La courtepointe montréalaise

Tous droits réservés

Dépôt légal 3e trimestre 1992

Bibliothèque nationale du Québec

Bibliothèque nationale du Canada

ISBN- 2-9803049-0-5

Rédaction : Martine D'Amours et Collectif L'autre Montréal

Recherche-photo: Maryse Darsigny

Coordination : Suzanne LaFerrière et Sylvie Joly

Édition révisée en avril 1999

Mise en page : Bernard Vallée

Avec les recherches et contributions de:

Bernard Vallée, Marie-Suzanne La Ferrière, Sylvie Trudel et plusieurs autres.

Deux mots au sujet de L'autre Montréal

L'autre Montréal, c'est un petit collectif qui, depuis 1983, fait partager ses coups de coeur pour sa ville. Impliqués dans des organismes communautaires ou menant diverses recherches, les membres de L'autre Montréal présentent la ville à travers les lunettes de ceux et celles qui vivent les vieux quartiers au quotidien.

Par le biais de visites guidées en autobus, de conférences ou d'animation d'événements, L'autre Montréal explore les quartiers populaires, scrute leur histoire et réfléchit sur les enjeux actuels de la vie urbaine. A travers les traces tan­gibles de leur présence dans la ville, L'autre Montréal présente des éléments souvent méconnus de l'évolution de notre société: les grandes vagues d'immigration, les organisations ouvrières et les associations populaires, le mouvement des femmes, et bien d'autres acteurs trop vite oubliés.

En parcourant les quartiers, L'autre Montréal apporte une information documentée sur de multiples facettes de la vie montréalaise: architecture, art et culture populaires, con­ditions de vie et de travail, mouvements sociaux, migra­tions, développement urbain.

En proposant ses activités, L'autre Montréal veut sensi­biliser les Montréalais et Montréalaises à leur propre his­toire et ainsi favoriser leur participation au devenir de leur ville.

Des premiers arrivants aux communautés culturelles d'aujourd'hui

Y a-t-il quelque chose de plus montréalais que le Festival du jazz? De plus québécois que les chansons de la Bolduc? Ou de plus répandu dans nos restaurants que le smoked meat ?

Une partie du caractère distinct du Québec et de Montréal a été et reste forgé par l'apport des Québécois de multi­ples origines. Les Noirs d'origine américaine ont contribué par leurs bars et salles de spectacle à faire connaître le jazz à Montréal dans les années 1930. La célébrissime Bolduc, née Mary Travers, devait une partie de sa culture musicale à ses racines familiales irlandaises. Quant au smoked meat, on en mangeait déjà en 1880, dans les restaurants juifs de la rue Saint-Laurent.

Relire l'histoire des communautés immigrées à Montréal depuis environ 170 ans, c'est d'abord relire l'histoire d'une ville qui a eu besoin de gens pour se contruire et s'indus­trialiser. Ainsi les grandes vagues d'immigration coïnci­dent-elles avec les époques de forte croissance urbaine et d'expansion économique. Par ailleurs, elles correspon­dent aussi à des périodes d'intenses bouleversements économiques et politiques dans d'autres pays du monde, reliant l'histoire de Montréal à celle de larges segments de la planète.

Dans les quartiers qui, à tour de rôle depuis un siècle et demi accueillent les nouveaux arrivants, le Collectif l'autre Montréal vous invite aujourd'hui à découvrir l'importance des contributions des communautés culturelles à la société montréalaise.

Le célèbre pianiste noir Oscar Peterson et sa famille. Il est né dans le quartier de la Petite-Bourgogne et son père (derrière lui sur la photo) était porteur de bagages au Canadian Pacific.

 

Première partie : de quelques communautés culturelles

Premières Nations et colons blancs

En 1642, Maisonneuve jette l'ancre près du site qui sera nommé plus tard la Pointe-à-Callière, et y construit le pre­mier bâtiment français de la colonie de Ville-Marie. Ce site, le berceau de Montréal, a déjà été un lieu de peuple­ment amérindien.

Depuis des milliers d'années en effet, des autochtones habitent la vallée du Saint-Laurent. Ce sont surtout des Hurons et des Iroquois, nations sédentaires qui pratiquent déjà l'agriculture.

La Grande Paix de Montréal en 1701 : signatures de nations amérindiennes sur le traité

L'installation à demeure des colons français fait basculer l'univers économique, politique et démographique des civilisations amérindiennes. Les épidémies (entre 1634 et 1640, les maladies importées font chuter de moitié les populations huronnes et iroquoises, selon l'historien Denys Delage), les rivalités entre tribus (exacerbées par le commerce des fourrures) et les guerres contre les colons français déciment ces peuples, qui n'auront quelques décennies plus tard d'autre issue que l'assimilation ou la vie sur des réserves.

