérément choisi la voie des compressions dans l'ensemble du système.

On connaît la suite... Cette logique s'est inscrite formellement dans un texte législatif visant à garantir le déficit zéro dans le budget de l'État, et plus récemment, dans la Loi sur l'équilibre budgétaire du réseau public de la santé et des services sociaux, adoptée en juin 2000.

Ces choix politiques se sont traduits sur le terrain par la réforme de multiples programmes en matière de santé et de services sociaux, par la réorganisation des services, la mise sur pied de différents mécanismes visant essentiellement à réduire les coûts, dont le recours de plus en plus marqué à la sous-traitance et au secteur privé ainsi qu'à la tarification de services autrefois gratuits. »10

Après la vague de compressions budgétaires des années 1994-1998, le gouvernement du Québec décidait, dans son budget de 1999, de réinvestir 1,7 milliard de dollars dans le domaine de la santé. Les porte-parole du gouvernement reconnaissaient alors publiquement la plaie béante laissée par les compressions des années précédentes. Le débat public de 1999 sur la crise de la santé conduisait la ministre de la Santé du Québec, Mme Pauline Marais, à annoncer un programme de priorités centré sur la résolution des problèmes dans les urgences, les listes d'attente en chirurgie, les services à domicile et les problèmes de détresse des jeunes.

Plus récemment, en septembre 2000, le gouvernement fédéral et les provinces, y compris le Québec, concluaient une ronde de négociations concernant les transferts fédéraux en matière de santé. Le gouvernement fédéral s'est engagé à verser 23, 4 milliards de dollars aux provinces, sur une période de cinq ans, pour l'amélioration des soins de santé et l'augmentation de l'aide au développement de la petite enfance. Il reste à voir quelle partie de ces sommes sera attribuée aux besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Ce début de redressement au plan budgétaire ne peut faire oublier les rationalisations et les compressions effectuées au cours des dernières années. Il faut noter que ces dernières avaient été réalisées en conservant le même cadre légal c'est-à-dire la Loi de la santé et des services sociaux du Québec, qui vise des objectifs sociaux de grande envergure, dont l'adaptation et la réadaptation des personnes et leur intégration ou réintégration sociale.

En effet, cette loi énonce comme but fondamental :

« le maintien et l'amélioration de la capacité physique, psychique et sociale des personnes d'agir dans leur milieu et d'accomplir les rôles qu'elles entendent assumer d'une manière acceptable pour elles-mêmes et pour les groupes dont elles font partie. »

Elle stipule, entre autres, que le régime des services de santé et des services sociaux a pour objectifs de :

« réduire la mortalité due aux maladies et aux traumatismes ainsi que la morbidité, les incapacités et les handicaps ; (...) agir sur les facteurs déterminants pour la santé et le bien-être et rendre les personnes, les familles et les communautés plus responsables à cet égard par des actions de prévention et de promotion ; favoriser le recouvrement de la santé et du bien-être des personnes; (...) favoriser l'adaptation ou la réadaptation des personnes, leur intégration ou leur réintégration sociale;(...) atteindre des niveaux comparables de santé et de bien-être au sein des différentes couches de la population et des différentes régions. »

Enfin le mode d'organisation des ressources humaines, matérielles et financières doit :

« favoriser (...) l'accessibilité à des services de santé et à des services sociaux selon des modes de communication adaptés aux limitations fonctionnelles des personnes (et) la prestation efficace et efficiente de services de santé et de services sociaux, dans le respect des droits des usagers de ces services. »

Cette Loi reflète, en bonne partie, les attentes de la population à l'égard de ces services publics essentiels qui doivent satisfaire un droit fondamental, le droit à la santé. L'écart entre les services rendus et les attentes sera d'autant plus vivement ressenti que le cadre légal est basé sur des principes d'accessibilité, d'adaptation, de réadaptation et d'intégration sociale des personnes atteintes de maladies ou de déficiences. Principes reconnus et partagés depuis fort longtemps.

La mise en place de ces services au cours des années 50 et 60 a été amorcée par le lancement d'un programme d'assurance-hospitalisation par le gouvernement fédéral en 1957, puis d'un régime d'assurance-maladie universelle offert par toutes les provinces en 1968. Cette réforme a été poursuivie au Québec par le rapport de la Commission d'enquête sur la santé et le bien-être social (Commission Castonguay-Nepveu) en 1971 qui, pour la première fois, reconnaissait la situation de marginalisation des personnes ayant des limitations fonctionnelles et le manque flagrant de services et de ressources spécialisées. La Commission a laissé une empreinte sur les mentalités et la culture politique.11 La rupture avec les notions de charité privée comme mode d'organisation des services et de la seule responsabilité des personnes face aux problèmes de santé était alors consommée.

Dans le domaine de la santé, les valeurs et les notions de responsabilité sociale et collective, d'équité et de droits ont alors pris une place déterminante. Faut-il rappeler que le programme d'assurance-maladie visait à répondre à une situation critique : l'incapacité de larges couches de la population de payer les services des médecins, alors de purs entrepreneurs privés. Des milliers de personnes s'endettaient et s'appauvrissaient pour payer les frais d'un accouchement ou assumer les conséquences d'une maladie ou d'une déficience qu'eux-mêmes ou un membre de leur famille subissait. Des faits qui sont demeurés dans la conscience collective de bien des gens du Québec. C'est suite à des pressions publiques, d'ailleurs, que les provinces et le gouvernement central ont établi des programmes d'assurance-hospitalisation, puis d'assurance-maladie, pour ne prendre que ces deux exemples.12

Si, en 1988 au Québec, la Commission d'enquête sur les services de santé et les services sociaux, communément appelée Commission Rochon, a pu constater des difficultés importantes dans la participation des citoyens et la démocratisation des services socio-sanitaires, la révision de la Loi en 1991 n'en a pas moins maintenu ces principes dans son mode d'organisation. Pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles, cette participation et ce pouvoir d'influence sont d'autant plus importants que l'adaptation des services à leurs besoins est loin d'être acquise dans toutes les sphères du système de santé et des services sociaux.

C'est sur cette trame de fond que notre recherche a été conduite et elle en a confirmé l'existence de manière frappante, comme on le verra plus loin.

3. Le domaine de la sécurité du revenu et de l'intégration au travail

Le soutien au revenu a été marqué par les profondes mutations du système de l'assurance-chômage, transformé en assurance-emploi, qui relève de l'autorité fédérale, mutations motivées par la volonté du gouvernement fédéral de réaliser des économies dans les coûts d'assurance-chômage, économies qui permettraient ensuite d'éponger le déficit fédérai. En effet, au cours des dix dernières années, le fédéra! n'a cessé de réduire à la fois l'accès à la protection de l'assurance-chômage, en accroissant le nombre de semaines de travail requises pour être éligible, et la durée et la portée de la protection, en réduisant le nombre de semaines de prestations et les taux d'indemnisation.

Suivant une recherche publiée en octobre 199713 par l'économiste Pierre Fortin, ces modifications du régime de protection contre la perte d'emploi ont eu de profondes répercussions sur le fardeau provincial d'aide sociale, en accroissant considérablement le nombre d'assistés sociaux. Cela a amené le gouvernement québécois à repenser tout le système de sécurité du revenu et d'insertion au travail dans le sens de la réforme fédérale, c'est-à-dire en l'axant sur des mesures dites « actives ».

Le soutien du revenu donc a été réorganisé entièrement autour de la « création d'emploi » et de la disponibilité des prestataires pour des « mesures actives » consistant en un « parcours individualisé vers l'insertion, la formation et l'emploi », les pénalités pour ceux et celles qui refuseraient cette démarche étant considérables.

Pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles, dont la capacité d'intégration dans un travail rémunéré est réduite, cette réforme remplace la notion « d'inaptitude au travail » par celle de « contrainte à l'emploi », qui peut aller jusqu'à une « contrainte sévère » qui, à toutes fins pratiques, sera l'équivalent de ce qu'on appelait antérieurement l'« inaptitude ».

La réforme crée un guichet unique, le Centre local d'emploi (CLE), où sont rassemblés toutes les ressources de protection sociale et les services d'emploi et de préparation à l'emploi (par des ententes avec le fédéral). On voulait éliminer ainsi certains dédoublements qui existaient entre les services fédéraux et provinciaux. La mise en place des CLE a conduit à un immense cafouillis administratif en 1999, qui a amené le gouvernement du Québec à commander un rapport sur la situation à Emploi-Québec. Deux ans après le transfert de la compétence de la formation de la main-d'oeuvre du gouvernement fédéral au gouvernement provincial, on constatait d'importantes lacunes dans la gestion des programmes (directives contradictoires, paperasse, chevauchements, retard dans l'implantation des bureaux, système informatique désuet, accueil déficient....) dont les personnes cherchant de l'emploi, de la formation et du soutien faisaient les frais, qu'elles aient ou non des limitations fonctionnelles. Dans le cas des personnes avec limitations fonctionnelles, la réorganisation des services publics d'emploi posait un défi particulier, à savoir la préservation de l'expertise spécialisée dont elles ont besoin pour réussir leur intégration ou réintégration sur le marché de l'emploi.

De l'aveu de tous, le système de protection sociale entièrement axé sur un parcours vers l'emploi, qui suppose des pénalités pour qui n'est pas inscrit à ce parcours que l'on dit pourtant « volontaire », est entièrement calqué sur la réforme fédérale qui a transformé l'assurance-chômage en assurance-emploi et pénalise fortement les travailleurs précaires (qui ne peuvent pas accumuler suffisamment de semaines de travail pour se qualifier pour les prestations) et ceux qui ne montrent pas qu'ils sont disponibles pour toute forme de travail.

Dans un mémoire publié récemment, la COPHAN soulignait l'importance de l'accès à l'égalité en matière d'emploi, un des thèmes sur lequel le mouvement associatif a beaucoup travaillé et où des propositions concrètes ont été mises de l'avant et largement partagées :

« En 1997, la COPHAN participe à la réflexion et à l'élaboration des recommandations contenues dans le mémoire du Comité d'adaptation de la main-d'œuvre - personnes handicapées (CAMO-PH) : " Pour un réel parcours individualisé des personnes handicapées vers l'emploi. " Ce mémoire s'inscrit dans la réorganisation des services publics d'emploi et a fait consensus parmi les partenaires du CAMO : le mouvement associatif, le patronat et les syndicats. C'est sur cette base que le Groupe de travail de la Commission des partenaires du marché du travail pour le développement de l'emploi des personnes handicapées, où la COPHAN était invitée, a élaboré son mémoire, adopté parla Commission des partenaires le 9 juin 1999. Ce mémoire est une grande avancée pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles, en particulier la reconnaissance du "handicap" comme facteur de risque de chômage de longue durée. (...) »14

Cette reconnaissance large de la déficience comme facteur d'exclusion dans le domaine de l'emploi et de l'intégration au travail doit être étendue au domaine de la santé et des services sociaux, pour tout ce qui concerne l'organisation et la prestation de services et de programmes, comme on le verra plus loin.

Les statistiques montrent que le niveau de scolarité des personnes ayant des incapacités est le plus bas et que ces personnes ont les revenus les plus faibles. De plus, dans le contexte actuel, caractérisé par des changements profonds, les personnes ayant des limitations fonctionnelles risquent d'être confrontées à des barrières encore plus grandes, particulièrement lorsque l'on se place dans un contexte d'intégration socio-économique. Les données disponibles pour la dernière décennie illustrent cette situation. Dans la très grande majorité des cas, les personnes ayant des limitations fonctionnelles, qui travaillent, sont condamnées à occuper des postes à temps partiel. Bon nombre ne trouvent que des emplois temporaires subventionnés, et oscillent constamment entre l'emploi, l'assurance-chômage et l'aide sociale.15

Trois défis d'importance se posent pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles : l'amélioration du niveau de scolarisation, l'appropriation des technologies ainsi que l'abolition des préjugés et des barrières à l'intégration sociale.

4. Présentation de la recherche

La recherche visait à décrire les effets de programmes sociaux régis par deux lois, sur le quotidien des personnes ayant des limitations. Compte tenu du temps dont nous disposions, la recherche-terrain a été limitée à quatre programmes.

De nature qualitative, la recherche a été effectuée entre janvier et avril 1999. Un comité de recherche a été formé comprenant la directrice générale et l'adjointe aux communications de la COPHAN, les responsables de la recherche juridique et de la recherche-terrain.

Le comité à adopté une méthode d'entrevues avec des répondants provenant des associations. Cinq entrevues de groupe et une entrevue individuelle ont ainsi été réalisées entre la fin janvier et la fin mars 1999. Un guide d'entrevue, utilisé pour chaque rencontre, permettait de maintenir une exigence d'uniformité dans la cueillette des informations. Ce guide a été élaboré sur la base des hypothèses et préoccupations formulées en début de recherche16 et a fait l'objet d'un test de validation auprès de trois personnes ayant des limitations fonctionnelles. On a aussi consulté à ce sujet deux personnes extérieures au comité de recherche.17

Le guide comportait huit thèmes principaux : le programme de maintien à domicile, celui du soutien à la famille, les aides techniques, l'adaptation des services de santé et des services sociaux, le rôle de l'OPHQ, les programmes de soutien au revenu, l'emploi et l'intégration au travail, l'adaptation des services et organismes du secteur travail. Les questions ouvertes du guide et le type d'animation des entrevues avaient pour but de permettre aux répondants et répondantes de « raconter leur histoire » et de faire valoir leurs opinions dans le cadre d'échanges dynamiques.

Chaque entrevue a donné lieu à un compte rendu exhaustif qui a été communiqué aux membres du comité de recherche pour en dégager les conclusions18. Une grille, élaborée par le responsable de la recherche-terrain à la suite de la première entrevue a servi à l'analyse des résultats.19

La cueillette d'informations a été limitée aux associations et organismes membres de la COPHAN.   L'expérience de vie des personnes, la diversité des déficiences et des champs d'intervention et la représentation régionale ont servi de critères pour la constitution des groupes d'entrevue. Pour chaque entrevue de groupe, on a réuni des répondants de différentes associations et organismes, afin d'éviter l'homogénéité des situations et des discours et favoriser un échange d'expériences. On retrouvera en annexe un profil des répondants20. L'utilisation d'une fiche technique a permis d'assurer l'anonymat des participants.

D'entrée de jeu, mentionnons que, si nous avons voulu poser des questions simples qui permettaient aux gens de raconter leur histoire, nous avons été tout aussi attentifs, au moment de l'analyse des résultats, aux éléments qui débordaient le cadre de la recherche, car, comme le soulignaient des chercheuses « ce sont en effet les éléments qui ne "collent" pas avec l'ensemble qui méritent parfois d'être approfondis. »21 Nous présentons une partie des informations de ce type et qui concernent la santé et les services sociaux, dans la section qui suit l'exposé des effets des différents programmes.

5. Présentation des résultats

Au fil des entrevues, nous avons pu découvrir un éventail de situations, depuis des récits de difficultés graves, de l'abandon à la mort en passant par la dépression, jusqu'aux comptes rendus plus enthousiastes de réalisations personnelles et collectives. S'il y a bien des traits communs et des similitudes entre les répondants ayant des limitations fonctionnelles différentes, on perçoit aussi qu'il y a différences dans l'accessibilité aux programmes et aux services et dans le développement de leur vie associative.

Un fait est notable: on a fait référence dans toutes les entrevues, et pour tous les domaines touchés, à la misère ambiante et aux conditions de vie pénibles des personnes et des familles. Mais on l'a fait souvent en utilisant un humour décapant, grinçant et parfois noir qui tranche avec la grisaille de l'environnement et s'attaque à l'occasion à l'immobilisme apparent des immenses machines bureaucratiques qui régissent leur vie quotidienne. Derrière cet humour, on retrouve l'expression, ouverte ou plus discrète, de valeurs axées sur la dignité humaine, sur l'égalité, sur le travail et d'une ferme volonté de contribuer de diverses manières à la vie de la société.

Dans ce contexte social marqué par la pauvreté et la marginalisation, la vie suit son cours et prend parfois l'allure d'une lutte exacerbée pour la survie au quotidien, ont affirmé nos répondants.

Toujours en lien avec les effets des programmes touchant à la santé, aux services sociaux, au soutien au revenu et à l'emploi, les répondants ont fourni une gamme d'exemples sur les obstacles rencontrés et sur la nécessité d'avoir recours au « système D » (pour débrouillardise) pour faire face aux incohérences ou au manque d'adaptation véritable des programmes. Il y a plein de trucs pour satisfaire des besoins essentiels et pour pallier les lacunes des programmes sociaux, qui ne sont pas nécessairement dévoilés sur la place publique. Ces éléments sont très révélateurs de la portée des politiques et des choix de société qu'elles sous-tendent.

Les rapports quotidiens avec les services publics ont alimenté une large part des interventions des répondants, en particulier ceux qui relèvent du programme de maintien à domicile. Nous regarderons comment les gens perçoivent ces services, y ont recours, et tentent de les infléchir pour les rendre plus accessibles et plus humains. Ce faisant nous mettrons l'accent sur l'attachement à certaines valeurs personnelles et à certains droits, dont le respect de l'intimité et de la vie privée, que les entrevues ont fait ressortir.

Au plan de l'accessibilité aux aides techniques, les interventions se sont cristallisées sur les activités marchandes et lucratives des fournisseurs de service et la protection des droits des personnes. À cet égard, on a soulevé la question de la responsabilité de l'État, face à ce qui est perçu comme un libre marché, par exemple dans le cas de corporations et d'organismes chargés de l'intégration au travail, à l'endroit desquels on a formulé plusieurs critiques de fond en ce qui a trait au respect de leur mission sociale. Les situations décrites sont à la source de frustrations majeures et parfois de la sourde révolte des personnes interrogées.

Ce tour d'horizon des six entrevues est complété par un bref exposé de quelques perspectives et des voies de solutions aux problèmes rencontrés, formulées par les répondants. Ceux-ci ont soulevé directement le rôle de l'État, ils ont aussi fait valoir leur vision de la citoyenneté, en discutant de leurs responsabilités individuelles et collectives. Ils ont mis l'accent sur les façons de mettre l'inclusion sociale au cœur des priorités des politiques de l'État, sur l'équité en matière de services et sur l'imputabilité. Dans un deuxième temps les répondants ont insisté sur l'adaptation des programmes et la prise en compte de leurs besoins fondamentaux et spéciaux, sur le « comment mettre la personne au centre des décisions » et au cœur des approches, en respectant leurs droits.

État de situation

A. Santé et services sociaux

a) Programme de maintien à domicile

Que nous ont dit, en résumé, nos répondants sur le programme de maintien à domicile, son déploiement et la prestation des services ? Quand ils ont accès à ces services sur la base d'une évaluation adéquate des besoins, sans frais supplémentaires à assumer, et qu'ils sont fournis par un personnel qualifié, les répondants n'hésitent pas à manifester leur satisfaction. C'est une condition essentielle du bien-être physique et du maintien d'un environnement immédiat de qualité. Il n'est pas donné à tous d'en profiter.

L'information de base sur l'existence de ce service est déficiente, d'où un problème d'accessibilité. Quand on finit par obtenir de tels services, la sous-estimation des besoins entraîne une surcharge de tâches domestiques pour l'individu et sa famille et, dans certains cas, l'épuisement physique, psychologique et émotionnel. L'obligation d'avoir recours au milieu constitue une contrainte excessive qui engendre parfois des problèmes de tensions importantes avec le voisinage, voire de la violence. D'où une baisse importante de la qualité de vie.

« Nous, en déficience physique, on bénéficie beaucoup du maintien à domicile et la qualité des services varie beaucoup d'un CLSC à l'autre. Il y beaucoup de problèmes avec le CES (chèque emploi-service), on a beaucoup de misère à trouver du personnel adéquat, entre autres. Je ne suis peut-être pas représentatif, mais personnellement je n'ai eu que quelques petits problèmes pour les services dont j'avais besoin. L'évaluation par le professionnel a été adéquate et je n'ai pas attendu longtemps pour avoir un service. » (E 1-1) Ce constat a été fait à quelques reprises.

Pour une personne en fauteuil roulant qui a un enfant en phase de rémission d'un cancer et un conjoint avec une incapacité limitant ses mouvements, ce programme est essentiel à l'organisation des tâches quotidiennes. Toute réduction des services est ressentie vivement.

« Ensuite il y a eu diminution des services. Des gens m'ont appelée pour me dire que la nouvelle pratique courante était un bain par semaine, et, si tu as besoin de plus, tu dois expliquer pourquoi. Répercussion chez nous: un lit ça se change aux deux semaines. Moi j'ai dit : "regardez-moi, je dois faire des positionnements aux demi-heures, je ne peux pas me grouiller dans le lit; en été, mon drap a besoin d'être changé à chaque semaine..."Bien qu'on l'ait reconnu dans ma grille d'analyse, j'ai été ramenée aux deux semaines après ma dernière plainte... Ce qui fait qu'aujourd'hui on ne lave plus le miroir et le comptoir de la salle de bain... » (E 6-2).

Toute cette histoire s'est déroulée dans un contexte de compressions budgétaires et de remodelage des services à domicile, comprenant une transformation des tâches des auxiliaires familiales et sociales. Contexte que des répondants pointent du doigt comme source des nombreuses difficultés et des aberrations vécues quotidiennement, dont, dans certains cas, des contacts plus tendus avec les ergothérapeutes obligés de composer avec ces situations.

La formation et la fiabilité parfois inadéquates du personnel et son roulement incessant ont pour conséquence de créer un sentiment d'insécurité chez les personnes, particulièrement chez les plus vulnérables. Sans parler des pertes de temps « à courir le personnel », qui déstabilisent le quotidien.

Cette situation a aussi des effets au plan financier. D'une part, certains vivent dans une situation de flottement et d'incertitude, en raison du manque d'information et des changements de politiques en ce qui a trait aux frais à assumer, qui varient d'un endroit à l'autre et d'une période à l'autre. D'autre part, assumer des frais supplémentaires pour obtenir ce service représente un lourd fardeau. On coupe alors dans l'essentiel ou on se prive de ces services avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur la vie quotidienne.

Les gens actifs dans les associations le constatent tous les jours : le fait d'avoir à débourser des frais pour le service de maintien à domicile entraîne de grandes difficultés. Ainsi, un répondant du Comité provincial des adultes fibro-kystiques rapportait : « Étant donné que la très grande majorité de nos membres vivent de l'aide sociale, avoir à défrayer même une partie des frais, ou 4 ou 5$ l'heure, c'est trop... »(E2-1).

L'impossibilité de choisir la personne qui fournira le service a, dans certains cas, pour conséquence de créer un sentiment d'anxiété, d'amener la personne à se sentir bafouée dans son intimité et sa dignité. On vit une perte de contrôle sur sa vie privée. On parle alors de « l'étranger dans la maison ».

À deux reprises, cette question du choix de la personne qui fournit le service de maintien a donné lieu à de solides échanges. Une répondante affirme d'ailleurs que ce choix n'existe que sur papier.

« II n'existe pas de libre choix : oublies ça. En théorie, chaque CLSC est supposé avoir son petit dépliant avec son code d'éthique indiquant que la personne peut déterminer ses priorités,  par exemple qu'une femme peut refuser un auxiliairemasculin. Moi, j'ai reçu amplement de plaintes des gens de mon CLSC où c'est la menace qui prime : "c'est ça ou tu n'as rien du tout". » (E 6-6).22

Enfin, on a noté un manque de ressources et de services spécialisés qui permettraient la mise en œuvre d'un programme de maintien à domicile pour certaines catégories de personnes présentant des déficiences.

En ce qui concerne le recours aux entreprises d'économie sociale, dans le domaine du maintien à domicile, il était très limité chez les répondants. Il n'y avait pas d'approche d'ensemble. Une répondante bien informée refusait de payer sur la base du principe de la gratuité des services et de leur rôle de complémentarité que ces derniers doivent assumer par rapport aux services publics. Un autre répondant a mis fin à une approche auprès d'une entreprise, après avoir appris que le même service était offert par le CLSC de son quartier. Trois autres répondants, qui ont eu affaire à une entreprise d'économie sociale, déploraient le manque de formation du personnel et la méconnaissance des particularités de la déficience (une seule personne assumait des frais supplémentaires).

b) Programme de soutien à la famille

Compte tenu de la nature des services rendus au domicile des personnes, les effets du programme de soutien à la famille sur le quotidien des répondants sont sensiblement les mêmes que ceux du programme de maintien à domicile.

Les répondants accordent la même importance à l'évaluation adéquate et réaliste des besoins des individus et des familles, dont la sous-estimation entraîne une surcharge de travaux ménagers et, à terme, l'épuisement des personnes. Ils insistent tout autant sur le respect de l'intimité. En ce sens, les répondants ont souligné que la formation du personnel et le choix de la personne qui rend le service doivent se faire de manière à assurer un sentiment de sécurité tant à la personne ayant des limitations fonctionnelles qu'à l'ensemble de la famille. Autrement, le bien-être psychologique est mis à rude épreuve.

Ici aussi on a observé un problème dans l'accessibilité et des écarts dans l'offre de services, tant dans une même région qu'à l'échelle de tout le Québec, et on a donné un   exemple   pour   démontrer  que   les   personnes   doivent   assumer   des   frais supplémentaires, qui ont un impact sur leurs finances personnelles. À une répondante aveugle, qui faisant état de sa satisfaction à l'endroit des services d'une auxiliaire familiale du CLSC qui garde son bébé, qui a aussi une déficience visuelle, une autre participante, qui travaille dans une association, répondait :

« Je rencontre souvent des gens qui n'ont pas cela. (...) On fait des visites à domicile à travers la province. Et je sais que dans certaines régions ce n'est pas aussi facile, et même à Montréal... Chaque CLSC gère son budget et dépendant du nombre de familles qui font des demandes, si tu as la chance d'être dans un CLSC où il n'y a pas beaucoup de demandes, c'est plus facile. Je me demande s'il ne faudrait pas revoir cette répartition, pour avoir une meilleure équité. À Trois-Rivières, peu de gens travaillent, les CLSC sont débordés de demandes... ils vont répondre à certains besoins, mais pas au répit-gardiennage, par manque d'argent... On peut comprendre, mais les personnes sont pénalisées. Autre exemple: en Gaspésie, les gens ne bénéficient pas des mêmes services. » (E 4-3).

Enfin, on a relevé que les besoins de service de répit et de gardiennage sont plus criants pour la famille dans certaines situations, en particulier au moment où une personne avec une limitation sort de l'hôpital et revient à la maison en phase de récupération.

c) Programme des aides techniques

C'est d'abord l'impact de la gestion du programme des aides techniques sur le quotidien des répondants qui a retenu l'attention. Si le degré d'accessibilité du programme donne satisfaction à certaines catégories, dans d'autres catégories on a mis en relief le manque de transparence et de clarté dans l'allocation des ressources, qui font que les personnes se sentent perdues, inquiètes ou flouées dans leur rapport avec les fournisseurs de services et les organismes gouvernementaux. Un sentiment d'injustice transpire des propos des personnes qui ont eu de mauvaises expériences en tenant d'obtenir, de conserver ou de faire réparer ces outils essentiels à leur autonomie personnelle et à leur intégration sociale. Toute lacune à ce niveau provoque un effet d'isolement et une perte de capacités qui rendent la vie invivable. La nécessité de pallier la qualité douteuse de certains appareils et aides techniques et l'obligation d'assumer les coûts de réparation et d'assurances constituent un fardeau financier et une source de tracas quotidiens.

