Le milieu communautaire : un acteur essentiel au développement du Québec : réactions du ROVEP

(Regroupement des organismes volontaire d'éducation populaire )

Le 20 juillet 2000

Introduction

Jusqu'à maintenant, le Regroupement des organismes volontaires d'éducation populaire (ROVEP), même s'il suivait avec attention les travaux du Comité aviseur, n'avait pas jugé essentiel de parti­ciper activement à ces derniers. La principale raison de cette abstention est, qu'à notre avis, l'éducation populaire autonome et l'action communautaire autonome, même si elles sont souvent bien proches, sont deux types d'interventions différents. Plusieurs organismes d'éducation popu­laire autonome considèrent l'action communautaire comme un des moyens d'intervention qui leur est disponible au même titre que plusieurs autres.

Toutefois, l'étude approfondie de la proposition de politique déposée par le ministre André Bois-clair incite le ROVEP et ses membres à participer à la consultation entourant cette dernière. Selon notre compréhension, cette proposition comporte deux volets. D'abord une politique gouverne­mentale de reconnaissance des organismes communautaires dans les différents ministères et or­ganismes gouvernementaux et une politique de reconnaissance et de soutien de l'action commu­nautaire autonome.

Le ROVEP intervient parce que le gouvernement ne dit pas seulement aux organismes commu­nautaires qu'il va les reconnaître, mais il dit aussi aux ministères (MEQ, MFE, etc.) et organismes gouvernementaux comment ceux-ci devront reconnaître leurs organismes communautaires. Avec cette proposition de politique, le gouvernement semble donc vouloir orienter toutes les demandes de reconnaissance que les organismes communautaires expriment dans les différents ministères et organismes gouvernementaux. Il s'agit donc d'une politique gouvernementale de reconnais­sance des organismes communautaires.

Le ROVEP n'intervient pas dans l'aspect de l'action communautaire autonome, ce n'est pas son champ d'action spécifique. Mais nous désirons intervenir dans l'aspect de la reconnaissance des organismes communautaires dans les différents ministères et organismes gouvernementaux.

Ce mémoire, qui exprime la réaction du ROVEP et de ses membres, est structuré en trois volets. D'abord, nous ferons une brève présentation du ROVEP, de son action, de ses ressources. En­suite, nous vous livrerons nos commentaires sur les principes généraux de la proposition de poli­tique, puis, pour terminer, nous réagirons sur certains points particuliers de cette proposition.

Le Regroupement des organismes volontaires d'éducation Populaire (ROVEP).

Sa naissance

Les origines du ROVEP remontent à 1978 alors que se vivent, au Québec, depuis 1974, les pre­miers efforts de concertation des forces vives de l'éducation populaire. Son existence légale date de 1980.

Ses organismes membres fondateurs, dont certains sont actifs depuis les années trente, multifor­mes, intervenant aussi bien au niveau local, régional que national, voudront prendre une certaine distance de l'orientation jugée trop centrée sur la promotion d'intérêts collectifs préconisée par une partie des organismes participant à la concertation.

Sans renier cette caractéristique de l'éducation populaire autonome, une première spécificité du ROVEP s'affirme : axer ses interventions éducatives sur le développement personnel et familial.

Ses besoins originaux

Dès sa naissance, le ROVEP identifie trois besoins originaux : regrouper des organismes préoccu­pés de ressourcement continu, d'engagement communautaire et d'action de groupe, assurer à ses membres une meilleure entraide en vue d'interventions plus efficaces auprès des diverses instan­ces préoccupées par l'éducation populaire et faire la promotion d'une idéologie de l'éducation po­pulaire qui tient compte de la spécificité des organismes membres.

La réalité actuelle

Comptant sur un effectif de plus de 120 membres, regroupant plus de 2000 organismes locaux ou régionaux, intervenant dans l'ensemble du Québec, le ROVEP poursuit son développement en s'inspirant des caractéristiques ayant provoqué sa naissance. Se distinguant davantage sur les modalités que la finalité de l'éducation populaire autonome, sa principale pierre d'assise veut tou­jours qu'elle demeure avant tout l'expression consciente du désir de se reprendre en main par l'in­dividu soucieux de son développement personnel, familial et collectif. Tous les membres du RO­VEP sont des organismes communautaires qui interviennent en éducation populaire autonome et certains d'entre eux sont également actifs dans le secteur de Faction communautaire autonome.

Comme organisme de regroupement, le ROVEP vise à mieux défendre l'universalité de l'éducation populaire autonome et veille à ce que les organismes accomplissent leur mission spécifique dans un environnement le plus efficace possible.

Il favorise également la connaissance mutuelle, la concertation, l'action commune et la collabora­tion entre les différents organismes volontaires d'éducation populaire pour mieux les soutenir dans leur préoccupation de promotion personnelle et familiale, de qualité de vie et d'engagement social.

