Faut-il brûler les pancartes : le mouvement populaire aujourd'hui

Ce document est édité conjointement par l'Associa­tion Coopérative d'Économie Familiale (ACEF) du Centre de Montréal 1212, rue Panet Montréal, H2L 2Y7 Tél.: (514) 598-7288 et le journal LA CRIÉE 1710, rue Beaudry Montréal, H2L 3E7 Tél.: (514) 525-5857

Dépôt légal 1er trimestre 1984 Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada

Tous droits de reproduction, de traduction et d'adap­tation réservés.

Corrections de manuscrit : Jacques St-Amant

Conception graphique et montage :  Michel Venne

Illustrations et page couverture : Claude Robillard

Photos : Merci à l'ADDS-MM, l'OPDS, le Comité logement St-Louis, le Centre Populaire de documentation.  La Fédération québécoise des comités de victimes de la MIUF.

Typographie : L'Enmieux

Photomécanique : Daniel Haché L'Enmieux

Impression : Les Presses Solidaires

Nous tenons à remercier les organismes suivants pour leur généreuse contribution à ce projet:

L'Atelier de promotion collective de la Faculté d'édu­cation permanente de l'Université de Montréal.

Le Groupe d'analyse des politiques sociales (GAPS) - Université de Montréal.

Les Services à la collectivité de l'Université du Québec à Montréal.

Achevé d'imprimer à Montréal en février 1984

TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos

Introduction

Lexique

Un regard sur les pratiques

«Luttons pour le droit de vivre sans s'endetter». L'ACEF de Montréal de 1977 à 1983

Historique de la lutte

Bilans

Analyse de la lutte

«Non aux augmentations, exigeons le gel des loyers»

Historique de la lutte

Bilans

Analyse de la lutte

«La taxe d'eau on la paie pas»

Bilans

Analyse de la lutte

Synthèse et perspectives

0. Le débat service-lutte

1. Le discours revendicatif: le vécu d'abord

2. fonctionnement démocratique: à chacun son rôle

3. L'orientation politique: un fil conducteur essentiel

Conclusion: quelle voie?

Quelques références

Notes

Avant-propos

Cet ouvrage est le fruit d'un dialogue et d'un échange à toutes les étapes de sa conception. Il est le résultat, avec ses bons et mauvais côtés, ses forces et ses faiblesses, ses acquis et ses manques, d'une démarche de recherche qui s'est voulue la moins décrochée possible de la réalité et du vécu passé et présent des groupes étudiés.

Il n'aurait pas été réalisable dans sa forme présente s'il n'y avait eu un va-et-vient continuel entre ceux qui vivent ou qui ont vécu ces luttes et les auteurs de cette étude.

Va-et-vient qui a débuté, dans une première étape, par une quête des documents disponibles dans chacun des groupes et par vingt-quatre (24) entrevues avec des témoins de l'histoire et avec des militant-e-s plus novices dans leur organisation.

Ce dialogue entre chercheurs et groupes de base s'est incarné, par la suite, dans la cri­tique d'un document préliminaire par une quinzaine de personnes.

Nous pensons que la troisième étape de ce «mouvement» commence avec la publica­tion de la brochure. Nous adressons ce texte à tous ceux et celles qui croient que l'histoire peut nous éclairer pour construire l'avenir à partir du présent qui nous occupe. Nous l'adressons aux militant-e-s du mouvement populaire et d'autres mouvements sociaux avec la conviction que c'est à partir des bons et mauvais coups du passé qu'il faut préparer l'avenir.

Nous espérons que, malgré les limites qu'elle comporte, cette recherche aura son uti­lité, qu'elle sera lue et débattue tant dans les groupes étudiés que dans d'autres milieux.

Nous sommes, bien sûr, disposés, dans les limites de nos disponibilités, à participer aux échanges qu'elle pourrait susciter.

Pour nous, le mouvement populaire ne pourra avancer que dans la mesure où les débats qui doivent se faire le seront de façon ouverte et saine.

Nous croyons que l'heure n'est plus aux petites chapelles et au sectarisme. Par contre, multiplier les compromis au profit d'alliances larges n'est pas toujours possible et souhaitable: on risque de ne s'entendre que sur de vagues généralités. Nous ne cacherons pas aux lecteurs et lectrices à quelle enseigne nous logeons. Actuellement, nous ne por­tons la bannière d'aucune organisation politique. Toutefois, suite à nos expériences pas­sées (Jean Panet-Raymond, depuis près de quinze ans, principalement dans le logement et à l'ACEF de Montréal, Jean-François René, depuis cinq ans, principalement à l'ACEF de Montréal et au journal La Criée), nous croyons toujours à une alternative politique de gauche qui passe par le socialisme.

Pour nous, cette transformation, si elle peut se bâtir avec le soutien d'une ou de plu­sieurs organisations politiques, doit aussi être le fait du travail quotidien des organisa­tions populaires. Nous pensons qu'il y a potentiellement quelque chose de profondément révolutionnaire dans un groupe populaire s'il parvient à regrouper, mobiliser, former et éduquer.

À l'heure des remises en question de tout acabit, nous avons toujours foi dans les classes populaire et ouvrière (pour une définition de ces termes et d'autres employés dans le texte, nous vous renvoyons au lexique). Nous croyons que le «changement» se fera avec elles ou ne se fera pas.