C'est ainsi qu'un répondant rappelait les compressions effectuées en 1997 dans un certain nombre d'aides techniques mais « aussi dans peur] réparation, ce qui va à l'encontre du principe de la gratuité (...) Ce qui fait que des aides techniques, déjà payées par le gouvernement, sont dans des tiroirs ou sur des tablettes, parce que les gens n'ont pas les moyens de les faire réparer. Mon téléphone adapté est « malade », ça va me coûter 172$ pour le faire réparer... Quand tu sais que 40 à 50% des personnes sourdes n'ont pas d'emploi, les 172$, ils ne les ont pas... Pourtant, le téléphone aujourd'hui, ce n'est pas une question de caprice. » (E 1-2). Dans quelques cas, on a fait référence aux « marchands de prothèses » et autres équipements dont ont besoin les personnes présentant des incapacités ou des limitations. Un marché qui semble tout à fait libre et qui profite d'abord à ceux qui produisent et vendent ces articles.

Devant une telle situation, on évoque la nécessité de se défendre. Un répondant sourd qui a une longue expérience de ces démêlés raconte :

« Ce sont des marchands qui ont des contrats avec le gouvernement. Mais moi, je ne sais pas ce que le gouvernement accepte de payer là-dedans... Et quand, par exemple, je veux tel type de prothèse qui répond à mon besoin, on se fait dire « elle est très bonne, mais elle n'est pas sur la liste du gouvernement, donc paye-la toi-même. Mais je te comprends de la vouloir, parce que celles du gouvernement valent pas chères ». Et en vendant la bonne prothèse directement, le marchand fait deux fois plus de bénéfices (...) Donc, il essaie toujours de vendre la prothèse sur le régime du commerce et pas celle sur la liste du gouvernement. Et parfois le marchand cache des informations au client, en disant qu'une prothèse n'est pas sur la liste du gouvernement. Je suis déjà intervenu pour quelqu'un avec la liste dans ma poche et là le marchand a dit « ah oui! c'est vrai, cette prothèse est sur la liste, je viens de recevoir une lettre du gouvernement cette semaine... ». Ça faisait deux ans que la prothèse était sur la liste... C'est ça, le problème de l'information.

Quand les gens n'ont pas les outils pour se défendre... » (E 1-4).

Une autre répondante a présenté ainsi la question du contrôle de la qualité des équipements :

« Le pire, c'est le système du plus bas soumissionnaire. Moi, je l'ai vécu avec mon véhicule en allant à différentes places. Ils jouent avec les chiffres. Ce qui est demandé, soumissionné, ce n'est pas cela qui est fabriqué au bout. Tu n'as pas le droit d'aller voir, d'être là. Même affaire pour les autres aides (...). Tu n'as aucun contrôle de la qualité.» (E6-15).

Le répondant cité plus haut note que ces pratiques réduisent l'accessibilité aux aides techniques et aux services et rappelle la responsabilité du gouvernement à cet égard :

« L'accessibilité aux services pour les sourds, c'est relatif... Le gouvernement lui-même n'a pas mis ses culottes pour intervenir sur le problème des vendeurs de prothèses, qui sont aussi des professionnels, pour aller à l'Ordre des professions pour faire changer les pratiques de distribution et de vente. Exemple : c'est le professionnel qui décide quand je dois changer ma prothèse, il a intérêt qu'elle s'use vite. C'est un conflit d'intérêts. Les corporations sont fortes et chacun garde ses privilèges. » (E1-7).

d) Des aspects révélateurs

Plusieurs témoignages et échanges faisaient ressortir les moyens adoptés pour contourner les obstacles à l'accessibilité ou faire face aux incohérences du système de santé et de services sociaux. Dans certains cas, on parle du simple accès aux soins médicaux; dans d'autres, de la multiplication des demandes de certificats médicaux par les ministères et les organismes d'un même gouvernement, d'abus des tests médicaux.

Ainsi, pour faire reconnaître sa maladie ou sa déficience et obtenir certains services, il faut savoir développer des « trucs ». Une répondante, faisant état de la méconnaissance de la narcolepsie, tant du grand public que de certains médecins, raconte que son médecin de famille avait refusé de prendre le relais d'un médecin spécialiste pour son traitement. Il lui avait dit : « Pour moi, c'est trop spécialisé, et je m'embarque pas dans ça ». Ce qui fait qu'elle a essayé d'avoir un nouveau rendez-vous avec le spécialiste. Mais «je le disais pas que mon médecin (de famille) ne voulait pas... Dès que j'ai dit cela, la porte s'est ouverte et j'ai eu un rendez-vous. Il y a donc des trucs pour avoir accès aux spécialistes : leur dire que ton médecin généraliste veut pas te voir, par exemple... » (E 2-8).

Comment faire face à l'exigence administrative de remplir et d'expédier régulièrement des questionnaires destinés aux différents ministères d'un même gouvernement et à divers services publics. Un répondant débrouillard, qui se dit « chanceux de n'avoir qu'un spina-bifida en perte graduelle », donne un autre truc :

« Le problème de la reconnaissance des personnes handicapées. J'ai fait plein de démarches pour faire reconnaître mon handicap au ministère de l'Éducation. Je me suis basé sur leurs critères médicaux, puis sur l'aspect permanent. Mes parents n'ayant pas fait de démarche de reconnaissance à ma naissance, j'arrive à 40 ans pour prouver que j'ai un problème congénital. Ça posait problème au fonctionnaire. Un truc : j'ai fait prendre des photos de moi en short, avec mes cicatrices, mes souliers, mes jambes... J'ai envoyé ça au gars... J'ai été reconnu par le fonctionnaire: il m'a renvoyé mes photos... STCUM, les Rentes du Québec, l'aide sociale : même problème qui a été réglé. Maintenant, ce sont les ministères du revenu fédéral et provincial qui ne reconnaissent pas mon handicap... » (E 3-10).

D'autres répondants qui ont une déficience fonctionnelle depuis la naissance faisaient état des demandes répétitives de certificats médicaux. Ne pourrait-on pas trouver une façon simple de solutionner ce problème d'attestations de déficience? Bien sûr, la solution a déjà été trouvée et proposée il y a un bon moment, remarquait une répondante en faisant état des démarches pour la production d'un certificat unique.

La « complicité » du docteur

Pour faire face aux mécanismes du système et survivre, il faut être non seulement « débrouillard », mais pouvoir aussi compter sur certaines formes d'aide. C'est ainsi qu'un répondant du secteur de la santé mentale souligne une conséquence de rétablissement de listes de diagnostics reconnus pour l'obtention des prestations de la sécurité du revenu. « Par exemple, la dépression, ce n'est plus reconnu. Ça oblige donc le médecin qui veut vraiment aider une personne qui a besoin du bien-être (social) à faire des diagnostics genre « trouble de la personnalité ».(E 1-9).

À une autre époque, qu'on croyait révolue, pour des raisons de financement de services sociaux privés et de conflit constitutionnel, on étiquetait des orphelins comme « malades mentaux » à certains endroits... Les temps ont changé : si vous être pauvre et dépressif, ceux qui veulent vous aider, n'ont d'autre choix que de vous donner une étiquette de « trouble de la personnalité ».

Acheter sa pilule pour être considéré malade   

Pour les personnes atteintes de déficience intellectuelle, on a soulevé les contraintes posées dans l'exercice du libre choix des traitements. « Au niveau des contrôles exercés à l'aide sociale, c'est inquiétant. Dans certains cas de maladie mentale, on peut aller jusqu'à contrôler si les personnes prennent leurs médicaments et si on constate ça on considère qu'elles ne sont plus malades. On ne respecte plus le choix des personnes dans les traitements.

Autre cas : les compagnies d'assurance. C'est merveilleux la petite carte à puce pour acheter ses médicaments quand tu as une assurance-médicament. Mais la compagnie est au courant de ta consommation quotidienne en temps réel. Ce qui donne des situations où des personnes qui font le choix d'aller vers une alternative de soins, achètent des médicaments seulement pour faire la preuve qu'elles les achètent et qu'elles sont toujours malades... Aberration. » (E 1-8).

De façon générale, on a aussi fait remarquer que les problèmes de survie s'accentuent dans le cas de familles qui ont plusieurs personnes avec des limitations fonctionnelles, dans celui de personnes ayant plusieurs déficiences, et de celles qui vieillissent. Car, comme le relatait une répondante de l'Association de la neurofibromatose du Québec, qui travaille dans une ressource communautaire, il y a aussi « des personnes âgées qui se privent de manger pour acheter leurs pilules » (E 3-14).

B. Soutien du revenu, emploi et intégration au travail

a) Soutien du revenu

On a fait très peu de commentaires sur l'impact des nouveaux programmes d'aide financière instaurés par la Loi sur le soutien du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité sociale; les structures et programmes continuant à se mettre en place au moment des entrevues. À une exception près au moment de la recherche, on ne voyait aucune différence majeure avec les programmes et catégories de prestataires de l'ancienne loi. On manquait d'information sur la nature de ces changements de programme et, dans certains cas, on faisait état d'une certaine anxiété ou confusion face aux réformes en cours.

En fait, en parlant de leurs sources de revenu et des façons dont ils subvenaient à leurs besoins de base, des répondants se présentaient parfois simplement comme un SOFI (pour la catégorie soutien financier de l'ancienne loi) ou comme prestataire d'une rente d'invalidité (gérée par la Régie des rentes du Québec), rente qui constitue désormais l'autre source de revenus pour une partie des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Plusieurs ont fait état des conditions de vie difficiles dans lesquelles eux-mêmes et/ou leur entourage immédiat vivent, compte tenu du faible niveau de l'aide financière accordée par ces deux sources de financement. C'est le plus souvent des exemples de la précarité de l'existence que l'on fournissait rapidement : « II y a une pauvreté handicapée qui est très forte... et qui ne dure pas seulement 5 ou 10 ans, mais 20 ou 30 ans. J'ai des amis de 40 ans qui n'ont presque jamais travaillé; les vingt prochaines années, à quoi, tu penses, ils vont servir pour eux... de quoi ils vont vivre ? » (E 2-15).

« Le problème principal des handicapés c'est le fric, la plupart sont dans la pauvreté la plus ridicule. C'est l'aide sociale... Et quand tu n'as pas l'aide sociale, c'est parce que tu vis avec un conjoint qui gagne de l'argent, et là, à l'impôt, on calcule le revenu familial... On te maintient dans la pauvreté et la dépendance à l'égard de ton conjoint. » (E 2-9).

Une répondante de l'Association générale des insuffisants rénaux relevait pour sa part que « les trois quarts des personnes sont sur l'aide sociale, parce que, surtout pour celui qui va en hémodialyse, les compagnies ne veulent pas l'engager à deux jours ou trois jours par semaine; car les autres jours, il ne peut pas aller travailler. » (E 2-3).

En référence à l'acheminement des personnes assistées sociales à la Régie des rentes, un répondant affirmait :

« Bientôt il n'y aura plus personne sur la sécurité du revenu... C'est une classe qui sera disparue, qui existera sous une autre forme, mais d'un point de vue statistique ils ne seront plus là... Le constat : on masque les problèmes... ». (E 1 -8)

Mais, même cette rente, dans le meilleur des cas, ne fait qu'assurer l'essentiel, soulignait un répondant en triporteur qui racontait comment il joint les deux bouts avec sa rente d'invalidité. « Moi, c'est ça qui m'a sauvé quand je suis tombé dans une coop. C'est ça qui me permettait enfin de vivre : un logement subventionné et adapté. Juste avec mon 506 $, avec un logement subventionné à 25% de mon revenu, je suis capable de payer mon téléphone, mon électricité, ma bouffe, et je vais à la banque alimentaire... pour compléter. J'ai donc mes besoins de base. Je ne me ramasse pas avec un loyer de 475 $ avec un chèque de 506 $ ! »(E 3-13).

Quel type de comportements induisent des politiques et des conditions sociales qui ne garantissent pas un minimum vital ? Entre autres choses des comportements qui inévitablement dérogent à la norme établie et confrontent le système. Deux répondants et une répondante illustrent cela.

« *(...) des handicapés te le raconteraient: ils demeurent avec leur blonde, mais ils ne sont pas sensés mettre leurs souliers en dessous du lit... Faut qu'ils aient une chambre à part, parce que s'ils sont reconnus conjoint de fait, ça marchera plus. Ça

fait dur en ...

Tant mieux si les personnes handicapées ont quelqu'un dans leur vie,

ça va leur donner un coup de main !

** Nous aussi, on a pas mal de jeunes qui vivent dans la « clandestinité », parce que leurs conjoints ou conjointes gagnent pas beaucoup d'argent; s'ils se déclarent conjoints, ils perdent tellement...

*** Oui. oui. déjà pour le coût des médicaments, c'est assez pour se cacher... » (E 2-11).

b) Emploi et intégration au travail

En   soi,   le   nouveau   programme   d'assistance-emploi   a   suscité   peu   de commentaires. Un exemple saillant de manque de cohérence entre les programmes de différents ministères a cependant été fourni. Une répondante, qui recevait des prestations de la sécurité du revenu et qui a la neurofibromatose, faisait état de ses démêlés récents avec sa conseillère en emploi.

« Pour une job, on demandait de l'anglais fonctionnel. OK, j'ai réussi à me trouver une place pour un cours d'anglais qui correspondait à mes besoins. Et là, ma conseillère m'a dit qu'elle ne reconnaissait pas cet organisme (...) Le cours que j'avais trouvé avait un gros taux de placement de ses étudiants, plus de 80 %. Il était reconnu par le ministère de l'Éducation..., mais pas par les Centres Travail-Québec ! »

On l'oblige alors à aller suivre un autre cours d'anglais dans une autre municipalité que la sienne : « J'ai été suivre le cours à Laval... et après ça, j'ai rien trouvé comme job. Et après le CLE se mettait sur pied; c'est le grand chambardement : point mort. Ensuite, j'ai trouvé une formation d'informatique de 6 mois... J'ai réussi à me faire accepter par mon agente. Mais elle m'a dit : "C'est la dernière fois qu'on te paye une formation à toi, j'espère que t'as compris..." Je lui ai dit: "Écoutez, vous me faites passer d'un programme à un autre, et puis les organismes qui engagent les gens avec le programme PAIE sont supposés essayer de nous garder par après, mais ils font rien de ça.." Fait que programme PAIE, chômage, BS... Ia roue qui tourne... ça fait dix ans que je fais ça, je suis bien tannée. » (E 3-14).

Par ailleurs, si la valeur travail représentait un point de référence pour la plupart des répondants, on comprend fort bien aussi qu'il y a une crise du travail et de l'emploi. Des répondants faisaient des mises en garde sur les possibilités réelles d'intégration de toutes les personnes ayant des limitations fonctionnelles au marché du travail, dans un contexte où le plein emploi est loin d'être acquis pour les gens sans limitations fonctionnelles. En un sens, on ne veut pas participer à une course de dupes pour du travail inexistant. Face à la précarité du travail et aux transformations du monde du travail, on souhaite donc le développement d'alternatives sans en préciser les contours.

L'expérience même des répondants avec le marché du travail est bigarrée. On a rapporté des expériences satisfaisantes, tout comme de douloureuses situations où on a craqué sous la pression ou encore où on cache sa limitation pour obtenir un poste ou le garder. En milieu de travail, se pose souvent le problème de faire accepter ou reconnaître sa déficience pour avoir droit à certains avantages ou une couverture des assurances. Ce que racontent tour à tour une répondante de l'association des insuffisants rénaux et un répondant de la fibrose kystique, maladie qui par ailleurs réduit l'espérance de vie :

« Chez nous, il y a beaucoup de greffés (...). Je sais que, pour plus des trois quarts de ces personnes, quand elles commencent à travailler, elles ne le disent pas. Certains ont fait l'expérience, ils n'ont pas voulu les engager, alors bon... Parce qu'au début, tu as souvent des tests à aller passer, on doit ajuster tes médicaments ; en le disant, l'employeur n'est pas intéressé à perdre une heure ou deux, alors ils attendent avant de le dire... »

« Moi, c'est pas mal épouvantable, toutes les fois que les jeunes me disent ça... c'est que souvent ils vont d'eux-mêmes refuser d'avoir le régime d'assurance collectif de, l'employeur, parce qu'ils ont tellement peur que l'employeur le sache ou accepte pas le fait que quelqu'un leur coûte plus cher pour le plan d'assurance-invalidité. Alors, ils renoncent à cela et ils sont sûrs que l'employeur ne les embêtera pas avec leur maladie....  Eux-mêmes se coupent de ces droits là pour ne pas risquer d'être discriminés.... ». (E 2-13)

Un marché compétitif et le danger des ghettos d'emploi

Au cours des entrevues, le caractère compétitif du marché du travail a été maintes fois relevé. On est toutefois bien conscient qu'il est possible de lever les obstacles à l'inclusion. Pour un répondant, l'histoire fournirait d'ailleurs des exemples où cette inclusion a été recherchée :

« La dernière période de plein emploi pour les handicapés, c'est intéressant l'histoire, ça remonte à la Deuxième Guerre mondiale. Les femmes sont alors sorties des cuisines, les handicapés sont sortis des garde-robes, plein de choses à fabriquer, parce que les gars biens portants sont partis se battre. Dès que les gars sont revenus, les madames dans les cuisines, les handicapés dans les garde-robes, pis on recommence.... en neuf. C'est pas très valorisant pour les handicapés ». (E 2-16).

Tenir compte des besoins particuliers pour que le travail que l'on choisit ou que l'on exerce ne soit pas aliénant constituait un autre message véhiculé dans les interventions sur les « ghettos d'emploi » vers lesquels on dirige les gens. Deux exemples ont été donnés.

« Les nouveaux ghettos d'emploi : les centres d'appel. Tes aveugle, t'as pas besoin de voir. Il y a des centres d'appel qui sont plus intéressants que d'autres, tant au niveau de la tâche qu'à celui des salaires. Mais, si tu ne fais pas attention, tu te fais mettre dans un secteur d'emploi pénible. Il y a beaucoup de roulement de personnel. Les cours de formation sont axés vers cela, le gouvernement voit ça, Ah! Ah! les aveugles, les centres d'appel, quel mariage parfait ! À première vue, ça l'air de « fitter » parfait, mais c'est trop parfait pour les aveugles ! » (E 2-14).

« En santé mentale, dans les services de placement, on se fait dire que l'on connaît nos besoins en emploi, on sait ce qui est bon pour toi. Et, comme par hasard, il y beaucoup de jobs qui se trouvent en entretien ménager (...). On dirige les gens vers les jobs que les autres veulent pas faire... Et l'argument qu'on donne, c'est que l'entretien ménager peut se faire la nuit. Comme les médicaments causent des problèmes d'insomnie, vous êtes le candidat idéal ! » (E 1-10).

Les organismes et programmes d'intégration

Les organismes oeuvrant dans le domaine de l'intégration au travail ont fait l'objet de nombreux commentaires. Des répondants reconnaissent l'apport positif d'organismes, tel le CAMO et de programme tel le Fonds d'intégration. Dans ce dernier cas, un répondant précise que c'est «un bon programme au Québec, mais il faut être prudent pour ne pas que les acquis se détériorent » (E 2-6). Un autre répondant dira que « le CAMO a fait beaucoup pour faire comprendre les besoins des personnes handicapées, les obstacles, etc. De faire comprendre que le fameux 1% pour la formation de la main-d'œuvre des entreprises peut inclure des programmes pour les handicapés, mais que là encore, ça prend des outils spécialisés. » (E 1-12).

D'autre part, l'activité de services spécialisés de main-d'oeuvre pour les personnes avec des limitations fonctionnelles a fait l'objet de plusieurs débats. Leur mode de financement apparaît comme conflictuelle. Un répondant a donné un exemple à cet effet:

« J'ai vu un SEMO qui cherchait six personnes sourdes, parce qu'un fleuriste trouvait très bonne une personne sourde qui faisait des bouquets avec des fleurs séchées, et il en voulait d'autres. Il passe par une association, et là, ça aboutit à un autre SEMO qui, lui, voulait avoir les sous qui allaient avec ces emplois-là... Il ne référera pas les gens au premier SEMO. « Donnes-moi l'employeur », disait l'un à l'autre qui répondait : « Je te donnerai pas l'employeur »... Et là, il y a six emplois qui se sont perdus à cause de ce conflit entre deux SEMO... C'est pourri ce mode de financement. »(E1-12).

Ce même répondant avait d'ailleurs dit que « chaque handicap en lui-même, c'est comme une population captive pour la réinsertion au travail. Et des organismes vont se spécialiser dans la réinsertion. Et eux vont suivre le marché. » (E 1-9).

Cette image de population captive a été reprise lors d'une autre entrevue par les répondants du milieu de la déficience intellectuelle, soit pour souligner la contribution positive de certains organismes d'insertion au travail, soit pour stigmatiser les pratiques et les approches de certains autres.

Il y a des gens présentant une déficience intellectuelle, qui ont connu des expériences traumatisantes, l'internement sur de longues périodes, les abus physiques et mentaux, et qui mènent un combat quotidien, incessant, pour « rester en contrôle », lutter contre le repliement sur eux-mêmes parfois, tout en essayant de survivre.

Un répondant d'un organisme de soutien auprès de ces personnes déclarait que, dans certains stages de travail, elles « sont comme oubliées là, pour ne pas dire entreposées. Et les gens font la même chose pendant cinq ans, dix ans, quinze ans, sans qu'on leur demande s'ils ne sont pas tannés de mettre des petites napkins et des petites fourchettes dans des sacs de plastique 10 000 fois par jour. Il n'y a pas de réévaluation. Une fois de temps en temps, on remplit une feuille ou un beau formulaire qui va au centre de réadaptation... Mais il n'y a pas de suivi comme tel. » (E 5-6).

« Faut dire que certains stages sont très bien: (...) l'ambiance, le pouvoir décisionnel des gens qui se promènent avec les clés de l'ascenseur; le potentiel des gens est actualisé, valorisé... Sauf qu'à d'autres endroits, c'est carrément de l'aliénation : cent

fois, mille fois la même chose, le même geste à faire chaque jour. La rémunération n'est pas là, et avant tout, la personne n'actualise pas son potentiel, il n'y a pas d'accroissement de l'autonomie...

« On a rencontré des gens pour qui ça leur sortait par les oreilles. Je pourrais pas quantifier le problème ; dire que c'est la majorité. Mais un grand nombre, que l'on a vu, aurait pu facilement faire autre chose, ou ajouter des changements, mais les personnes étaient là sans évaluation... Ce qui ressort souvent de ces ateliers, c'est l'aspect quantitatif et qualitatif du travail qui est regardé. Faut que tu donnes une qualité de travail et que tu produises au max. T'as pas le temps de parler, il n'y a pas de temps pour valoriser le monde, pour les encourager. » (E 5 -3).

Cette situation faisait dire à un répondant, qui apportait des exemples à l'appui, que, dans certains cas, un CTA, c'est toujours un atelier protégé où l'on se fait écraser « comme une boîte de carton ». Même son de cloche pour d'autres répondants et répondantes. Graves lacunes dans l'encadrement, conditions de travail difficiles, non respect des droits des travailleurs, discrimination dans les salaires payés pour des tâches équivalentes, instauration d'un « régime de peur » pour faire taire ceux qui défendent leurs droits, autant d'éléments relevés par des répondants. On a ainsi rapporté un cas de congédiement arbitraire, après vingt d'ancienneté au sein d'un CTA, pour soulever les responsabilités des organismes publics comme l'OPHQ.

Quelques pistes de solutions

C. La responsabilité de l'État

Les échanges sur les effets des programmes, sur leurs conditions d'application, sur la notion de qualité des services ont conduit les répondants à formuler leurs visions des programmes et des politiques sociales et du rôle de l'État.

Les principes d'accessibilité, d'universalité et de gratuité ont été réaffirmés au cours des échanges sur les services de santé et sociaux. Pour garantir l'application de ces principes, un certain nombre d'exigences ont été identifiées. Une première exigence repose sur la gestion des priorités : on veut que les besoins des personnes avec des limitations soient pleinement considérés dans la planification des programmes et la prestation des services.

Pour garantir l'accessibilité des services à tous ceux qui en ont besoin et dans un contexte où les régions ont des particularités et des dynamisrnes sociaux différenciés, on doit éviter l'uniformisation forcée des services. On insiste sur la notion d'équité, vue comme une accessibilité aux services qui tient compte des besoins particuliers résultant de l'environnement pris dans son sens large. Une fois que les principes directeurs et les critères des programmes sont clairement définis et adoptés, les modalités pratiques, elles, peuvent varier d'une région à l'autre.

Les échanges sur ces questions et celles des programmes sociaux et de l'intégration au travail ont montré que la majorité des répondants accordaient une importance majeure à la responsabilité de l'État qui, pour reprendre l'expression la plus fréquemment utilisée, représente un « acquis social » fondamental.

Pour ce qui est des pratiques des fournisseurs d'équipements et d'aides techniques, c'est la question de la responsabilité gouvernementale à l'égard des corporations professionnelles et de l'Office des professions que les répondants ont soulevée. En ce qui a trait aux secteurs des CTA, c'est le pouvoir de supervision et de contrôle de l'État sur l'insertion au travail des personnes avec des limitations que l'on a fait ressortir.

D. L'imputabilité

Un constat général : l'information circule mal dans les gros réseaux. Et la chose publique s'est drôlement complexifiée au cours des années, du vocabulaire technocratique aux multiples structures et comités, en passant par les modes de gestion. On pourrait simplement le déplorer. Ce n'est pas l'attitude prise par plusieurs répondants qui veulent individuellement et collectivement faire reconnaître leurs besoins spécifiques, faire valoir leurs points de vue et leur expertise sur l'orientation des programmes. Ils veulent non seulement être consultés mais également s'impliquer dans l'élaboration, l'application et l'évaluation des programmes et des politiques.

Autre principe donc mis sur le tapis par les répondants quand on discute de la conception, du déploiement et de l'organisation des programmes et des services : l'imputabilité. Ce manque d'imputabilité a été relevé sur plusieurs terrains, dans plusieurs domaines et situations où les répondants étaient impliqués à divers titres. Dans le domaine de la santé et des services sociaux, entre autres, où obtenir des chiffres précis sur la prestation de services en maintien à domicile ou sur l'allocation des aides techniques, par exemple, devient une tâche titanesque.

Un répondant parlait de la gestion déficiente et non transparente des aides techniques pour les personnes sourdes, en affirmant que les gens se sentent perdus et découragés. Un organisme public ou tout autre organisme lié par une entente de service devrait être en mesure de répondre à cette exigence d'imputabilité, selon plusieurs.

Pour les répondants, s'ajoute cet élément incontournable : la reconnaissance des besoins dans toutes leurs dimensions et une adaptation des politiques et des programmes dans le respect de leurs droits.

E. La reconnaissance des besoins

Pour assurer l'inclusion des personnes ayant des limitations fonctionnelles, l'État et les citoyens doivent agir à plusieurs niveaux mais dans deux directions bien précises : la pleine reconnaissance de leurs besoins fondamentaux et spéciaux et l'adaptation des programmes et des services.

Comme dans le cas de larges couches de la population, il faut mener une lutte quotidienne pour assurer la satisfaction des besoins fondamentaux, comme la nourriture, le logement, l'habillement, l'accès aux services publics. Parmi ces besoins fondamentaux, le logement revêt une importance capitale, compte tenu des coûts importants qu'il représente. Le manque de logement social (coopératives, HLM, etc.) est criant dans toutes les régions, a-t-on mentionnait lors de la troisième entrevue. Dans certains cas, « on se sauve de la misère » en accédant à un logement coopératif.