Malgré ce contact interculturel peu réussi - c'est le moins qu'on puisse dire - il y eut un certain métissage entre Indiens et Blancs, métissage plus fréquent chez les peules autochtones.

À la veille de la conquête anglaise en 1760, Montréal compte moins de 8 000 habitants, majoritairement des descendants des colons français mais aussi des ressortissants de diverses nations européennes venus comme sol­dats ou mercenaires, artisans ou commerçants, et enfin des esclaves noirs et autochtones.

 

Irlandais: des bras pour les gros travaux

Après la Conquête, les administrateurs, commerçants et colons anglais délogent ou remplacent leurs homologues français. Des marchands écossais les suivent rapidement, qui formeront bientôt une élite économique. Mais l'immi­gration proprement dite va commencer dans les années 1820, avec l'arrivée massive de chômeurs, d'artisans et d'ouvriers agricoles d'Irlande. Fuyant souvent pauvreté et famine, ils émigrent au moment où Montréal a besoin de bras pour mener les grands travaux essentiels à son développement commercial et industriel.

Leurs terres confisquées par de riches propriétaires anglais, leurs récoltes de pommes de terre décimées par la maladie, c'est par milliers qu'ils s'embarquent, surtout entre 1840 et 1860, à destination de la colonie canadienne. Plusieurs périssent en mer ou ici, dans les camps de quar­antaine, emportés par le typhus, le choléra ou la rougeole.

Une fois arrivés à Montréal, les Irlandais contribuent au creusage du canal de Lachine, à l'aménagement du port, à la construction du pont Victoria et du chemin de fer du Grand Tronc. Les salaires sont souvent minables et les conditions de travail toujours pénibles; certains de ces grands travaux donnent lieu à des grèves brutalement réprimées par l'armée.

Les familles irlandaises s'installent rapidement dans les logements du Griffintown et de Pointe Saint-Charles, à proximité des emplois; les femmes aussi fournissent un réservoir de main d'oeuvre bon marché, comme domes­tiques puis ouvrières dans les usines naissantes.

Grève d'ouvriers irlandais au chantier du canal de Lachine en 1878

Chinois : des lois racistes

Une autre communauté peut être associée au travail pénible pour la construction, fin 19e siècle, des grandes infrastructures. Il s'agit des Chinois, plus précisément de Cantonais, fuyant eux aussi un pays en proie à la famine. D'abord utilisés comme main d'oeuvre minière en Californie durant le Gold Rush, ils sont embauchés au Canada, à très bas salaires, pour la construction et l'en­tretien du chemin de fer transcontinental. Ce chemin de fer était, on s'en souvient, la condition d'adhésion des provinces de l'Ouest à la Confédération canadienne.

Certificat de paiement de la taxe d'entrée de 500 $ d'un immigrant chinois en 1919

Une fois les travaux terminés, le gouvernement canadien promulgue des lois destinées à contrôler l'immigration chi­noise, qu'on qualifie outrageusement à l'époque de péril jaune. A partir de 1885, on exige une taxe de tout Chinois désirant entrer au pays; de 50$ en 1885, elle passe gradu­ellement à 500$ en 1903. Cette taxe, ainsi qu'une loi votée en 1910, fait obstacle à la réunification des familles chi­noises jusqu'en 1930.

De plus, une Loi d'exclusion, adoptée en 1923, bloque à toutes fins utiles la possibilité de nouvelle immigration chi­noise, jusqu'à son abrogation en deux phases (1949 et 1967).

Souvent en butte au racisme, les ex-ouvriers de chemins de fer ouvrent de petits commerces, essentiellement buanderies et restaurants, et se replient sur les institutions de leur communauté. Ces dernières décennies, cet isole­ment s'est amenuisé graduellement à mesure que les Chinois se sont taillés une place dans divers secteurs économiques.

D’une Europe agitée à la Main

Vers les années 1880, Montréal entre dans une phase de développement manufacturier et commercial sans précé­dent. L'axe de la rue Saint-Laurent, surnomée «la Main», prend de l'expansion, avec l'arrivée d'une nouvelle vague d'immigrants, issus d'Europe centrale et d'Europe de l'est: Russie, Allemagne, Pologne, Ukraine, Roumanie et les actuelles Hongrie, Tchécoslovaquie, Croatie, Slovénie, etc. Tout au long du 19e siècle, ces contrées sont secouées par des soubresauts politiques et économiques consid­érables, entraînant guerres et famines.