Ses moyens d'action

Afin de réaliser sa mission et atteindre ses objectifs généraux, le ROVEP utilise différents moyens d'action que l'étendue du territoire québécois et ses ressources limitées, comme d'ailleurs celles de ses membres, viennent compliquer. Pour en nommer quelques-uns, mentionnons les rencontres générales statutaires et occasionnelles de ses organismes-membres, des consultations selon les besoins, des interventions et parfois des pressions auprès des instances gouvernementales et au­tres, une attention soutenue à toute évolution, modification, démarche, projet concernant l'éduca­tion des adultes et plus particulièrement l'éducation populaire. Ainsi, le ROVEP a participé à la Commission d'étude sur la formation des adultes, au Comité national de révision du programme d'aide aux organismes volontaires d'éducation populaire, au Comité provincial sur l'éducation po­pulaire dans les commissions scolaires, au Comité de liaison mis sur pied par le Ministère de l'éducation ainsi qu'aux États généraux sur l'Éducation.

Comme autres moyens d'action, le ROVEP publie des bulletins de communication et assure la réalisation de sessions de formation. Ces dernières s'adressent principalement aux responsables d'organismes ou d'activités, aux bénévoles, aux administrateurs, aux intervenants et aux multipli­cateurs. Les thèmes abordés varient selon les besoins des personnes et peuvent porter sur le fonc­tionnement d'un conseil d'administration, la gestion et le recrutement des bénévoles, la réalité de l'adulte d'aujourd'hui et différentes approches d'intervention, la gestion des tensions conflictuelles, l'élaboration et l'analyse d'une évaluation, l'élaboration d'un projet, le développement et la mise en œuvre de son potentiel, la gestion de son temps, la communication, le processus de décision et la résolution de problèmes, le développement de sa créativité, la gestion d'organisme.

Ses ressources

Comme ressources principales, le ROVEP reçoit deux subventions du Ministère de l'Éducation dans le cadre du Programme de soutien à l'éducation populaire auto­nome (PSÉPA) pour la réalisation de son programme de formation et l'accomplis­sement de son mandat comme organisme reconnu de représentation. De plus, les personnes participant aux différentes activités éducatives du ROVEP, en prove­nance des organismes membres ou non membres, doivent assumer des frais de participation.

Ces ressources, somme toute modestes et insuffisantes, permettent au ROVEP de maintenir une infrastructure de soutien où l'action bénévole occupe une place importante.

Notre réaction sur les grands principes de la proposition

Reconnaissance des organismes communautaires vs reconnaissance et soutien de l'action communautaire autonome

La proposition de politique, déposée par le ministre André Boisclair, veut, à notre avis, apporter une solution à deux problématiques vécues actuellement par le gouvernement.

Dans un premier temps, la politique proposée vient définir les modalités de reconnaissance des organismes communautaires dans les différents ministères et organismes gouvernementaux. Elle dresse également les balises pour rétablissement d'un financement de base pour les organismes accrédités auprès de ces ministères et organismes gouvernementaux. Il s'agit donc, à nos yeux, d'un projet d'ensemble du gouvernement qui aura un impact sur la plupart des ministères et or­ganismes gouvernementaux.

Dans un deuxième temps, le projet de politique vient définir et encadrer la reconnaissance et le soutien accordés par le ministère de la Solidarité sociale aux organismes d'action communautaire.

Pour le ROVEP, il s'agit là de deux actions, quoique similaires, de nature distincte qui nécessitent, toutes les deux, une prise de position claire de la part du gouvernement. Si tous les organismes d'action communautaire sont des organismes communautaires, tous les organismes communau­taires ne font pas de l'action communautaire au sens défini dans le document de consultation. Les organismes d'action communautaire ne sont donc qu'une des nombreuses formes que pren­nent les organismes communautaires. Les organismes communautaires à vocation familiale, les organismes communautaires d'éducation populaire autonome, les organismes communautaires intervenant auprès des personnes âgées ne sont que quelques exemples des formes diverses que prennent les organismes communautaires. Ces organismes se reconnaissent plus difficilement dans la description de l'action communautaire autonome faite dans la proposition de politique mais se reconnaissent très bien dans l'aspect communautaire qui y est faite. Le projet de politique aborde l'action communautaire principalement sur son aspect social alors qu'il existe de nom­breuses autres finalités à l'action communautaire. Il est donc essentiel d'élargir le cadre de réfé­rence utilisé pour définir l'action communautaire, afin que les organismes ayant une vocation au­tre que sociale, dont les organismes d'éducation populaire autonome font parti, puissent mieux s'identifier à cette politique.