En ce qui a trait aux besoins spéciaux, on a surtout fait état des coûts additionnels qu'ils entraînent. Il y a des coûts liés à la déficience, que les gens assument quotidiennement, dans toutes les situations courantes ou d'urgence où il faut payer un taxi pour se déplacer, payer pour l'entretien ménager qu'on ne peut faire soi-même ou pour avoir du répit. Les personnes qui reçoivent des prestations de la sécurité du revenu doivent ainsi couvrir une fraction des coûts des aides techniques, ce qui ajoute un fardeau de plus.

Au plan des différentes voies de solution, les répondants ont mis de l'avant une augmentation ou une refonte des barèmes d'aide établis ou l'adoption du modèle de la rente d'invalidité qui permet des gains de travail plus substantiels sans compression de la prestation de base. Pour certains, la conception même des programmes de soutien du revenu devrait être revue pour en faire une aide de premier recours dans une perspective d'assurance sociale ou d'une forme de revenu minimum répondant aux besoins fondamentaux.

Sans entrer dans les détails des diverses façons d'assurer un minimum décent, la motivation de base était toujours la même : comment assurer la satisfaction des besoins essentiels des personnes ayant des limitations fonctionnelles, en tenant compte des coûts supplémentaires à assumer et des contraintes sévères à l'emploi qui leurs sont imposées.

Enfin, à court terme, quelques participants ont mis de l'avant la reconnaissance au plan fiscal, par les ministères du revenu, des diagnostics et des besoins particuliers des différentes catégories de personnes présentant une déficience, pour l'obtention de, l'exemption pour personne handicapée. L'accessibilité à cette exemption fiscale, jugée par un répondant comme « pas si généreuse que cela » (E 2-18), n'est pas assurée pour toutes les catégories de déficience.

F. L'adaptation

II peut sembler étrange de parler encore d'adaptation. Extérieurement, on constate que la société a fait des progrès : stationnement réservé pour les personnes à mobilité réduite, sous-titrage ou adaptation d'émissions télévisées pour les personnes sourdes, transport adapté dans certaines régions23. On a fait des efforts, mais parfois il manque la finition. Pour parler d'adaptation aux besoins, une anecdote entre mille, d'un répondant qui doit utiliser un triporteur pour se rendre à une ressource gouvernementale : « Faudrait qu'eux s'ajustent à nous, pas l'inverse. Pour l'accessibilité aux lieux, rue Galt à Verdun, il y a une rampe d'accès. OK, ça va. Mais la porte : elle s'ouvre dans le mauvais sens ! » (E 3-14).

La société est un peu à l'image de ce magnifique aménagement d'édifices bien adaptés... jusqu'à la porte d'entrée. Il y a plusieurs raisons à cela, mais dans le domaine des services, on a souvent fait remarquer le fait que les besoins des personnes ne sont souvent pas considérés dans leur totalité et leur intégralité.

Concernant l'adaptation des programmes et des services, une trame de fond se dégage des diverses suggestions faites au cours de ces entrevues. On est revenu régulièrement sur la nécessité première d'élaborer les programmes et de concevoir les services sur la base de l'expertise des personnes concernées, en tenant compte de leurs besoins spéciaux. La prestation des services doit se faire de manière à générer un esprit d'ouverture face à la différence, des exemples d'ignorance et d'intolérance démontrant qu'il y a de gros efforts à faire à cet égard24, et les exemples positifs de ces « perles rares » que l'on retrouve dans les divers services, prouvant que la chose est fort possible.25 Encore aujourd'hui, la réponse aux besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles nécessite une formation adaptée et continue des employés.

Il y a bien sûr des coûts liés à cette exigence d'adaptation. Coûts que l'on devrait calculer en tenant compte de toutes les facettes de la situation, comme le faisait ressortir un répondant du milieu de la déficience intellectuelle qui disait que « si l'on veut parler de sous ou de finances, on pourrait démontrer, chiffres à l'appui, que ça coûte beaucoup plus cher une personne qui vit dans l'isolement, sans lien d'appartenance, avec tous les troubles, la maladie, les consultations d'urgence, etc. qu'une personne en insertion sociale. » (E 5-9).

La reconnaissance du rôle économique des personnes ayant des limitations fonctionnelles ne passe pas uniquement par l'emploi en milieu régulier. Certaines peuvent s'intégrer par le travail adapté; d'autres ne pourront pas obtenir d'emploi. Également, on soulève l'importance de reconnaître le travail, souvent bénévole, qui est accompli par de nombreuses personnes ayant des limitations fonctionnelles au sein de leurs associations.

Même si l'exclusion de la vie économique est commune au sein de la communauté des personnes ayant des limitations fonctionnelles, celle-ci est très hétérogène, il existe des différences en raison, entre autres, des particularités des limitations fonctionnelles, de l'origine ethnique et raciale, de l'âge et du sexe. En ce sens, il n'y a pas qu'une seule solution à envisager, mais plusieurs.

Notons enfin que les meilleures dispositions favorisant l'accès à l'emploi pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles seront d'une véritable utilité, si elles reposent sur une formation qualifiante, transférable et reflétant les conditions réelles d'accueil du marché du travail.

G. Les droits et libertés

Sur le terrain de la défense des droits, les répondants ont le plus souvent mis l'accent sur le respect de la dignité humaine et les droits à l'égalité. C'est ce qui transparaît déjà de l'échantillon de citations qui émaillent ce rapport.   De façon plus pointue, ils ont à l'occasion fait référence à des cas et à des causes débattues à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ).

Parmi ceux-ci, le cas d'une infirmière atteinte de la fibrose kystique qui s'était vue refusée une promotion à cause de sa maladie. La CDPDJ lui a donné raison, notait le répondant qui ajoutait : « Ça a pris deux ans, beaucoup d'énergie. Quelqu'un qui veut se lancer là dedans, je vais lui dire "penses-y bien parce que...." ». (E 2-13). Là comme ailleurs, les longs délais dans ces démarches légales font partie de l'expérience des gens et nuisent à une saine administration de la justice.

Par ailleurs, dans le domaine de la santé mentale et de la déficience intellectuelle, on a brièvement fait état de trois aspects liés aux droits et aux conditions d'exercice des droits, ii s'agit du consentement aux soins et du droit au recours aux médecines alternatives pour les personnes ayant des problèmes de santé mentale. Au plan des conditions d'exercice des droits, on a fait ressortir la nécessité de faire reconnaître dans les faits le besoin d'accompagnement des personnes dans leurs démarches administratives ou de défense de leurs droits.

H. Les contributions du milieu associatif

Les répondants ont eu l'occasion, lors des entrevues, de présenter différents types de contribution du milieu associatif.  À un premier niveau, on a fait mention des différentes formes de dépannage et d'entraide auprès des personnes ayant des limitations fonctionnelles : on prête des équipements, on paye des médicaments, on appuie des personnes dans leurs démarches administratives.

On a mentionné des initiatives communautaires mises en place pour combler différents types de besoins : accompagnement, aide à la lecture, services de peinture (du domicile) pour les personnes aveugles. Dans certaines régions, ces initiatives sont supportées par des fonds publics. Pour faire face à un règlement qui oblige les personnes à assurer les équipements informatiques fournis par le gouvernement, une autre initiative a vu le jour. Il s'agit d'un fond d'assurance collective. Plusieurs projets sont en cours ou se préparent pour répondre aux besoins spéciaux dont ceux de logements adaptés pour les personnes paraplégiques.

On a aussi fait état des activités de sensibilisation sur les limitations fonctionnelles et leurs impacts, menées par des associations auprès du public, des employés du secteur public, des professionnels à l'occasion. C'est un travail qui demande beaucoup d'efforts et de ressources et qu'il faut sans cesse réactiver et répéter. Un répondant mentionnait aussi que ce travail devrait s'effectuer entre les diverses associations, afin de partager les connaissances de base sur l'ensemble des déficiences. Enfin, ce sont les activités de défense des droits et d'implication dans les débats d'orientation des politiques et des programmes qui sont rassorties le plus fréquemment.

Ces formes d'entraide, initiatives communautaires, projets et activités de défense des droits et des intérêts des personnes ayant des limitations fonctionnelles, donnent corps aux énoncés de mission des diverses associations. Compte tenu des faibles ressources des différents milieux, elles ne sont pas sans créer une tension entre le pôle de développement des services et celui de la défense des droits qui ont chacun leurs exigences et leurs contraintes propres.

En parlant de l'ensemble de ces activités, quelques répondants ont lancé un appel à une plus grande concertation des associations et à l'organisation de débats sur des questions d'orientation et sur les enjeux globaux.

6. Analyse et interprétation des résultats

Nous avons recueilli les propos de vingt-trois personnes qui nous ont consacré quelques heures de leur temps.    À partir des questions sur les effets des programmes particuliers, les répondants ont fait valoir les voies qu'ils envisagent pour la résolution problèmes qu'ils rencontrent et leurs approches des changements à effectuer.

La présente recherche ne visait pas à évaluer la qualité d'ensemble des services, mais à identifier les effets à la fois positifs et négatifs de quatre programmes. La réalité n'étant jamais tout à fait simple, plusieurs nuances doivent être faites concernant l'appréciation des services rendus dans le cadre des programmes actuels. On a fait état de la satisfaction de répondants à l'endroit des services de maintien à domicile et des stages de travail, tout en faisant ressortir de graves problèmes dans l'accessibilité et la prestation de ces mêmes services. Ces problèmes ont un impact majeur sur le bien-être physique et psychologique et la qualité de vie.

Les échanges avec les répondants ont montré la nécessité de tenir compte et de, s'attaquer aux effets de l'appauvrissement et de l'exclusion sociale. Ces personnes ont aussi mis un accent très fort sur les lacunes dans l'adaptation des programmes sociaux et des politiques socio-économiques aux besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Au plan des problèmes d'accessibilité des services sociaux et d'adaptation des programmes, les entrevues ont permis de confirmer les hypothèses et valider les préoccupations formulées au début de la recherche. Les interventions sur le programme des aides techniques mettent en relief un problème d'accessibilité, pour leur acquisition et leur conservation, et en font apparaître les conséquences sur l'autonomie des personnes. En ce qui concerne la reconnaissance et la satisfaction des besoins fondamentaux et spéciaux dans le cadre des programmes de soutien du revenu et d'emploi, les entrevues ont démontré l'insuffisance des prestations actuelles pour assurer un minimum décent et permettre une intégration harmonieuse au marché du travail. Ce sont moins les effets particuliers des programmes actuels qui ont retenu l'attention des répondants que les obstacles à l'inclusion des personnes et les difficultés d'adaptation des structures et services qui s'adressent aux personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Les répondants mentionnent que l'origine des problèmes identifiés repose en partie sur les compressions de budget dans des programmes, dont particulièrement celui des aides techniques. Mais dans une perspective plus large ils ont pointé du doigt la conception et l'approche générale des lois et des programmes.

Ils ont aussi soulevé des problématiques importantes qui font partie de leur expérience quotidienne. Ainsi, les pratiques commerciales dans le domaine des aides techniques constituent un problème majeur, tout comme le sort réservé aux personnes vivant avec une déficience intellectuelle dans certains stages et centres de travail. Les solutions sont la responsabilité de l'État, responsabilité qui a été mise en relief dans ces domaines comme dans celui du respect et de l'application des principes d'universalité, d'accessibilité et de gratuité aux services de santé et services sociaux.

Globalement, au plan de l'orientation gouvernementale, on a fait ressortir la nécessité d'accorder une place majeure aux besoins spécifiques des personnes ayant une déficience. Ce qui comporte une exigence de cohérence interministérielle et une accentuation de l'imputabilité des pouvoirs publics.

Les voies de solution et les approches des répondants se fondent sur des perspectives à court et à long termes. Leur présentation et leur formulation, dans le cadre de ces échanges ponctuels, démontrent tout le potentiel des milieux associatifs pour la résolution des problèmes et l'amélioration des politiques et des programmes. Malgré un certain fatalisme, induit par un environnement social qui ne répond pas à leurs besoins et à leurs attentes, ces personnes appellent à des réformes politiques et sociales26.   Elles savent tout autant relever la contribution du médecin compréhensif que poser la question : à qui profitent les abus des tests médicaux et les multiples demandes de certificat médical ?

Elles ont une vision systémique des choses, ne détachant pas, par exemple, les problèmes de santé des conditions de vie et de l'environnement au travail. Si elles entendent combattre la discrimination dont elles sont victimes, malgré les contraintes imposées en particulier en milieu de travail et les difficultés rencontrées dans l'accès aux recours, elles cherchent des façons concrètes de pallier aux insuffisances des systèmes et de transformer des programmes. Si elles confient à l'État une responsabilité dans le partage et la redistribution de la richesse et l'inclusion sociale, elles n'évacuent pas leur propre contribution comme citoyens responsables, engagés dans le développement d'initiatives communautaires.

7. Confirmation des observations et perceptions recueillies par la recherche

Les propos et les réflexions sur les obstacles à l'inclusion de nos 23 témoins privilégiés sont confirmés par un certain nombre d'études et d'analyses publiées au cours des dernières années. Nous en retiendrons quelques-unes pour étayer nos propos sur les enjeux dont nous avons fait état relativement aux compressions des programmes et des services, aux besoins liés à la compensation des déficiences, à la situation dans les CTA et aux conditions générales d'appauvrissement.

A) Un bilan produit par l'OPHQ

En 1984, l'Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) publiait un plan d'action intitulé À part... égale, que le gouvernement du Québec adoptait l'année suivante comme politique globale sur les personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Le chapitre 3 de cet ambitieux programme énonçait les « grandes orientations », dont on disait qu'elles représentaient les « objectifs fondamentaux » de l'ensemble. Ces principes devaient être appliqués à chacun des champs d'activité sociale, à chacun des thèmes particuliers (travail, loisir, éducation, etc.) abordés dans le plan d'action27. On le voit à la relecture de cette politique, il s'agissait d'un vaste plan de réforme systémique qui n'avait laissé de côté aucun des aspects du système dont on disait à l'époque qu'il excluait les personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Il est frappant de voir que les thèmes abordés en 1984 sont encore actuels et identifient des aspects de la problématique de l'intégration des personnes ayant des limitations fonctionnelles qui ne sont pas encore réglés. Presque quinze ans plus tard, à l'occasion de la célébration de son 20e anniversaire, l'OPHQ publiait les résultats d'une analyse de la situation actuelle des personnes ayant une limitation fonctionnelle et des programmes qui les touchent28. Il est assez remarquable de constater que l'OPHQ fait son diagnostic dans des termes très proches de ceux utilisés par les personnes que nous avons rencontrées. En particulier, l'iniquité dans les systèmes de compensation des déficiences, qui avait fait l'objet du chapitre 18 de À part... égale, demeure un problème aussi important aujourd'hui qu'il l'était alors.

L'OPHQ signale les réductions importantes subies par les programmes de « compensation des conséquences financières des limitations fonctionnelles » dans l'évaluation de l'aide matérielle. Pourtant, le 29 juin 1988, le Conseil des ministres avait pris la décision :

« d'accepter le principe de la compensation des conséquences financières des limitations fonctionnelles dans la détermination de l'aide matérielle, en autant que l'Office des personnes handicapées et les ministères et organismes concernés ne défraient que les dépenses essentielles à l'intégration d'une personne handicapée, selon la solution la plus économique et selon des modalités précises, et en conséquence : ne pas tenir compte de la capacité de payer de la personne handicapée ou de sa famille, introduire, dans les programmes d'adaptation de véhicules et de domiciles, des niveaux de décision différents, selon les montants impliqués dans l'aide accordée pour répondre aux besoins essentiels à l'intégration, et continuer l'adaptation de l'automobile personnelle, même dans les territoires où il existe un transport adapté subventionné [...]. »29

Cette décision, toujours en vigueur, n'est plus appliquée.

Dans État de situation multisectoriel30, l'OPHQ fait état de pertes importantes au chapitre des aides techniques, lors du transfert de ce budget à la Régie d'assurance-maladie du Québec (RAMQ). Également, l'OPHQ fait état, pour le maintien à domicile et d'autres services essentiels à l'intégration sociale des personnes ayant des limitations fonctionnelles, de réductions de budgets ou, au mieux, de maintien du budget antérieur ou de faibles augmentations, dans un contexte où le nombre de personnes requérant ces services a considérablement augmenté à cause du « virage ambulatoire » et du vieillissement de la population.

Également, ce qui vient fortement confirmer les témoignages de notre échantillon, ce sont les disparités et iniquités impressionnantes entre les divers programmes qui procurent aux personnes ayant des limitations fonctionnelles l'indemnisation des coûts associés à la compensation des limitations fonctionnelles. Nous référons ici aux écarts entre les prestations suivant la cause de la limitation fonctionnelle : un accident d'automobile donne accès au régime d'indemnisation de la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ), un accident de travail donne ouverture au régime de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST), une situation d'incapacité donne ouverture à une prestation de la Régie des rentes, pour ne prendre que ces exemples.

Le manque d'uniformité de ces programmes publics de protection dans l'évaluation des besoins, dans la couverture, dans les montants accordés, dans les modalités et la durée des paiements, le caractère désincitatif de certains programmes pour le travail, la non reconnaissance des diagnostics pour certaines maladies, toutes ces difficultés ont été analysées dans une étude récente sur les systèmes de compensation.31

B) Une vérité étayée : « On ne donne pas ces services. »

Dans le chapitre sur le programme de maintien à domicile, on a fait état des problèmes d'accessibilité, de compressions de services et de tensions dans certains cas entre les répondants et le personnel des CLSC.

C'est ce même contexte qui a été décrit dans un rapport d'un comité de travail syndical32 faisant le point sur le désengagement de l'État dans les services à domicile, sur l'impact sur les auxiliaires familiales et sociales (a.f.s.) et sur les services à la population. On y note, entre autres, la réduction des services dans plusieurs CLSC au moment du démarrage des entreprises d'économie sociale :

« Les cadres ont exigé et procédé à une réévaluation de tous les dossiers des clients. [...] Les pressions tant sur le client que sur la famille immédiate, à l'effet qu'il soit « autonome », de même que les incitations à lui faire payer des services, deviennent fréquentes. Les travailleurs sociaux et les infirmières doivent documenter à l'extrême leurs demandes et se voient interdire de demander certains services pour leurs clients. Il n'y a même pas de liste d'attente car « on ne donne pas ces services », est-il dit aux citoyens qui téléphonent, sans les recevoir ni évaluer leur situation en profondeur. ». (p. 14)

Voilà ce qui explique bien des mésaventures vécues par nos répondants. Le rapport identifie les conséquences de ce virage organisationnel :

« Avec l'utilisation de « main-d'œuvre externe » (sous-traitance), on assiste à une tendance dans certains CLSC à offrir des services beaucoup plus restreints et donc à faire accomplir des tâches répétitives, à une cadence plus rapide (ex : ne donner que des bains). Ailleurs les auxiliaires familiales et sociales n'ont par exemple qu'une seule heure à accorder alors que les besoins seraient de deux et vivent donc énormément de pression de la part des usagers. » (p.11).

Ce rapport soulève des enjeux de fond. Il confirme les expériences qu'ont vécues et que vivent plusieurs personnes avec des limitations fonctionnelles. Parmi ces expériences récentes, plusieurs ont fait état de l'anxiété et de l'incertitude engendrées par la mise en place du chèque emploi-service. Continuité de service mise à mal, incertitude quant au paiement de frais supplémentaires et, surtout, marge de manœuvre réduite dans la sélection de la personne-ressource qui viendra à la maison fournir des services.

Dans ce rapport on mentionne que des catégories de salariés des CLSC

« voient leurs rôles et fonctions modifiées ou encore doivent participer à divers degrés au désengagement de leur établissement de la prestation de services à la population. (...) C'est la situation dans plusieurs services mais de façon particulièrement exacerbée au Maintien à domicile. Faute de ressources disponibles (par exemple au niveau de l'hébergement), faute d'effectifs suffisants au CLSC (par exemple d'auxiliaire familiale et sociale), faute de temps suffisant pour elles-mêmes donner les services nécessaires, en raison de directives reçues, les professionnelles ont une pratique qui glisse des services aux personnes vers la « gestion de dossiers». (p. 74).

Les compressions budgétaires semblent avoir amplifié des tendances lourdes dans l'administration des programmes gérés par l'État, que Diane Lamoureux, professeure au département de science politique de l'université Laval, résumait ainsi :

«Les vastes programmes sociaux qui ont accompagné le développement de l'État-providence ont entraîné leur lot d'effets pervers : lourdeur des administrations, parcellisation des tâches, développement d'un rapport clientélisme entre l'État et les citoyennes et citoyens devenus des bénéficiaires, déclin de l'autonomie des personnes[...]».33

C) Sur le sort des personnes dans des CTA

Pour reprendre l'expression d'un répondant « un grand ménage s'impose », afin de faire passer les questions humaines avant les considérations d'argent, de profit.

Ce constat est fait depuis longtemps. Pour ce qui est de la supervision des CTA par l'Office des personnes handicapées du Québec, le rapport réalisé par la firme SOM inc, à la demande de l'OPHQ, faisait état d'importantes lacunes à ce niveau.34 On pouvait y lire que :

« Le suivi des CTA est une étape importante dans le fonctionnement du programme. Actuellement, cette étape sert à contrôler la destinée financière du CTA plutôt qu'à s'assurer que l'argent des subventions est bien dépensé et que les participants au programme en retirent les avantages escomptés. » (p. 32)

« Finalement, l'Office ne s'intéresse pas suffisamment au sort des personnes ayant des limitations fonctionnelles qui sont congédiées par les CTA. Selon nos observations, les CTA peuvent congédier des personnes participant au programme sans que l'Office ne s'intéresse à la raison du congédiement et aux tentatives d'intégration qui ont été faites par le CTA avant le congédiement. Plusieurs personnes quittent le programme parce qu'elles ont de la difficulté à s'intégrer à l'emploi. Cependant, il n'existe pas de mécanisme permettant d'identifier les raisons de l'échec ni de tentatives de mettre sur pied un cheminement particulier pour que ces personnes soient réintégrées. Si nous comparons le suivi des entreprises CTA au suivi des personnes ayant des limitations fonctionnelles, ce dernier nous apparaît bien insuffisant. Ceci s'explique par le fait que le programme CTA est beaucoup trop orienté sur les entreprises et pas assez sur les personnes handicapées. » (p. 35).

Quel que soit le ministère qui aura désormais la responsabilité légale de ce programme, cette situation devrait faire l'objet d'interventions qui vont au fond des choses.

D) Les effets des compressions constatés par un Comité de l'ONU

Lorsque les répondants insistent sur l'état de pauvreté des personnes ayant des limitations fonctionnelles, il renvoie à une réalité qui n'est, hélas, que trop bien documentée. S'il faut déplorer que Statistiques Canada n'ait pas fait d'étude sur le groupe des personnes ayant des limitations fonctionnelles depuis l'enquête ESLA de 1991, il faut se rendre compte que la plupart des experts s'entendent pour dire que la situation ne s'est pas améliorée depuis lors et qu'elle s'est probablement dégradée. La pauvreté et l'appauvrissement sont confirmés par l'OPHQ dans le bilan qu'elle traçait en 1999 et la Commission canadienne des droits de la personne déplorait dans son rapport annuel de 1998 que :

« Depuis des années, le chômage et la pauvreté sévissent d'une façon inacceptable parmi les personnes ayant une déficience. »

Cette Commission avait remarqué dans son rapport que dans les entreprises privées de juridiction fédérale (banques, télécommunications, transport) la proportion des employés ayant des limitations fonctionnelles était passée de 2,7 % en 1996 à 2,3 % à la fin de 1997. Les groupes désavantagés ont souffert plus que les autres du ralentissement économique du début des années 90, des mises à pied et des rationalisations, expliquait la présidente de la Commission.

Cette même année 98, un organisme des Nations Unies appelé Comité des droits économiques, sociaux et culturels, composé de dix-huit experts, rencontrait des représentants des gouvernements canadien et québécois. Le Comité se penchait sur le rapport quinquennal que le Canada leur présentait sur le respect du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Soulignons que le Canada a adhéré à ce Pacte qui est entré en vigueur en 1976. Le Québec a adopté en avril de la même année le décret 1438-76 pour marquer son adhésion.

En adhérant à ce Pacte les gouvernements acceptent de rendre compte de son application de façon périodique. Ils s'engagent à adopter des moyens appropriés, en particulier des mesures législatives, pour assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le Pacte. Parmi ceux-ci, il y a le droit au travail et le droit de jouir de conditions de travail justes et raisonnables, le droit à un niveau de vie suffisant pour soi-même et sa famille, le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale que l'on est capable d'atteindre et le droit à l'éducation. Compte tenu de cet énoncé de droits, il n'est pas surprenant que le Comité étudie et évalue l'état des conditions socio-économiques prévalant dans le pays et le développement des politiques et des programmes sociaux. Les organisations non gouvernementales se sont fait un devoir d'apporter au Comité un point de vue autre que celui des gouvernements, ceux-ci étant le plus souvent portés à défendre leur système, leurs pratiques et leur législation.

Quoiqu'on puisse regretter que les groupes de personnes ayant des limitations fonctionnelles n'aient pas été associées à ce processus, on doit se réjouir du fait que le Comité a pu ainsi se saisir de la situation réelle de la pauvreté au Canada.35

C'est ainsi qu'on peut lire les observations suivantes se rapportant aux répercussions sur les personnes ayant une limitation fonctionnelle des compressions et autres rationalisations effectuées dans les dernières années par le gouvernement fédéral et certains gouvernements provinciaux :

« Le Comité constate avec inquiétude que l'abolition du Régime d'assistance publique du Canada et des compressions touchant les prestations d'aide sociale ainsi que les services et les programmes sociaux ont eu une incidence particulièrement grave sur les femmes, notamment les femmes célibataires, qui comptent pour la majorité des personnes défavorisées, des adultes prestataires de l'aide sociale et des bénéficiaires de programmes sociaux. (Para. 23)

Le Comité est également préoccupé par les compressions considérables touchant les services offerts aux personnes ayant des limitations fonctionnelles, tels que les soins à domicile, les soins auxiliaires et les systèmes de transport adaptés aux besoins spéciaux, de même que par le resserrement des règles d'admissibilité pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles. Les programmes destinés aux anciens patients d'établissements psychiatriques semblent être tout à fait inadéquats. Bien que le gouvernement n'ait fourni aucun renseignement au Comité en ce qui a trait au nombre de sans-abri chez les anciens patients d'établissements psychiatriques, le Comité a appris que beaucoup de ces personnes finissent dans la rue, tandis que d'autres vivent dans des logements inadéquats et ne bénéficient pas de services de soutien suffisants. (Para. 36)

Le Comité est préoccupé par le fait que l'État partie n'ait pas tenu compte des principales préoccupations et recommandations émises par le Comité en 1993 lors de l'adoption de politiques à l'échelle fédérale, provinciale et territoriale qui ont eu pour effet d'accroître la pauvreté et le nombre de sans-abri parmi les membres des groupes vulnérables, et ce, en une période d'intense croissance économique et de grande aisance. (Paragr. 39)

Le Comité recommande que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux s'attaquent sans tarder aux problèmes nationaux des sans-abri et du logement inadéquat en rétablissant ou en renforçant, selon le cas, les programmes de logement social pour les personnes nécessiteuses, en améliorant et en appliquant de façon appropriée les lois antidiscriminatoires en matière de logement, en rétablissant les allocations-logement et les prestations d'aide sociale à des niveaux réalistes, en offrant des services de soutien suffisants aux personnes ayant des limitations fonctionnelles, en renforçant l'observation du droit des locataires au maintien dans les lieux et en protégeant davantage le parc de logements locatifs abordables contre la conversion à d'autres fins. Le Comité exhorte l'État partie à adopter une stratégie nationale visant à réduire la pauvreté et le nombre de sans-abri. (Para. 44)

Le Comité recommande au gouvernement du Canada de prendre des mesures bien précises positives pour faire en sorte que les personnes ayant des limitations fonctionnelles puissent jouir de droits économiques et sociaux, conformément à l'observation générale n° 5 du Comité. (Paragr. 46)

Le Comité enjoint également les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux d'étendre la protection prévue dans les lois relatives aux droits de la personne pour y inclure les droits sociaux et économiques, et de protéger les personnes défavorisées dans tous les secteurs de compétence contre la discrimination fondée sur le statut social ou économique.