Une partie importante des nouveaux arrivants appartient à la population juive de ces pays. Il s'agit de Juifs ashké­nazes, qui forment une des grandes souches de la communauté juive.

Persécutés en Europe, les Juifs ashkénazes émigrent à Montréal à partir des années 1870-1880, avec un nouvel afflux après la Deuxième Guerre mondiale et le génocide perpétré par l'Allemagne nazie. Arrivés ici, plusieurs mem­bres de la communauté juive ont mis sur pied commerces et petites entreprises, tandis que plusieurs se sont illustrés dans les domaines de l'art, de la littérature et de l'action socio-politique. Certains ont été à l'avant-garde du mou­vement syndical et des organisations politiques de gauche durant la première moitié du 20e siècle.

Ce ne sera que vers les années 1960 qu'une autre souche, celle des Juifs séfarades, originaires surtout d'Afrique du nord, viendra s'établir au Québec.

Affiches À louer utilisées dans le quartier juif du boulevard Saint-Laurent au début du siècle

Italiens, Grecs et Portugais un goût de Méditerranée

 Jusqu'aux années 1940, les ateliers de confection de vête­ments, regroupés dans des secteurs vite surnommés l'en­fer de la guenille en raison de leurs piètres conditions de travail, embauchaient des Québécoises francophones et des Juives issues de pays de l'Europe de l'est. Mais au fil des ans, ces ateliers sont presque devenus un passage obligé pour les travailleurs, et surtout les travailleuses, nouvellement immigrées. C'est le cas de quantité d'Italiennes, de Portugaises et de Grecques, arrivées au Québec dans l'après-guerre.

Déjà, les Italiens et les Grecs avaient immigré dès le tour­nant du siècle, les premiers trouvant de l'emploi dans la construction de chemins de fer et d'infrastructures, et les seconds troquant la pauvreté de leur Grèce natale pour un emploi de cheap labor dans les hôtels ou les restaurants. Une seconde vague vient grossir les rangs de ces com­munautés à partir de 1945, en faisant respectivement les troisième et quatrième communautés culturelles en impor­tance à Montréal. Les nouveaux arrivants viennent surtout de milieux ruraux et s'embauchent dans les manufactures, les services et, pour les Italiens, dans la construction. Après plusieurs années de travail, les Québécois d'origine italienne et grecque sont présents aujourd'hui dans divers domaines d'activités, et leurs statuts socioprofessionnels se sont diversifiés. On peut sans crainte de se tromper leur attribuer le prix de la cuisine préférée des Montréalais!

Quant aux Portugais, ils émigrent surtout à partir des années 1960, plusieurs fuyant le régime du dictateur Salazar. À la même époque, le Portugal tente d'empêcher l'Angola et le Mozambique, ses colonies d'Afrique, d'ac­céder à l'indépendance. Montréal reçoit alors deux groupes fort différents: des jeunes qui refusent de s'enrôler dans l'armée coloniale, et d'anciens colons portugais qui quittent le continent africain. Une autre vague de Portugais, arrivés surtout dans les années 1970, est for­mée de ruraux qui veulent échapper à la pauvreté. Leur travail de rénovation a redonné vie au quartier Saint-Louis, menacé à cette époque par des démolitions; en 1975, on leur a décerné un prix d'architecture.

La communauté noire : aussi vieille que Montréal!

  La présence noire à Montréal date du régime français. Les premiers immigrants noirs ne sont pas venus de leur plein gré: c'étaient des esclaves, amenés d'Afrique pour être employés comme domestiques. En 1734, une esclave noire du nom de Marie-Josèphe-Angélique fut torturée et pendue, pour s'être enfuie de chez son maître et avoir déclenché, ce faisant, un incendie qui rasa une quaran­taine de maisons.

Au moment de la Conquête anglaise de 1760, on estime que 1 132 des 3 604 esclaves de la Nouvelle-France étaient Noirs, et les autres, Amérindiens. Quelque 3 000 nouveaux Noirs, esclaves et gens libres, arrivent au Québec avec les Loyalistes après la guerre d'indépen­dance américaine. Ils travailleront comme bûcherons, menuisiers, fabricants de chandelles et forgerons.

Tout comme en Europe et aux Etats-Unis, des mouve­ments abolitionnistes voient le jour au Québec. Entre autres, Joseph Papineau, père du futur leader du mouve­ment des Patriotes, dépose une pétition anti-esclavagiste au Parlement du Bas-Canada en 1791. L'esclavage fut aboli en 1834, par une loi du Parlement de Londres.