Il est également primordial, pour le ROVEP et ses membres, que la politique à être adoptée par le gouvernement fasse clairement la distinction entre les mesures visant l'accréditation des organis­mes communautaires par les ministères et les organismes gouvernementaux et les mesures visant

la reconnaissance et le soutien à l'action communautaire autonome par le ministère de la Solida­rité sociale. Il faudra, finalement, que la politique fasse la distinction entre la définition que le gouvernement fait d'un organisme communautaire et celle d'un organisme d'action communau­taire autonome.

Inclusion & exclusion

II y a, dans ce projet de politique, de nombreux critères qui gèrent l'admissibilité des organismes communautaires.

Mentionnons en premier lieu, les cinq grandes dimensions de l'action communautaire autonome (cf 1.3.1 p. 14). Il y a également cinq grands critères que les organismes visés par la politique doi­vent rencontrer (cf 1.4 p.16 2e par.). Finalement, il y a les sept principes avec lesquels les orienta­tions portant sur le soutien financier doivent conjuguer (cf 2.4.1 p.30).

D'autre part, il existe trois critères d'exclusion qui viennent également limiter l'admissibilité à la reconnaissance et au soutien financier (cf 1.4 p. 16 4e par.).

L'application de toutes ces normes qui interfèrent les unes avec les autres est difficile à saisir. Quelles normes s'appliquent pour la reconnaissance des organismes communautaires par les mi­nistères et organismes gouvernementaux et quelles sont les normes qui régissent la reconnais­sance et le soutien des organismes d'action communautaire ? Pour le ROVEP et ses membres, il est inconcevable que toutes ces règles d'admissibilité soient appliquées dans la reconnaissance des organismes communautaires par les ministères et organismes gouvernementaux. Comme nous l'avons souligné plus tôt, les caractéristiques des organismes communautaires sont trop diversi­fiées pour que ceux-ci y soient soumis sans qu'au moins quelques modifications y soient appor­tées.

Mais discutons de chacune des séries de normes régissant l'admissibilité en fonction de la lecture que le ROVEP fait du projet de politique. D'abord, voyons les cinq grandes dimensions de l'action communautaire autonome. Bien que le ROVEP et ses membres reconnaissent, à des niveaux plus ou moins élevés, une adhésion de leur action à ces dimensions de l'action communautaire auto­nome, il nous semble que ces derniers doivent s'appliquer à la reconnaissance et au soutien de l'action communautaire autonome. Une plus grande adhésion à ces grandes dimensions de l'action communautaire autonome pourrait être obtenue si l'aspect de l'émancipation des person­nes1 y était ajouté. Ainsi, le premier paragraphe de cette section pourrait se lire :

En premier lieu, l'action communautaire autonome consiste en une pratique communau­taire axée sur la transformation et le développement social ainsi que sur la création d'espaces démocratiques qui favorisent la compréhension et l'expression de la citoyenneté dans l'ensemble des sphères de la société civile. Elle vise l'émergence d'une société plus humaine, ouverte sur le monde et sa diversité et elle est engagée dans des actions pour l'émancipation des personnes, l'amélioration du tissu social et la qualité de vie ainsi que dans des luttes contre la pauvreté, la discrimination et l'exclusion.

En ce qui a trait aux cinq grands critères, il nous semble que la reconnaissance des organismes communautaires par les ministères et organismes gouvernementaux doit se faire principalement à partir de ces derniers. Ces critères, à notre avis, reflètent bien ce qu'est un organisme commu­nautaire. Toutefois, certains éléments de ceux-ci nécessitent des éclaircissements.

D'abord, dans le deuxième critère, on mentionne : « ils poursuivent une mission sociale ; ». La notion de mission sociale devrait être mieux définie. Pour le ROVEP, il s'agit d'une notion par laquelle on peu inclure beaucoup mais avec laquelle on peut aussi beaucoup exclure.

Le troisième critère : « ils répondent globalement aux grands principes de l'action communautaire autonome ; » est aussi une notion trop vague. Comment cela sera-t-il interprété ? La reconnais­sance sera reconnue si l'organisme répond à 3 dimensions sur 5 ou à 4 dimensions sur 5. Ou alors la reconnaissance sera obtenue si l'organisme répond plus ou moins aux cinq dimensions. Qui verra à l'application de ce critère et comment ? Il y a trop de place à l'interprétation, il faut clarifier ce dernier.

Enfin, le quatrième critère : « ils sont enracinés dans leur communauté ; » nécessite des éclaircis­sements selon qu'il s'agisse d'un organisme local ou régional ou d'un organisme national ou de regroupement. En effet, la notion de communauté est claire pour les organismes locaux ou régio­naux. Mais celle-ci l'est moins pour un organisme national ou de regroupement. Qui compose la communauté de ces organismes? La plupart du temps, ces derniers œuvrent presque uniquement avec des organismes membres et leur personnel. Peut-on dire alors que la communauté de ce type d'organisme est composée de ses membres ?