En outre, les mécanismes d'exécution prévus dans les lois relatives aux droits de la personne doivent être renforcés afin d'assurer que tous les cas de revendication en matière de droits de la personne qui ne sont pas réglés par l'entremise de la médiation soient rapidement jugés devant un tribunal des droits de la personne compétent, et que des dispositions soient prises pour offrir une aide juridique aux groupes vulnérables. (Para. 49)

Le Comité, comme dans son examen antérieur du rapport du Canada, rappelle que les droits économiques et sociaux ne devraient pas être réduits à des « principes et objectifs » dans les pourparlers permanents entre le gouvernement fédéral et les provinces et territoires concernant les programmes sociaux. Le Comité exhorte donc le gouvernement fédéral à prendre des mesures concrètes pour veiller à ce que les provinces et territoires soient informés de leurs obligations juridiques en vertu du Pacte et à ce qu'ils rendent exécutoires les droits établis dans le Pacte par l'entremise de lois ou de mesures stratégiques et par la mise en place de mécanismes de contrôle et d'arbitrage indépendants et adéquats. (Para. 50). »36

Pour reprendre l'expression utilisée par une coalition d'organismes, dont la COPHAN, qui ont fait connaître le contenu de ce rapport, ce dernier « ramène le débat sur l'avenir des programmes sociaux à l'essentiel, soit le respect ou non des droits humains reconnus dans le Pacte (...) par le Québec et le Canada. »37

Partie 2

La recherche juridique

1. Introduction

Les personnes ayant des limitations fonctionnelles doivent bénéficier de leurs droits économiques, sociaux et culturels, soulignait le Comité de l'ONU, droits qui leur sont reconnus comme à tous les autres citoyens. Cette reconnaissance ne se limite pas à cette seule catégorie de droits. Au plan juridique, on a convenu depuis un bon moment que ces personnes sont confrontées à des obstacles qui conduisent à leur exclusion sociale, souvent à leur marginalisation, qui en font des victimes de différentes formes de discrimination et de ségrégation. Un bref survol historique nous permettra d'exposer ici quelques aspects de cette reconnaissance des droits aux niveaux québécois, canadien et international et d'en montrer la progression.

Nous constaterons alors que, pour que ces droits soient reconnus et appliqués, nous devons tenir compte des caractéristiques de l'exclusion dont les personnes ayant des limitations fonctionnelles sont victimes et des avancées juridiques du droit à l'égalité. C'est pourquoi les notions et concepts de discrimination, qui ont été développés au cours des dernières années, feront l'objet d'une présentation. Nous nous attarderons sur le principe de l'accommodement qui constitue une condition sine qua non à l'exercice de l'ensemble des droits fondamentaux, une condition essentielle d'accès à la citoyenneté.

Notre recherche-terrain et plusieurs études démontrent qu'il faut agir à différents niveaux, qu'il faut appliquer plusieurs remèdes pour éliminer les différents obstacles qui se dressent sur le chemin de l'égalité. Nos pistes de solution qui s'adressent au gouvernement iront dans le sens de mesures politiques, économiques et législatives. Dans ce dernier cas, parce qu'il faut prendre acte qu'un renforcement des lois en matière des droits de la personne, fournissant plus de recours et moyens, est une voie qu'il faut continuer d'emprunter.

2. La reconnaissance des droits : bref rappel historique38

A. Un survol

Jusqu'au XXe siècle, en Occident, l'histoire des personnes ayant une limitation fonctionnelle est une histoire d'exclusion. Celles d'entre elles qui survivaient après la naissance étaient souvent l'objet de crainte ou de méfiance et représentaient, dans des communautés souvent superstitieuses, l'incarnation du mal. Cela se reflétait dans le vocabulaire, les expressions choisies pour désigner les personnes ayant une limitation fonctionnelle étant la plupart du temps des expressions très péjoratives, qui ont eu cours jusqu'à très récemment, que l'on retrouve même, pour certaines d'entre elles, dans les textes juridiques :

« Les expressions méprisantes et émotives, comme « cinglé », « débile mental », « aliéné », « fou à lier », « sénile », ou les expressions dépassées, comme « dément », « lunatique », « arriéré mental », « éclopé », « estropié », « boiteux », sont a éviter. Même chose pour les termes suscitant la gêne, comme « invalide », « infirme », « mongol », « idiot » ou « déficient mental », les mots entretenant la peur , comme « fou » ou « névrosé », ou amenant la pitié, comme « faible d'esprit ».39

Le xxe siècle, surtout dans le contexte d'une urbanisation croissante, a vu croître le phénomène des institutions parfois gigantesques où les personnes ayant des limitations fonctionnelles étaient enfermées, souvent dès la naissance. Souvent spécialisées (pour les « sourds et muets », pour les « aveugles », pour les « aliénés », etc.), ces institutions, généralement mises sur pied et dirigées par des communautés religieuses féminines, procuraient peu ou pas de possibilités aux personnes qui y étaient enfermées, de recevoir des services éducatifs.

Les mouvements de contestation de cet état de choses ont commencé dans les périodes qui ont suivi les deux grandes guerres : on s'est alors retrouvé avec un nombre considérable d'adultes qui, à cause de blessures survenues au cours de ces conflits, présentent une incapacité permanente qu'ils n'avaient pas auparavant. Les associations d'anciens combattants ont alors milité pour faire reconnaître les besoins résultant de ces séquelles permanentes de la guerre. Dans un premier temps, cela touchait surtout les incapacités sensorielles (cécité, surdité) et motrices (paraplégie).

Parallèlement à cela, la montée des mouvements d'affirmation des Noirs aux États-Unis a fait prendre conscience du caractère discriminatoire de la ségrégation dont ceux-ci étaient victimes. Le fameux arrêt Brown c. Board of Education40 de la Cour suprême américaine a reconnu que le fait d'exclure les enfants noirs des écoles publiques et de les forcer à recevoir l'éducation dans des écoles ségréguées était discriminatoire. La Cour suprême désavouait ainsi la position qu'elle avait elle-même adoptée un demi-siècle plus tôt, alors qu'elle avait conclu qu'il était tout à fait légitime d'obliger les Noirs à voyager dans des wagons de chemin de fer ségrégués, en mettant de l'avant la doctrine « separate, but equal »41. Le jugement ordonnant la déségrégation des enfants noirs et leur intégration aux écoles publiques « de tout le monde », le développement et l'engagement croissant des associations de personnes ayant des limitations fonctionnelles et de parents d'enfants ayant des limitations fonctionnelles, le mouvement de « normalisation » initié dans les pays Scandinaves et repris par Wolfensberger42, ont contribué à une profonde remise en question de la ségrégation imposée au tout début de l'enfance aux personnes ayant des limitations fonctionnelles et qui se poursuivait à l'âge adulte.

Au cours des 30 dernières années du xxe siècle, la reconnaissance des droits des personnes ayant des limitations fonctionnelles a progressé de façon impressionnante. En fait, depuis la fin des années 70, et surtout depuis l'Année internationale des personnes handicapées en 1981, la prise de conscience des obstacles rencontrés dans l'ensemble des activités humaines par les personnes ayant des limitations fonctionnelles et l'engagement des organismes de promotion n'ont cessé de progresser.

B. La reconnaissance des droits au Québec

En 1965, la Commission d'enquête Parent sur la situation de l'enseignement au Québec affirme dans son rapport le droit de tout enfant, y compris les enfants ayant une limitation fonctionnelle, à « un système d'éducation qui favorise son épanouissement ».43

En 1971, le Rapport de la Commission d'enquête sur la santé et le bien-être social (Castonguay-Nepveu) est à l'origine de la mise sur pied d'un ambitieux réseau d'organismes publics de services de santé et de services sociaux. Pour la première fois, on faisait état des conditions de vie déplorables des « personnes handicapées » et on identifiait certaines causes de la situation marginale de ces personnes. Parmi ces causes44, il y a le fait que les personnes ayant une limitation fonctionnelle ne sont pas reconnues comme des citoyens à part entière; elles ont un niveau de vie très bas; elles n'ont pas accès au marché du travail ni aux ressources spécialisées en dehors de Montréal et de Québec; elles bénéficient de services mis sur pied sans planification ni coordination et n'ont pas un accès égal aux services de réadaptation.

En 1976, suite du travail d'un comité conjoint ministère-commissions scolaires-enseignants, le Rapport du Comité provincial de l'enfance inadaptée (COPEX)45 recommande de reconnaître la classe ordinaire comme la situation « normale » pour l'ensemble des élèves, y compris les élèves ayant une limitation fonctionnelle (« en difficulté d'adaptation et d'apprentissage ») : le principe de la « cascade », mésinterprété par la plupart des milieux scolaires par la suite, commandait qu'un élève placé en dehors de la classe ordinaire revienne à la classe ordinaire le plus tôt possible. On tentait ainsi de remédier à la ségrégation des élèves ayant une limitation fonctionnelle qui s'était généralisée, suite à la recommandation du Rapport Parent de scolariser tous les élèves.

En 1978, c'est l'adoption de la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées46, la mise sur pied de l'Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) et l'amendement de la Charte des droits et libertés de la personne47 pour inclure comme motif de discrimination le fait d'être une personne handicapée ou l'utilisation d'un moyen pour pallier un handicap, expression qui fit l'objet d'un amendement en 1982 pour substituer à l'expression « le fait d'être une personne handicapée » celle de handicap.

En 1979, publication de L'école québécoise: énoncé de politique et plan d'action48 (« Livre orange »). Le chapitre 5, consacré à « l'enfance en difficulté d'adaptation et d'apprentissage », proposait une politique d'adaptation scolaire qui permette de procurer à « l'élève en difficulté » une « éducation de qualité », « c'est-à-dire enrichie de mesures diverses pour pallier les difficultés ou les handicaps qui peuvent entraver l'épanouissement d'un enfant et son éducation optimale ».

En 1981, la Conférence socio-économique sur l'intégration de la personne handicapée mène une vaste consultation des principaux acteurs sociaux et économiques du Québec sur la base d'un état de situation49. Tenue les 7, 8 et 9 décembre 1981, la conférence a débouché sur un ensemble de recommandations et d'engagements50 et a servi de base pour l'élaboration de la politique d'ensemble de 1984.

En 1984, c'est la publication par l'OPHQ du rapport À part... égale - L'intégration sociale des personnes handicapées, un défi pour tous, basé sur les données recueillies lors du Sommet socio-économique. Le rapport fut adopté l'année suivante par le gouvernement comme sa politique concernant les personnes ayant des limitations fonctionnelles.

En 1988, le ministère de la Santé et des Services sociaux publie sa politique intitulée L'intégration des personnes présentant une déficience intellectuelle - Un impératif humain et social.51 Elle comprend des orientations et un guide d'action couvrant l'ensemble des situations touchant les personnes ayant une déficience intellectuelle : famille, garderie, école, travail, services.

En 1989, c'est d'adoption d'une politique de santé mentale. L'essentiel des nouvelles orientations proposées par cette politique consiste à assurer la primauté de la personne et le respect de ses droits, à accroître la qualité des services, à favoriser l'équité, à rechercher des solutions dans le milieu de vie et à consolider le partenariat.

C. La reconnaissance des droits au Canada

En 1976, la Loi canadienne des droits de la personne est adoptée. L'article trois interdit la discrimination fondée sur « la déficience » dans les domaines de juridiction fédérale.

En 1981, un groupe de travail parlementaire publie le rapport Obstacles52, qui constituait un état de situation des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

En 1982, le gouvernement du Canada adopte la Charte canadienne des droits et libertés. Dans une énumération non restrictive de motifs de discrimination, l'article 15 reconnaît le droit de ne pas subir de la discrimination en raison de « déficiences physiques ou mentales ».

En 1996, un autre comité parlementaire, présidé par le député Andrew Scott, suggère, entre autres, l'adoption d'une loi canadienne sur les personnes handicapées.

En 1998, dans le cadre du projet d'« Union sociale », le gouvernement canadien publie À l'unisson : une approche canadienne concernant les personnes handicapées.

La même année, la Loi canadienne sur les droits de la personne est aussi amendée pour inclure l'obligation pour les employeurs et les fournisseurs de services de prendre des mesures d'adaptation aux besoins spéciaux, y compris ceux des personnes ayant une limitation fonctionnelle, sauf si cela impose une contrainte excessive.

En 2000, un comité de travail, présidé par l'ex-juge La Forest, est chargé de réviser la Loi canadienne sur les droits de la personne. Son rapport, intitulé La promotion de l'égalité : une nouvelle vision, est publié le 23 juin. Il recommande, entre autres, un renforcement général de la loi et du processus de plaintes et l'ajout de dispositions plus explicites sur l'élimination de toute forme de discrimination, dont la discrimination systémique.

D. La reconnaissance des droits au plan international

Si un organe international comme le Comité des droits économiques, sociaux et culturels   de   l'ONU   peut   soulever   publiquement   les   répercussions   des compressions et rationalisations effectuées par les gouvernements au Canada sur les personnes ayant des limitations fonctionnelles, cela tient au fait que ces derniers ont adhéré au Pacte relatif à ces droits. Ce ne sont pas les seuls droits reconnus à l'échelle internationale. En effet, tout une structure de droits et d'organismes d'application et de suivi a été mise en place depuis le milieu des années 40.

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les États vainqueurs qui formèrent le premier noyau de l'Organisation des Nations Unies ont décidé de reconnaître de façon formelle des droits fondamentaux à chaque être humain. C'est sans doute en réagissant à l'horreur éprouvée devant l'élimination planifiée et systématique de personnes appartenant à des groupes qui, en Allemagne nazie, n'avaient aucun droit, les Juifs, les homosexuels et les personnes ayant des limitations fonctionnelles, que l'on a décidé qu'il fallait non seulement reconnaître des droits, mais également affirmer que ces droits seraient reconnus à toute personne sans discrimination.

C'est ainsi que, le 10 décembre 1948, l'Assemblée générale (formée alors de 56 membres - il y en a aujourd'hui plus de 185) adoptait la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui formait le premier élément de la Charte des Nations Unies.

Les deux autres éléments devaient consister en une convention qui donnerait à cette déclaration la force d'un traité liant les États signataires, obligerait ainsi ceux-ci à assurer la reconnaissance et le respect de ces droits dans leur système juridique interne, ainsi qu'un protocole définissant des mesures de contrôle et une agence pour exercer ce contrôle.

La Déclaration avait ceci d'original qu'elle reconnaissait à la fois des droits qu'on qualifie de civils et politiques53, et des droits d'un type nouveau, les droits économiques, sociaux et culturels.

Les États membres ne réussirent pas à faire consensus sur une convention unique. C'est donc dans deux pactes différents que s'est incarnée la Déclaration universelle, le Pacte relatif aux droits civils et politiques, d'une part, assorti d'un Protocole facultatif définissant un processus de plainte au Comité des droits de l'homme et le Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, d'autre part, pour lequel on ne réussit pas à définir un processus de contrôle analogue.

À plusieurs reprises, la communauté internationale, réunie dans l'Organisation des Nations Unies, a insisté sur le fait que des droits reconnus dans la Déclaration universelle étaient indissociables et interdépendants. C'est ainsi qu'à la suite de la Conférence internationale des droits de l'homme tenue à Téhéran en 1968, les États membres de l'ONU affirmaient :

Les droits de l'homme et les libertés fondamentales étant indivisibles, la jouissance complète des droits civils et politiques est impossible sans celle des droits économiques, sociaux et culturels. Les progrès durables dans la voie de l'application des droits de l'homme supposent une politique nationale et internationale rationnelle et efficace de développement économique et social.54

Les personnes ayant des limitations fonctionnelles doivent donc bénéficier de l'ensemble des droits et protections contenus dans ces deux Pactes internationaux. Et cela d'autant plus que la communauté internationale a signifié l'attention particulière qu'elle leur portait, en adoptant diverses déclarations et instruments. Depuis le début des années 70, la reconnaissance des droits des personnes ayant une limitation fonctionnelle a progressé de façon impressionnante et méconnue. Cela est manifeste quand on prend connaissance des deux premières étapes, la Déclaration des droits du déficient mental55 de 1971 et la Déclaration des droits des personnes handicapées de 197556 et qu'on compare la terminologie qu'on y emploie à celle des écrits entourant l'Année internationale des personnes handicapées en 1981.

Il y a eu une évolution même au niveau du ton. Le ton paternaliste, apitoyé et larmoyant des deux premiers instruments a laissé place à un ton plus politique et plus critique insistant pour faire reconnaître aux personnes ayant des limitations fonctionnelles une participation entière à la vie de leur communauté et obliger les sociétés auxquelles elles appartiennent à leur procurer les moyens qui assureront cette participation dans la dignité. Soulignons à cet égard le Programme d'action mondial concernant les personnes handicapées57(1981), les Règles concernant l'égalisation des chances des personnes handicapées58 et l'Observation générale 5 du Conseil des droits économiques, sociaux et culturels (1994).59

Il faut faire remarquer que dans toutes les démarches, les personnes présentant des limitations sont « à part ».   C'est ainsi qu'au niveau international, dans le cas des femmes et des groupes victimes de racisme, on a défini des instruments de lutte contre la discrimination accompagnés de conventions, c'est-à-dire d'instruments qui entraînent un engagement créant des obligations aux États; c'est le cas de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965) et de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Par contre, lorsqu'il s'agit des personnes ayant des limitations fonctionnelles, on a des déclarations, des programmes d'action ou des règles non contraignants. L'Assemblée générale des Nations Unies ne fait qu'exhorter les États membres à s'y conformer. Ce qui est actuellement beaucoup moins exigeant.

Le droit à l'égalité    

3. Les caractéristiques de l'exclusion

La Cour suprême du Canada a formellement reconnu  récemment dans un important   jugement,   que   l'histoire   des   personnes   ayant   des   limitations fonctionnelles a été marquée surtout par l'exclusion et la marginalisation.    Voici comment elle l'exprimait, par l'intermédiaire du juge La Forest :

« II est malheureusement vrai que l'histoire des personnes ayant des limitations fonctionnelles au Canada a été largement marquée par l'exclusion et la marginalisation. Trop souvent, elles ont été exclues de la population active, elles se sont vues refuser l'accès aux possibilités d'interaction et d'épanouissement sociales et elles ont été exposées à des stéréotypes injustes en plus d'être reléguées dans des établissements; (voir, de façon générale, M. David Lepofsky, « A Report Card on the Charter's Guarantee of Equality to Persons with Disabilities after 10 Years - What Progress? What Prospects? » (1997), 7 N.J.C.L. 263). Ce désavantage historique a, dans une large mesure, été créé et perpétué par l'idée que la déficience est une anomalie ou un défaut. En conséquence, les personnes ayant des limitations fonctionnelles n'ont généralement pas obtenu [traduction] « l'égalité de respect, de déférence et de considération » que commande le paragraphe 15(1) de la Charte. Au lieu de cela, elles ont fait l'objet d'attitudes paternalistes inspirées par la pitié et la charité, et leur intégration à l'ensemble de la société a été assujettie à leur émulation des normes applicables aux personnes physiquement aptes; (voir Sandra A. Goundry et Yvonne Peters, Litigating for Disability Equaiity Rights:   The Promises and the Pitfalls (1994), aux pp. 5 et 6). Une conséquence de ces attitudes est le désavantage social et économique persistant dont souffrent les personnes ayant des limitations fonctionnelles. Les statistiques indiquent que ces personnes, si on les compare aux personnes physiquement aptes, sont moins instruites, sont davantage susceptibles de ne pas faire partie de la population active, ont un taux de chômage beaucoup plus élevé et se retrouvent en nombre disproportionné dans les rangs des salariés les moins bien rémunérés ».60

L'important article de Lepofsky, sur lequel s'appuie la Cour, mérite qu'on s'y attarde. L'auteur y fait le bilan des dix dernières années d'utilisation de la Charte constitutionnelle devant les tribunaux. Le bilan est pessimiste, même s'il fait état de percées notables. Il confirme en tous cas que, malgré des progrès sur le plan de la reconnaissance des droits des personnes ayant des limitations fonctionnelles, ces personnes sont encore à la marge. Tentant d'expliquer cet état de choses, Lepofsky fait ressortir quatre caractéristiques de l'exclusion à laquelle font face les personnes ayant des limitations fonctionnelles.

La première, très positive mais méconnue des personnes n'ayant pas de limitation fonctionnelle, c'est qu'à son avis, les personnes ayant des limitations fonctionnelles font preuve en général d'une débrouillardise et d'une créativité remarquables pour s'adapter aux contraintes que leur imposent leurs limitations fonctionnelles. Lepofsky affirme que les personnes ayant des limitations fonctionnelles présentent une très grande diversité de talents, de capacités, d'habiletés et d'intérêts, tout comme les personnes qui ne présentent aucune limitation fonctionnelle. Avec leurs ressources et le support de leur famille et de leur entourage, elles font souvent preuve d'une capacité d'adaptation hors du commun. Cette capacité et cette créativité ont été décuplées souvent dans les dernières décennies par des développements technologiques.

La deuxième caractéristique, c'est que, malgré cette débrouillardise et cette créativité, les personnes ayant des limitations fonctionnelles constituent une minorité particulièrement désavantagée au Canada, à la fois à cause de son faible taux d'activité et de la très grande pauvreté qui lui est imposée par la nécessité de vivre de l'assistance sociale.

La troisième caractéristique identifiée par Lepofsky, c'est le fait que les personnes ayant des limitations fonctionnelles sont confrontées quotidiennement à une quantité de stéréotypes négatifs, péjoratifs et faux qui habitent les perceptions que les autres membres de la société ont d'elles; à commencer par la perception erronée du public à l'effet qu'elles constituent une toute petite minorité, absolument marginale, de la population et qu'elles n'ont en général aucune capacité leur permettant d'accéder à quelque rôle social ou à quelque autonomie que ce soit. Ces stéréotypes et cette difficulté de voir les capacités des personnes ayant des limitations fonctionnelles ont des effets très nocifs. En particulier, ils permettent à ceux et celles qui exercent le pouvoir dans la société, soit dans l'entreprise soit au gouvernement, de croire que les coûts des accommodements qui procureraient à ces personnes un véritable accès à l'éducation, au logement, au travail, aux services et aux lieux publics sont nécessairement prohibitifs et inabordables.

Cela résulte à la fois d'une grave sous-estimation des capacités des personnes ayant des limitations fonctionnelles et d'une grave sous-estimation des coûts considérables que la société doit assumer pour les maintenir dans un état de dépendance et de pauvreté; par exemple, il est sûrement moins coûteux d'adapter un poste de travail que de maintenir une personne à l'assistance sociale toute sa vie.

Lepofsky fait remarquer que ces perceptions stéréotypées persistent en même temps que persiste l'illusion malsaine qu'il s'est fait un progrès considérable dans l'adaptation de la société aux besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

La quatrième caractéristique, c'est qu'en fait ces attitudes péjoratives, condescendantes et paternalistes traditionnelles se traduisent dans la réalité par l'exclusion et la discrimination généralisées.

À ces quatre caractéristiques proposée par Lepofsky, nous voudrions en ajouter une cinquième, celle qui consiste à médicaliser indûment la situation des personnes ayant une limitation fonctionnelle. Cela se manifeste de toutes sortes de façons.61 Cette médicalisation de la condition des personnes ayant des limitations fonctionnelles et ce souhait plus ou moins conscient et avoué de les voir « guérir » est lié à ce que, dans l'arrêt Eldridge, la Cour suprême appelle l'assujettissement de leur intégration à l'ensemble de la société « à leur émulation des normes applicables aux personnes physiquement aptes ».

On pourrait, enfin, ajouter une sixième caractéristique, liée à la difficulté qu'on a à voir la déficience ou le handicap comme un motif de discrimination comme les autres et donc d'identifier comme discriminatoires des situations d'exclusion fondée sur la déficience ou les limitations fonctionnelles. Pour bien comprendre que le non respect du droit à l'égalité conduit à la ségrégation, à la discrimination, il est utile de revenir à certains concepts de base.   Un de ces concepts développé en sciences sociales et repris par des juristes, est le « paradoxe de la différence ».

4. Le « paradoxe de la différence »

À l'insu de la plupart des gens, la société est organisée en fonction des besoins et des caractéristiques du groupe qui a le pouvoir de définir les règles. Au Québec, on pourrait dire sans risquer de se tromper, que la norme implicite est établie en fonction des besoins des hommes « blancs », hétérosexuels, d'origine européenne (sinon française), de religion chrétienne, francophones, de condition sociale favorisée (alphabétisés et scolarisés, exerçant une profession ou une activité générant un revenu bien au-delà du revenu minimum) et, surtout, « valides » (sans déficience et sans limitation fonctionnelle).

Ces considérations aident à comprendre le fait que, dans les lois anti-discriminatoires, on ait identifié des motifs de discrimination. Ces motifs sont « choisis », au fond, à partir des principales composantes de cette norme implicite : le sexe, la couleur de la peau, l'origine ethnique, etc., qui sont autant d'occasions d'être « hors normes ».

La conséquence de cela est que les personnes qui ne répondent pas à la norme implicite risquent tôt ou tard d'être victimes d'exclusions ou de distinctions qui porteront atteinte à leurs droits et en rendront l'exercice plus difficile, à moins que l'on se donne la peine de relativiser cette norme ou d'adapter l'organisation sociale pour neutraliser cet effet d'exclusion.

Si l'on pense aux personnes ayant une limitation fonctionnelle, elles présentent d'abord une situation sur le plan physique ou psychologique qui est « hors norme », qui ne répond à la norme médicale. Cet écart par rapport à la norme aura des conséquences sur leurs capacités, à moins que l'on consente à leur fournir les aides techniques et l'accommodement nécessaire.

Cela nous amène à évoquer ce que certains auteurs ont nommé le « paradoxe de la différence »62 : pour éviter la stigmatisation, lorsqu'on présente un écart par rapport à la norme, on doit à la fois revendiquer un traitement « normal » ou « semblable » et un traitement « différent ». Une personne ayant une limitation fonctionnelle demande à la fois qu'on lui donne accès au cadre et aux services que l'on procure à tous les autres et qu'on adapte ce cadre pour qu'il lui soit accessible et lui permette une pleine participation. Pour résoudre le « paradoxe de la différence », il faut donc toujours garder à l'esprit que pour traiter également, il faut parfois traiter différemment. C'est de cette façon que l'on fera reculer les différentes formes de discrimination que nous allons présenter.

5. La discrimination

La définition de la discrimination à laquelle on revient toujours en droit canadien et québécois vient de l'arrêt Andrews, reprise dans tous les jugements depuis :

«[...] la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement. »63

Le jugement Andrews a le mérite également de souligner la nécessité parfois de traiter les personnes différemment, sans que cela constitue pour autant de la discrimination :

« II faut cependant reconnaître dès le départ que toute différence de traitement entre des individus dans la loi ne produira pas forcément une inégalité et, aussi, qu'un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités.»64

La jurisprudence a reconnu ainsi diverses manifestations de la discrimination, qui sont utiles mais qu'il ne faut pas voir comme des catégories étanches. Il y a la discrimination directe dans le cas d'une distinction intentionnelle, fondée expressément sur une caractéristique de la personne. Par exemple, refuser d'embaucher un personne de couleur qualifiée pour un poste de représentant, en prétendant que cela indisposerait la clientèle ou refuser de louer un appartement à une personne aveugle, sous prétexte qu'elle doit utiliser un chien-guide et que cela dérangerait les voisins.