Ceci dit, avant d'introduire la recherche, nous voudrions remercier les personnes suivantes pour leur soutien fort précieux, à divers titres, au cours de la démarche: Lucie Bastien (OPDS), Jeannine Descôteaux (ADDS), Aline Gendron (OPDS). Maria Giguère (ACEF-Centre, Ligue des droits et libertés), François Gloutnay(RAM). Louise Hébert (La Criée), Pierre Jubinville, Denyse Lacelle(Ass. locataires de Montréal-Nord). André Lavallée (Comité logement Rosemont), Lucie Leboeuf (CPMO), Lise Morin (ACEF du Nord), Lucie Nadeau (MECQ), J.-O. René, Jean Robitaille(ANEQ), Jacques St-Amant (ACEF-Centre, CFP), Bernard Vallée (MEPACQ).

Nous voudrions remercier aussi les organismes suivants: la Faculté d'Éducation Permanente (FEP) de l'université de Montréal, par le biais de M. Guy Breton du Service à la collectivité, pour avoir accepté de financer une partie de la recherche, et l'ACEF du Centre de Montréal et le journal La Criée, pour avoir accepté si généreusement de soute­nir financièrement et techniquement la publication du texte. Il va de soi que les propos qui sont tenus dans ces pages ne sont le propre que des auteurs et n'engagent en rien les organisations éditrices.

Soulignons enfin que Jean-François René, qui a fait l'essentiel du travail de recherche et de rédaction, a aussi soumis un mémoire de maîtrise à l'École de Service Social de l'Université de Montréal sur le même sujet.

Ce mémoire pousse beaucoup plus en profondeur l'analyse de la conjoncture, du rôle de l'État, et le cadre théorique de la recherche. Il est disponible au Centre de Docu­mentation de l'École de Service Social, sous le titre de «Analyse Comparative des fac­teurs de mobilisation dans trois organisations populaires montréalaises».

Jean Panet-Raymond

Jean-François René

Janvier 1984

«Si tu planifies à court terme nourris le peuple, si tu penses pour dix ans sème le blé, mais si tu agis en fonction de la vie, fais l'éducation.»

proverbe chinois

Introduction

Ce texte origine d'un refus: le refus de laisser les causes extérieures et hors de notre contrôle servir éternellement d'excuse à la crise actuelle de la mobilisation populaire. Bien sûr, nous ne nions pas les effets négatifs certains de la crise économique, des attaques répressives de l'État ou de la période «ml» (marxiste-léniniste - voir lexique) sur le mouvement populaire des dernières années. Ce que nous refusons, ce sont les faux-fuyants faciles pour éviter un regard critique sur soi et sur ses propres pratiques, regard parfois bien plus exigeant et combien plus désolant.

Nous refusons de croire que l'État et la crise sont les seules causes principales de la présente démobilisation. Poussée à la limite, cette logique nous condamne à attendre tranquillement le bon vouloir du système en crise pour relancer les luttes.

Nous refusons que les «mls» servent encore 10 ans de bouc émissaires. Nous pen­sons qu'il faut cesser de se cacher derrière les difficultés vécues à une époque pour expli­quer toutes les peurs du présent. Nous refu­sons le syndrome de la «crise générale de la gauche occidentale», car il n'explique pas pourquoi certains mouvements fonction­nent mieux que d'autres (ex.: le mouvement pacifiste) et pourquoi, à l'intérieur du mou­vement populaire, certains réussissent là où d'autres échouent et ce, souvent, dans le même champ d'intervention.

À tous ces refus s'ajoutent les constata­tions suivantes par rapport au travail quoti­dien de bien des groupes: décalage entre le discours et la pratique, problème de contrôle démocratique, absence de pensée politique qui se tienne, etc.

Cela nous a amené à vouloir, en prio­rité, jeter un regard sur certaines pratiques. Sans négliger la conjoncture de crise écono­mique et la question de l'État, facteurs qui sont et seront toujours majeurs, nous avons choisi d'y aller d'abord d'une interrogation des pratiques telles que vécues dans un cer­tain nombre d'organisations. Nous pensons qu'il y a au coeur du travail des groupes, des éléments de réponse qui permettent de mieux comprendre les actuelles limites de la mobilisation populaire.

Nous  avons  donc choisi,  dans  cette recherche, d'analyser le développement de trois luttes populaires à Montréal entre 1974 et 1983, dans le but d'en dégager les princi­paux éléments favorables ou non à la mobi­lisation et au développement d'un processus de lutte (voir lexique). Nous sommes conscients que ces trois «luttes» ne sont pas de même nature. Elles permettent toutefois, parce qu'elles s'éten­dent sur d'importantes périodes de temps, de comprendre le mode d'organisation et de mobilisation des trois organisations choi­sies.

Nous essaierons, à la lumière de l'ana­lyse de ces trois luttes, d'identifier les fac­teurs qui furent propices ou non au dévelop­pement de chacune d'elles. Puis, une fois faite l'analyse propre à chacune des luttes étudiées, nous tenterons d'identifier des constantes qui permettront de dégager un certain nombre de facteurs pouvant être considérés comme moteurs dans le dévelop­pement de tout processus de lutte populaire. Nous avons choisi, compte tenu de leur importance historique et organisationnelle, les trois luttes suivantes:

  1. «la lutte contre l'endettement», de l'As­sociation Coopérative d'Économie Fami­liale (ACEF) de Montréal, de 1977 à aujourd'hui;
  2. «la lutte pour le gel des loyers», qui réunira de 1978 à aujourd'hui un certain nombre de groupes-logement, presque ex- clusivement montréalais, en un Regrou­ pement pour le Gel des Loyers(RGL) (qui deviendra le RCLAL,Regroupement des comités-logement et associations de loca­taires);
  3. «la lutte de la taxe d'eau» de l'Associa­ tion pour la Défense des Droits Sociaux du Montréal Métropolitain (ADDSMM),   commencée   en   1974  et encore existante aujourd'hui, avec en pré­ sence depuis 1980 une seconde organisa­ tion, l'Organisation Populaire des Droits Sociaux (OPDS).