Les sept principes devant orienter le soutien financier posent également question quant à leur interprétation et à leur mise en application. Si certains sont assez clairs : « La capacité financière de l'État » et « Les exigences d'une saine gestion », cette clarté s'amenuise lorsqu'on regarde les autres principes. Comment ceux-ci seront-ils appliqués et selon quelles normes ? Qui détermine­ra ces normes et seront-elles soumises au processus de concertations proposé par le gouverne­ment dans son projet de politique ?

Si ces sept principes doivent régir, comme le ROVEP le pense, l'attribution du financement de base des organismes communautaires, ceux-ci doivent être dans un premier temps, éclaircis et explici­tés. Ensuite, les normes devant encadrer ces principes devront être déterminées en concertation avec les organismes communautaires.

Finalement, le document de consultation fait mention de trois cas d'exclusion à la politique. Un de ces cas cause problème au ROVEP quant à son interprétation. Il s'agit des organismes à voca­tion religieuse. Si cette notion est déjà présente dans certains programmes de soutien financier, jamais le gouvernement ou un de ces ministères n'a vraiment défini ce qu'ils entendaient par cette notion.

Pour le ROVEP, il est essentiel de différencier la mission, l'action d'un organisme de sa définition. Des organismes religieux par définition sont engagés dans des actions sociales. Le gouvernement veut-il priver la société des bienfaits de ces organismes uniquement parce qu'ils ont été mis sur pied dans un « espace religieux » ?

La compréhension qu'a le ROVEP d'un organisme à vocation religieuse est un organisme voué di­rectement à la promotion d'une religion ou de certaines croyances religieuses. Si un organisme se sert de l'éducation populaire ou de l'action communautaire pour propager les préceptes d'une reli­gion ou d'une secte, on considérera que cet organisme a une vocation religieuse. Par contre, si un organisme religieux intervient au niveau de l'éducation populaire ou de l'action sociale afin de faire la promotion et l'émancipation des personnes ou pour faire le développement de la collectivi­té, doit-on l'écarter de la reconnaissance et du financement uniquement parce que ce sont des personnes croyantes qui s'y sont engagées ? Si la politique reconnaît que la lutte à l'exclusion est un des axes de l'action communautaire autonome, il ne faut pas que cette même politique de­vienne un outil d'exclusion pour certaines catégories d'organismes ayant réellement une mission communautaire.

Le partenariat & l'autonomie

L'offre de partenariat et de concertation faite aux organismes communautaires dans la proposition de politique semble, aux premiers abords, intéressante. Mais trop d'ambiguïtés dans la compré­hension des termes, trop d'incertitudes concernant la mise en place des mécaniques encadrant ces processus demeurent pour que le ROVEP et ses membres puissent donner leur adhésion pleine et entière à ces principes.

1 ou 2 questions

Le document de consultation mentionne, à plusieurs reprises, la volonté gouvernementale de res­pecter l'autonomie des organismes, mais il n'est pas évident que, dans les mécaniques qui seront mises en place, cette volonté se traduise efficacement en gestes concrets. La principale difficulté à adapter le processus de consultation et de partenariat à la réalité des organismes communautaires sera la méconnaissance de la part des fonctionnaires gouvernementaux de cette réalité vécue par les organismes communautaires. Ils devront tenir compte, entre autre, que les organismes com­munautaires sont principalement composés de bénévoles qui désirent travailler prioritairement pour leur organisme et pas nécessairement pour le gouvernement.

Souvent, par le passé, on a vu que les énoncés de principes et les pratiques gouvernementales n'étaient pas toujours sur le même niveau. Le gouvernement s'engage à ce que les ministères et organismes gouvernementaux entretiennent des mécanismes de consultation et de partenariat. Au MEQ, par exemple, malgré l'existence d'un Comité de liaison en éducation populaire autonome, le ministre annonce, presque en cachette, l'injection de 2,8 millions $ en éducation populaire au­tonome sans aucune consultation sur l'utilisation de cette somme. Le ministère procède au chan­gement du formulaire de rapport d'activité sans tenir de rencontre du comité pour discuter de ces changements. Finalement, le Ministre annonce l'accréditation de nouveaux organismes au pro­gramme de soutien sans, encore une fois, consulter les organismes nationaux de regroupement en éducation populaire autonome, ni le Comité de liaison. Ces quelques cas, ne sont qu'un échan­tillon des nombreuses occasions où le partenariat, malgré une volonté maintes fois exprimée de la part des gens du ministère, n'a pas eu l'efficacité qu'on aurait pu souhaiter. Cette expérience du Comité de liaison nous amène à nous demander si la définition des mots « partenariat » et « consultation » est la même pour les intervenants des organismes communautaires que pour les fonctionnaires de l'appareil gouvernemental.