À partir des années 1840, la communauté noire mon­tréalaise s'enrichit de nouveaux venus. Ils arrivent des Caraïbes anglophones (Barbades, Guyane, Jamaïque, Trinidad-Tobago), mais surtout des États-Unis. Les Noirs américains sont au départ une population transitoire, qui travaille à bord des trains. Plusieurs finissent néanmoins par s'installer à Montréal, à proximité des gares et com­pagnies ferroviaires.

L'immigration noire en provenance des Caraïbes est stop­pée pendant la crise des années 1930, mais reprend à par­tir de 1955, pour répondre d'une part à la demande de domestiques, et d'autre part au besoin d'une immigration qualifiée dans des domaines techniques.

Finalement, à partir des années 1960, Montréal connaît une immigration noire francophone, venue d'Haïti. La pre­mière vague d'immigrants haïtiens est formée de professionnels et d'intellectuels qui fuient la dictature, la seconde compte aussi des ouvriers et des paysans arrivés comme réfugiés. La communauté noire francophone de Montréal accueille aussi un petit nombre d'Africains, dont plusieurs étudiants.

Du drainage de cerveaux au drainage de capitaux

Avec les années 1960, le Québec entre en pleine Révolution tranquille, une période de modernisation de l'é­conomie et de développement de l'État: on assiste à la consolidation des institutions de santé, de services soci­aux, d'éducation.

Le Québec s'ouvre au monde en même temps que les besoins de son économie se complexifient. L'immigration se diversifie: elle n'arrive plus seulement d'Europe, mais d'Asie, d'Amérique latine, des Caraïbes. L'entrée au pays de ces nouveaux venus est facilitée par la Loi canadienne de 1968, qui veut éliminer toute discrimination sur la base de l'origine ethnique ou nationale, pour toutes catégories d'immigrants.

La diversité ne concerne pas seulement les pays d'origine des immigrants, mais aussi leur condition sociale. Le Québec a réussi à attirer bon nombre de cerveaux de pays du Tiers Monde et courtise maintenant les immigrants investisseurs, disposant d'un capital net de 500 000$ et prêts à en investir la moitié ici. À côté d'eux, il reçoit des gens appauvris fuyant des régimes oppressifs: boat people Vietnamiens ou Cambodgiens, réfugiés du Salvador, d'Iran, d'Haïti ou d'Afghanistan.

Au total, Montréal compte aujourd'hui des représentants de plus d'une centaine de communautés culturelles.

Trois modèles ont prévalu en Amérique, terre d'accueil de nombreuses vagues d'immigration.

Le melting pot à l'américaine est une forme d'assimilation à long terme, qui prétend dissoudre les différences cul­turelles dans un grand creuset commun. Dans ce sys­tème, la survie des différentes cultures n'est pas encour­agée et l'Etat ne se mêle pas d'intégration (et très peu d'accueil) des immigrants.

Le multiculturalisme, promu entre autres par le gou­vernement canadien, aide au contraire les différentes com­munautés culturelles à maintenir une certaine identité et une vie associative. Selon cette analyse, toutes les com­munautés culturelles constituent une pièce de la mosaïque canadienne, et ont des besoins et des désirs, sinon iden­tiques, du moins, équivalents. Ce modèle nivèle les dif­férences historiques et nie les efforts particuliers que doit faire le Québec pour conserver sa culture nationale et son caractère français.

Au Québec, on assiste ces dernières années à l'émer­gence  d'un  modèle  de  convergence  culturelle,   qui affirme la nécessité de faire croître une culture de base commune à tous, caractérisée notamment par la langue française, tout en valorisant les apports des communautés nouvelles.

Le défi est donc double: permettre la pleine participation des immigrants à la vie de la société d'accueil et créer les conditions pour que la culture de souche s'enrichisse au contact des cultures immigrées.

 Deuxième partie : les grandes étapes du développement urbain

Les quartiers d'accueil des différentes vagues d'immigra­tion n'ont pas toujours été les mêmes. Pour comprendre le pourquoi de la localisation d'origine des communautés culturelles, il faut se rappeler à quel moment chacun des quartiers montréalais a pris naissance. Voici un bref rap­pel des étapes du développement urbain, mis en parallèle avec l'arrivée des communautés culturelles. Ce relevé n'est pas exhaustif: seuls les quartiers à forte présence immigrante sont notés. (Le texte en italiques réfère aux communautés immigrantes).