Ces organisations et leur lutte respective, ont marqué le mouvement populaire mon­tréalais des dixdernières années, occupant de façon très active trois champs d'interven­tion où les enjeux sont majeurs: la consom­mation, le logement et l'aide sociale.

Ce sont des organisations qui, bien que différentes dans leur structure, regroupent ou regroupèrent des locaux répartis dans plusieurs quartiers ou secteurs de la ville. Elles ont toutes cherché à l'intérieur de leur regroupement respectif, de façon variable selon les époques, à se donner un minimum de cohésion interne. Elles ont acquis, avec le temps, une certaine visibilité et une bonne crédibilité qui en font des organisations représentatives des secteurs de la population rejointe par leur champ d'intervention.

Lexique

Note: nous présentons ici de brèves défini­tions de termes utilisés et qui peuvent être difficiles à comprendre. Nous n'avons aucune prétention de justesse «scientifique»; nous désirons simplement permettre aux lectrices et lecteurs de saisir le sens que nous donnons ici à ces termes.

Aliénation

Processus qui empêche les  classes populaire et ouvrière de prendre conscience de leurs intérêts et solidarités de classe et de chercher à les défendre collectivement.

Avant-garde

Ce terme est emprunté à la théorie révo­lutionnaire des marxistes-léninistes (voir définition), qui prévoit qu'un petit groupe de personnes plus «éclairées» ou plus conscientes de l'exploitation des classes ouvrière et populaire, dirige les «masses» vers la révolution.

Base sociale

C'est la population directement tou­chée par l'enjeu que défend une organisation populaire dans son service et dans ses luttes.

Centralisme démocratique

Ce terme va avec celui d'avant-garde. C'est le mécanisme qui prévoit que les déci­sions dans une organisation politique (ou populaire) viennent des dirigeants-es élus-es (l'avant-garde), sont discutées par les masses (les membres en assemblée générale) et remontent aux dirigeants-es qui les sanc­tionnent ou les modifient. Tous les membres sont ensuite tenus de respecter ces décisions jusqu'à une prochaine assemblée, afin de maintenir une unité d'action au groupe.

Classe ouvrière

Ce terme recouvre les travailleurs-euses, non autonomes dans leur travail, qui ont un emploi manuel ou non-manuel (secrétaire, commis) dans la production ou les services.

Classe populaire

Ce terme désigne les personnes qui ne sont pas liées au marché du travail, de façon permanente ou temporaire (chômeurs-euses, assistés-es sociaux-ales, retraités-ées, handicapés-ées, etc.).

Discours

Ici, il est essentiellement employé dans le sens de «discours revendicatif»; nous entendons par là l'ensemble du «message» transmis par l'organisation dans ses revendi­cations. Le message c'est ce que l'organisa­tion dit «croire et faire».

Intellectuel-le (petit-bourgeois-e)

Ce terme réfère d'une façon assez large à ceux et celles qui sont des intervenants-es qui jouent un rôle de direction et d'encadre­ment intellectuel dans les organisations populaires. Ces personnes peuvent avoir une scolarité élevée ou une formation acquise sur le terrain. Elles se présentent dans les groupes plus souvent par conviction politique que par besoin de service ou par nécessité de se regrouper pour défendre leurs droits.

Lutte

Ce terme est plus large que celui de «mobilisation», et englobe tout un processus en vue de défendre des droits ou d'en reven­diquer. Il inclut le travail d'enquête, de ser­vice, de formation, d'information et de fonc­tionnement, en vue d'obtenir gain de cause.

Lutte de classe

C'est la lutte menée par une classe sociale, telle la classe ouvrière, contre une autre, telle la bourgeoisie, en défendant des intérêts spécifiques aux membres de cette classe.

«mls» et mlisme

Ces abréviations signifient marxistes-léninistes et marxisme-léninisme. Nous réfé­rons ici à ceux et celles qui s'inspiraient des théories révolutionnaires de Marx, Lénine et Mao Tsé Toung et qui étaient sympathi-sants-es des groupes politiques actifs dans les organisations étudiées, soit En Lutte!, La Ligue Communiste du Canada (marxiste-lé­niniste) devenue le Parti Communiste Ouvrier (PCO) et l'Union Bolchevique (à un moindre degré).

Mobilisation

Ce sont des gestes concrets, posés col­lectivement, avec un objectif de revendica­tion, par des personnes issues de la base des groupes (ex.: manifestation, occupation, assemblée publique, etc.).

Praxis

C'est un aller-retour entre l'action et la réflexion, c'est-à-dire une action alimentée par une réflexion et une réflexion orientée par l'action en vue d'une transformation de la société.

stratégie frontale

En opposition à guerre de position; nous vous référons donc à la partie «Quel­ques éléments théoriques».