On parlera de discrimination indirecte lorsque la discrimination est l'effet de règles (politiques, procédures, normes) en apparence neutres et qui s'appliquent à tout le monde, mais qui ont pour effet d'exclure certains groupes de personnes. On connaît l'exemple classique des exigences de taille et de poids qui peuvent exclure une large proportion de femmes et de membres de certaines minorités ; de même une exigence d'expérience canadienne ou québécoise dans un emploi donné défavorise nettement les personnes d'origine étrangère récemment établies ici. Si de telles exigences ne sont pas, rationnellement reliées à l'exercice des tâches de l'emploi, elles doivent être abolies.

On parlera enfin de discrimination systémique pour mettre en relief le fait que la discrimination est le résultat d'un système, d'une façon d'organiser la société et que pour y remédier, il faut modifier certains aspects du système ou d'un sous-système social, apporter un remède systémique.

« La discrimination systémique est une situation d'inégalité cumulative et dynamique résultant de l'interaction de pratiques, de décisions ou de comportements, individuels ou institutionnels, ayant des effets préjudiciables, voulus ou non, sur les membres de groupes visés par l'article 10 de la Charte. »65

Cette définition a été reprise par le Tribunal des droits de la personne du Québec dans un jugement touchant à l'intégration scolaire d'un élève présentant une déficience intellectuelle, après avoir fait les remarques suivantes :

«[...] La discrimination peut aussi résulter d'un ensemble de facteurs complexes et de pratiques institutionnalisées qui interagissent de manière à produire un effet global d'exclusion sur les membres de groupes protégés.

Les effets directs et indirects s'insèrent alors plus largement dans un réseau d'interrelations et de pratiques au sein du (des) système(s) concerné(s), voire entre différents systèmes; les pratiques de discrimination directe et indirecte s'y conjuguent en quelque sorte les unes aux autres, produisant alors des effets cumulatifs.

Reconnue par la Cour suprême du Canada66, la discrimination dont il s'agit alors est dite « systémique » en ce sens qu'elle renvoie à une situation cumulative et dynamique d'interdépendance entre différentes variables, et où certains comportements et pratiques jouent un rôle clé dans le processus de discrimination exercé envers les membres d'un groupe protégé. »67

La seule décision de la Cour suprême sur la dimension systémique de la discrimination est celle de Chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne et Action-Travail des Femmes). Cette décision concerne le domaine de l'emploi. La Cour décrit ainsi cette forme de discrimination:

« La discrimination systémique en matière d'emploi, c'est la discrimination qui résulte simplement de l'application des méthodes établies de recrutement, d'embauché et de promotion, dont ni l'une ni l'autre n'a été nécessairement conçue pour promouvoir la discrimination. La discrimination est alors renforcée par l'exclusion même du groupe désavantagé, du fait que l'exclusion favorise la conviction, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du groupe, qu'elle résulte de forces "naturelles", par exemple que les femmes "ne peuvent tout simplement pas faire le travail ". »

C'est pour faire face à de telles situations que la Cour a ordonné au CN d'élaborer et d'implanter un programme d'accès à l'égalité. C'est une correction systémique d'un problème systémique, en dehors d'une problématique de responsabilité morale. 68

Dans le domaine du travail, les programmes d'accès à l'égalité constituent globalement un moyen éprouvé pour éliminer la discrimination des systèmes d'emploi et pour rendre le personnel des organisations plus représentatif de l'ensemble des ressources humaines disponibles. Ils peuvent être mis en oeuvre dans une perspective d'équité à l'égard de tous les groupes qui composent la population, mais également au profit d'une utilisation optimale des compétences dont les organisations peuvent disposer.

6. La limitation fonctionnelle comme motif de discrimination

Les lois ou textes juridiques antidiscriminatoires contiennent des énumérations des motifs de discrimination. La limitation fonctionnelle, la déficience ou le handicap, selon l'expression utilisée, fait partie des motifs de discrimination prohibés dans les instruments internationaux, les lois canadiennes (charte des droits et Loi canadienne des droits de la personne) et québécoise comme on l'a vu plus haut dans notre rappel historique.

L'article 10 de la Charte des droits et libertés de la personne stipule ainsi :

« Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, (...) la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap. Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit. »

La discrimination fondée sur la déficience ou la limitation fonctionnelle se compare à la discrimination fondée notamment sur le sexe ou les pratiques religieuses. Dans le domaine de l'emploi, lorsque les femmes sont victimes de discrimination (Arrêt CN) ou que des personnes vivent des situations discriminatoires en raison de leur pratiques religieuses (Arrêt Renaud de la Cour Suprême), l'obligation d'accommodement du système d'emploi est imposée à l'employeur.

La charte de droits du Québec ne comprend pas explicitement l'obligation d'accommodement, même si elle interdit la discrimination et légitime les programmes d'accès à l'égalité afin de corriger la situation de personnes faisant partie de groupes victimes de discrimination en matière d'emploi, d'éducation ou de santé ou de tout autre service ordinairement offert au public.

7. L'obligation d'accommodement ou la reconnaissance juridique des besoins spéciaux

Dans son document intitulé « Mieux gérer en toute égalité », la Commission des droits de la personne du Québec présente cette question dans les termes suivants.

Au cours des dernières années, la notion de discrimination a connu une importante évolution qui peut avoir de multiples conséquences sur la gestion des ressources humaines. La Cour suprême du Canada a non seulement reconnu le concept de discrimination indirecte, mais elle a aussi confirmé l'obligation pour l'employeur et, le cas échéant, pour le syndicat, de chercher à adapter leurs règles ou pratiques aux caracté­ristiques de certaines personnes ou groupes de personnes. Ce qui mérite, bien sûr, quelques explications.

On sait qu'il y a des exceptions prévues à l'article 20 de la Charte québécoise et qu'on peut exclure une personne en raison de son sexe, de son état civil, d'une déficience, etc., lorsque cette exclusion est « fondée sur les aptitudes ou qualités requises par un emploi », c'est-à-dire raisonnablement nécessaires pour assurer l'exécution efficace et économique du travail. Là où les choses se compliquent, c'est lorsque des règles ou des pratiques valides, légitimes, adoptées pour de bonnes raisons économiques ou d'affaires et

raisonnablement liées à l'exécution des fonctions, ont, malgré tout, un effet discriminatoire sur certaines personnes ou groupes de personnes.

Par exemple, il arrive qu'un horaire de travail empêche certaines personnes de pratiquer leur religion, qu'un emploi exigeant l'usage d'une force physique considérable empêche la plupart des femmes de progresser vers de meilleurs emplois ou qu'un mode d'organisation du travail représente un obstacle à l'emploi pour certaines personnes ayant des limitations fonctionnelles. Dans de tels cas, il n'est pas obligatoire pour l'employeur d'abolir la règle ou la pratique qui pose problème.

La Cour suprême a cependant conclu en substance que l'employeur a alors l'obligation de prendre des mesures d'adaptation, de façon à éliminer l'effet discriminatoire de la règle ou de la pratique sur les personnes affectées, « pourvu que l'employeur puisse procéder aux accommodements nécessaires sans subir de contrainte excessive ».

En d'autres termes, face à une règle ou pratique légitime ayant néanmoins un effet discriminatoire, l'employeur doit chercher à éliminer cet effet sur les personnes touchées, par exemple en assouplissant un horaire de travail, en introduisant un outil qui réduit l'usage de la force physique, en adaptant un poste de travail, etc., à moins qu'un tel ac­commodement ne cause à "employeur une contrainte excessive.

Il y a contrainte excessive si l'adaptation requise entrave indûment l'exploitation de l'entre­prise ou impose à l'employeur des coûts excessifs. Chaque situation doit donc être examinée séparément puisque la « contrainte » peut être excessive dans un cas et ne pas l'être dans un autre.

Cette nouvelle obligation pour l'employeur est, en définitive, une conséquence directe du droit à l'égalité sans discrimination, puisque la reconnaissance d'une véritable égalité doit tenir compte des différences et des particularités de certains groupes.

De la même façon, un syndicat peut également être soumis à cette obligation d'accommodement s'il est en partie responsable de la discrimination, soit parce qu'il a contribué à l'adoption d'une clause de convention collective qui a un effet discriminatoire, soit parce qu'il bloque les efforts de l'employeur pour supprimer ou atténuer l'effet discriminatoire.

Des politiques, des procédures administratives, des clauses de convention collective, des exigences d'emploi, des formes d'organisation du travail, des équipements devront ainsi être réexaminés et pourront requérir des adaptations aux particularités de certaines personnes ou groupes de personnes.

Le critère de la contrainte excessive empêchera bien sûr de devoir bouleverser tous les systèmes établis, mais il reste que les employeurs - tout comme les syndicats - se voient ainsi soumis à une nouvelle exigence : celle de savoir évaluer les effets discriminatoires de multiples règles et pratiques en usage dans l'entreprise, et de devoir imaginer, le cas

échéant, des modalités d'adaptation à la fois raisonnables pour l'organisation et respectueuses d'une main-d'oeuvre de plus en plus hétérogène et diversifiée.

Ainsi, dans les différentes sphères sociales et économiques l'obligation d'accommodement doit être respectée. Avec l'arrêt Eldridge de la Cour suprême en 199769 et les modifications qui ont été introduites en juin 1998 à la Loi canadienne sur les droits de la personne, l'obligation d'accommodement s'est étendue aux services de santé et aux services sociaux et comprend l'obligation pour les fournisseurs de services visés par cette dernière Loi (donc de juridiction fédérale), de répondre aux besoins des personnes ayant des déficiences, des membres de minorités religieuses et d'autres minorités, à moins que cela ne leur impose une contrainte excessive. Dorénavant, l'évaluation de la contrainte excessive doit être reliée à des considérations de coûts, de santé et de sécurité.

À titre d'exemple, une personne qui a une déficience auditive doit avoir accès aux services d'interprétariat lui permettant de communiquer avec le personnel médical afin d'avoir l'égalité d'accès à des services autrement disponibles pour tous.

Par ailleurs, d'autres arrêts de tribunaux de la Colombie-Britannique sont venus préciser que l'obligation d'accommodement comprenait également l'obligation d'évaluer les capacités individuelles de la personne. Ainsi, un refus de donner accès à des services peut constituer de la discrimination si on n'offre pas la possibilité d'une évaluation individuelle.

Ces développements de la jurisprudence sont autant d'ouvertures qu'il faut saisir pour pousser plus loin l'adaptation des services, des programmes sociaux et du domaine de l'emploi aux besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

8. Les droits à faire respecter et les besoins à combler

Les thèmes que l'on retrouve au fil des rencontres avec les personnes ayant des limitations fonctionnelles peuvent alimenter la réflexion et l'analyse sur le plan juridique en ce qu'ils permettent de faire le lien entre des situations et des droits fondamentaux.

Les participants et participantes ont illustré par maints exemples que leurs droits à un niveau de vie décent, au respect de leur vie privée et à la sauvegarde de leur dignité étaient mis en péril dans certaines situations. Ces personnes ont indiqué que des programmes ou leur application dans les domaines de la santé, des services sociaux et de l'emploi n'étaient pas totalement adaptés à leurs besoins spéciaux. Ils ont fait ressortir que leur droit à l'information n'était pas toujours respecté par les pratiques de gestion. Ils ont aussi fait valoir leur besoin et leur désir de participer à la vie de la société.

Les droits identifiés ici sont de différents ordres et ils sont garantis par les grandes conventions internationales et en grande partie reconnus par les chartes et lois relatives aux droits de la personne. En appliquant le principe que les droits civils et politiques, économiques, sociaux et culturels sont indissociables et interdépendants, nous pouvons considérer la situation particulière des personnes ayant des limitations fonctionnelles dans la perspective suivante.

D'une part, le droit à un niveau de vie décent est compris dans les droits économiques, sociaux et culturels qui constituent la reconnaissance juridique de besoins de base ou fondamentaux sur le plan matériel. Si nous insistons sur ces droits c'est qu'ils prennent une importance particulière pour les personnes ayant une limitation fonctionnelle, puisqu'une proportion beaucoup plus forte d'entre elles connaît l'inactivité et la pauvreté et risque d'être appauvrie davantage par le fait d'avoir à assumer des charges visant à compenser leurs déficiences ou limitations fonctionnelles.

La Charte québécoise reconnaît explicitement certains de ces droits (articles 39 à 48), dont ceux à l'information, à des mesures d'assistance financière et à des mesures sociales, susceptibles d'assurer un niveau de vie décent, à des conditions de travail justes et raisonnables et qui respectent la santé, la sécurité et l'intégrité physique. Elle garantit le droit pour « toute personne âgée ou toute personne handicapée » d'être protégée contre toute forme d'exploitation et d'obtenir « la protection et la sécurité que doivent lui apporter sa famille ou les personnes qui en tiennent lieu. »

Cette énumération de droits économiques et sociaux est unique au Canada. On s'aperçoit cependant, à y regarder de plus près, qu'il s'agit toujours de droits reconnus « dans la mesure prévue par la loi », ce qui permet au législateur québécois d'en réduire considérablement la portée dans les lois particulières qui déterminent les conditions de reconnaissance et d'exercice des droits. Par exemple, c'est l'expression « dans la mesure prévue par la loi » qui a permis à la Cour d'appel d'affirmer que les élèves handicapés ne pouvaient pas revendiquer un droit à l'intégration en classe ordinaire en se fondant sur le droit à l'égalité et à la non-discrimination, puisque la Loi sur l'instruction publique donnait le choix aux commissions scolaires d'adapter leurs services aux besoins des élèves handicapés soit en classe ordinaire soit en classe spéciale70. De même, on peut se demander jusqu'où les tribunaux consentiraient à aller pour déterminer le « niveau de vie décent », puisque celui-ci serait déterminé par la loi.

On s'aperçoit également que, les articles 1 à 38 étant les seuls à être protégés par l'article 52, c'est-à-dire à avoir un caractère prépondérant sur tout texte législatif antérieur ou postérieur à la Charte, la protection que procure la reconnaissance de ces droits est encore un peu illusoire, sauf pour ce qui est couvert par l'article 10 et la prohibition d'exercer de la discrimination.

Par contre, le motif de discrimination fondée sur la condition sociale permet actuellement aux tribunaux d'intervenir dans certaines situations vécues par des personnes de condition sociale défavorisée et pourrait probablement servir à analyser la situation de personnes ayant une limitation fonctionnelle, puisque la grande majorité de ces personnes sont en état de pauvreté.71

On doit remarquer que, tant dans la Charte canadienne que dans la Charte québécoise, les droits dits « civils et politiques » sont reconnus d'une façon non ambiguë et non restrictive qui tranche nettement avec la manière de nuancer les droits économiques et sociaux. Ce qui explique qu'au cours des dernières années, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU s'est fait de plus en plus insistant sur la nécessité pour les États d'incorporer au droit national les principes du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Dans l'interprétation de l'article 15 de la Charte canadienne (qui interdit la discrimination), les tribunaux se servent de plus en plus des engagements pris envers la communauté internationale par le biais de pactes ou de conventions comme mesure du caractère « raisonnable » ou « démocratique » d'une atteinte au droit à l'égalité.72

C'est cette dynamique à la fois juridique et politique qui constitue la trame de fond sur laquelle il faut agir. En effet, d'un côté les gouvernements ont adhéré à des conventions internationales de droit qui leur créent des obligations de résultats, notamment en matière sociale. Ces droits ont été en partie incorporés au droit interne dans les chartes et lois relatives aux droits de la personne.73 Les tribunaux rendent des

jugements qui sont basés sur ces dernières lois et se servent des instruments internationaux comme guide d'interprétation. Ils évitent généralement dans leurs jugements de remplacer le rôle que le gouvernement doit jouer dans l'élaboration des solutions concrètes en matières économique et sociale.

En fonction de ce contexte, il faut favoriser une plus grande prépondérance des droits économiques, sociaux et culturels et l'élaboration de politiques qui garantissent un revenu à tous. Et pour prendre en compte le fardeau et les coûts supplémentaires imposés aux personnes par leurs limitations fonctionnelles, il faut, d'une part, supporter les initiatives de création de mesures articulées et universelles qui permettraient une compensation des coûts supplémentaires et s'assurer, d'autre part, que l'obligation d'accommodement sera incluse dans les législations pertinentes et appliquée avec rigueur. C'est ce que la COPHAN soulignait dans son mémoire présenté à la Commission Clair.

« Les balises élaborées par la Cour suprême concernant la mise en œuvre de cette obligation d'accommodement ne constituent pas uniquement à nos yeux un cadre juridique auquel doivent se soumettre employeurs et fournisseurs de services. Elles devraient avant tout ouvrir la voie à une intervention étatique, éclairée et logique, qui se fonde réellement sur la détermination des besoins des personnes, plutôt que sur des prémisses uniquement rattachées à des critères de performance et de compétitivité. »74

C'est là une voie privilégiée pour la mise en oeuvre des droits à l'égalité qui sont au cœur des droits civils et politiques. Mise en œuvre qui a l'avantage de s'attaquer à la discrimination systémique à large portée. C'est ainsi qu'un bon nombre d'atteintes aux droits fondamentaux (tel que le respect de la vie privée) qui surviennent dans le cadre de la mise en œuvre de programmes et de pratiques non adaptés aux besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles, pourraient ainsi être combattues.

Par ailleurs, les droits économiques, sociaux et culturels prennent aussi réalité et forme par le développement de services publics dans les domaines de la santé, des services sociaux et de l'éducation. En conséquence, les principes d'accessibilité et de gratuité doivent être promus et mis en relief.

Enfin, pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles que nous avons interrogées, les associations de défense de droits et de promotion de leurs intérêts et plusieurs études ont démontré qu'il y avait des lacunes au niveau des conditions d'exercice des droits et libertés. Les recours existants demeurent encore peu connus et peu exploités. Les plaintes individuelles devant les commissions de défense des droits sont perçues comme longues et fastidieuses. Ces commissions ne disposent pas toujours des ressources adéquates et suffisantes pour remplir leur mandat. Ce qui fait que les personnes victimes de discrimination et autres atteintes aux libertés ne se prévalent pas toutes des recours existants, comme l'illustre l'exemple des jeunes qui cachent leur déficience en milieu de travail et se privent ainsi d'avantages consentis au reste du personnel. C'est pourquoi il faut promouvoir les mesures et réformes législatives qui offriront plus de recours juridiques, tant au niveau individuel que collectif, et un meilleur accès à la justice.

Le cadre juridique que nous venons de survoler n'offre pas de résolutions complètes à tous les problèmes rencontrés par les personnes ayant des limitations fonctionnelles, mais des pistes de solutions qu'il faut intégrer de façon cohérente à nos interventions et à nos recherches. Ici s'impose une politique économique et sociale efficace et rationnelle de nature à assurer non seulement la reconnaissance formelle des droits, mais leur application.

Partie 3

Des propositions de pistes de solutions

1. Introduction

Au terme de ce rapport, il nous est apparu important de revenir sur les lignes de force qui se dégagent de la recherche-terrain et de la recherche juridique pour les traduire en propositions de pistes de solutions.

Les répondants et répondantes de notre recherche-terrain ne se sont pas limités à faire état des impacts des programmes sur leur vie quotidienne, à souligner les difficultés rencontrées dans leur mise en œuvre ou à raconter les bonnes ou les mauvaises expériences qu'ils ont vécues avec les services et les programmes, ils ont souvent fait valoir leurs idées pour améliorer les choses, pour favoriser l'adaptation des services, pour assurer des conditions de vie plus décentes pour eux-mêmes, leur famille et les personnes qui vivent des situations de handicap. En un mot, ces personnes nous ont aiguillonnés sur des pistes de solutions.

La recherche juridique, pour sa part, a fait ressortir que des droits fondamentaux sont en jeu. Ces droits ont fait l'objet d'une reconnaissance formelle aux plans international, canadien et québécois sur laquelle nous pouvons prendre appui. Mais il faut d'abord prendre acte d'un constat général : les personnes ayant des limitations fonctionnelles sont victimes d'une discrimination systémique. La prise en compte de ce constat entraîne une conséquence : il faut proposer un remède systémique pour s'attaquer à la racine des problèmes.

Le contexte dans lequel se déroulait cette recherche a aussi alimenté notre réflexion dans l'élaboration des propositions de pistes de solutions. D'une part, la recherche s'est amorcée en 1998 alors que le projet d'entente d'Union sociale faisait l'objet d'intenses négociations et elle s'est terminée en octobre 2000, au moment où le rapport À l'unisson 2000 (mise à jour du premier document À l'Unisson) doit être signé par des représentants des gouvernements provinciaux (hormis le Québec) et territoriaux et le gouvernement fédéral. L'analyse critique de ces documents par le Conseil des Canadiens ayant des déficiences (CCD) et la formulation de recommandations qui en a découlé, ont constitué un instrument majeur pour un positionnement de la COPHAN, qui avait saisi ses membres de l'évolution de ces projets. Une assemblée générale ponctuelle (AGP), tenue le 12 octobre 2000, a d'ailleurs été consacrée exclusivement à ce sujet et elle a fourni des balises que nous avons intégrées ici.

D'autre part, au niveau québécois, la présentation par la COPHAN de mémoires à la Commission d'étude sur l'organisation et le financement des services de santé et des services sociaux (Commission Clair) et à la Commission de la culture sur le projet de loi 143, concernant l'accès à l'égalité en emploi dans les organismes publics et modifiant la Charte des droits et libertés de la personne, a été une occasion privilégiée de mettre à jour une analyse et des demandes spécifiques qui se situaient directement dans le champ de notre recherche.

Finalement, les travaux en cours des comités internes de la COPHAN ont constitué une autre source d'inspiration. Ces comités, formés des membres de la COPHAN travaillant à la réalisation des objectifs définis dans son plan de travail annuel, sont les leviers de la mise en œuvre de sa mission. Ils agissent et interviennent sur les différents dossiers qui concernent les personnes ayant des limitations fonctionnelles et qui sont à l'ordre du jour de l'agenda du gouvernement du Québec. Les propositions de pistes de solutions tiennent compte de la nature particulière de ce cadre d'action.

2. L'Union sociale et le Québec

Le gouvernement du Québec n'a pas adhéré à l'Union sociale, entente-cadre ratifiée en février 1999 par le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux et territoriaux, en raison des positions historiques du Québec sur le respect des champs de compétence définis dans la constitution canadienne.

Cette entente, rappelons-le, vise, entre autres, à :

« assurer à tous les Canadiens l'accès à des programmes et services sociaux essentiels (...), offrir à ceux qui sont dans le besoin une aide appropriée, respecter les principes de l'assurance-maladie : intégralité, universalité, transférabilité, gestion publique et accessibilité... ».

Elle met l'accent sur le maintien des programmes et des services sociaux et sur l'élimination des obstacles (conditions de résidence, reconnaissance des qualifications professionnelles,...) à la mobilité des personnes par le respect de l'Accord sur le commerce intérieur par les divers gouvernements provinciaux. Amorcée au début des années 90, la négociation de cette entente entre les gouvernements a porté sur le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral et l'établissement d'un mécanisme de règlements des différends.

Après s'être abstenu pendant quelques années, le gouvernement du Québec avait pris part en 1998 aux discussions sur ce projet d'entente au moment où semblait se dessiner un consensus des provinces en faveur de la limitation du pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral. Le Québec défendait deux principes de base : tout changement à l'entente devait requérir un large consensus des provinces et les provinces devaient avoir le droit de retrait avec pleine compensation. La pierre d'achoppement est survenue en 1999. Le Québec a perçu les modifications de dernière minute soutenues par le gouvernement fédéral comme un renforcement du pouvoir de dépenser du gouvernement central et a considéré que l'absence d'engagements financiers vidait ce projet de sa substance.

3. À l'unisson et le Québec : positionnement de la COPHAN

La position établie par le gouvernement du Québec à l'égard de l'Union sociale allait se répercuter dans les négociations menées pour l'adoption du document À l'unisson qui vise à établir des lignes directrices pour promouvoir l'intégration des personnes handicapées et favoriser l'exercice de leur citoyenneté. La production de ce cadre stratégique répondait

« à la demande formulée par les premiers ministres en juin 1996, et réitérée en décembre 1997, et visant à faire des questions touchant les personnes handicapées une priorité collective dans la refonte des politiques sociales. ».75

Le gouvernement du Québec n'a pas participé à cette initiative, souligne-t-on dans le préambule du document préparé par les ministres responsables des services sociaux au gouvernement fédéral, dans les provinces et territoires. On y précise d'ailleurs que

« Le Québec partage les préoccupations soulevées dans le rapport "À l'unisson". Cependant, le gouvernement du Québec n'a pas pris part à l'élaboration de ce document parce qu'il souhaite assumer le contrôle des programmes à l'égard des personnes handicapées pour le Québec. En conséquence, toute référence à des positions conjointes fédérales/provinciales/territoriales n'inclut pas le Québec ».

Ce conflit de juridictions constitutionnelles, de financement des programmes et de contrôle de leur mise en œuvre, demeure la trame de fond de toute négociation entre le gouvernement du Québec et celui d'Ottawa.76 Trame de fond qui colore les discours politiques et la recherche constante de visibilité des gouvernements. Des accords sont toutefois possibles, comme le démontrent ceux sur la Formation de la main-d'œuvre et, plus récemment, sur la santé. C'est ce que relevait récemment la COPHAN dans son mémoire à une commission d'étude mise en place par le gouvernement du Québec :

« La Commission Clair a entrepris ses consultations au moment où les provinces entamaient une ronde de négociations avec le gouvernement fédéral concernant les transferts fédéraux en matière de santé. Le 11 septembre dernier, un accord a finalement été conclu. Le gouvernement fédéral annonçait alors l'injection de 23,4 milliards de dollars sur cinq ans, dont 21,1 milliards en transferts en espèces, par l'entremise du Transfert social canadien (TSC) destiné à la santé, à l'éducation post-secondaire et aux programmes sociaux. Les attentes des provinces n'ont cependant pas été comblées, en ce sens que les transferts n'ont pas été restaurés à leur niveau de 1994-95, et les augmentations consenties ne sont d'aucune façon basées sur une formule d'indexation.

« Le Québec a accepté de conclure cette entente, en insistant sur le fait que chacun devait travailler à l'intérieur de ses propres champs de compétence. Selon M. Bouchard, une clause aurait permis au fédéral de sortir de l'impasse en garantissant que l'entente survenue ne pouvait être interprétée d'une façon qui viendrait déroger aux compétences des différents niveaux de gouvernements. » 77

L'attitude de retrait du gouvernement du Québec à l'égard des ententes de l'Union sociale et de À l'unisson a eu un impact sur le positionnement de la COPHAN qui s'implique et intervient aux niveaux fédéral et provincial dans le vaste secteur des politiques sociales. Ce positionnement a été présenté dans ce même mémoire :

« Nous appuyons les demandes du Québec, en ce qui concerne le respect des champs de compétences fédérales/provinciales. De même, nous prenons note avec une certaine satisfaction de l'injection par le gouvernement fédéral des sommes annoncées dans la santé. Les surplus budgétaires imposants, voire même honteux, de l'administration fédérale doivent être réinvestis dans les programmes sociaux et dans les transferts sociaux aux provinces. Toutefois, dans la mesure où le gouvernement québécois fait valoir ses compétences constitutionnelles dans le domaine de la santé et des services sociaux, pour obtenir ces transferts sans ingérence du fédéral, nous estimons qu'il doit exercer cette compétence dans le but d'offrir à ses citoyens un système de santé et de services sociaux qui respecte les principes de gratuité, transférabilité, intégralité, universalité, caractère public, équité et de non- discrimination. Il doit être imputable des sommes reçues, et démontrer que celles-ci sont utilisées aux seules fins de satisfaire les besoins de la population en matière de santé et de services sociaux. »78

Les choses étant ce qu'elles sont, la COPHAN prend d'abord acte des responsabilités générales et des obligations de droit des deux paliers de gouvernement à l'égard des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Dans la mesure où les citoyens du Québec payent des impôts à deux ordres de gouvernement, exercent leurs droits civiques et de vote à ces deux niveaux, pendant que doit se poursuivre le débat démocratique sur l'avenir du Québec, la COPHAN a adopté une approche basée sur la satisfaction des besoins des personnes ayant une limitation fonctionnelle et de leur famille.

