RENOUVELER LA CITOYENNETÉ: UN DÉFI DÉMOCRATIQUE ET
SOLIDAIRE
Déclaration issue des travaux du colloque Droit de
Cité:
Ce nous, que nous formons par notre réunion, est un Nous
citoyen. C'est donc dire qu'il ne tire à lu fois sa
réalité, sa légitimité, son sens et sa
portée que d'inclure toujours davantage d'autres, reconnus
pour ce qu'ils sont à tous égards, et cela pour
libérer et accroître en chacun cette puissance requise
à l'émergence d'une cité décidée par
tous dans la reconnaissance de la dignité et de la
responsabilité de chacun. Nous n'avons pas à
désespérer de ce donc nous sommes capables. Nous
pouvons en être raisonnablement fiers..
Paul Chamberland - Tiré de la Déclaration liminaire
présentée au colloque Droit de
cité.
Renouveler la citoyenneté: un défi
démocratique et solidaire
Nous voulons redonner un sens à la citoyenneté et
à la démocratie. Confrontés aux dégâts
engendrés par le néo-libéralisme et à ses
conséquences, nous ne pouvons nous contenter de les
déplorer: le chômage et la pauvreté certes, mais
aussi le mépris, l'isolement, la misère morale et la
violence. Nous faisons le choix d'une culture de la
solidarité sociale, de l'équité et de l'espoir,
parce que nous savons qu'elle est le seul antidote connu à
l'exclusion, à l'indifférence et au cynisme qui sont en
train de nous détruire.
Nous entendons investir plus que jamais le champ de la
politique, mais pour le transformer dans le sens d'un
élargissement des droits démocratiques et d'une
revalorisation de la dignité des personnes et des
collectivités. Témoins du détournement
d'institutions publiques, nous tenons à affirmer haut et
fort que l'heure n'est pas à la remise en cause de la raison
d'être de l'État mais de sa façon d'être.
Reprendre en main notre avenir individuel et collectif
En tant que citoyennes et citoyens, nous avons tout
intérêt à concevoir et à mettre de l'avant de
nouvelles façons de vivre ensemble. Nous faisons le pari
des partenariats à renforcer, entre les milieux
populaires, le mouvement des femmes, les syndicats et les
communautés ethno-culturelles, entre les milieux de
l'enseignement et des médias, entre les intellectuels et les
praticiens. L'exercice démocratique ne peut se limiter au
droit de voter et être confiné au champ politique et
aux seuls appareils. Il doit s'exercer sur les lieux de travail,
il commande aussi des concertations à la base, pour
négocier le partage du travail et des ressources. Il exige,
en outre, la mise en place de relais de pouvoir et des
réseaux d'information et de savoir. Un nouveau projet de
société s'impose, lequel implique non seulement des
changements dans le mode de fonctionnement des institutions
(partis, syndicats ou associations) mais des changements aussi
des mentalités et des comportements devenus trop
individualistes.
Rétablir les liens entre les droits et les
responsabilités
Nous n'avons plus de temps à perdre à chercher des
coupables ni à attendre de l'État, tel qu'il est
présentement, la solution à tous nos problèmes.
Nous, citoyennes et citoyens, d'âge et d'appartenances
sociale et culturelle différentes, nous voulons repenser la
vie en société et recréer des rapports sociaux
plus humains et égalitaires. Il nous faudra à cet
égard, rompre avec l'acharnement observé à
s'accaparer le plus de pouvoir et de richesses pour soi-même
et son groupe d'appartenance. Nous devons penser et agir de
manière responsable autant localement que globalement. Il y
a donc lieu d'articuler la lutte pour l'exercice réel des
droits à celle visant la mise en place d'outils permettant
aux citoyennes et aux citoyens d'assumer leurs
responsabilités sociales.
Nous voulons réhabiliter la notion de responsabilité
individuelle, mais nous refusons de faire porter aux seuls
individus le poids des responsabilités sociales des
entreprises et de l'État. Pour nous, être des
citoyennes et des citoyens responsables, c'est refuser que des
personnes soient privées de leurs droits et exclues de la
vie sociale. C'est donc s'engager solidairement à combattre
toutes les formes d'exclusion. C'est aussi refuser d'être
désapproprié de notre identité, de nos
potentialités, de nos savoirs et de nos espoirs par les
experts, les technocrates et les affairistes de tous genres. Il
nous faut donc reconquérir notre statut d'acteur capable de
prendre en main notre propre sort et de contribuer à
l'amélioration de celui de nos semblables.
Combattre l'exclusion
L'exclusion comporte différentes facettes dont la
principale est l'exclusion économique. Celle-ci conduit
à l'exclusion sociale, à la perte d'identité,
à l'absence de reconnaissance sociale et à la
misère morale. Atteintes dans leur dignité humaine, les
personnes exclues et les jeunes tout particulièrement, sont
coupées des moyens qui leur permettent de participer aux
décisions qui affectent leur quartier, leur ville, leur
région et leur pays.