Un regard sur les pratiques

1. Le discours revendicatif

 Par rapport aux pratiques que nous analyserons, nous pourrions d'abord ques­tionner la stratégie revendicative. Par exem­ple, plusieurs groupes par le passé ont mis de l'avant des revendications que nous pour­rions qualifier de «frontales» (voir lexique) dans la mesure où elles s'attaquaient carré­ment à l'État et exigeaient de lui des réformes radicales et immédiates. Nous pen­sons entre autres au gel des loyers dans le logement à partir de 1978 et à l'exigence d'un système universel de garderies gratuites.

Ces revendications très politiques, sans en nier l'impact, n'ont pas eu toutefois, le succès escompté au départ. Nous le verrons d'ailleurs très bien plus loin à propos du logement. Par contre, une revendication à caractère plus économique (porteuse tout de même d'une dimension politique), telle l'exigence du paiement de la taxe d'eau par le gouvernement à l'occasion de la lutte des assistées sociales, obtint beaucoup plus de succès. Pourquoi? Est-ce dû à la nature du groupe en présence? Est-ce dû à sa compo­sante de classe? Peut-être bien. Mais nous pensons aussi que des éléments de réponse émanent de la stratégie revendicative, du contenu de la revendication et de la façon de revendiquer.

Il y a peut-être aussi un décalage entre le discours radical de la revendication, aux allures de slogans, et la réalité, soit la prati­que quotidienne du groupe avec sa capacité souvent très relative de faire pénétrer sa revendication et d'y faire adhérer la popula­tion. 1

Ce questionnement nous amène à croire, premièrement, qu'une stratégie revendicative, issue d'un discours souvent inadapté et impropre aux besoins de la lutte et au regroupement de la population-cible, peut s'avérer une limite potentielle à la mobilisation et au développement d'un pro­cessus de lutte.

2. Le fonctionnement democratique

Si la stratégie revendicative pose ques­tion, nous pensons qu'elle n'est pas le seul facteur interne qui freine la mobilisation et la lutte. La dimension organisationnelle sous ses deux composantes, technique et démocratique, fait aussi problème.

Nous pensons qu'il y a au coeur de bien des groupes de fréquentes lacunes au plan technique: mauvaise planification du tra­vail, absence de priorités et de perspectives, sous-utilisation des ressources disponibles, etc. Ceci dit, sans nécessairement nier cette dimension technique, nous insisterons essentiellement ici sur la question du contrôle démocratique. Des questions sur­gissent: que fait-on avec les gens regroupés, désireux de s'impliquer? Que se passe-t-il lorsque de nouvelles personnes viennent pour militer? Comment se vivent les rap­ports entre intellectuels-les et non intellec-tuel-le-s, entre permanent-e-s et militant-e-s.

entre ancien-ne-s et nouveaux-elles? Qui exerce le pouvoir dans le groupe? Quelle doit être la place des intellectuel-le-s? Com­ment se fait la formation? Comment circule l'information? etc.

Nous sommes au coeur d'un enjeu de taille: le contrôle démocratique de l'organi­sation par la population visée par le groupe. Cette question fut soulevée par la plupart des analystes du mouvement populaire avec, au centre du débat, la place occupée par la petite bourgeoisie intellectuelle (voir lexique). Elle n'est pas absente des organisa­tions en présence ici. Nous y apporterons donc beaucoup d'attention. Ceci dit, nous en arrivons à penser, deuxièmement, que l'incapacité d'une organisation à développer en son sein une présence active de la base sociale visée, et d'amener cette base à pren­dre en charge petit à petit l'organisation dans le sens d'un contrôle organisationnel et politique véritable, peut s'avérer une limite potentielle à la mobilisation populaire et au développement d'un processus de lutte.

L'ACEF de Montréal de 1977 à 1983

3. L'orientation politique

 Enfin, dernier aspect: quelle place occupe la question politique à l'intérieur du groupe? Comment cette question a-t-elle évolué ces dernières années?

Cette dimension complète bien la pré­cédente en ce sens que le type d'orientation qu'un groupe se donne est souvent tributaire de son fonctionnement démocratique. Si l'organisation devient plus une boîte de permanent-e-s qu'un lieu d'émancipation des classes ouvrières et populaires, il y a fort à parier que le train-train bureaucratique va l'emporter sur toute définition de perspec­tives politiques:

«(...) dans notre volonté de les former à répon­dre aux demandes des locataires, endettés, syndiqués, on oublie parfois de leur transmet­tre la perspective politique qui nous motive dans le quotidien. Ainsi, on les habitue à fonc­tionner «efficacement», mais on perd un peu le sens de notre lutte. À ce prix-là, ou bien on perd la continuité politique du projet politi­que, ou bien on gagne des bureaucrates mal­gré eux»2.

Par contre, le contraire est aussi possi­ble, et nous le verrons d'ailleurs. Ainsi, il peut arriver que ce soit les conflits d'orienta­tion qui piègent le fonctionnement démo­cratique et empêche le groupe de travailler adéquatement. Cela nous porte à dire qu'il est impérieux pour toute organisation popu­laire, sous peine d'un risque sérieux de mau­vais fonctionnement chronique et d'enlise­ment bureaucratique, de définir sa raison d'être, sa vocation première et d'en traduire la portée pour le travail quotidien.

Donc, nous considérons, troisième­ment, l'absence d'orientation politique cré­dible, qui permettrait d'assurer une conti­nuité dans le temps et une clarification des priorités organisationnelles, comme pou­vant être une limite potentielle à la mobilisa­tion et au développement d'un processus de lutte.

Ceci dit, il est évident que ces trois aspects ne sont pas exclusifs et qu'il serait possible d'en identifier d'autres. Nous pen­sons toutefois nous limiter à ceux-ci, consi­dérant qu'ils recoupent des dimensions-clés à l'intérieur de tout groupe populaire.