À l'Assemblée générale ponctuelle du 12 octobre 2000, un participant résumait ainsi sa vision des rapports de la COPHAN aux deux ordres de gouvernement :

« le fédéral parle de visibilité, le provincial parle de juridiction, nous, on parle d'égalité. Il faut articuler notre discours autour de cette idée. »

C'est dans cette dernière perspective que la COPHAN complète son approche en faveur du respect des champs de compétence constitutionnelle du Québec, de l'exercice de ses compétences en faveur d'un système de santé basé sur des principes qui respectent les droits et les choix sociaux faits par la population et d'une imputabilité à l'égard des sommes reçues, par une réclamation d'imputabilité à l'égard du gouvernement fédéral. Ce dernier doit rendre compte de sa gestion de façon tout aussi transparente et fournir des garanties pour que les budgets alloués au palier provincial soient dirigés dans les programmes auxquels ils sont destinés. C'est ce qu'on a appelé la demande d'imputabilité à deux niveaux. Double imputabilité qui s'impose et qui exige la plus grande vigilance du milieu associatif, pour éviter que les transferts de budgets se fassent au détriment des personnes qui doivent en être les bénéficiaires.

Pour concrétiser cette orientation générale la COPHAN participe, à titre d'observateur, depuis août 1998, à des rencontres du Groupe de travail fédéral/provincial/territorial mis en place pour assurer un suivi du rapport - À l'unisson, Groupe qui est sous la responsabilité du ministère du Développement des ressources humaines du Canada.

La Confédération est aussi membre du CCD depuis plusieurs années et elle prend part à ses travaux et discussions. Elle cherche ainsi à développer des consensus, de manière à favoriser l'avancement des droits et la promotion des intérêts de ses membres. Bien que les attitudes envers les deux paliers de gouvernement et la culture de revendications des organismes-parapluies des autres provinces puissent être différentes de celles exprimées au Québec 79, on remarque que l'on partage le plus souvent une même base de principes et des orientations similaires. C'est un terrain privilégié pour faire valoir des revendications communes, faire preuve de solidarité et décupler les forces pour faire en sorte que les réformes des politiques et des programmes des gouvernements se fassent de façon cohérente et harmonieuse. Ce qui, dans ce dernier cas, n'est pas une mince tâche.

Compte tenu de ce positionnement général de la COPHAN, du rôle et des mandats qu'elle assume dans un éventail de lieux d'intervention, nous avons établi des pistes de solutions divisées en deux volets : des propositions d'orientation générale et des axes d'intervention spécifiques pour les trois domaines abordés dans notre recherche, à savoir la santé et les services sociaux, l'emploi et les revenus. Nous retrouvons ces pistes de solutions dans le tableau inséré ci-après.

4. Les propositions d'orientation générale

Les conclusions de la présente recherche, les prises de position et les travaux en cours de la COPHAN nous amènent à identifier quatre blocs de propositions qui nous apparaissent comme des éléments incontournables dans le contexte actuel. L'éventail de ces propositions repose, croyons-nous, sur une vision de la situation d'ensemble et des conditions générales qui affectent le quotidien des personnes, même si ces propositions ne couvrent pas tous les secteurs d'activités. Elles ont, en ce sens, une portée systémique. Leur mise en œuvre s'échelonnera sur quelques années, tout en restant partie intégrante de la mission de la COPHAN.

Le premier bloc de propositions vise à contrer les conditions de pauvreté, d'appauvrissement et de précarité des revenus et repose d'abord sur la promotion intensive de la reconnaissance des besoins fondamentaux des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Et pour garantir le droit à l'égalité de ces personnes, il faut tenir compte de leurs besoins spéciaux dans tous les dispositifs légaux et les programmes mis en place par l'État. Ce qui implique la défense du principe de la responsabilité de la société à l'égard des coûts supplémentaires engendrés par les déficiences et incapacités, principe de plus en plus reconnu par divers mouvements sociaux et incorporé à leur plate-forme.

Pour pallier, à court et moyen termes, aux graves difficultés vécues par un grand nombre de personnes avec ou sans limitations fonctionnelles, une politique de revenu garanti a aussi été mise de l'avant de différentes manières. Cette demande de politique, qui implique plusieurs aspects sociaux, fiscaux et juridictionnels, a été reprise, maintes fois, au cours des récentes consultations, sans que l'on ait proposé de formules exactes. Elle devrait ainsi être prise en considération dans les projets de recherches mis de l'avant dans le domaine particulier des revenus.

Face aux obstacles à l'égalité et à l'équité, un second bloc de propositions a été élaboré. D'entrée de jeu, l'élimination progressive de ces obstacles implique un investissement gouvernemental soutenu afin de rattraper les effets des multiples et drastiques compressions budgétaires et rationalisations effectuées au cours des dernières années, dont nous avons fait état précédemment, et afin de répondre aux besoins actuels. Elle suppose aussi la reconnaissance du phénomène de la double discrimination vécue par les femmes, !es membres des communautés culturelles et les autochtones ayant des limitations fonctionnelles dans plusieurs domaines sociaux, dont l'emploi. Les outils à privilégier dans la poursuite de cet objectif d'égalité : l'obligation d'accommodement dont nous avons démontré le bien-fondé social et juridique et l'adoption et la mise en œuvre de programmes d'accès à l'égalité.

Afin que les besoins spécifiques des personnes ayant des limitations fonctionnelles puissent faire l'objet d'une reconnaissance juridique plus concrète, il faut des réformes législatives fournissant plus de recours à ces derniers et des mesures favorisant un accès plus complet aux tribunaux et aux services juridiques. Par réformes on entend d'abord le modification de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec pour y inclure l'obligation d'accommodement. La révision actuelle de la Loi canadienne des droits de la personne devrait aussi être une occasion pour obtenir des modifications législatives qui ciblent plus explicitement la discrimination systémique et pour renforcer leur application par l'adoption de règles et de directives plus strictes. Cette dernière loi a rendu obligatoire la notion d'accommodement depuis 1998 pour les organismes publics, les employeurs et les syndicats qui relèvent de sa compétence. Ce progrès devrait servir d'exemple en ce qui concerne les législations québécoises.

Toujours sur le plan des droits et recours, une dimension est souvent occultée : les obligations qui incombent aux deux paliers de gouvernement du fait qu'ils ont signé et donné leur adhésion aux instruments internationaux de droit, aux déclarations et aux conventions propres aux personnes ayant des limitations fonctionnelles. Pour faire en sorte que ces énoncés de droit et de politiques proclamés souvent solennellement par les représentants des gouvernements prennent forme et réalité, l'on doit se les approprier et suivre leur mise en oeuvre au plan national. La concertation est possible dans ce domaine ; de plus en plus d'organismes et d'individus se préoccupent de cette dimension des politiques sociales.

Enfin, le dernier bloc de propositions répond aux demandes pressantes et répétées des membres de la COPHAN pour accentuer la sensibilisation publique et de (re)faire de la question de l'inclusion des personnes ayant des limitations fonctionnelles un enjeu clair et visible de société. Il faut à cette fin élaborer une stratégie ou un plan de communication réaliste. Une stratégie fondée sur une analyse des grandes tendances de l'opinion publique et sur l'expérience des membres en la matière doit être intégrée au plan de travail annuel et aux interventions ciblées auprès des instances décisionnelles. L'expérience des dernières années démontre aussi qu'il faut intensifier la concertation au sein de coalitions et regroupements d'organismes et, sur cette base, la cueillette d'appuis aux demandes de la COPHAN.

5. Les orientations communes CCD-COPHAN

Nos quatre blocs de propositions d'orientation comportent des axes d'intervention, d'information et de sensibilisation qui sont, dans la majorité des cas, applicables aux niveaux fédéral et provincial. Le CCD a formulé une analyse poussée des documents d'orientation du gouvernement canadien et il a mis de l'avant des recommandations d'action majeures, auxquelles la COPHAN a adhéré. 80 Nous les retrouvons donc sous une forme condensée dans notre tableau, dans la partie des propositions d'orientation générale et dans celle des axes d'intervention pour nos trois domaines.

D'abord, la COPHAN partage les grands constats et les critiques du CCD sur les documents d'orientation gouvernementale. Si les intentions déclarées dans les documents du gouvernement fédéra! et les valeurs d'égalité et d'équité qui y sont mises en relief constituent un facteur d'encouragement, il reste que l'absence de mise en œuvre des rapports précédents de même nature n'est pas sans susciter de l'inquiétude. Il faut à cet égard que ce gouvernement reconnaisse explicitement que la discrimination systémique existe toujours et qu'il a lui-même éliminé le partage des coûts et réduit les transferts aux provinces dans le cadre du programme de Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux, et qu'il resserré les conditions d'admission au Régime de pension du Canada et au crédit d'impôt pour handicapés. Décision qui a eu des effets majeurs et négatifs, notamment sur l'accessibilité des mesures de soutien pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles.

La COPHAN partage aussi la critique du CCD à l'effet que les orientations de À l'unisson sont trop limitées, parce qu'elles ne visent que les personnes en âge de travailler. Elles doivent être élargies pour intégrer les enfants, les personnes âgées et les membres des Premières nations, les Inuits et les Métis. Pour donner corps à cet énoncé d'orientation, la COPHAN fait sienne les recommandations suivantes du CCD :

  • L'application à toutes les activités des gouvernements d'une orientation81 d'accès équitable  et  d'inclusion  des   personnes  ayant  des  limitations  fonctionnelles, comprenant des dispositions budgétaires et des ressources.
  • La nécessité que les gouvernements fassent des investissements majeurs dans le domaine social.
  • Les politiques et les programmes des gouvernements doivent tenir compte de la double discrimination.

De plus, par rapport aux priorités d'action proposées par le CCD, la COPHAN met l'accent sur les éléments suivants :

  • La nécessité que Statistique Canada réalise l'enquête sur la santé et les limitations d'activités (ESLA), afin de fournir des renseignements d'ensemble servant de base à des décisions stratégiques.
  • Le besoin d'améliorer l'accès à l'information gouvernementale par la production de renseignements en divers formats accessibles et l'accessibilité au système de justice, au transport au niveau local, en particulier par autobus, aux divers systèmes de    communication    (médias    électroniques,    téléphonie    adaptée,    nouvelles technologies de l'information) et au logement (notamment pour les logements financés par la SCHL où les normes d'accessibilité devraient être haussées).
  • La pertinence d'établir des règlements particuliers et des directives obligatoires pour s'assurer que l'on traite de la discrimination systémique dans le cadre de la mise en oeuvre de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Compte tenu de la portée et du type des recommandations du CCD, nous avons retenu dans notre tableau celles qui nous apparaissaient les plus pertinentes au plan des propositions d'orientation générale et pour les trois domaines de notre recherche. Dans ce dernier cas, nous les avons insérées dans la seconde partie du tableau, au niveau canadien, en exprimant la solidarité de la COPHAN. Nous amenons les précisions suivantes à ces appuis.

En ce qui concerne les mesures de soutien identifiées dans le domaine de la santé et des services sociaux (médicaments sous ordonnance, services de soutien personnel, appareils et accessoires fonctionnels), le CCD mentionne qu'elles doivent être offertes à tous les citoyens et citoyennes canadiennes qu'elle que soit leur incapacité, leur âge ou leur lieu de résidence. La COPHAN ajouterait à ces dernières conditions celle du revenu. C'est pourquoi d'ailleurs elle appuie la demande du CCD à l'effet que ces mesures ne soient plus liées à l'admissibilité aux programmes de soutien du revenu (et, dans le même esprit d'équité, sans considération des conditions de logement, i.e. vivre de façon indépendante, en famille, en résidence ou en établissement). Par ailleurs, concernant la normalisation des mesures de soutien à toutes les provinces, il faut faire en sorte que ce genre d'exercice respecte les champs de compétence constitutionnels et les juridictions et permettent un nivellement par le haut des programmes.

Pour le domaine de l'emploi, le programme du Fonds d'intégration occupe une place particulière. Son accessibilité doit être élargie en éliminant le critère absolu de l'admissibilité à l'assurance-emploi, comme le souhaite le CCD, et son financement consolidé.

Enfin, le domaine des revenus nécessite des mesures à court terme. En ce sens, nous appuyons les recommandations du CCD concernant le régime fiscal fédéral. La réforme de ce régime ouvrirait un large champ de recherches pour assurer la satisfaction des besoins fondamentaux et spéciaux et permettrait de sortir le soutien du revenu accordé aux personnes ayant des limitations fonctionnelles du modèle de l'aide sociale.

Finalement, la COPHAN peut souligner ici son appui à l'enjeu soulevé dans À l'unisson et repris par le CCD en ce qui a trait à l'exercice de la citoyenneté, thème que la recherche-terrain a mis en relief. Sur ce plan, nous endossons les recommandations du CCD à l'effet de créer au sein du gouvernement fédérai un Centre de responsabilités ayant pour mandat de coordonner toute la politique concernant les questions d'incapacité, et qui serait responsable devant un ministre principal. Nous appuyons également les recommandations relatives aux mesures de suivi de la mise en œuvre de cette politique : rapports annuels au parlement du Centre de responsabilités et du Vérificateur général, et responsabilité du Conseil de Trésor de démonter que les ministères ont des fonds affectés aux programmes d'accès à l'égalité qui sont utilisés strictement à cette fin. Étendre le Programme de contestation judiciaire82 aux affaires impliquant les gouvernements provinciaux et territoriaux afin de couvrir les violations de droits à l'égalité garantis dans la Charte canadienne est aussi en conformité avec l'orientation de la COPHAN : cette mesure favoriserait les recours juridiques.

6. Les orientations propres à la COPHAN

Dans   le  cadre  des  quatre   propositions  d'orientation  générale,   six axes d'intervention sont propres à la COPHAN, dans le sens où elles relèvent d'une juridiction propre au Québec ou de l'action même de la COPHAN.

Dans le premier bloc d'orientations, il y a la promotion de l'instauration d'une politique de revenu garanti. Cette politique aurait pour objet d'assurer les besoins fondamentaux des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Elle pourrait être élaborée en lien avec les projets similaires promus par divers mouvements et organisations communautaires, sous différents vocables : revenu de citoyenneté, revenu minimum garanti, etc. Elle devrait être articulée aux deux projets d'étude et de recherche proposés dans le domaine du revenu, à savoir ceux portant sur une réforme de la fiscalité et sur l'instauration d'un régime universel de compensation des coûts additionnels liées à la déficience.

Dans le troisième bloc d'orientations mises de l'avant pour faire face aux obstacles à l'égalité et à l'équité, la promotion d'une modification de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec consiste à demander d'y inscrire l'obligation d'accommodement dans le chapitre portant sur les droits à l'égalité. Cette demande a déjà été formulée par la COPHAN dans son mémoire présenté à la Commission de la culture. Pièce-maîtresse de la législation en matière de discrimination, la Charte québécoise doit être mise à jour de façon à intégrer les avancées du droit et de la jurisprudence que nous avons présentées dans les chapitres précédents.

Dans ce même bloc, on retrouve une autre demande de réforme législative concernant cette fois La Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées du Québec. Pour tenir compte du bilan négatif qui se dégage des dispositions relatives aux plans d'embauchés inscrites dans cette loi, nous demandons l'abrogation des articles 63 à 63.3, ainsi que 72.1. Cette demande vise à privilégier une stratégie globale d'employabilité basée sur l'accessibilité aux lieux de travail, la reconnaissance de l'accommodement, des mesures de soutien et de compensation des coûts liés aux limitations, ainsi que sur une obligation de résultats. Depuis 1998, la COPHAN s'oppose donc aux quotas d'embauché comme stratégie d'accessibilité au travail.

Cette loi pourrait d'ailleurs être modifiée sous deux autres aspects. D'une part, la définition de personne ayant des limitations fonctionnelles pourrait reprendre celle véhiculée par la CIDIH. D'autre part, le mandat de l'OPHQ devrait être revu pour tenir

compte des transformations survenues au cours des dernières années, dont le transfert de ses programmes aux ministères, des possibilités d'inclusion des programmes d'accès à l'égalité dans des législations touchant l'emploi, de la bonification de la Charte des droits et du rôle accru de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse à cet égard.

7. Les axes d'intervention pour les domaines de la recherche

Le premier niveau regroupe les axes d'intervention prioritaires pour les domaines de la santé et des services sociaux, de l'emploi et des revenus dans le cadre québécois. Le domaine de l'emploi comporte quatre grands champs d'intervention que nous avons distingués, à savoir l'obtention d'une stratégie globale d'employabilité et des modifications au projet de loi sur l'accès à l'emploi dans les organismes publics, à la Charte des droits et libertés de la personne et à la Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées que nous avons présentées précédemment.

Précisons qu'en ce qui concerne les instruments internationaux, ce niveau s'applique aux trois domaines. La scène internationale n'est pas un niveau d'intervention en tant que tel, mais à la mondialisation des marchés l'on peut faire correspondre la mondialisation des (bonnes) idées. Il y en a quelques-unes dans ces documents d'orientation. La liste des instruments n'est pas exhaustive. Mais compte tenu des trois domaines étudiés, ceux que nous avons mentionnés s'appliquent d'emblée et constituent des leviers importants pour les réformes sociales envisagées dans le présent rapport. Une activité de formation et d'information permettrait à un plus grand nombre de membres d'acquérir une compétence dans l'utilisation de ces instruments.


Conclusion

La recherche de l'équilibre budgétaire et du déficit zéro et le remodelage de l'État ont occupé la scène politique et publique depuis plusieurs années. Les décisions politiques  qui ont été prises à l'effet de choisir la voie de la compression des dépenses et de la réduction de programmes sociaux ont eu de graves conséquences.

Si les personnes ayant des limitations fonctionnelles ont partagé avec une grande partie de population les effets des compressions et rationalisations de divers ordres, elles en ont plus souffert compte tenu de la place qu'elles occupaient et des désavantages qu'elles subissaient déjà. Un important déficit humain a ainsi été accumulé, car ces personnes étaient loin d'être traités « à part égale », malgré les engagements pris depuis trois décennies. Notre recherche a illustré rapidement comment ce déficit humain est vécu ou perçu tant par les personnes concernées que par un large éventail d'organismes.

Ce qu'il faut constater, c'est que les solutions aux problèmes rencontrés dans l'intégration et l'inclusion des personnes ayant des limitations fonctionnelles existent bel et bien. Elles ont été mises de l'avant dans des politiques formellement adoptées par des gouvernements, des ministères et des organismes publics. Elles ont été maintes fois mises en valeur dans les prises de position des organismes de promotion des intérêts et de défense de droits des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Ces solutions sont déjà inscrites dans les valeurs et les principes des énoncés de droit axés sur le respect de la dignité humaine et de l'égalité entre les citoyens. Principes et valeurs que l'on retrouve dans un courant jurisprudentiel, dans les jugements des tribunaux, dans des recherches juridiques qui cherchent à répondre aux exigences d'adaptation de la société aux besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles. Cette évolution du droit favorise l'application vivante et concrète des droits à l'égalité et des droits économiques, sociaux et culturels. Voilà pourquoi une intervention dans ce domaine particulier s'impose afin de soutenir cette application des droits et d'améliorer les instruments dont nous disposons en matière de droits de la personne.

Nous avons vu qu'il faut revenir sur le passé pour pouvoir tracer l'avenir. En ce sens, bien qu'un réinvestissement important s'impose, il n'est pas en soi un gage de réussite, si l'orientation et la dynamique d'ensemble de l'application des politiques et des programmes sociaux ne sont pas revues en profondeur et adaptées à la réalité et aux besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles.

Un esprit de réforme doit ainsi être maintenu, car des solutions potentielles comme la refonte de la fiscalité, l'élaboration d'une politique de revenu garanti et l'instauration d'un régime universel de compensation des coûts supplémentaires liés à la déficience n'iraient  pas  sans  créer  des  changements  et  des bouleversements dans les programmes, les structures et les habitudes de gestion présentement en vigueur. Ces solutions renouvellent le défi de la reconnaissance des besoins fondamentaux et spéciaux des personnes ayant des limitations fonctionnelles dans toutes les sphères de la société. Et cette reconnaissance ne peut être acquise sans une sensibilisation plus grande de l'opinion publique et des instances dirigeantes.

La présente recherche a voulu montrer que le milieu associatif, porteur de cette responsabilité de renouvellement des défis sociaux, a un potentiel d'action et une capacité d'innovation sur lesquels on peut s'appuyer dans la formulation et la mise en oeuvre de pistes de solutions.

Annexe 1 : À part... égale

(extrait de l'avant-propos et résumé des 15 orientations gouvernementales)

Avant-propos

« Assurer dans les faits, des politiques nationales jusqu'au quotidien de chacun et chacune, les conditions véritables de l'exercice des droits de la personne pour les personnes handicapées, sans discrimination ni privilège.

« Voilà l'objectif de la Politique d'ensemble de prévention de la déficience et d'intégration sociale des personnes handicapées. Sa publication en 1984 par le Conseil d'administration de l'Office des personnes handicapées du Québec répondait à un mandat du Conseil des ministres. Elle était surtout le résultat d'une importante concertation réalisée à part égale entre les personnes handicapées et les fournisseurs de services.

« Les recommandations énoncées ont fait l'objet de la Conférence À part égale ! de février 1985, permettant ainsi aux partenaires de présenter leurs plans d'action. À cette occasion, le gouvernement du Québec a adopté les orientations de la politique d'ensemble comme objectifs fondamentaux de l'action gouvernementale envers les personnes handicapées. »

Les 15 orientations gouvernementales

Orientations visant les personnes ayant elles-mêmes des limitations fonctionnelles:

  • Le respect de la différence (protection contre la discrimination)
  • L'autonomie : libre choix et responsabilité
  • La   participation   des   personnes   handicapées   aux  décisions  individuelles   et collectives
  • Une qualité de vie décente pour les personnes handicapées
  • La reconnaissance d'une approche qui considère la personne handicapée dans son ensemble
  • Le plus grand développement des personnes ayant une déficience
  • La participation à part entière des personnes à la vie sociale

Orientations visant le milieu :

  • La protection maximale contre les facteurs de risque d'apparition de déficiences physiques et mentales
  • L'adaptation   du   milieu   aux   besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles, sans discrimination ni privilège - on mentionne ici trois éléments essentiels :  la   transformation   des   mentalités,   l'adaptation   des   législations, règlements et autres conventions formelles et l'accessibilité universelle

Orientations visant le développement et l'organisation des ressources :

  • La priorité aux ressources et services assurant le maintien ou le retour des personnes ayant des limitations fonctionnelles dans leur milieu de vie naturel
  • L'autosuffisance régionale des ressources selon les besoins des personnes ayant des limitations fonctionnelles
  • L'articulation effective des ressources locales, régionales et nationales selon les nécessités
  • La coordination continue pour la gestion et la complémentarité des ressources
  • La permanence et l'intégration maximale des services
  • La participation active des personnes ayant des limitations fonctionnelles à la gestion des ressources

Annexe 2 : L'union sociale (extraits)

Entente entre le gouvernement du Canada et les gouvernements provinciaux et territoriaux   (le 4 février 1999)

1. Principes

L'union sociale doit traduire les valeurs fondamentales des Canadiens : égalité, respect de la diversité, équité, dignité de l'être humain, responsabilité individuelle, de même que notre solidarité et nos responsabilités les uns envers les autres. Aussi, dans le respect de leurs compétences et pouvoirs constitutionnels respectifs, les gouvernements s'engagent à adopter les principes suivants :

Tous les Canadiens sont égaux

  • Traiter tous les Canadiens avec justice et équité
  • Promouvoir l'égalité des chances pour tous les Canadiens
  • Respecter  l'égalité,   les  droits  et  la  dignité  de  tous   les  Canadiens  et Canadiennes, ainsi que leurs différents besoins

Répondre aux besoins des Canadiens

  • Assurer à tous les Canadiens, peu importe où ils vivent ou se déplacent au Canada, l'accès à des programmes et services sociaux essentiels qui soient de qualité sensiblement comparable
  • Offrir à ceux qui sont dans le besoin une aide appropriée
  • Respecter les  principes de  l'assurance-maladie  :   intégralité,   universalité, transférabilité, gestion publique et accessibilité
  • Favoriser la pleine et active participation de tous les Canadiens à la vie sociale et économique du pays
  • Travailler en partenariat avec les individus, les familles, les collectivités, les organismes  bénévoles,  les entreprises  et  les  syndicats, et assurer aux Canadiens la possibilité de contribuer significativement au développement des politiques et programmes sociaux

Maintenir les programmes et les services sociaux

Faire en sorte que les programmes sociaux bénéficient d'un financement suffisant, abordable, stable et durable (...)

2.      La mobilité partout au canada

(...) Les gouvernements s'assureront que les nouvelles initiatives en matière de politique sociale ne créent aucun nouvel obstacle à la mobilité. Les gouvernements élimineront, d'ici trois ans, toutes les politiques ou pratiques fondées sur des critères de résidence, qui restreignent l'accès à l'éducation post­secondaire, à la formation professionnelle, à la santé, aux services sociaux et à l'aide sociale, à moins qu'on puisse faire la preuve que ces politiques ou pratiques sont raisonnables et qu'elles respectent les principes de l'entente-cadre sur l'union sociale.(...)

3.      Informer les canadiens - imputabilité publique et transparence

L'union sociale du Canada peut être renforcée par une transparence et une imputabilité accrues de chacun des gouvernements envers leurs commettants. Chaque gouvernement s'engage donc à :

Atteindre et mesurer les résultats

•    Suivre de près ses programmes sociaux, en mesurer le rendement et publier des rapports réguliers pour informer ses commettants du rendement obtenu (...)

Faire participer les Canadiens

•    S'assurer que des mécanismes sont en place pour permettre aux Canadiens de participer à l'élaboration des priorités sociales et d'examiner les résultats obtenus à cet égard. (...)

5. Le pouvoir fédéral de dépenser - Améliorer les programmes sociaux des Canadiens

Les transferts sociaux aux provinces et aux territoires

L'utilisation du pouvoir fédéral de dépenser, conformément à la Constitution, a été essentielle au développement de l'union sociale canadienne. Le pouvoir de dépenser a souvent été utilisé par le gouvernement du Canada pour transférer des fonds aux gouvernements provinciaux et territoriaux. Ces transferts appuient la livraison des programmes et des services sociaux par les provinces et les territoires, afin de favoriser la mobilité et l'égalité des chances pour tous les Canadiens et la poursuite d'objectifs pancanadiens.