L'exclusion massive des jeunes générations du
marché du travail aura des conséquences
désastreuses sur leur capacité de prendre leurs
responsabilités de citoyens et de citoyennes et ce,
malgré leur volonté de le faire. Ils demandent de
façon incessante à ceux et à celles qui ont des
emplois et des postes de responsabilité de leur ouvrir les
portes, de partager le travail et de prendre le temps de les
écouter. Quant aux femmes elles ont subi une double
exclusion: celle du marché du travail et de la vie publique.
Encore aujourd'hui, malgré le fait qu'elles soient
majoritaires dans la plupart des facultés universitaires,
elles demeurent encore largement exclues de l'emploi et des
postes de direction. Une nouvelle culture démocratique
permettant de lutter contre l'exclusion doit comporter comme l'un
de ses traits essentiels la pleine et entière participation
des femmes au renouvellement de la vie en société; leur
vision du monde a une valeur déterminante à cet
égard.
Combattre l'exclusion implique donc de redonner leur part de
pouvoir aux citoyennes et aux citoyens, en les incitant d'abord
à investir les lieux de pouvoir les plus près d'eux. Il
ne suffit plus d'obtenir de nouveaux services; il faut viser un
véritable développement économique axé sur
les besoins et les capacités des membres de la
communauté, un développement qui réalise
l'intégration entre l'économie et les conditions de vie
sociales, culturelles et civiques du milieu. Un nouveau
modèle de développement est en émergence qui fait
appel à une citoyenneté repensée sur de nouvelles
bases.
Développer le goût de vivre ensemble
Comme c'est le cas pour la plupart des sociétés
contemporaines, la société québécoise est
plus diversifiée que jamais. La lutte contre
l'intolérance, génératrice d'exclusion parce
qu'elle refuse la différence, doit constituer un axe central
de notre démarche. Nous admettons que le sentiment
d'appartenance, bien qu'il renvoie à une réalité
complexe, repose essentiellement sur l'existence d'institutions
et sur l'adhésion à des valeurs démocratiques
communes. Nous pensons notamment ici au principe
d'égalité - garantie à la fois par les chartes et
des institutions et mécanismes appropriés - au
pluralisme d'expression et ce, dans le respect du français
comme langue véhiculaire commune. Nous reconnaissons, du
même souffle, que le refus de respecter les
différences, de prendre en compte la diversité, ainsi
que l'insuffisance de mécanismes d'intégration
constituent également une menace à la cohésion
sociale.
Il nous faut donc rechercher les moyens d'établir un
meilleur équilibre et, s'efforcer de concilier le respect
des différences individuelles et communautaires avec
l'adhésion aux valeurs et aux institutions communes. Nous y
parviendrons si nous favorisons l'émergence d'une culture
politique aussi plurielle que partagée. Cette exigence devra
nécessairement être prise en compte dans le cadre du
débat référendaire sur la souveraineté du
Québec.
DÉVELOPPER LES OUTILS DE LA CITOYENNETÉ
Pour promouvoir une culture de la citoyenneté:
l'école et les médias.
Dans nos sociétés bureaucratisées et
centrées sur des rapports marchands, le citoyen a
cédé la place au consommateur, à l'électeur,
au bénéficiaire, au client, à l'assisté: il
est isolé et mis trop souvent en situation de
dépendance ou de concurrence. Les liens sociaux ont donc
tendance à s'effriter et les individus se sentent en
conséquence impuissants. Il devient donc nécessaire de
réhabiliter la citoyenne et le citoyen et leur offrir les
outils leur permettant d'avoir une prise sur la réalité
et de renouer les liens avec leurs semblables. Le système
éducatif et les médias constituent à cet
égard des outils sociaux décisifs pour informer et
former des individus en tant que citoyennes et citoyens libres,
conscients de leurs droits et responsabilités et convaincus
de l'impératif de la solidarité.
La mission de l'école
L'école doit correspondre au type de société
démocratique auquel nous aspirons en favorisant
l'égalité des chances, une formation accomplie pour le
plus grand nombre et l'intégration sociale. Il lui incombe
aussi de transmettre les savoirs appropriés relatifs aux
exigences de la vie en société: la responsabilisation,
la connaissance des institutions démocratiques, de
l'histoire et de la langue communes, ainsi que les conditions
d'une démocratie pluraliste et ouverte.
Face aux nouvelles exigences démocratiques et aux
nombreux défis posés par les mutations
économiques, technologiques et scientifiques, le
système d'enseignement dans son ensemble est en quelque
sorte à repenser. Les États généraux promis,
par le nouveau gouvernement du Québec, devront permettre de
tenir ce débat large sur la mission sociale du système
d'éducation. Ils devront, en outre, accorder une place
importante aux étudiantes et étudiants jeunes et
adultes.
Le rôle des médias
L'implication et la participation des citoyennes et citoyens
aux débats et aux décisions publiques dépendent
aussi très largement de la qualité de l'information
diffusée par les médias. La démocratie est
actuellement passablement malmenée par les médias qui
nous imposent trop souvent leur langage, leurs valeurs, leurs
grilles d'analyse et qui n'accordent de crédibilité
qu'aux dirigeants et aux experts. Les médias sont devenus un
pouvoir en soi et ils agissent de moins en moins à titre
d'intermédiaire entre les pouvoirs et les citoyennes et
citoyens. En général, ils ne sont plus de réels
outils permettant l'expression des divers points de vue et
pouvant favoriser en conséquence la communication sociale.