Quelques éléments théoriques

Ce texte se voulant une analyse des pra­tiques et non une simple histoire des luttes, il va de soi que quelques références théoriques s'imposent. Cependant, nos objectifs étant de rendre le texte le plus accessible possible, nous n'avons pas l'intention de nous perdre dans de longues considérations à ce niveau. Nous nous excusons d'avance auprès de ceux et celles que gêneront les raccourcis que nous prendrons pour expliquer quel­ques expressions-clés qui reviendront dans les parties d'analyse.

Notre texte est construit autour de la pensée de deux auteurs: Antonio Gramsci et Paulo Freire.

GRAMSCI

 Antonio Gramsci est un militant-pen­seur italien mort en 1937 après avoir passé près de 10 ans dans les prisons de Mussolini. De sa contribution théorique originale, nous utiliserons deux expressions-clés.

«Intellectuel organique»

Il faut entendre par «intellectuel orga­nique» toute personne étroitement liée à une classe sociale tant par sa démarche de réflexion intellectuelle que par ses implica­tions militantes. Évidemment, nous rem­ploierons ici au sens d'intellectuel-le organi­quement liée aux classes ouvrière et popu­laire. Cette personne peut être elle-même issue de ces classes ou de la petite-bourgeoi­sie.

Que fait un intellectuel organique?3

Concrètement, par rapport aux luttes populaires d'ici, «intellectuel organique» désigne toute personne qui, ayant un mini­mum de formation théorique et pratique, travaille de concert avec les classes ouvrières et populaires dans le but d'aider à la prise de conscience et au développement des intérêts, des valeurs, et des forces de ces classes.

L'«intellectuel organique» doit donc chercher à permettre aux gens de faire le lien entre leur vécu et les causes des oppressions qu'ils subissent. Il doit permettre aux per­sonnes regroupées dans des organisations populaires et autres de saisir un peu mieux le pourquoi de leur réalité. De là, il doit les amener à agir en fonction de cette compréhension, en transformant leur réalité de la façon la plus complète et collective possible. Tout un programme, quoi!

Guerre de position

Cette expression chez Gramsci est mise en opposition à une autre qu'il appelle «guerre de mouvement» et qui pourrait se traduire par «attaque frontale». Qu'est-ce que cela veut dire?

Pour Gramsci, il est impossible, dans les sociétés occidentales, de s'attaquer direc­tement au pouvoir d'État en vue de le ren­verser sans prendre le temps, préalablement, de transformer la société de l'intérieur, au niveau des institutions (École, services publics, etc.) et des organisations (syndicats, groupes populaires, etc.) qui font partie de ce qu'il appelle la «société civile».

«(...) il devient impensable de prendre le contrôle de l'appareil d'État dans la perspec­tive de son abolition à court terme. Il est nécessaire, au préalable de modifier, de trans­former les rapports sociaux et politiques à l'intérieur de la société civile. Et pour opérer une telle transformation, Gramsci propose de développer une stratégie centrée sur la société civile visant à la fois à hausser le niveau de conscience politique des masses - à briser l'idéologie dominante - et à augmenter leur résistance et leur capacité organisationnelle.»4

Freire

 Nous voudrions joindre à Gramsci le travail de Paulo Freire, penseur-éducateur brésilien, à propos de ce que l'on appelle «l'alphabétisation-conscientisation».

Ayant travaillé dans le domaine de l'al­phabétisation au Brésil et au Chili, il a éla­boré une démarche d'éducation populaire «conscientisante». Ses travaux et l'expres­sion «conscientisation» furent repris et, il faut le dire, galvaudés à l'excès par beau­coup de gens.

Toutefois, même un peu piégée, cette expression a encore à nos yeux du sens, en autant que l'on s'entend sur ce que veut dire «conscientisation». Pour cela nous nous ral­lierons globalement à une définition québé­coise qui nous semble bien recouper les élé­ments les plus importants.

En cherchant à s'attaquer d'abord aux institutions de la société civile, Gramsci exige des classes ouvrières et populaires un travail de longue haleine. Ce travail apparaît pour Gramsci comme étant essentiel afin d'assurer aux forces révolutionnaires un contrôle idéologique, au moment où l'atta­que plus directe et plus frontale vis-à-vis l'État deviendra possible. C'est donc tout un travail en sourdine qu'implique la guerre de position.

Concrètement, cela veut dire pour les organisations populaires (et les autres forces progressistes) qu'il faut, sans négliger l'ac­tion politique, travailler la dimension de l'éducation populaire et la formation politi­que, de façon constante et approfondie. Si nos luttes n'amènent pas, dans l'immé­diat, le renversement du pouvoir dominant capitaliste, elles doivent préparer le terrain et permettre d'avancer dans cette direction. Elles deviennent donc des moyens plus que des fins en soi.

 «La conscientisation est un processus d'ap­prentissage et d'interinfluence entre des groupes de personnes de la classe populaire, immergés dans des situations d'exploitation, de domination et d'aliénation et des interve-nant-e-s intérieur-e-s ou extérieur-e-s à la classe populaire, interpellé-e-s par ces situa­tions et visant à les changer dans une interac­tion dialectique avec un processus plus global de transformation politique de la société. Cette définition met l'accent sur le rôle de l'in-tervenant-e et les changements culturels qu'il doit accepter de vivre quand il s'engage dans un processus de conscientisation».5

Cette définition nous permet de saisir la complémentarité entre les travaux du cou­rant de la «conscientisation» et les écrits d'Antonio Gramsci. Le rapprochement est particulièrement frappant entre le concept de guerre de position et le rôle des intellec-tuels-les dans une telle stratégie de lutte.