Le Régime français (1642-1760)

Durant ses cent premières années d'existence, Montréal se développe d'abord et avant tout à l'intérieur de ses for­tifications, sur un territoire qui correspond à l'actuel Vieux-Montréal. Ce n'est que vers 1750 qu'apparaîtront les pre­miers faubourgs, le long des grandes routes: le faubourg des Récollets, petite grappe de maisons agglutinées le long de ce qui est aujourd'hui la rue Notre-Dame (à l'ouest de la rue McGill), le faubourg Saint-Laurent, le long de la rue du même nom, au nord de la rivière Saint-Martin (l'au­toroute Ville-Marie y passe aujourd'hui!), et le faubourg Québec, à l'est de l'actuelle rue Berri, autour du chemin du Roy (rue Notre-Dame) menant à Québec.

Les communautés culturelles alors en présence sont d'une part les Français, auxquels se mêlent quelques ressortis­sants allemands, portugais, irlandais, et des esclaves noirs; d'autre part sont présentes les nations amérindiennes, principalement iroquoise et huronne. Très tôt, les Amérindiens utilisés comme main-d'oeuvre par les Français seront confinés à des missions: d'abord près du fort des Sulpiciens (aujourd'hui, rue Sherbrooke près de la rue Atwater), au Sault-Saint-Louis (Kahnawake) ensuite au Sault-au-Récollet (quartier Ahuntsic, dans l'axe de la petite rue du Fort-Lorette).

«Plan du fort de Sault de Saint-Louis et du village des Sauvages iroquois» en 1752

 

Le Régime anglais et les débuts de l'industrialisation (1760-1860)

D'abord ville commerçante, Montréal s'industrialise à par­tir de 1840. De la Conquête jusqu'en 1860, la population passe de 9 000 à 90 000, mais le gros de cette croissance s'effectue vers la fin de cette période. Les fortifications -qui gênaient l'expansion- sont démolies au tout début du 19e siècle, et les faubourgs sont incorporés à la ville.

À l'ouest, près d'une zone marquée par le creusement du canal de Lachine, et plus tard par la construction du pont Victoria, des quartiers d'habitations ouvrières s'étendent. Se crée d'abord le Griffintown, qui finira par absorber le faubourg des Récollets; aujourd'hui rayé de la carte, le Griff s'étendait au nord du canal, entre les actuelles rues McGill et Du Séminaire.

S'amorce ensuite le peuplement des rives du canal de Lachine, à partir de son embouchure dans le port. On voit apparaître Pointe St-Charles -dont la partie ouest a existé brièvement sous la dénomination de Ville de St-Gabriel- et les balbutiements de ce qui deviendra bientôt la ville de St-Henri (formée à partir de noyaux villageois autour de la rue Notre-Dame, à l'ouest de l'actuelle rue Atwater), et la ville de Sainte-Cunégonde (aujourd'hui la Petite Bourgogne, entre les rues Guy et Atwater, au sud de la falaise de la rue Saint-Antoine).

À l'est, on assiste à un scénario semblable. Filatures, fab­riques de vêtements et de chaussures: les usines affluent le long de la rue Notre-Dame, près du fleuve, et précipitent le développement du faubourg Québec, devenu quartier Sainte-Marie (qui comprendra un vaste secteur entre le Vieux-Montréal et l'actuelle rue d'Iberville).

Vers 1860, le Montréal urbanisé occupe un territoire quasi-rectangulaire, délimité d'ouest en est par les rues Atwater et Papineau et au nord par la rue Sherbrooke.

Après la Conquête anglaise, l'expansion du rôle portuaire et commercial de Montréal coïncide avec l'arrivée de marchands anglais et écossais, peu nombreux mais qui formeront rapidement une élite économique et politique puissante.

Il faudra toutefois attendre 1820 pour voir apparaître le début de la première grosse vague d'immigrants, les Irlandais, vague qui va durer jusqu'en 1860 et contribuer considérablement à la démographie montréalaise. Main-d'oeuvre pour les gros travaux de l'époque et les usines qui se multiplient, les Irlandais logent près du canal de Lachine, et peupleront rapidement le Griffintown, le Victoriatown, Pointe St-Charles, débordant vers le nord dans un petit Dublin autour de l'église St.Patrick (rue de La Gauchetière, près du square Victoria).

 Quant aux Ecossais et Anglais, selon leur fortune, ils s'in­stallent près du quartier des affaires (le centre et l'ouest du Vieux Montréal d'aujourd'hui), dans l'actuel centre-ville, ou, après 1850, sur le flanc sud de la montagne qui devient le Mille Carré doré.

Le quartier Sainte-Marie, dans l'est, demeure très majori­tairement francophone; un petit nombre Irlandais s'y retrouveront à la fin de cette période.