Cette situation contribue certainement à l'effritement des
liens sociaux.
Les médias doivent reprendre contact avec les diverses
réalités et contribuer à redonner aux citoyens le
goût d'agir et de s'impliquer. Les organismes, qui sont au
coeur des enjeux sociaux, souhaitent, pour leur part,
établir des ponts plus étroits avec les journalistes et
les médias. Pour ce faire, les médias pourraient ouvrir
leurs portes à la participation des usagers en créant,
notamment, des comités consultatifs sur certaines
thématiques. ll y a lieu aussi de favoriser la mise sur pied
et le financement de groupes d'usagers et de vigilance sur les
médias.
La vie associative: pour une citoyenneté
incarnée
Nous entretenons un grand espoir dans l'avenir
démocratique de notre société quand nous prenons
en compte le nombre considérable d'organismes populaires et
communautaires implantés dans les quartiers et les
régions du Québec. On en dénombre
présentement pas loin de cinq mille. Ces groupes
interviennent de plus en plus dans le domaine de la création
d'emplois et du développement économique. La lutte
contre toutes formes d'exclusion y est singulièrement
active, entre autres celles qui procèdent de
l'analphabétisme et de la situation des sans- abri ou des
sans-emploi. Les citoyennes et les citoyens trouvent ainsi des
moyens et des lieux pour opposer une résistance soutenue
face à l'indifférence.
Malheureusement, l'existence de très nombreux groupes est
actuellement menacée de disparition, sous couvert de la
lutte au déficit fédéral. Nos élites
dirigeantes, qui se disent attachées aux valeurs
démocratiques, devront reconnaître de façon
tangible l'importance politique de ces groupes et associations.
La force que représente la vie associative doit être
amplifiée.
Revitaliser les institutions politiques
Le désenchantement à l'égard de la politique a
par contre pris des dimensions alarmantes. Il se manifeste de
diverses façons: par un sentiment d'impuissance face à
«la tyrannie des experts et des technocrates»; par une
perte de crédibilité et de confiance face au manque
d'imputabilité des élus et au non respect de leurs
engagements électoraux. La démocratie
représentative tend à devenir une coquille vide tant
les politiciens s'éloignent des citoyennes et des citoyens,
et ne savent plus traduire leurs aspirations.
Les principaux centres de pouvoir se sont déplacés
sur le terrain de l'économie et concentrés entre les
mains de grandes institutions politico-financières
internationales, telle la Banque mondiale. Cette situation n'est
pas sans accentuer le sentiment d'impuissance des citoyens. Ce
processus d'internationalisation et de centralisation est
cependant à l'origine de nombreux dérapages car il
s'est avéré inefficace à relancer la croissance
économique et l'emploi. On assiste donc, actuellement,
à des tentatives visant à transférer aux niveaux
local et régional les pouvoirs qu'ils sont mieux en mesure
d'assumer.
Ce mouvement de mondialisation et cette dynamique de
décentralisation constituent en quelque sorte les nouveaux
espaces de participation. La régionalisation annoncée
représente, en effet, une bonne occasion pour les organismes
sociaux et les citoyens de réinvestir le champ de la
politique. S'il faut prendre appui sur les lieux de pouvoir les
plus rapprochés, nous convenons aussi de la
nécessité de renforcer les réseaux internationaux
de solidarités afin d'être en mesure d'influencer
l'opinion publique internationale et de pouvoir peser
conséquemment sur ce pôle de décision.
Cela dit, l'État national demeurera un lieu important de
décision. Il lui faudra toutefois reconquérir ses
pouvoirs lui permettant de jouer plus efficacement son rôle
de régulateur des rapports sociaux, de réduction des
inégalités ainsi que de mise en oeuvre de politiques
visant à favoriser la création d'emplois. Assurer le
bien-être de toutes les citoyennes et citoyens, et leur
garantir une possibilité réelle de participer à la
vie culturelle, sociale et politique nous apparaît devoir
être la mission principale de l'État.
La volonté exprimée par les 400 participantes et
participants au colloque Droit de cité, de
s'impliquer davantage dans les débats et d'investir les
divers lieux de pouvoir semble, à court terme, devoir
emprunter trois voies principales: la mobilisation autour de la
réforme Axworthy, la participation au débat
référendaire et l'implication dans le processus de
régionalisation. Ce colloque constitue en quelque sorte une
étape importante dans le processus de recomposition des
alliances et des solidarités, qui se manifeste actuellement
dans les régions et les quartiers, autour de la lutte au
déficit démocratique et à l'exclusion. Nous
croyons qu'il émergera de ce mouvement une véritable
alternative au néo-libéralisme.
Ont signé pour le comité organisateur et le
comité synthèse du colloque
- René Doré
- Joseph Giguère
- André Paradis
- Lina Trudel
- Michel Lizée
- Céline Saint-Pierre