Présentation du texte

Dans un premier temps, nous aborde­rons chacune des luttes séparément. Nous les verrons d'abord sous leur dimension his­torique, puis nous ferons un très bref bilan de quelques aspects de ces luttes avant de passer à l'analyse proprement dite.

Nous présenterons l'analyse sous trois volets qui représentent les trois facteurs que nous venons d'identifier: le discours reven­dicatif, la prise en charge démocratique, et l'orientation politique. Ayant fait le choix de comparer trois luttes, il va de soi que nous avons dû couper court et survoler certains aspects qui auraient sûrement, dans chacune des parties, mérité plus d'attention.

Suivra un chapitre-synthèse où nous essaierons d'approfondir la problématique et de dégager, autour des trois facteurs iden­tifiés, différents éléments qui peuvent aidera la mobilisation.

Nous terminerons par une conclusion où nous essaierons de dégager ce qui nous semble être les pistes possibles d'avenir pour le mouvement populaire d'aujourd'hui.

Soulignons que si nous avons générale­ment féminisé les expressions employées dans la synthèse et la conclusion, nous avons à dessein féminisé dans la partie sur l'ACEF, laissé uniquement au masculin pour le Regroupement et employé seulement le féminin pour l'ADDS et l'OPDS.

Ceci nous semblait respecter la réalité des groupes en présence: une composante militante relativement mixte à l'ACEF, principalement masculine au Regroupe­ment et essentiellement féminine dans les groupes d'assistées sociales. Cette dimen­sion a d'ailleurs influencé, nous le verrons, le travail des groupes analysés.

«Luttons pour le droit de vivre sans s'endetter». L'ACEF de Montréal de 1977 à 1983

En mars 1977, à l'occasion de son congrès d'orientation, la Fédération des ACEF, sous l'impulsion très forte de sa composante montréalaise, l'ACEF de Montréal, adopte les résolutions suivantes: «II est proposé que l'ACEF se développe en une organisation de masse, (...) une organisation où les masses décident des luttes ainsi que des moyens de mener ces luttes pour défendre leurs intérêts.»

«Il est proposé que le mouvement ACEF, en tant qu'organisation de masse, lutte prioritairement contre l'oppression que subit le peuple dans le domaine des conditions de vie (...), dans l'accessibilité et l'inaccessibilité aux biens et aux services et plus spécifiquement au niveau du crédit et de l'endettement (...).»

Sept ans plus tard, en 1984, l'ACEF de Montréal, leader du courant majoritaire de 77, se retrouve très loin des résolutions adoptées à l'époque.

L'ACEF de Montréal n'existe plus:

• depuis le printemps 83, les secteurs qui la composaient sont maintenant des ACEF autonomes.

• elle n'a jamais réussi, de 77 à 83, à se transformer en organisation de masse.

• le champ de lutte «endettement et crédit», privilégié par le congrès, fut contesté dès 1978.

Que s'est-il passé au cours de ces années?

C'est ce que nous verrons dans les pages qui suivent.

Historique de la lutte

DE LA NAISSANCE AU CONGRÈS DE 1977

Si l'Association coopérative d'écono­mie familiale (ACEF) de Montréal date de 1968, le mouvement des ACEF lui, existe déjà au Québec depuis quelques années1. C'est en 1965 qu'une quarantaine d'orga­nismes syndicaux et populaires jettent les bases des principaux objectifs de travail que suivront les différentes ACEF à travers le Québec. Toutefois, la promotion plus inten­sive des problèmes relatifs au budget fami­lial remonte au début des années soixante; elle se fait principalement à l'intérieur des cadres du service du budget familial de la Confédération des syndicats nationaux (CSN).

Trois ans plus tard, soutenue par un projet de la Compagnie des jeunes canadiens (CJC)2, l'ACEF de Montréal est fondée. Deux orientations se dessinent rapidement: l'une qui voit le service auprès des personnes endettées comme le point de départ d'un long travail d'éducation et de conscientisa-tion; l'autre, qui veut plutôt, à partir du même service en dépistant des cas types d'endettement et d'exploitation, déboucher sur des contestations d'ordre juridique. Avec Pierre Marois, futur ministre péquiste, à la tête de l'organisation, c'est l'orientation juridique qui prévaudra pour quelques années. L'ACEF et la nouvelle Fédération des ACEF (FACEF), fondée en 70, se situent d'abord et avant tout comme groupes de pression qui revendiquent auprès de l'État et qui cherchent juridique­ment à défendre les droits des consomma­teurs.

La grande bataille en 70-71 autour de ce qui allait devenir la première loi de la protec­tion du consommateur au Québec s'inscrit parfaitement dans cette orientation. À compter de 72, l'ACEF de Montréal prend ses distances vis-à-vis de la FACEF qu'elle qualifie de «professionnaliste». L'approche à caractère juridique est fortement remise en question par un courant plus radical, plus anti-capitaliste. Vers 1974, ce tournant se concrétise. C'est l'époque de la décentralisa­tion dans les quartiers, issue d'une volonté nouvelle d'être plus solidaires des problèmes de la classe ouvrière. Entre 74 et 76 s'ouvrent à Montréal sept bureaux qui travaillent en collaboration avec les autres forces popu­laires du milieu.