Le boom industriel

Durant les trente dernières années du 19e siècle, Montréal connaît un essor industriel et manufacturier sans précé­dent. Les chemins de fer quadrillent la ville et la région, offrant une nouvelle ossature à la croissance économique. De nouveaux moyens de transport urbain, les tramways, permettent la naissance de quartiers plus éloignés de la vieille ville. Les secteurs déjà existants grossissent rapide­ment.

À l'ouest, le canal de Lachine dessert la plus grande con­centration industrielle du Canada: Pointe Saint-Charles, les villes de St-Henri et de Sainte-Cunégonde, voient leur population gonfler; les premières installations industrielles de Côte Saint-Paul se dessinent.

L'est aussi se développe: le quartier Sainte-Marie a bien­tôt des voisines. Au tournant du siècle, les villes de Hochelaga (entre la cour de triage Moreau et le boulevard Pie-IX d'aujourd'hui) et de Maisonneuve (à l'est de l'actuel boulevard Pie-IX) rivalisent avec Montréal pour attirer des industries.

Des ateliers et manufactures apparaissent également au nord du Vieux-Montréal le long de la rue St-Laurent, dont le caractère commercial et de grande voie de transport se confirme. Le Plateau Mont-Royal se construit, la ville rejoignant et annexant plusieurs anciens villages ou petites villes, comme Côteau Saint-Louis (dont le coeur est encore visible sur les rues Berri et Rivard, au nord de Laurier), et St-Louis-du-Mile-End (son hôtel de ville demeure debout, à l'angle des rues Saint-Laurent et Laurier).

La ville compte en 1891 plus de 215 000 habitants. La géographie sociale se précise. Les quartiers ouvriers s'ac­crochent au port, aux voies de chemin de fer et aux usines et manufactures, formant un "T" inversé dont la patte cen­trale est la rue St-Laurent, tandis que les classes moyennes ou aisées anglophones occupent l'actuel cen­tre-ville et le flanc sud de la montagne. La petite bour­geoisie francophone construit ses demeures le long de larges rues telles que Saint-Denis, Saint-Hubert ou encore aux carrés Saint-Louis ou Viger.

 

Avide de main-d'oeuvre, Montréal accueille une immigration importante. Elle provient de divers pays d'Europe centrale et de l'est: Russes, Allemands, Polonais, Ukrainiens, etc.; arrivent aussi des Chinois, et de nouveaux effectifs de la communauté noire des Etats-Unis et des Caraïbes. Ces gens trouvent à se loger dans les quartiers ouvriers ou dans les zones en expansion: les Noirs demeurent à distance de marche des gares qui leur fournissent des emplois, la communauté chinoise se fixe près de la clientèle de ses buanderies et restaurants (dans le quarti­er chinois actuel), une paroisse ukraini­enne se fonde à Pointe Saint-Charles, une Rue des Allemands (l'actuelle rue De Bullion au nord de l'avenue des Pins) sig­nale la présence de ce groupe.

Le boulevard Saint-Laurent, zone fron­tière entre l'ouest anglophone et l'est francophone, joue un rôle fondamental dans l'accueil des nouveaux arrivants, qui trouvent dans ses manufactures, ateliers et commerces des sources d'emplois importantes.

 

Le début du 20e siècle

La poussée économique se poursuit; Montréal est plus que jamais la métropole canadienne; sa croissance territo­riale s'accélère. Par annexions successives, la ville englobe plusieurs des petites municipalités qui la bordent: Saint-Henri, Rosemont, Maisonneuve, Villeray, etc.

Au moment du Krach de 1929, le territoire montréalais urbanisé rejoint au nord l'actuel boulevard Crémazie, for­mant même un étroit corridor qui rejoint le Sault-au Récollet (ancien village situé à l'entrée de l'actuel pont Papineau, sur la Rivière-des-Prairies).

Les zones contruites s'étirent inégalement à l'est au delà du boulevard Viau, et, vers l'ouest, touchent Notre-Dame-de-Grâce, Côte-des-Neiges, et, plus au sud, s'étendent vers Côte-Saint-Paul et la ville de Verdun. Tout près, mais cependant distinctes, des municipalités riches, telles Westmount et Outremont, connaissent un essor marqué.

Au début du 20e siècle, l'immigration connaît plusieurs temps forts. D'abord, dans la foulée des années 1880-1900, des arrivées nombreuses d'immigrants d'Europe centrale et de l'est se poursuivent jusqu'à la Première Guerre mondiale. Cette période voit aussi les débuts de la communauté italienne.