Mais, pour le ROVEP et ses membres, le grand défi que pose le partenariat proposé par le gouver­nement sera de concilier les priorités gouvernementales et l'autonomie des organismes commu­nautaires. Cet exercice de conciliation ne peut que déboucher sur une orientation plus ou moins sentie des actions du milieu communautaire. L'imposition d'un cadre de plus en plus rigide aux organismes communautaires ne peut qu'entraîner un contrôle de plus en plus présent de la part des ministères et organismes gouvernementaux. Les conséquences de cette prise de contrôle des organismes communautaires de la part du gouvernement entraîneraient, à plus ou moins long terme, la professionnalisation de l'action communautaire autonome et une perte de spontanéité et de flexibilité. On doit permettre au mouvement communautaire de s'adapter spontanément aux différentes réalités de la société québécoise.

Enfin, dans la proposition de politique, le gouvernement s'engage à nommer un ou une ministre responsable de l'action communautaire. Pour le ROVEP, le choix de l'appellation « ministre responsable » laisse planer un autre indice d'une volonté de contrôle de l'action communautaire de la part du gouvernement. Par contre, une appellation du style « ministre voué à la promotion et au soutien de l'action communautaire » laisserait présager une volonté de support et de service envers les organismes communautaires. Mais soyons honnêtes, cela ne reste qu'une question de mots qui demeure accessoire. Au-delà de cette question, il faut s'interroger sur les rôles et pouvoirs de ce ministre à être nommé.

Lorsque dans la proposition de politique on mentionne que le ministre devra répondre de la mise en œuvre de la politique, à qui devra-t-il répondre et de quoi exactement ? Quant à ses pouvoirs, quelle relation aura le ministre avec une politique de formation continue ou un programme de soutien tel le PSÉPA, par exemples ? En fait, il s'agit de savoir jusqu'où ce ministre responsable de l'action communautaire pourra-t-il intervenir dans les politiques et programmes de soutien des différents ministères et organismes gouvernementaux ? Quel pouvoir aura ce ministre vis à vis les autres ministres dans la reconnaissance des organismes communautaires ? Jusqu'où le gouvernement veut-il aller dans l'uniformisation de ses interventions auprès des organismes d'action commu­nautaire ?

L'émancipation personnelle

Pour le ROVEP, l'émancipation personnelle est une des dimensions importantes de l'intervention des organismes communautaires. Malheureusement, celle-ci est pratiquement absente du projet de politique. Pour bien situer notre intervention sur ce sujet, nous reprendrons la citation d'Henri Lamoureux à la page 9 du document de consultation :

« Les organismes communautaires furent, au cours du dernier quart de siècle, des instru­ments majeurs d'émancipation des personnes, de développement des collectivités et d'illustration des aspirations à une démocratie réelle. »

Cette citation, choisie par le gouvernement, illustre les finalités du milieu communautaire au Qué­bec. Si deux de ces aspects sont bien représentés dans le projet de politique (le développement des collectivités et l'illustration des aspirations à une démocratie réelle) le troisième (l'émancipation des personnes) y est plutôt absent. Pourtant, dans l'introduction du document (p.9, 3e par.) on mentionne :

« Cette politique s'adresse au premier chef à tous les acteurs de l'action communautaire qui contribuent quotidiennement à l'édification d'une société québécoise plus juste et plus respec­tueuse des besoins individuels et collectifs. »

La place laissée au développement personnel et à l'émancipation des individus est plutôt restreinte dans l'ensemble du projet de politique. Quand on y parle d'action communautaire, la priorité semble être accordée aux interventions se situant au niveau de la collectivité en laissant de coté celles au niveau de la personne. Pour le ROVEP, l'action communautaire débute par une action sur l'individu. Ensuite, sur une base volontaire, l'individu s'engagera dans la société. On respecte ainsi son autonomie. Pour améliorer la qualité de vie dans notre société, il faut d'abord améliorer la qualité de vie de ses citoyens et citoyennes en faisant d'eux et d'elles des individus autonomes et responsables.

L'émancipation des personnes, la réponse aux besoins individuels et collectifs, sont des notions qui doivent se sentir tout au long du document. Les organismes qui interviennent dans ces sec­teurs ont, indéniablement, une mission communautaire.

La régionalisation du financement

À plusieurs endroits dans le document de consultation on fait mention de « régionalisation du fi­nancement » ou « d'établissement de priorités régionales ou locales ». Le ROVEP et ses membres n'étant pas impliqués dans un financement sur une base régionale, il est difficile d'émettre une opinion sur ce sujet basée sur des faits précis. Toutefois, l'impression que nous avons du finan­cement sur une base régionale est peu favorable. Cette impression est basée sur les commentaires que nous avons reçus de dirigeants d'organismes avec lesquels nous entretenons des relations et qui sont, de façon générale, peu ou pas satisfaits de ce mode de financement.