La Fédération tient un congrès provin­cial à Cap-Rouge en 75. On y fait le constat du relatif cul-de-sac dans lequel se trouve le mouvement ACEF, tant au niveau des actions que du manque d'analyse et de for­mation. C'est l'occasion de commencer à changer de cap.

Surgissent à la même période deux luttes qui furent importantes: la bataille «contre la hausse du prix du lait» et la lutte du «Cercle d'économie de la future ména­gère». Nous pouvons parler d'un temps fort: effervescence du travail en quartier, soirées d'information sur les méfaits du système, appuis aux luttes ouvrières, etc.

«Je me souviens d'être allée sur des lignes de piquetage le matin: pour soutenir les employés de soutien de la CTCUM et empê­cher les autobus de sortir; à Commonwealth Plywood à Ste-Thérèse où on allait toutes les semaines pour soutenir la lutte».3

Cette époque est marquée par la pré­sence de militantes et militants liés-es à des organisations politiques ml. Une bonne vingtaine de personnes proches de la Ligue oeuvrent quelques temps dans certains bureaux. Elles quitteront après le congrès de 77, incapables de prendre le contrôle de l'or­ganisation. Mais ce sont surtout des mili-tants-es d'En Lutte qui travailleront à l'ACEF et ce, jusqu'au début des années 80.

Sans nier à ces militants-es une certaine influence sur l'ACEF de Montréal, sur le travail quotidien de l'organisation, il nous apparaît très clair cependant qu'en aucun temps ils ne contrôlèrent le mouvement ou l'ACEF de Montréal. Cependant, leur pré­sence donna lieu à un certain nombre de ses­sions de formation qui intégraient la lecture de textes inspirés du marxisme-léninisme:

«il se donnait à l'intérieur de nos rangs une formation marxiste-léniniste, avec entre autres les gens du CFP; c'était sérieux à l'épo­que»4.

Le congrès de 1977

Nous arrivons au congrès de la Fédéra­tion, en mars 1977, réunissant 200 personnes dont une quarantaine de Montréal. Cela fait état d'une bonne participation militante, puisque l'ACEF de Montréal n'avait droit qu'a 20 délégués-es votants-es en vertu des règlements. On percevait très bien l'importance de l'enjeu. Après des années d'incerti­tude, le mouvement devait se donner de grandes orientations:

«... les ACEF décidaient d'ouvrir largement leurs portes aux membres individuels, consi­dérant qu'ils sont les seuls en mesure d'identi­fier leurs besoins réels et de prendre en main l'organisation. (...) Quant à l'orientation du mouvement (...) les membres décidaient de limiter leur intervention au champ d'action spécifique de l'endettement»5.

Les ACEF, organisations dont seuls auparavant des organismes pouvaient être membres, amorcent ici un processus de démocratisation en permettant aux indivi­dus, non seulement de devenir membres, mais aussi en leur confiant, au niveau des structures, la direction des organisations (C.A., exécutif). Ce processus était déjà commencé localement par l'ACEF de Mon­tréal depuis 1975. 11 se situe à l'intérieur d'une volonté de transformation en organi­sation de masse6. Il va de pair avec le cou­rant de décentralisation, présent depuis quelques années déjà.

Parallèlement à ce désir de démocrati­sation, les ACEF définissent leur champ de lutte: ce sera l'endettement, joint de son corollaire premier, le crédit. 7 Les orienta­tions apparaissent donc suffisamment claires et précises. Par malheur, le congrès fut déchirant pour le mouvement. Certaines ACEF divergent d'opinion par rapport au courant d'idée dominant dans la FACEF de l'époque; ces divergences font surface pen­dant le Congrès. La crise se résorbe par une scission: quatre (4) ACEF se retirent de la Fédération (ce sont les ACEF de Québec, de Granby, de Sherbrooke et de Longueuil) pour former peu après la Fédération Natio­nale des Associations de Consommateurs du Québec (FNACQ). C'est donc affaiblies que les ACEF entreprennent la lutte contre l'endettement.

Manifeste du mouvement ACEF

La source de cette orientation

La décision de lutter contre l'endette­ment n'est pas sortie d'une boîte à surprise. Elle vient d'une analyse poussée de la réalité vécue par les classes ouvrières et populaires. On retrouve essentiellement cette analyse dans un texte paru en 1974 et intitulé: «De l'illusion de l'abondance à la réalité de l'en­dettement» 8. Cette recherche avait pour base de travail des milliers de consultations budgétaires effectuées par le Mouvement, doublée d'une enquête empirique avec ques­tionnaire. Les ACEF ont choisi ce terrain «parce que de plus en plus de gens s'endet­tent pour arriver à joindre les deux bouts; parce que les dettes par individu au Québec sont passées de $469.00 en 1970 à $1420 en 1978, soit une hausse de plus de 200% parce que les pressions nous forçant à consommer et à utiliser le crédit sont de plus en plus effi­caces» 9.

Pour les ACEF, il est clair que ce sont les masses populaires qui subissent les effets de la crise et que cette crise s'accentue sou­vent par une situation d'endettement. Il est clair aussi, expérience à l'appui, que les gagne-petit, qu'ils soient travailleurs, chô­meurs, assistées sociales ou retraitées, ne s'endettent généralement pas pour du super­flu, mais pour se procurer des biens essen­tiels (nourriture, logement, vêtements) ou pour répondre à des besoins que l'onpour­rait qualifier de socialement nécessaires (automobiles, membres, assurances, etc.).