Les transferts sociaux conditionnels ont permis aux gouvernements de lancer des programmes sociaux nouveaux et innovateurs, comme l'assurance-maladie, et de veiller à ce que ces programmes soient offerts à tous les Canadiens. Lorsque le gouvernement fédéral a recours à ce type de transferts, qu'il s'agisse de programmes a frais partagés ou de financement fédéral, il se doit de procéder d'une manière coopérative, qui soit respectueuse des gouvernements provinciaux et territoriaux, et de leurs priorités. (...)

Annexe 3 : Loi canadienne de la santé (extraits)

Loi concernant les contributions pécuniaires du Canada ainsi que les principes et conditions applicables aux services de santé assurés et aux services complémentaires de santé

Considérant que le Parlement du Canada reconnaît :

que le gouvernement du Canada n'entend pas par la présente loi abroger les pouvoirs, droits, privilèges ou autorités dévolus au Canada ou aux provinces sous le régime de la Loi constitutionnelle de 1867 et de ses modifications ou à tout autre titre, ni leur déroger ou porter atteinte, (...) considérant en outre que le Parlement du Canada souhaite favoriser le développement des services de santé dans tout le pays en aidant les provinces à en supporter le coût, (...)

Objectif premier

3. La politique canadienne de la santé a pour premier objectif de protéger, de favoriser et d'améliorer le bien-être physique et mental des habitants du Canada et de faciliter un accès satisfaisant aux services de santé, sans obstacles d'ordre financier ou autre (...)

Contribution pécuniaire

5. Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le Canada verse à chaque province, pour chaque exercice, une pleine contribution pécuniaire à titre d'élément du Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (ci-après, Transfert)

Conditions d'octroi

Règle générale

7.  Le versement à une province, pour un exercice, de la pleine contribution pécuniaire visée à l'article 5 est assujetti à l'obligation pour le régime d'assurance-santé de satisfaire, pendant tout cet exercice, aux conditions d'octroi énumérées aux articles 8 à 12 quant à : a) la gestion publique; b) l'intégralité; c) l'universalité; d) la transférabilité; e) l'accessibilité. (...)

Gestion publique

8.  (1) La condition de gestion publique suppose que :

  • le régime provincial d'assurance-santé soit géré sans but lucratif par une autorité publique nommée ou désignée par le gouvernement de la province;
  • l'autorité publique soit responsable devant le gouvernement provincial de cette gestion;
  • l'autorité publique soit assujettie à la vérification de ses comptes et de ses opérations financières par l'autorité chargée par la loi de la vérification des comptes de la province. (...)

Intégralité

9.  La condition d'intégralité suppose qu'au titre du régime provincial d'assurance-santé, tous les services de santé assurés fournis par les hôpitaux, les médecins ou les dentistes soient assurés, et lorsque la loi de la province le permet, les services semblables ou additionnels fournis par les autres professionnels de la santé. (...)

Universalité

10.  La condition d'universalité suppose qu'au titre du régime provincial d'assurance- santé, cent pour cent des assurés de la province ait droit aux services de santé assurés prévus par celui-ci, selon des modalités uniformes. (...)

Transférabilité

11.  (1) La condition de transférabilité suppose que le régime provincial d'assurance- santé :

  • n'impose pas de délai minimal de résidence ou de carence supérieur à trois mois aux habitants de la province pour qu'ils soient admissibles ou aient droit aux services de santé assurés;
  • prévoie que ses modalités d'application assurent le paiement des montants pour le coût des services de santé assurés fournis à des assurés temporairement absents de la province (...)

Accessibilité

12.  (1) La condition d'accessibilité suppose que le régime provincial d'assurance- santé:

  • offre les services de santé assurés selon des modalités uniformes et ne fasse pas obstacle, directement ou indirectement, et notamment par facturation aux assurés, à un accès satisfaisant par eux à ces services;
  • prévoie la prise en charge des services de santé assurés selon un tarif ou autre mode de paiement autorisé par la loi de la province;
  • prévoie une rémunération raisonnable de tous les services de santé assurés fournis par les médecins ou les dentistes;
  • prévoie le versement de montants aux hôpitaux, y compris les hôpitaux que possède ou gère le Canada, à l'égard du coût des services de santé assurés.

Annexe 4 : Mémoire du groupe de travail de la commission pour le développement de l'emploi des personnes handicapées

(extraits du Sommaire exécutif, 14 avril 1999)

2.      Sujet:

Intégration des personnes handicapées à la politique active du marché du travail

3.      Objet :

Recommandations du groupe de travail

4.      Exposé de la situation

Le 23 juin dernier, la Commission des partenaires du marché du travail était saisie du mémoire de la Chambre de commerce du Québec, de l'Alliance des manufacturiers et des exportateurs du Québec et du Conseil du patronat du Québec portant sur l'intégration des personnes handicapées au marché du travail. Les trois associations d'affaires recommandaient de confier à la Commission le mandat d'établir une politique active d'intégration à l'emploi des personnes handicapées.

La Commission mandatait alors Emploi-Québec pour effectuer une étude de faisabilité des mesures proposées dans le mémoire et créait un groupe de travail composé de représentants de la Commission, de l'Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ), du CAMO pour les personnes handicapées et du mouvement associatif pour les personnes handicapées pour qu'il lui soumette ses recommandations quant aux orientations à prendre pour favoriser l'intégration des personnes handicapées au sein de la politique active du marché du travail.

5.      Stratégies d'intervention pour les personnes handicapées

Conscients de l'ampleur du projet, car l'intégration en emploi des personnes handicapées recouvre de multiples facettes et interpelle des intervenants provenant de différents horizons, les membres du groupe de travail se sont appuyés, pour définir les stratégies d'intervention pour les personnes handicapées propres à Emploi-Québec, sur les propositions avancées par le CAMO pour les personnes handicapées dans son document Pour un réel parcours individualisé des personnes handicapées vers l'emploi. Quoique certaines nuances aient été apportées vis-à-vis les conditions de réussite mises de l'avant par le CAMO pour les personnes handicapées, l'essentiel en a toutefois été préservé.

Les stratégies et les outils d'intervention retenus pour l'intégration des personnes handicapées au marché du travail sont présentées dans la version intégrale du mémoire auquel réfère ce sommaire exécutif. Brièvement, soulignons que les stratégies privilégiées tiennent compte des éléments suivants :

  • la reconnaissance d'une problématique spécifique ;
  • des responsabilités clairement identifiées et la formation du personnel ;
  • le recours à l'expertise spécialisée ;
  • l'accessibilité des services ;
  • la sensibilisation des milieux de travail et la formation des travailleurs et travailleuses ;
  • l'aide à l'embauche et à la formation des personnes handicapées ;
  • la représentation du milieu associatif des personnes handicapées auprès de la Commission et d'Emploi-Québec ;
  • le transfert au secteur de l'emploi des programmes visant l'emploi des personnes handicapées ;
  • la garantie d'un accès universel aux services de main-d'œuvre et de formation ;
  • la garantie d'un accès universel à tous les programmes de formation ;
  • l'évaluation et le suivi. (...)

7. Recommandations

Les membres du groupe de travail partagent l'orientation de base en matière de services aux personnes handicapées soumise par le milieu associatif qui les représentent et auquel se joint le CAMO pour les personnes handicapées, à savoir que la lutte contre l'exclusion et la marginalisation doit se faire par le moyen de l'intégration ainsi que par la reconnaissance du droit à l'adaptation. À cette fin, le groupe de travail reprend les trois prémisses avancées par le CAMO dans son document « Pour un réel parcours », à savoir qu'il faut :

  • que la personne handicapée bénéficie d'un suivi cohérent tout au long de son parcours vers l'emploi ;
  • que les services publics d'emploi et les intervenants externes fournisseurs de services spécialisés aux personnes handicapées gèrent par résultats et offrent des services complémentaires ;
  • que les mesures et services favorisent le maintien et la mobilité professionnelle au sein des entreprises pour les travailleurs et travailleuses handicapées.    Cela implique notamment l'adaptation de l'organisation du travail, celle du milieu et l'accès à une formation qualifiante. (...)

Annexe 5 : Portrait statistique sur l'emploi et l'inclusion socio-économique

L'Enquête sur la santé et les limitations d'activités de Statistiques Canada (ESLA) révèle, qu'il y avait, en 1991, 4,2 millions de personnes ayant des limitations fonctionnelles au Canada, soit 16% de la population totale. Au Québec, 780 000 personnes ont déclaré avoir au moins une incapacité, soit 11,5% de la population québécoise.

Cette enquête nous indique également que la population active ayant des limitations fonctionnelles est de 424 000 au Québec, soit 54,4 % de la population ayant des limitations fonctionnelles. De ce nombre, 163 000 (38,4 %) occupent un travail, 34 000 (8 %) se sont déclarées en chômage et 227 000 (53,6 %) sont des personnes inactives.

Si l'on compare le taux de chômage et le taux d'activité entre la population ayant des limitations fonctionnelles et celle n'ayant pas de limitations fonctionnelles, on constate une situation d'exclusion du marché du travail des personnes ayant des limitations. Le taux de chômage chez la population ayant une limitation fonctionnelle est de 17,3 % comparativement à 11,9% parmi celle n'ayant pas de limitations fonctionnelles. Le taux d'activité chez la population ayant des incapacités est de 47 % comparativement à 77,8 % parmi celle n'ayant pas de limitations fonctionnelles. De plus, cette étude nous révèle que 60 % des personnes ayant des limitations fonctionnelles ont un revenu inférieur au seuil de faible revenu établi par Statistique Canada.

Selon les statistiques du ministère de la Sécurité du revenu de mars 1992, il y avait 88 800 personnes ayant des limitations fonctionnelles, âgées de 18 ans et plus, qui étaient inscrites au programme de soutien financier, soit 11,4% de la population québécoise ayant des limitations fonctionnelles. Le portrait socio-économique 1995-1996 indiquait 120 000 personnes, dont 80 000 vivant avec une déficience intellectuelle, dans la période précédant l'entrée en vigueur de la Loi 186. Dans la très grande majorité des cas, les personnes ayant des limitations fonctionnelles, qui travaillent, sont réduites à occuper des postes à temps partiel. Bon nombre ne trouvent que des emplois temporaires subventionnés, et oscillent constamment entre l'emploi, l'assurance-chômage et l'aide sociale. Dans le document Portrait socio-économique des femmes ayant des incapacités de la collection statistique 1995-1996 de l'OPHQ, on y lit : « 64 % des femmes ayant des incapacités se retrouvent hors de la population active ».

Parmi les 82 jeunes ayant des limitations fonctionnelles rencontrés lors d'une étude produite pour le CAMO pour personnes handicapées (Comité d'adaptation de la main-d'œuvre) sur les jeunes et jeunes adultes ayant des limitations fonctionnelles, près de 16 % ne dépasseront probablement pas le stade de l'éducation primaire, 51 % n'ont pas terminé leurs études secondaires ou n'ont pas poursuivi leurs études après l'obtention d'un diplôme d'études secondaires (DES).83 Il est important de noter que selon l'ESLA de 1991, 61,8% des personnes ayant des limitations fonctionnelles québécoises âgées entre 15 et 34 ans ont, au plus, une formation secondaire. Les résultats de l'étude du CAMO semblent démontrer que la situation n'a donc pas évolué depuis ; si oui, elle a légèrement régressé.

Le taux d'activité des jeunes ayant des limitations fonctionnelles de 15 à 34 ans s'élève à plus de 57 % comparativement à 47 % chez l'ensemble de cette population. Il y a donc plus de jeunes en emploi que chez les autres groupes d'âge.

Chez les jeunes ayant des limitations fonctionnelles, 54,6 % des femmes et 59,8 % des hommes travaillent ou sont en période de chômage. Rappelons que les jeunes ayant des limitations fonctionnelles constituent 6 % de la population vivant avec une limitation fonctionnelle.

Certaines précisions s'imposent afin d'expliquer le taux d'activité des jeunes. La grande majorité occupe des emplois dans des centres de travail adapté (CTA) ou alors des emplois subventionnés par des contrats d'intégration au travail (CIT). Indépendamment du niveau de scolarité atteint par les personnes ayant des limitations fonctionnelles, les emplois qu'elles occupent sont majoritairement soumis à une subvention de tout acabit, précaire, à durée déterminée et non intégrée au marché du travail régulier. De plus, ces emplois sont souvent issus du secteur de l'économie sociale, secteur qui est sous-financé et qui réussit tant bien que mal à survivre grâce à des programmes d'employabilité.

Cette enquête nous révèle également les motifs invoqués par les personnes sans emplois ayant des limitations fonctionnelles pour expliquer leur exclusion de la population active. Parmi ces motifs, soulignons que 16 % des personnes ont des problèmes de formation qui font qu'elles ne se sentent pas compétentes pour occuper un emploi. Par ailleurs, 21 % des personnes sans emploi perdraient la totalité ou une partie de leur revenu actuel si elles réintégraient le marché du travail, compte tenu de l'inexistence de mesures de transition dans les programmes de remplacement du revenu. Enfin, 15 % de ces personnes se sont découragées de chercher un emploi et croient qu'il n'y a tout simplement pas d'emplois disponibles.

L'étude du Comité d'adaptation de la main-d'œuvre pour personnes handicapées sur la situation des jeunes et jeunes adultes ayant des incapacités au Québec démontre clairement que ces derniers n'ont pas accès à ce genre de formation et cela en raison d'obstacles environnementaux engendrés par leur limitation fonctionnelle.

Annexe 6 : Guide d'entrevue

A.      Santé et services sociaux

1)      Maintien à domicile (assistance personnelle et aide domestique)

Parlez-moi de la façon dont vous avez eu ou n'avez pas eu, accès à des services d'aide. Est-ce plus difficile qu'avant de les obtenir ?

L'allocation directe que l'on vous attribue pour payer ces services est-elle suffisante ? Parlez-moi   de   l'évaluation   de   vos   besoins  en   maintien   à  domicile   par  des professionnels de la santé ou travailleurs sociaux ?  Les services que l'on vous offre en conséquence couvrent-ils tous vos besoins ?

Quelles conséquences a eu la mise en vigueur du chèque emploi-service sur vos habitudes de vie ?

Utilisez-vous des entreprises de services (d'économie sociale) ou agences, référées par votre CLSC? Comment appréciez-vous les services rendus? Y a-t-il des frais supplémentaires à assumer ?

Vos critères : Pour le maintien à domicile, quel(s) type(s) de services ou de ressources répondraient le mieux à vos besoins et à ceux de votre famille ? Ça serait quoi un ou des services de qualité pour vous ?

2)      Soutien à la famille (gardiennage, répit, dépannage...)

De quels services avez-vous le plus besoin ? Et pour qui (enfant handicapé, adulte...)? Comment avez-vous ou n'avez-vous pas eu, accès à des services? Où allez-vous chercher ces services (CLSC, hôpital,...) ? Qui les paie ? Quand on a ce genre de besoins en région (en dehors des grands centres urbains), comment ça se passe ?

Le cas échéant, quel a été l'impact de la mise en vigueur du chèque emploi-service ?

Vos critères : Pour le soutien à votre famille, quel(s) type(s) de services ou de ressources répondraient le mieux à vos besoins? Ça serait quoi un service de qualité pour vous ?

3)      Les aides techniques (transfert de l'OPHQ à RAMQ/MSSS)

Quels types de problèmes rencontrez-vous dans l'acquisition d'aides dont vous avez besoin ?

Avez-vous des difficultés à obtenir des aides techniques de la part des organismes qui les fournissent ? Vos besoins sont-ils comblés complètement ?

Le cas échéant, quelles sont les conséquences d'avoir à payer une partie des frais d'entretien et de réparation, et les assurances pour les couvrir ?

Vos critères : Pour obtenir, utiliser et renouveler ces aides techniques, quel(s) type(s) de services ou de ressources répondraient le mieux à vos besoins et à ceux de votre famille ? Ça serait quoi un service de qualité pour vous ?

4) Bilan général et adaptation

Pour tout le domaine de la santé et des services sociaux, quels changements vous sont apparus les plus importants au cours des dernières années ? Si ces changements sont négatifs, quelles sont les pertes que vous avez subies ? À quoi ces changements sont-ils attribuables ?

Les installations, les programmes et la prestation de services sont-ils adaptés à votre handicap ou limitation fonctionnelle ? Selon vous, quels sont les plus gros obstacles dans l'adaptation des services ? Comment faire en sorte de faire disparaître ces obstacles ?

5) Le rôle de l'OPHQ

Qu'attendiez-vous de l'OPHQ avant les transferts de services aux différents ministères et régies ? Quelles ont été les conséquences concrètes de ces transferts selon vous ? S'il y a eu des problèmes engendrés par ces transferts, comment y faire face aux plans local, régional et national?

Quels services recevez-vous actuellement ? Comment appréciez-vous ces services ? Quels rôle et mandat voudriez-vous que l'OPHQ assume maintenant ?

B.      Soutien du revenu

6) Nouveaux programmes

Comment vous a-t-on informé des nouveaux programmes mis en place ? Que pensez-vous de ces programmes ? Voyez-vous une différence avec ceux existant avant ?

Besoins fondamentaux

Quels besoins de base couvrez-vous avec les prestations que vous recevez ? Quels besoins de base ne peuvent être couverts ? Qu'est-ce qui vous manque le plus ? Avez-vous à assumer, à même vos prestations de base, des dépenses liées à votre déficience ou incapacité ? Quelles sont les conséquences ?

Parlez-moi de vos habitudes de vie pour joindre les deux bouts. Ça veut dire quoi « vivre sur le BS »?

Pouvez-vous me parler de personnes ayant des limitations fonctionnelles qui vivent sans aucune source de revenu à cause des conditions d'admissibilité aux programmes de soutien du revenu ou autres programmes ?

Besoins spéciaux et prestations spéciales

Comment obtenez-vous les prestations spéciales auxquelles vous avez droit pour répondre à certains besoins spéciaux (alimentation, prothèse, accessoires, appareils, fauteuils,...)?

Si vous receviez un salaire régulier, est-ce que ces besoins spéciaux seraient couverts par d'autres formes de prestations, de subventions ou d'aide gratuite ? Si non, quelle est votre attitude face à cette réduction éventuelle de l'aide ?

C.      Emploi et intégration au travail

7)      Accès et intégration

Quel genre de formation avez-vous besoin pour intégrer le marché du travail ? Quels sont les obstacles à l'obtention de cette formation ?

Parlez-moi de votre expérience avec votre Centre local d'emploi (CLE) ou votre Service externe de main-d'œuvre (SEMO).

Parlez-moi des mesures actives d'emploi que l'on vous a proposées récemment, en lien avec vos besoins et vos attentes. Les mesures d'emploi que l'on vous a proposées sont-elles en lien avec les études que vous avez menées ? Ou celles que vous voulez entreprendre ? Comment vous donnent-elles accès à des vrais emplois rémunérés, au marché du travail régulier ?

Avez-vous pu acquérir une formation, dans un milieu de travail régulier, qui a développé de façon significative vos capacités et vos compétences ?

8)      Bilan général et adaptation

Pour le domaine de l'intégration au travail, quels changements vous sont apparus les plus importants au cours des dernières années ? Si ces changements sont négatifs, quelles sont les pertes que vous avez subies? À quoi ces changements sont-ils attribuables ?

Les installations, les programmes et la prestation de services sont-ils adaptés à votre handicap ou limitation fonctionnelle ? Selon vous, quels sont les plus gros obstacles dans l'accommodement des services? Comment faire en sorte de faire disparaître ces obstacles ?

Vos critères : Pour l'intégration au marché du travail, quel(s) type(s) de services ou de ressources correspondraient le plus à vos attentes (ex : CTI, CTA, service de placement spécialisé,...) ? Ça serait quoi un service de qualité ?

D.      Questions facultatives

a)      Réforme de la sécurité du revenu Programme de protection sociale

Si vous avez été admis au Programme de protection sociale, comment cela s'est-il passé ? Outre la prestation de base à laquelle vous aviez droit, comment avez-vous pu obtenir l'allocation pour contraintes permanentes ou d'une durée indéterminée à l'emploi dont vous aviez besoin ?

Programme Assistance-emploi

Comment s'est réalisée votre admissibilité à ce programme ? Outre la prestation de base à laquelle vous aviez droit, considérez-vous avoir obtenu l'allocation pour contraintes temporaires à l'emploi dont vous aviez besoin ?

Outre la prestation de base à laquelle vous aviez droit, considérez-vous avoir obtenu l'allocation pour contraintes sévères à l'emploi dont vous aviez besoin ?

b)      Connaissance des recours

Pour le domaine de la santé et des services sociaux, connaissez-vous les mécanismes de recours en cas de plainte à porter? Quelle est votre expérience avec ces mécanismes ? Qu'en pensez-vous ?

Pour le soutien du revenu et l'intégration au travail, connaissez-vous les mécanismes de recours en cas de demande de révision ? Quelle est votre expérience avec ces mécanismes ? Qu'en pensez-vous ?

c)       Rôle des associations

Parlez-moi des impacts de ces réformes sur les services rendus et le travail de votre association.

Annexe 7 : Grille d'analyse des comptes rendus d'entrevue

  • Impression générale face à cette entrevue ?
  • a) Quels sont les effets les plus saillants notés par les répondants pour les thèmes abordés, à savoir :
  • maintien à domicile
  • soutien à la famille
  • aides techniques
  • adaptation du secteur santé et services sociaux
  • soutien du revenu
  • emploi et intégration au travail
  • adaptation du secteur travail

b) Dans quels domaines de la vie quotidienne ces effets sont-ils vécus ?

3)  Plus largement, quels sont les changements les plus importants notés par les répondants ? À quoi ces changements sont-ils attribuables?

  • aux compressions,
  • à la décentralisation,
  • à l'éparpillement des ressources,
  • à la multiplicité des portes d'entrée,
  • au manque de formation et de sensibilité des intervenants,
  • à l'inaccessibilité des lieux ou des services...

4)  Quels sont les principaux constats des répondants :

  • sur la question des transferts de programme ?
  • sur le rôle et la place de l'OPHQ ?
  • sur le rôle et la place des associations ?
  • Qu'en est-il de la défense des droits pour les personnes ayant des limitations fonctionnelles ?
  • Quelles perspectives et voies de solution sont envisagées par les répondants dans

les différents domaines ? Quelles sont les divergences de point de vue à cet égard ?

7)   Par rapport aux hypothèses de travail formulées dans le  plan général,  les renseignements vont-iis dans le sens prévu ?

  • Par rapport aux hypothèses de la recherche juridique, les renseignements vont-ils dans le sens prévu ?
  • Y a-t-il de nouvelles hypothèses qui se dégagent de ces données ? Quelles sont- elles ?
  • Par rapport aux prises de position et analyses antérieures de la COPHAN, quels sont les éléments confirmés ?  Y a-t-il des nouveautés ? Des prises de position contradictoires ?
  • Par rapport aux principes et valeurs généralement reconnus dans le milieu, quelles sont les tendances les plus manifestes ? Quelles sont les éléments nouveaux ?
  • Le cas échéant, quelles sont les modifications à apporter au Guide d'entrevue (nouvelles questions, etc.) ?

Annexe 8 : Profil des répondants

Ce sont principalement des personnes relativement scolarisées, avec des déficiences ou des incapacités, d'une quarantaine d'années et étant impliquées dans des associations ou organismes de promotion des intérêts des personnes ayant des limitations fonctionnelles dans la grande région de Montréal qui ont participé activement aux entrevues de cette recherche.

Plus précisément, 23 personnes ont participé aux entrevues de groupe, dont seize hommes et huit femmes, et une personne a accordé une entrevue individuelle. L'âge moyen des hommes était de 49,6 ans et celui des femmes de 35,3 ans.

Seize de ces personnes habitaient l'île de Montréal, 5 dans sa grande périphérie, et deux provenaient des régions plus éloignées.

La majorité des personnes consultées, soit 15, avait atteint le niveau universitaire, les huit autres se répartissant entre les niveaux primaire (5), secondaire (1) et collégial (2).

Au plan de l'occupation et des revenus, 12 personnes mentionnent que le travail salarié ou sous d'autres formes, constitue leur source de revenu principale, alors que 6 autres touchent des prestations de la sécurité du revenu ou une rente d'invalidité, une personne est retraitée, une autre étudiante, alors que trois déclarent avoir un autre type d'occupation.

La majorité de ces personnes, soit 19, ont une ou plusieurs déficiences.

Toutes ces personnes étaient actives au sein d'une association à titre de membre du conseil d'administration (10), de bénévole (5) ou à d'autres niveaux d'engagement (8), et neuf d'entre elles participent à un comité local, régional ou national de concertation dans le domaine de l'emploi.

Annexe 9 : Liste des associations dont les répondants étaient membres

  • Association québécoise des étudiants ayant des incapacités au post-secondaire (AQEIPS)
  • Association générale des insuffisants rénaux (AGIR)
  • Comité provincial des adultes fibro-kystiques (CPAFK)
  • Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec (RAAQ)
  • Fondation Sommeil : association de personnes atteintes de déficiences reliées au sommeil
  • Centre québécois de la déficience auditive (CQDA)
  • Action Autonomie
  • Association de la neurofibromatose du Québec (ANFQ)
  • Association des paraplégiques du Québec (APQ)
  • Association des personnes de petite taille (AQPPT)
  • Société canadienne de la sclérose en plaques (SCCP)
  • Mouvement des personnes d'abord de Montréal
  • Association québécoise des parents d'enfants handicapés visuels (AQPEHV)

Annexe 10 : Présentation de la COPHAN

La COPHAN, pour et par ses membres, est un organisme à but non lucratif, incorporé depuis 1985, qui milite pour la défense des droits et la promotion des intérêts des personnes ayant des limitations fonctionnelles, de tous âges, et de leurs proches.

Elle regroupe une trentaine d'organismes provinciaux de personnes ayant des limitations fonctionnelles et rejoint toutes les limitations fonctionnelles : motrices, organiques, neurologiques, troubles d'apprentissage, intellectuelles, visuelles, auditives, parole et langage et santé mentale.

Le mandat de la COPHAN est de favoriser la concertation entre ses membres, d'établir une collaboration avec le milieu associatif et les partenaires, de représenter et de défendre les revendications du mouvement associatif des personnes ayant des limitations fonctionnelles auprès des instances décisionnelles.

Grâce à la collaboration, la consultation et la concertation de ses membres, la COPHAN s'implique et intervient, au niveau fédéral et provincial, dans le vaste domaine des politiques sociales : la santé et les services sociaux, l'éducation, le transport, le travail, le développement de la main-d'œuvre, la justice, la sécurité du revenu, l'aide juridique, la fiscalité, la culture, les loisirs, etc.

La COPHAN offre du soutien technique, de l'information et de la formation à ses membres. Les personnes qui vivent quotidiennement les difficultés sont les véritables experts : leurs compétences, leurs expériences et leurs recommandations doivent influencer les décisions politiques. La COPHAN n'existe que par ses membres et les actions à privilégier touchent tous les aspects de leur vie.