Mais, pour aller au-delà des impressions, le ROVEP tient à formuler quelques commentaires sur l'impact que peut avoir la régionalisation du financement sur certains organismes.

Le partenariat et la concertation demandent beaucoup de ressources de la part des organismes communautaires. C'est encore plus vrai pour les organismes locaux et régionaux qui souvent n'ont pas le personnel requis pour participer de façon efficace à ce genre de processus. La régiona­lisation oblige donc ces organismes à développer des structures et à engager du personnel afin de participer, de façon efficace, aux diverses activités de représentation et de consultation alors que celles-ci ne font pas partie de la mission première de ces organismes. Ils doivent investir une somme d'énergie, de temps et souvent d'argent importantes dans une série d'activités de consulta­tion pour avoir l'impression, en fin de processus, d'avoir bien peu d'influence. Il y a donc danger d'épuisement et de décrochage des bénévoles de ces organismes puisque ces derniers se sont en­gagés à participer à la mission de l'organisme et non pas à des activités de concertation avec le gouvernement.

Un autre écueil que peut rencontrer la régionalisation est le processus de fixation des priorités régionales et locales. Ces priorités ne doivent pas être établies par une table regroupant les orga­nismes subventionnés de la région. Avec ce genre de procédé, il y a risque que les organismes locaux et régionaux les mieux structurés et les plus militants monopolisent les ressources laissant pour compte d'autres organismes moins bien représentés politiquement mais faisant de l'aussi bon travail socialement. Il faut donc inventer un processus qui permette à chaque organisme communautaire d'être représenté équitablement et de pouvoir être entendu de façon juste dans ses revendications. Il faut éviter à tout prix que les décideurs soient juges et parties dans ce pro­cessus d'établissement de priorités régionales et locales.

L'expérience des Régies régionales de la santé a créé une grande disparité dans le mode de finan­cement des organismes d'une région à l'autre. Loin de demander une uniformisation des modes de financements dans toutes les régions, le ROVEP et ses membres souhaitent que la politique ne crée pas de trop grandes dissemblances dans le mode d'attribution du soutien financier aux orga­nismes. Si la politique veut établir des conditions favorables afin que les organismes communau­taires réalisent leur mission efficacement, elle devra éviter d'engendrer des sujets de tension in­utile entre les organismes ou entre les régions.

Financement des organismes nationaux et des regroupements

Pour le ROVEP et ses membres, la proposition de politique, telle que formulée, constitue un recul et même un danger pour la survie des organismes nationaux et de regroupement et ce, malgré l'engagement que les ministères et organismes gouvernementaux participent au financement de base des regroupements.

Le principal danger que le ROVEP voit dans cette politique est que l'ouverture à la reconnaissance des cotisations des organismes communautaires à leur structure de regroupement dans les frais admissibles dans le financement de base vienne ouvrir une porte à la perte de financement gou­vernemental pour des regroupements comme le ROVEP.

Actuellement, les cotisations au sein des structures de regroupements sont plutôt d'ordre symbo­lique. Elles représentent davantage une adhésion et une participation aux principes et orienta­tions d'un regroupement qu'à sa structure financière. Le financement des organismes de regrou­pement provient essentiellement d'autres sources que celle des cotisations de leurs membres. Si le gouvernement retirait son soutien financier aux structures de regroupement, cela signifierait, pour que le ROVEP puisse maintenir ses activités de représentation, par exemple, une augmenta­tion de 1300% de la cotisation de ses membres et par le fait même sa disparition probable. Si le gouvernement reconnaît l'importance des structures de regroupement, il doit les soutenir financiè­rement.

De plus, l'engagement tel que formulé, vient limiter la possibilité pour les organismes commu­nautaires de participer à plusieurs structures de regroupement. Toutefois, l'aspect multisectoriel de la mission des organismes communautaires peut nécessiter l'adhésion à plusieurs structures de regroupement. Par exemple, un organisme communautaire pourrait faire partie du ROVEP pour les aspects de sa mission touchant l'éducation populaire autonome, du Regroupement inter orga­nismes pour une politique familiale et de la COFAQ parce qu'il s'adresse aux familles. Il est donc important que la politique permette et reconnaisse la possibilité aux organismes communautaires la possibilité de participer à plusieurs structure de regroupement.

L'autre danger que nous voyons pour le financement des organismes nationaux et de regroupe­ment dans cette politique se situe dans la régionalisation du financement. Ce type d'organismes a une mission qui est fort différente de ce que peuvent être des priorités régionales. Les regroupe­ments sectoriels ou multisectoriels ont un rôle vital à jouer pour le bon fonctionnement et la survie des organismes communautaires. En plus de leur rôle de représentation auprès du gouvernement ou d'autres instances, ce sont les seuls organismes qui peuvent apporter le support et le soutien aux organismes de base locaux ou régionaux. Par la formation et le perfectionnement des person­nes, entre autres, le travail réalisé au sein des organismes communautaires n'est pas le même. Il paraît évident que ce genre d'activités ne fasse pas partie de priorités régionales.