Les nouveaux arrivants trouvent massivement de l'emploi dans les secteurs manufacturiers, ou dans la construction (notamment de gares ou autres infrastructures). La rue Saint-Laurent, au nord de la rue Sherbrooke cette fois, constitue encore un pôle d'attraction. Aux quartiers d'im­migration ancienne s'ajoutent les quartiers Saint-Louis, Saint-Jean Baptiste, Mile-End, qui deviennent davantage cosmopolites. Une Piccola Italia (Petite Italie) voit le jour dans l'actuel secteur de Villeray: les maisons et jardinets des ouvriers italiens trouvent un lieu propice dans cette zone champêtre entre deux gares (celle du Mile-End et la gare Jean-Talon). Après une pause durant la Première Guerre mondiale, l'immigration reprend, incluant cette fois de nombreux ressortissants de l'Europe du sud (Italie, Grèce).

De façon générale, les nouveaux arrivants logent d'abord dans les secteurs anciens, déjà occupés par les immi­grants antérieurs; les zones en développement, comme Rosemont ou Viauville, logent plutôt des petits proprié­taires, de classe moyenne, francophones ou anglophones, et des locataires recrutés parmi la main-d'oeuvre spécialisée, cols blancs ou bleus.

Synagogue Cheva Kadisha (polonaise), rue Saint-Urbain, incendiée en 1920.

Les grandes transformations: 1945-1975

La période de la Crise avait ralenti dramatiquement la con­struction domiciliaire; la Deuxième Guerre mondiale fait aussi en sorte que très peu de logements soient construits. La fin de la guerre correspond à une crise de logement majeure. Avec la reprise des années "50 et "60 s'ensuit une période de construction frénétique. Nouveau-Rosemont, Côte-des-Neiges, Park Extension, Ahuntsic, Mercier: les quartiers montréalais couvrent graduellement le territoire municipal. En plus des formes d'habitation tra­ditionnelle (duplex, triplex), le marché produit bon nombre de conciergeries, blocs denses de petits logements.

La crise de logement de l'après-guerre sera aussi suivie par la mise en oeuvre de programmes d'aide à l'habitation du gouvernement fédéral. C'est le début d'un mouvement vers la banlieue, et d'une désaffection graduelle des quartiers anciens de la ville. Il faudra attendre les années 1970 pour que des programmes de rénovation permettent de revaloriser les bâtiments des quartiers centraux.

L'après-guerre marque aussi le début de virages économiques déterminants, qui donneront à Montréal un centre-ville moderne, reflet d'un secteur tertiaire en pleine expansion, et source de la majorité des nouveaux emplois. Cette croissance du centre-ville s'accompagne de réamé­nagements urbains de grande envergure, où seront sacri­fiés près de 30 000 logements des quartiers anciens au profit d'autoroutes, de grands projets (la Maison Radio-Canada, par exemple) et de gratte-ciel. Même la produc­tion industrielle se métamorphose: de nombreuses usines se modernisent et se relocalisent dans des zones en développement. Dans les vieux quartiers, les secteurs industriels sont en perte de vitesse, mais demeurent des sources d'emplois importantes pour la main-'oeuvre non spécialisée.

Les limites territoriales de la ville changent peu, hormis par quelques annexions: Ville Saint-Michel, Saraguay, et plus tard Rivière-des-Prairies. La construction se densifie sur tout le territoire de l'île de Montréal.

On constate que les vieilles zones industrielles -les quartiers anciens- correspondent étroitement aux zones de pauvreté, causée de plus en plus par la désindustrialiation.

L'immigration d'après-guerre amène à Montréal une pop­ulation à prédominance européenne: Grecs, Italiens, Juifs de diverses nationalités, Britanniques, Français, etc. Coûts et pénurie de logements feront en sorte que ces nouveaux arrivants resteront d'abord confinés aux quartiers anciens.

Au fil des années et de leur intégration à la société mon­tréalaise, les diverses communautés se dispersent ou se déplacent graduellement vers de nouveaux secteurs. C'est ainsi que les Italiens s'établissent à l'est de la Petite Italie, dans l'axe de la rue Jean-Talon, et progressivement vers St-Michel et la ville de Saint-Léonard. Les Grecs, d'abord nombreux dans les quartiers traversés par l'av­enue du Parc, se retrouvent ensuite dans Park Extension. Les Ukrainiens quittent Pointe Saint-Charles pour Rosemont.

Bien que la présence des sources d'emploi soit un élément important dans le choix de localisation des immigrants, le coût des loyers et la présence de membres de mêmes communautés sont aussi des facteurs déterminants. C'est ainsi que les Noirs anglophones se retrouveront principale­ment dans le secteur ouest de Montréal: après les pro­grammes de rénovation urbaine qui démolissent la Petite Bourgogne, les Noirs se déplacent vers le sud de Notre-Dame-de-Grâce, ou dans des zones situées à proximité.