Liste des membres actifs de la cophan (2000-2001)

Action Autonomie

Alliance des regroupements des usagers du transport adapté du Québec (ARUTAQ)

Association canadienne de la dystrophie musculaire (ACDM)

Association canadienne des victimes de la thalidomide (ACVT)

Association de la neurofibromatose du Québec (ANFQ)

Association de spina-bifida et d'hydrocéphalie du Québec (ASBHQ)

Association des paraplégiques du Québec (APQ)

Association du Québec pour enfants avec problèmes auditifs (AQEPA)

Association générale des insuffisants rénaux (AGIR)

Association québécoise des étudiants ayant des incapacités au postsecondaire (AQEIPS)

Association québécoise des parents d'enfants handicapés visuels (AQPEHV)

Association québécoise des personnes de petite taille (AQPPT)

Association québécoise pour les troubles d'apprentissage (AQETA)

Centre québécois de la déficience auditive (CQDA)

Comité des personnes atteintes du VIH

Comité provincial des Adultes Fibro kystiques (CPAFK)

Emmanuel l'Amour qui Sauve

Fédération des Mouvements personnes d'abord du Québec (FMDPQ)

Fédération québécoise des laryngectomisés (FQL)

Fondation Sommeil : association de personnes atteintes de déficiences reliées au sommeil

Regroupement des associations de personnes aphasiques du Québec (RAPAQ)

Regroupement des aveugles et amblyopes du Québec (RAAQ)

Regroupement québécois pour personnes avec acouphènes (RQPA)

Société Canadienne de la Sclérose en Plaques - Division Québec (SCSP)

Société Logique

Société québécoise de l'autisme (SQA)

Membres de soutien

Association canadienne de l'Ataxie de Friedreich (ACAF)

Conseil québécois des entreprises adaptées

Notes

1 Travaux du Comité international pour la classification des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH) repris par le Comité québécois sur la classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (CQCIDIH) et la Société canadienne de la classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (SCCIDIH). Un texte de Dominique LIZOTTE et Patrick FOUGEYROLLAS, « Du  droit  comme facteur  déterminant de  la  participation  sociale  des  personnes  ayant  des incapacités », (1997) 38 C. de D. 315, propose une réflexion particulièrement pertinente dans ce contexte. Les définitions qui suivent s'inspirent de cet article. Nous nous sommes également servi de la brillante et utile réflexion sur cette question, que constitue le deuxième chapitre du livre de Jérôme E. BICKENBACH, Physical Disability and Social Policy, Toronto, University of Toronto Press, 1993. p. 20-60.

2 Ces deux termes sont synonymes.

3 François CHAPIREAU, Le cadre conceptuel de la classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (CIDIH), Strasbourg, Conseil de l'Europe, Service de publication et de documentation, 1992, p. 8, cité par Gail FAWCETT, Ph.D., Vivre avec une incapacité au Canada : un portrait économique, Ottawa, Développement des ressources humaines Canada (Bureau de la condition des personnes handicapées), 1996, p.5.

4 L.R.Q. c. C-12.

5 « Avant-propos », À part... égale - L'intégration sociale des personnes handicapées : un défi pour tous, OFFICE DES PERSONNES HANDICAPÉES DU QUÉBEC, ministère des Affaires sociales, 1984. On retrouvera dans l'annexe 1 de la présente étude un résumé des 15 orientations gouvernementales contenues dans ce document.

6 L'annexe 2 présente des extraits de cette entente-cadre.

7 II s'agit de la Loi sur le soutien du revenu et favorisant l'emploi et la solidarité sociale, [1998] L.Q., c. 36 et de la Loi sur les services de santé et les services sociaux, L.R.Q. c. S-4.2.

8 L'Éducation joue également un rôle essentiel : comment en effet intégrer des personnes parvenues à l'âge adulte, qui ont subi la ségrégation pendant toutes leurs années de formation et qui n'ont pas acquis une formation scolaire et sociale pertinente et suffisante ? Dans les années 80, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et l'OPHQ avaient conjointement examiné le, système d'éducation et avaient exigé que l'on reconnaisse l'intégration aux services éducatifs ordinaires comme la norme.   Cette recommandation n'a toujours pas été suivie et la ségrégation à laquelle faisaient face alors un grand nombre d'élèves ayant une limitation fonctionnelle, sévit toujours. !! faudrait reprendre ailleurs l'examen de ce problème, qui n'a pas pu être abordé au cours de la présente recherche.

9 Depuis 1996, les transferts sociaux aux provinces passent par le Transfert social canadien (TSC), dont le nom officiel est maintenant Transfert canadien en matière de santé et de programmes sociaux (TCMSPS). Ce transfert a fusionné deux programmes distincts du gouvernement fédéral : le Financement des programmes établis (pour la santé et l'éducation post-secondaire) et le Régime d'assistance publique du Canada (pour l'aide sociale), qui reposaient sur des méthodes de calcul différentes. Toutes les provinces, y compris le Québec, reçoivent aussi des paiements de transfert du gouvernement fédérai en vertu du régime de péréquation qui vise à réduire les disparités au pian de la capacité fiscale des provinces.

10 Mémoire présenté à la Commission d'étude sur le financement et l'organisation des services de santé et des services sociaux, septembre 2000, p. 8. Dans une série de reportages sur les enjeux soulevés par cette commission, appelée commission Clair du nom de son président, La Presse faisait ressortir « le spectre de la privatisation et de la médecine à deux vitesses ». (Jean-François Bégin, « Le privé cogne à la porte », 11 octobre 2000.

11 En vertu de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, la responsabilité en matière de santé relève des provinces. Le gouvernement fédéral a toutefois établi des principes fondamentaux pour les. programmes qu'ils financent, dont celui en matière de santé. C'est pourquoi les provinces doivent satisfaire à cinq grands critères pour être éligibles au partage fédéral des frais. Il s'agit actuellement des critères, définis dans la Loi canadienne de la santé, de gestion publique, d'intégralité, d'universalité, de transférabilité, et d'accessibilité à tous les résidants admissibles, voir l'annexe 3 pour la définition de ces critères.

12 L'établissement de ces programmes a longtemps été contesté par certaines provinces et une grande partie du corps médical, ce dernier y voyant une dangereuse « socialisation de la santé et de la... profession [médicale] ». Il y aurait beaucoup à apprendre de l'histoire de ces réformes sociales.

13 Pierre FORTIN, L'impact des lois de l'assurance-emploi de 1990, 1994 et 1996 sur l'aide sociale du Québec, Montréal, Auteur, 1997.

14 Mémoire présenté à la Commission de la culture sur le projet de loi 143. L'accès à l'égalité en emploi dans les organismes publics et modifiant la Charte des droits et libertés de la personne, COPHAN, août 2000, p. 3. On retrouvera dans l'annexe 4 des extraits du Mémoire présenté par le Groupe de travail dé la Commission pour le développement de l'emploi des personnes handicapées à la Commission des partenaires du marché du travail, dont il est fait mention dans cette citation et qui fut adopté en juin 1999.

15 On retrouvera à l'annexe 5 quelques données statistiques sur les adultes, les femmes et les jeunes.

16 Voir l'annexe 6.

17 On a aussi utilisé une version préliminaire du rapport présenté au Comité des partenaires du CAMO pour personnes handicapées par HERMES Information Stratégique,   Un portrait de la situation socioprofessionnelle des jeunes et des jeunes adultes handicapés au Québec, pour la formulation des questions sur l'intégration au travail.

18 Les citations des répondants incluses dans la présente recherche sont tirées de ces comptes rendus. Les chiffres   entre parenthèses indiquent le numéro de l'entrevue et la page où elle se retrouve.

19 La grille est reproduite à l'annexe 7.

20 Voir l'annexe 8. La liste des associations dont étaient membres les répondants se retrouve à l'annexe 9.

21 Jan BARNSLEY et Diana ELLIS, La recherche en vue de stratégies de changement - Guide recherche-action pour les groupes communautaires. The Women's Research Centre, 1992, p. 23.

22 Dans le cadre du programme d'Allocation directe et de l'instauration du chèque emploi-service, il était établi que le demandeur de services pouvait recruter « la personne qui vous donne déjà des services ou une nouvelle personne », comme il est écrit dans la brochure du MSSS. Pas de surprise donc que les personnes tiennent à cette possibilité de choisir une personne de l'entourage ou de la famille, qui peut garantir ce respect fondamental. C'est là que l'expression « service personnalisé » prend tout son sens.

23 Le transport adapté n'a pas été abordé lors de cette recherche. On reconnaît que ce service représente un acquis important.  Mais plusieurs répondants déploraient la mauvaise organisation des services, le manque de fiabilité et les retards.

24 Un seul exemple nous est venu d'un répondant du milieu de la déficience intellectuelle qui intervient régulièrement auprès des services publics, à propos de la formation des employés des centres locaux d'emploi : « Souvent on rencontre des petits os. Avec certains autres, ça va très bien. Mais l'approche globale par rapport à nos participants : ils sont souvent déconnectés.   Même chose quand j'appelle pour un autre participant et que j'explique qu'il vit avec une déficience intellectuelle : « Comment, il peut pas faire une demande lui-même! ».   Sont habitués à toujours dealer comme s'il y avait de la fraude tout le temps. Pas de délicatesse, d'humanisme, souvent ils emploient un langage très technocrate et bureaucratique. » (E 5-9)

25 Dans  ce contexte,  où  se  retrouvent  quotidiennement  les  personnes  avec des  limitations fonctionnelles, les entrevues ont fait ressortir deux attitudes fréquentes.  D'abord, une réaction, parfois viscérale, un ras-le-bol face aux problèmes que l'on identifie comme étant liés à la bureaucratie, aux compétitions entre services, aux graves lacunes, dans certains cas, dans la circulation de l'information sur les programmes mêmes, aux listes d'attente. Par ailleurs, compte tenu que l'on a parfois l'impression de vivre dans une véritable Tour de Babel administrative, les gens qui ont obtenu une information ou un service réfèrent aux personnes qui les ont fourni comme des « perles rares » et n'ont de cesse de mettre en valeur « la chance » qu'ils ont eu de rencontrer une telle ressource.

26 Lors d'une entrevue, une de nos répondantes avait perdu une occasion de formation adaptée à sa situation parce que deux entités gouvernementales différentes ne s'entendaient pas sur l'accréditation d'une ressource éducative. Ces petites incohérences entre ministères, dans ce cas-ci entre ceux de l'Éducation et de la Solidarité sociale, et ces programmes sans portée ne sont pas sans effet sur les gens, il n'est donc pas étonnant que l'on finisse par avoir l'impression d'être dans « une roue qui tourne sans fin. »

Et si on ajoute au portrait la peur de se voir refuser un emploi si on fait état de sa déficience non apparente, la crainte des représailles si on « déclare sa maladie » à l'employeur, l'exigence de trouver parfois un docteur qui a un peu d'humanité pour s'en faire un allié, la nécessité pour des couples parfois de se cacher pour s'aimer, d'activer son système D tous les jours pour faire face à la bureaucratie, eh bien! dans ce contexte, il n'est pas étrange que se développe un certain fatalisme. Il n'est pas étonnant qu'on entende constamment des expressions comme « avoir trouvé cet appartement m'a sauvé » « cette personne m'a sauvé », « j'ai eu la chance d'avoir une information du ministère! » « être pénalisé sur son chèque », « être punie pour avoir dit »...

Ce fatalisme et l'usage de ces expressions sont le reflet d'une société inégalitaire qui offre peu de perspectives d'avenir à ses citoyens et d'un climat souvent marqué par l'autoritarisme et les sanctions. Le rapport des répondants à la chose politique est d'une autre facture. Bien qu'ils partagent avec le commun des mortels une certaine méfiance, un certain cynisme, pour tout ce qui s'apparente à la classe politique, ils ont toutefois une attitude autre quand il s'agit de parler de changements dans les systèmes sociaux, de réformes à entreprendre, d'adaptation des programmes, bref, une autre attitude face au politique, compris au sens large de l'organisation de la société.

27 Voir l'annexe 1. Le dernier chapitre de cette politique, « Un plus juste équilibre », mettait l'accent sur les iniquités subies par les personnes ayant des limitations fonctionnelles, iniquités liées à l'origine de leur déficience et à leur accès ou non à un système d'indemnisation et de compensation pour cette déficience.

28 Trois études présentées au Colloque tenu par l'OPHQ dans le cadre de la célébration de son 20e anniversaire, en février 1999 :

OFFICE DES PERSONNES HANDICAPÉES DU QUÉBEC, Le Québec et l'intégration sociale des personnes handicapées : état de situation multisectoriel, Drummondville, Auteur, 1998. Ce volumineux rapport est complété par deux autres documents :

OFFICE DES PERSONNES HANDICAPÉES DU QUÉBEC, Le Québec et l'intégration sociale des personnes handicapées - Orientations et voies de solution pour l'avenir, Drummondville, Auteur, 1998. OFFICE  DES  PERSONNES   HANDICAPÉES   DU  QUÉBEC,   Relevé  des  données  budgétaires disponibles sur les programmes et services destinés aux personnes handicapées (1995-1996, 1996-1997, 1997-1998), Drummondville, Auteur, 1998.

29 Il s'agit de la Décision n° 88-151 du 29 juin 1988.

30 Voir ci-haut, note 37, premier document.

31 Patrick Fougeyrollas et al., Vers une indemnisation équitable des déficiences, des incapacités et des situations de handicap.  Document de réflexion,   Laboratoire de  recherche  sociale.   Institut de réadaptation en déficience physique du Québec. Février 1999.

32 Nicole Laliberté et Monique Normand, Vaste entreprise de désengagement de l'État dans les services publics et attaque majeure dans les conditions de travail des travailleuses au service des citoyens, Rapport et recommandations du comité ad hoc sur l'économie sociale dans les services à domicile. FSSS-CSN. 14 avril 1998.

33 « La panacée de l'économie sociale », in L'économie sociale. L'avenir d'une illusion, op.cit, p. 29.

34 SOM inc, Évaluation des programmes travail - Contrat d'intégration au travail et Centre de travail adapté, Drummondville, Office des personnes handicapées du Québec, 1996.

35 Le Comité avait d'ailleurs déjà examiné la pauvreté au Canada en 1993 et avait été plutôt cinglant à l'égard du gouvernement canadien dans ses conclusions (E/C. 12/1993/5). On peut y lire notamment : « 12. Compte tenu de l'obligation qu'ont les États parties en vertu de l'article 2 du Pacte de consacrer le maximum des ressources disponibles à la mise en œuvre progressive des droits énoncés dans le Pacte et considérant la situation enviable du Canada pour ce qui est de ces ressources, le Comité se déclare alarmé par la persistance de la pauvreté dans le pays. Aucun progrès sensible n'a été apparemment réalisé au cours de la dernière décennie pour atténuer la pauvreté ou réduire la gravité de la pauvreté parmi un certain nombre de groupes particulièrement vulnérables. » Et également :

« 15. Le Comité note avec préoccupation qu'il n'existe apparemment pas de plan prévoyant que les personnes entièrement tributaires de l'aide sociale touchent un revenu les plaçant au moins au-dessus du seuil de pauvreté. »

36 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Conclusions du Comité sur le rapport périodique du Canada, 4 décembre 1998, E/C.12/1/Add. 31 4.

37 Pauvreté et respect des droits. Le Canada et le Québec au banc des accusés. Le rapport du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l'ONU. Association de juristes américains, FRAPRU et Ligue des droits et libertés, mars 1999, p.4.

38 Sources : Dominique LIZOTTE et Patrick FOUGEYROLLAS, « Du droit comme facteur déterminant de la participation sociale des personnes ayant des incapacités », 38 C. de D. 315, 1997, p. 386-388; ROHER INSTITUTE, Disability, Community and Society: Exploring the Links, North York, Ont., auteur, 1996, p.1-12; OFFICE DES PERSONNES HANDICAPÉES DU QUÉBEC, À part... égale - L'intégration des personnes handicapées : un défi pour tous, Drummondville, auteur, 1984, p. 18; Muriel GARON, La déficience intellectuelle et le droit à l'intégration scolaire, Cowansville, Les Éditions Yvon Biais inc, 1392, p. 5-23.

39 Dominique LIZOTTE et Patrick FOUGEYROLLAS, Ibid., p. 387.

40 Brown c. Board of Education, 347 U.S. 483, 1953. Ce jugement fut appliqué par la Cour d'appel de l'Ontario à la situation de ségrégation scolaire subie par une élève handicapée dans l'affaire Eaton c. Conseil scolaire du Comté de Brant, 22 O.R. (3rd) 1, 1995, jugement cassé par la Cour suprême du Canada [1997] 1 R.C.S. 241).

41 Plessyc. Ferguson, (1896) 173 U.S. 537.

42 Wolf WOLFENSGERGER, Normalization - The Principles of Normalization in Human Sciences, Toronto, National Institute of Mental Retardation, 1972.

43 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, Rapport de la Commission Royale d'enquête sur l'enseignement dans la Province de Québec, Québec, Éditeur officiel du Québec,  1965.  On peut y lire que : « L'éducation des exceptionnels doit, chaque fois que la condition de l'enfant le permet, se rapprocher le plus possible de l'éducation régulière, et ne comporter que les modalités spéciales vraiment indispensables, cela afin de faciliter l'intégration de ces enfants parmi les autres enfants et dans la société ». Le terme exceptionnel désignait alors les enfants ayant une limitation fonctionnelle ou des troubles d'apprentissage.

44 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (Commission d'enquête sur la santé et le bien-être social), Rapport sur la santé et le bien-être social, Québec, Éditeur officiel, 1971 - Tome II, vol. III, intitulé Le développement.

45 MINISTÈRE DE L'ÉDUCATION, Rapport du Comité provincial de l'enfance inadaptée (COPEX), Québec, Auteur, 1976.

46 Loi assurant l'exercice des droits des personnes handicapées, L.R.Q. c. E-20.1.

47 Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q. c. C-12. Articles 10 et 48 (protection des personnes handicapées contre l'exploitation).

48 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC, L'école québécoise : énoncé de politique et plan d'action, Éditeur officiel du Québec, 1979, p. 59 et s.

49 SECRÉTARIAT DES CONFÉRENCES SOCIO-ÉCONOMIQUES DU QUÉBEC, L'intégration de la personne handicapée - État de la situation, Québec, Auteur, 1981.

50 SECRÉTARIAT DES CONFÉRENCES SOCIO-ÉCONOMIQUES DU QUÉBEC, L'intégration de la personne handicapée - Rapport, Québec, Auteur, 1981.

51 GOUVERNEMENT DU QUÉBEC (ministère de la Santé et des Services sociaux), L'intégration des personnes présentant une déficience intellectuelle - Un impératif humain et social, Québec, Auteur, 1988.

52 CANADA, Obstacles - Rapport du Comité spécial concernant les invalides et les handicapés, Ottawa, Approvisionnement et Services Canada. 1981

53 Dans cette première catégorie, on retrouve entre autres : le droit à l'égalité et à la non discrimination (art. 2 et 7), le droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne (art. 3), le droit d'être présumé innocent jusqu'à preuve de la culpabilité (art. 11), le droit à la vie privée (art. 12), le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (art. 18), le droit à la liberté d'opinion et d'expression (art. 19), le droit de réunion et d'association pacifiques (art. 20) et le droit à la. participation à la vie politique (art. 21). On pourrait dire des droits civils et politiques qu'ils imposent la plupart du temps à l'État l'obligation de ne pas faire : ne pas empêcher l'individu de faire ou de penser ceci ou cela. Toute société dite « libérale » accorde un très grande importance à ces droits, porteurs de la liberté et de l'autonomie individuelles.

54 La Proclamation de Téhéran, proclamée par la Conférence internationale des droits de l'homme à Téhéran le 13 mai 1968, article 13.

55 Proclamée par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies le 20 décembre 1971, résolution n° 2856 adoptée à sa 26e session.

56 Proclamée par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies le 9 décembre 1975, résolution n° 3447., adoptée à sa 30e session.

57 Programme d'action mondial concernant les personnes handicapées, adopté par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies le 3 décembre 1982, à la suite de l'Année internationale, des personnes handicapées (1981), document annexé à la résolution A/37/51.

58 Régies concernant l'égalisation des chances des personnes handicapées, adoptées par l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies le 20 décembre 1993, document A/RES/48/96.

59 CONSEIL DES DROITS ÉCONOMIQUES, SOCIAUX ET CULTURELS, Observation générale 5, E/1995/22, adopté à sa 11e session (1994).

60 Eldridge c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 624, ...

61 Par exemple, dans l'arrêt Eaton. Nous faisons ici référence à la déficience comme motif de discrimination : la Cour suprême reproche à Emily Eaton de ne pas avoir « progressé » en classe ordinaire et utilise cette constatation pour justifier son placement ségrégué en classe spéciale, même si la preuve ne démontrait pas qu'un tel placement répondrait mieux aux besoins d'Emily ou qu'elle « progresserait » plus en classe spéciale. Cette notion de « progrès » est essentiellement fondée sur une vision médicale des déficiences et des limitations fonctionnelles : on voudrait amenuiser l'écart de la personne par rapport à la norme, faire qu'elle « guérisse » de ses limitations fonctionnelles. Voilà pour une illustration judiciaire : en fait, si l'on y regarde de près, un grand nombre de services et d'institutions visant à améliorer la situation des personnes ayant des limitations fonctionnelles confirment cette vision médicale.

62 Le concept, a été développé, entre autres, par Erving Goffman au début des années 60, et a été repris par Martha MINOW, Making All the Difference - Inclusion, Exclusion, and American Law, Ithaca, 1990, Cornell University Press, p. 19 et ss. et par Jerome E. BICKENBACH, Physical Disability and Social Policy, Toronto, 1993, University of Toronto Press, p. 177-178. La Cour suprême du Canada a utilisé l'expression récemment dans l'arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comté de Brant, [1997] R.C.S. 241, 273-274.

63 Andrews c. Law Society of British Columbia, [1383] 1 R.C.3. 143, 174

64 lbid.,p. 164.

65 Marie-Thérèse CHICHA-PONTBRIAND, Discrimination systémique - Fondement et méthodologie des programmes d'accès à l'égalité en emploi, Cowansville, Les Éditions Yvon-Blais Inc., 1989, p. 85.

66 Chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne et Action-Travail des Femmes), [1987] 1 R.C.S. 1114

67 Commission des droits de la personne (Rouette) c. Commission scolaire régionale Chauveau, [1993] R.J.Q. 929, 975.

68 Dans certaines situations, la discrimination conduit à la ségrégation, qui se définit ainsi : c'est la mise à part, de manière absolue ou partielle, organisée et réglementée, d'un groupe de personnes, à cause d'une différence identifiable ou présumée. C'est l'établissement d'une hiérarchie entre les groupes d'une société, basée sur le principe que tous les êtres humains ne sont pas égaux en valeur et en dignité, à cause de leurs différences identifiables ou présumées qui les distinguent du groupe qui établit la norme sociale (les contingences sociales). Alors, une politique, une loi ou une pratique, peut être considérée comme créant une situation de ségrégation quand elle crée une distinction et une exclusion fondées sur une déficience ou incapacité identifiable ou présumée et qui détruisent le droit à l'égalité d'un groupe

69 Les questions auxquelles répondait la Cour suprême dans cet arrêt étaient les suivantes : la Charte des droits s'applique-t-elle à la décision du gouvernement de Colombie-Britannique de ne pas fournir des services d'interprétation gestuelle pour les personnes atteintes de surdité dans le cadre du régime public de soins de santé et, dans l'affirmative, de quelle manière s'y applique-t-elle ? Plus précisément, la Cour se demandait si « le fait de ne pas fournir de tels services en vertu de lois établissant des régimes de soins de santé et d'hospitalisation porte atteinte aux droits à l'égalité garantis par l'art. 15(1) aux personnes handicapées? ». Elle a jugé que ce refus de services constituait une atteinte aux droits à l'égalité des personnes atteintes de surdité et a ordonné au gouvernement de corriger la situation en lui laissant le soin de trouver des solutions appropriées « pour fournir des services d'interprètes gestuels lorsqu'ils sont nécessaires a l'efficacité des communications dans la prestation de service médicaux ».

70 II s'agit du jugement Commission scolaire régionale Chauveau c. Commission des droits de la personne (Rouette) [1994] R.J.Q. 1197 (C.A.).

71 Plusieurs organismes et organisations ont aussi demandé d'inclure la condition sociale parmi les motifs interdits de discrimination dans la Loi canadienne des droits de la personne.

72 L'exercice a été fait dernièrement dans le jugement minoritaire du juge Michel Robert dans un arrêt de la Cour d'appel du Québec. Le juge écrivait :  « Au Canada, rien n'existe dans la Charte constitutionnelle. Toutefois, rappelons la volonté de la Cour suprême de reconnaître les conventions internationales et les pactes comme créant des obligations pour le Canada et le Québec, (arrêts Slaight Communications et    Renvoi relatif au Public Service Employees Act, signés par le juge Dickson). »

73 Le Comité chargé de réviser la Loi canadienne des droits de la personne a d'ailleurs recommandé dans son rapport (juin 2000) d'y ajouter un préambule mentionnant les ententes internationales sur l'égalité et la discrimination auxquelles adhère le Canada.

74 p. 18, op.cit.

75 À l'unisson : une approche canadienne concernant les personnes handicapées, 1998, p. 5.

76 Cet enjeu se pose aussi à propos de l'utilisation des surplus budgétaires fédéraux. Les approches des différentes provinces pour des demandes de   fonds additionnels   d'Ottawa pour financer leurs programmes peuvent être différentes. Historiquement le Québec a réclamé le rapatriement de points d'impôt (i.e. le pourcentage qu'Ottawa remet au Québec sur l'impôt qu'il reçoit des particuliers, des sociétés et des successions). Selon le premier ministre Bouchard, l'Ontario aurait maintenant cette approche, alors que d'autres provinces préfèrent des transferts directs d'Ottawa (La Presse, 20 octobre. 2000, « Surplus fédéraux. L'Assemblée nationale divisée sur la question d'une motion ».)

77 p. 7, Mémoire présenté à la Commission d'étude sur le financement et l'organisation des services de santé et des services sociaux. COPHAN, septembre 2000. Les informations sur la conclusion de l'entente étaient tirées du quotidien Le Devoir du 12 septembre 2000. On notera que le TSC ne fait pas partie intégrante de l'Union sociale qui demeure une entente de principes.

78 idem, p.8, nous soulignons.

79 Bien que reconnaissant le principe de la « responsabilité partagée » entre les deux ordres de gouvernement, les organismes des autres provinces et les regroupements nationaux auront tendance à mettre l'accent sur la responsabilité première du gouvernement fédéral et sur le rôle de leadership qu'il doit assumer pour assurer une citoyenneté à part entière et garantir à tous l'égalité d'accès aux biens et services, alors que, pour des raisons historiques et sociales, les organismes du Québec font d'abord ressortir les responsabilités et rôles du gouvernement provincial eu égard à ces enjeux.

80 Les documents d'orientation du gouvernement fédéral sont dans l'ordre de parution : À l'unisson : une approche canadienne concernant les personnes handicapées (1998), Orientations futures du gouvernement du Canada concernant les personnes handicapées - La pleine citoyenneté une responsabilité collective (1999), À l'unisson 2000 : rapport sur l'incapacité et les adultes d'âge actif au Canada - Ébauche (13 septembre 2000). L'analyse et les prises de positon du CCD ont été présentées dans les trois documents suivants qui ont été diffusés aux membres de la COPHAN: Une stratégie nationale pour les personnes ayant des incapacités : la définition communautaire. Un travail en cours (juin 1999). Ce premier document a été élaboré par les représentants de onze organismes canadiens. Évaluation par le CCD du rapport Orientations futures du gouvernement du Canada concernant les personnes handicapées (s.d.). Réaction au rapport préliminaire À l'unisson - note d'information- (31 juillet 2000).

81 Le CCD emploie dans ses documents en français l'expression « lentille accès et intégration ».

82 Ce programme, lancé en 1978, a pour mission d'offrir une aide et un soutien financier aux causes types de portée large dans les domaines des droits à l'égalité et des droits linguistiques reconnus dans la charte canadienne, il est géré par un organisme à but non lucratif basé à Winnipeg, qui reçoit des fonds du ministère du Patrimoine canadien.

83 De l'exclusion à l'intégration : un parcours rempli de défis. État de la situation des jeunes et jeunes adultes handicapés en matière de formation et d'emploi. HERMES. Information stratégique. Mars 1999.

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