Pour le ROVEP et ses membres, les organismes nationaux et de regroupement doivent être sous­traits des priorités régionales et faire leur demande directement au ministère ou organisme gou­vernemental partenaire, de qui ils relèvent, qui leur accordera le soutien financier.

Notre réaction sur des points plus particuliers de la proposition

2.5 Les pratiques gouvernementales relatives à la reddition de compte et à l'évaluation des résultats

Pour le ROVEP, il relève de la saine gestion que le gouvernement demande des comptes au sujet des subventions versées à partir des fonds publics. Mais cela doit se faire de façon raisonnable et équitable. La tendance que nous observons, depuis quelques années, du moins au MEQ, est de demander de plus en plus d'informations sur les activités réalisées, demandant ainsi de plus en plus de gestion et d'administration de la part des bénévoles et permanents des organismes sub­ventionnés.

Un exemple de cette tendance : dans la dernière version du rapport d'activité du PSÉPA, on de­mande les dépenses en frais postaux et en frais téléphoniques pour chaque activité éducative réa­lisée. Ce genre d'information ne peut être obtenu que si l'organisme tient une comptabilité très détaillée. Malheureusement, les organismes communautaires n'ont pas le personnel pour réaliser ce genre d'exercice. Cela est d'autant plus vrai si l'organisme reçoit une petite subvention. Le gouvernement peut-il avoir les même exigences en matière de reddition de compte pour un orga­nisme recevant quelques milliers de dollars qu'envers ceux recevant plusieurs millions ? Ici en­core, le gouvernement doit faire preuve de discernement.

L'évaluation des résultats peut aussi s'avérer un outil utile s'il sert « à améliorer les pratiques de gestion et d'intervention » tant chez les organismes communautaires que dans les ministères et organismes gouvernementaux. Dans un contexte de partenariat, l'évaluation doit se faire dans un esprit de réciprocité. Elle ne doit pas servir à pénaliser les organismes dans l'attribution ou le maintien du soutien financier ou des accréditations.

C'est à chaque ministère ou organisme gouvernemental, et non pas au SACA, de développer les balises en matière d'évaluation des résultats et de reddition de compte. Chaque ministère et orga­nisme gouvernemental devraient développer ses propres critères d'évaluation en fonction de la nature des interventions réalisées par ses organismes communautaires partenaires. Il faut que les organismes communautaires soient impliqués dans la mise en place du processus relatif à la red­dition de compte afin d'arriver à une réelle simplification de celui-ci.

2.7 Du soutien à la formation et au perfectionnement des ressources humaines

Dans son document de consultation, le gouvernement identifie des intervenants susceptibles d'offrir de la formation et du perfectionnement aux travailleurs et travailleuses rémunérés ou bé­névoles des organismes communautaires. Dans cette liste d'intervenants, on peut deviner qu'une bien petite place est laissée aux organismes communautaires offrant eux-mêmes de la formation.

Pour le ROVEP et ses membres, une place prédominante doit être faite à ces organismes et parti­culièrement aux organismes d'éducation populaire autonome comme fournisseurs de services va­lables pour la formation et le perfectionnement. Ces derniers ont développé une expertise et des contenus de formation adaptés aux organismes communautaires et à leur personnel. Ils ont été, aux cours des années, le principal fournisseur de services de formation pour les organismes com­munautaires.

Si le MEQ s'apprête à reconnaître, dans sa politique sur la formation continue, les organismes d'éducation populaire autonome comme étant des partenaires, il faut également que la politique de reconnaissance du milieu communautaire accorde, à ces derniers, un statut de fournisseurs pri­vilégiés de services éducatifs pour l'ensemble des organismes communautaires.

2.8 Un meilleur accès aux avantages sociaux

En principe, le ROVEP est en accord avec ce projet. Sans la générosité et l'abnégation des tra­vailleurs et travailleuses du milieu communautaire celui-ci n'aurait pas la vitalité qu'on lui connaît aujourd'hui. Ils méritent bien notre reconnaissance et un meilleur accès aux avantages sociaux peut bien exprimer notre sentiment.

Il s'agit d'un programme à inventer et les bâtisseurs de ce dernier devront être vigilants dans ce dossier. Il faut éviter les ambiguïtés créées dans un autre dossier présentant des similitudes : celui des travailleuses des CPE. Ces dernières, employées par les CPE, revendiquaient une aug­mentation salariale auprès du gouvernement qui leur avait accordé certaines conditions de travail.