Fin de siècle: la période contemporaine

Les territoires de la ville et de l'île de Montréal sont main­tenant presque complètement urbanisés. Traversée par des autoroutes et desservie par son système de métro et d'autobus, Montréal est le noyau central d'une région regroupant la moitié de la population du Québec. Présentant un visage de contrastes, la ville met face à face un centre-ville en effervescence (le quartier des affaires s'enrichit de nombreuses tours à bureaux prestigieuses), des quartiers voisins luttant contre le chômage et la perte des emplois industriels, et une ceinture de banlieue où se concentrent les ménages de classes moyennes.

Les démolitions des années précédentes ont laissé les Montréalais inquiets de la survie de leur patrimoine. Durant les années "70 et "80, nombre de jeunes, issus de la contreculture ou sensibles à l'histoire découvrent les beautés (et les commodités!) des quartiers anciens et s'y installent. Leur présence, et l'émergence de nouveaux modes de vie, inspirent, quelques années plus tard, un engouement pour certains secteurs: Milton-Park, Parc LaFontaine, Centre-sud près de l'édifice Radio-Canada, etc. S'y établissent alors de nombreux cadres ou professionnels recherchant la proximité au centre-ville. Les pressions immobilières s'accroissent. Ces quartiers voient se multiplier les réno­vations généralisées mais souvent coûteuses. Le phénomène de gentrification (réappropriation par la gen­try, la petite bourgeoisie) amène un déplacement forcé des couches de population moins nanties.

L'offre de loyers abordables devient plus déterminante que jamais: les ménages à faibles revenus sont encore dans plusieurs quartiers centraux (Pointe Saint-Charles, Saint-Henri, Hochelaga, Vieux-Rosemont) mais se retrouvent aussi dans les logements de moindre qualité à travers l'ensemble du territoire montréalais. Les blocs-apparte­ments, souvent situés dans un environnement médiocre, sont les nouveaux points de repère de la pauvreté, qui s'é­tend à Saint-Michel, Park-Extension, Côte-des-Neiges nord, Villeray.

À partir des années 1980, l'immigration provient majori­tairement de pays en voie de développement: Haïti, Amérique latine, Asie du sud-est, etc. S'ajoutent égale­ment des réfugiés venus des zones de guerres, guerres civiles, famines : Algérie, Somalie, etc. De formation et d'origine sociale diversifiées, les nouveaux venus recherchent, au départ, loyers à bon marché et emplois. Ils trouvent souvent leurs premiers boulots dans les industries manufacturières, et également leurs premiers logis dans les secteurs où sont déjà établies des communautés cul­turelles.

Ces facteurs expliquent qu'au début des années "90, les nouvelles communautés culturelles se retrouvent nom­breuses dans des secteurs tels Côte-des-Neiges, Park-Extension, Saint-Michel, Mile-End, etc. Du côté des com­munautés plus anciennement établies, on constate qu'elles suivent sensiblement le même cheminement que les francophones ou anglophones, se déplaçant vers cer­taines banlieues au gré de l'ascension sociale. C'est ainsi que des membres de la communauté chinoise sont présents à Brossard (banlieue sud de Montréal), les Québécois d'origine grecque nombreux à Laval (dans le secteur Chomedey notamment), tout comme les membres de la communauté juive à Hampstead et Côte-Saint-Luc et les Italo-montréalais dans tout l'est de l'île de Montréal.

Pour les gens des communautés présentes de longue date dans la société québécoise et montréalaise, les itinéraires personnels s'entremêlent désormais à ceux des membres de la société d'accueil.

En guise de conclusion...

...une invitation à poursuivre la découverte des commu­nautés culturelles qui forment aujourd'hui la courtepointe montréalaise.

 

Pour en savoir plus long sur la constellation de communautés qu'on peut aujourd'hui rencontrer dans les rues de notre ville, voici quelques sug­gestions:

Berthelot, Jocelyn: Apprendre à vivre ensemble-immigration, société et éducation, ontréal, CEQ/Editions Albert-Saint-Martin, 2e éd.,1991

Rogel, Jean-Pierre: Le défi de l'immigration, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture,1989

Lam VanBe: L'immigration et les communautés culturelles, 1968-1990. Bibliographie sélective annotée. Montréal, Documentor/Ville de Montréal -Bibliothèque municipale, 1991

Revue Questions de culture: No 2, Migrations et communautés culturelles, Institut québécois de recherche sur la culture/Léméac, 1982. Notamment: Paul-André Linteau, La montée des cosmopolitismes montréalais.

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