Il doit être clair, dans le programme à inventer, que le lien employeur employé se dresse entre les organismes communautaires et les travailleurs et travailleuses. Les ministères et organismes gou­vernementaux n'interviennent qu'à titre de bailleurs de fonds et n'ont pas à intervenir directement dans les relations de travail au sein des organismes communautaires.

2.9 Un meilleur accès à l'acquisition d'immobilisations

Sur ce principe aussi, le ROVEP est en accord, mais les organismes communautaires doivent gar­der leur liberté d'action tant sur le plan des acquisitions que du partage de locaux. Le gouverne­ment ne doit pas imposer de regroupement à des organismes pour la mise en commun de locaux et de services administratifs. Le tout doit se faire sur une base volontaire.

3.3 Le Comité aviseur

La proposition de politique donne au Comité aviseur un rôle de consultation auprès des organis­mes communautaires. Elle lui donne également un rôle d'interlocuteur privilégié auprès des mi­nistères et organismes gouvernementaux dans l'établissement des orientations gouvernementales. Malheureusement, certains secteurs d'activités du milieu communautaire ne s'y sentent pas bien représentés dans sa composition actuelle.

De plus, le Comité aviseur représente bien les organismes communautaires s'adressant aux mi­lieux pauvres et défavorisés mais pas ceux s'adressant à la classe moyenne, principale bailleresse de fonds de la société québécoise et pourtant de moins en moins partie prenante des décisions concernant les choix de société du Québec.

Le ROVEP convient de l'importance du rôle du Comité aviseur dans tout le processus de recon­naissance des organismes communautaires. Mais d'autres organismes de regroupement ont aussi un rôle à jouer dans cette démarche. Le Comité aviseur ne peut, à lui seul, exprimer les besoins et les opinions de tous les organismes communautaires. À notre avis, il peut être considéré comme interlocuteur privilégié pour ce qui touche la politique gouvernemental de reconnaissance des or­ganismes communautaires, mais il ne peut pas jouer ce rôle auprès de chaque ministère et orga­nisme gouvernemental. Ceux-ci devront établir ou maintenir un mécanisme de consultation qui leur est propre, afin de recueillir les besoins et opinions distincts de leurs organismes partenaires. Le Comité aviseur, dont le rôle est de représenter l'ensemble des organismes communautaires, n'est pas en mesure d'exprimer efficacement ces particularités. Il ne peut donc pas être considéré comme le seul organisme de consultation.

Conclusion

Cette proposition de politique qui reçoit un accueil mitigé au sein du milieu communautaire, ne fait pas non plus l'unanimité au sein du ROVEP. Même si plusieurs considèrent cette politique comme un pas en avant vers la reconnaissance et pleine détentions valables et intéressantes, certains autres la considèrent comme une tentative de mainmise de la part du gouvernement sur les organismes communautaires.

Ne soyons pas dupes. Dans son offre de reconnaissance et de soutien financier faite au milieu communautaire, le gouvernement semble, également, y trouver son intérêt. Nos dirigeants savent très bien que les services offerts par les organismes communautaires coûtent moins cher que ceux offerts par l'appareil gouvernemental. Cette économie provient des coûts administratifs relative­ment moins élevés et des charges salariales nettement moins imposantes au sein des organismes communautaires. Toutefois, si le gouvernement, dans le but d'atteindre ses objectifs financiers, veut privilégier les services offerts par les organismes communautaires, ne risque-t-on pas de voir se multiplier les emplois à statut précaire ? Si, à court terme, la société québécoise bénéficie d'une hausse de services, ne risque-t-elle pas de subir, à plus ou moins long terme, un appauvris­sement ? Pourtant, tout au long du document de consultation, on y présente la lutte à l'exclusion et à la pauvreté comme un des axes importants de l'intervention des organismes communautaires.

Pour le ROVEP, la notion d'exclusion en est une qui, depuis le dernier quart de siècle, a beaucoup évoluée. Toutefois, le projet de politique ne semble pas avoir tenu compte de cette évolution. Si, dans les années 70, les exclusions étaient causées par des facteurs économiques et sociaux, la lecture que nous faisons de ce phénomène, en ce début de XXIe siècle, est un peu différente. Même s'il reste des exclusions du type de ceux que nous venons de décrire, il nous semble qu'actuellement, ce sont les nombreuses lois et règlements des gouvernements qui soient la prin­cipale cause d'exclusion dans notre société. Prenons à titre d'exemple, les nombreuses lois et rè­glements relatifs à l'aide sociale.

Le gouvernement a donc ses propres responsabilités face au phénomène de l'exclusion dans notre société. La reconnaissance et le financement des organismes communautaires ne peuvent donc pas être l'unique réponse du gouvernement à ce problème.

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