Les ACEF insistent sur le fait que la responsabilité personnelle est bien secon­daire à côté des mécanismes mis en place par la société de consommation pour amener les gens à s'endetter. Cette analyse, nous la retrouvons clairement exposée dans le Manifeste de la FACEF, paru en 1978 et portant sur le champ de lutte de l'endette­ment10. Le mouvement des ACEF espère par cette lutte faire un tant soit peu contre­poids aux forces économiques dominantes. Il s'agit donc de trouver et de mettre de l'avant les moyens, les mécanismes et les actions nécessaires pour soustraire, autant que possible, les classes ouvrières et popu­laires aux diverses formes d'endettement qui les affectent plus directement; de là le slogan de l'époque: «Luttons pour le droit de vivre sans s'endetter».

A cette fin, pour défendre les intérêts des masses populaires, les ACEF choisissent prioritairement le travail d'auto-organisa­tion et de politisation. Ce faisant, elles se démarquent carrément du groupe de pres­sion. Les ACEF doivent viser à «entraîner l'autonomie des gens touchés, afin de déve­lopper une capacité de prendre en charge individuellement et collectivement (par l'or­ganisation, par exemple) la transformation de leur situation»11.

Il faut «un style qui va permettre de clairement identifier les droits et les intérêts sans compromis; c'est-à-dire avec une atti­tude de lutte et de mobilisation et non de col­laboration »12.

Moyens d'action privilégiés

Pour atteindre ces objectifs, il est pri­mordial de se doter de moyens d'action pri­vilégiés. Au Congrès, les ACEF choisiront les activités suivantes:

  1. la consultation budgétaire (CB) qui est une forme d'intervention, généralement individuelle, qui vise à sortir les gens de leur situation précaire d'endettement. La consul­tation budgétaire est souvent complétée par une rencontre appelée le «suivi» qui permet de voir où les gens en sont rendus et de s'as­surer que la solution proposée était la bonne; le suivi est souvent vu à l'époque comme étant la première étape vers une mobilisation subséquente13;
  2. Le service de dépannage, pour des problèmes concrets, à régler rapidement soit par téléphone, soit en personne (rackets, lec­ture d'un contrat, etc.);
  3. L'information large: soit l'agitation et la propagande, afin de faire connaître son analyse et d'exprimer «un point de vue sur un problème donné dans le but d'éveiller la conscience des masses»:14
  4. Le travail avec les syndicats et les autres groupes populaires (ex.: dépannage en temps de grève);
  5. La «formation permanente et tech­nique ainsi que politique en liaison avec nos pratiques à partir d'une grille commune d'analyse»15;
  6. La mobilisation, car «tous les moyens permanents doivent mener vers la mobilisation du peuple pour la revendica­tion de ses droits»16;
  7. Enfin à partir de 79 les cours sur le budget, car «il faut créer les outils intermé­diaires de prévention et de sensibilisation pour aider les travailleurs à minimiser les effets de notre système économique».17

Pour réaliser toutes ces activités l'ACEF de Montréal se répartit en 7 bureaux de quartier en plus de son bureau régional: Lafontaine, Hochelaga-Maison-neuve et St-Louis qui fermeront en 1979: Laval qui deviendra ACEF autonome tel que planifié en 1978; enfin Sud-ouest, Ville-ray(Nord), Mercier (Est). Le secteur Centre sera ouvert plus tard, en 1979.

Première période: 1977-1980. L'après-congrès qui n'a pas chanté

Quelques actions

Dans les mois qui suivent le congrès, l'ACEF de Montréal se met à l'oeuvre et, en collaboration avec la Fédération, oriente son travail en fonction des objectifs tracés en mars 1977. Au plan du discours, deux gestes sont posées: d'une part, la FACEF y va, au printemps 1978, de son manifeste; d'autre part, l'ACEF de Montréal lance son journal, appelé «S'En Sortir», en octobre 1977.

Au-delà du discours, l'ACEF de Mon­tréal continue d'avoir une présence publique importante. Deux exemples majeurs sont à souligner: la lutte contre l'Hydro-Québec en 77-78 et la dénonciation du projet de loi 72 en 78-79, avec la FACEF. La lutte contre l'Hydro prendra des allures de regroupe­ment puisqu'une coalition se forme, «la coa­lition pour le contrôle des prix de l'énergie». Elle sera forte surtout dans le sud-ouest de Montréal. Une manifestation attirera 200 personnes et un débat public avec le ministre de l'énergie, Guy Joron, 250; la mobilisation ne donnera cependant pas tous les résultats espérés. La dénonciation du projet de loi 72 sur la protection des consommateurs se fera de façon moins large et prendra plutôt la tangente de la campagne de presse, d'un mémoire en commission parlementaire et de l'information aux membres par le biais du journal. L'ACEF y va d'un certain nombre de revendications (ex.: abolition de la vente à tempérament et abolition du colportage)18.

Des débats internes

Parallèlement à ce travail d'informa­tion et de dénonciation, l'ACEF de Mon­tréal est en butte, dès 1978, à des difficultés internes. Des questionnements surgissent et touchent l'ensemble du travail ACEF à Montréal. Ils s'articulent plus clairement à partir de 1979. Le champ de lutte de l'endet­tement, pourtant bien identifié en 77, fait rapidement problème. Certains-nes le trou­vent trop vaste et considèrent qu'il nuit à l'identification des gens au mouvement.

«Le problème qui reste au niveau de l'identifi­cation est celui du champ de lutte. En ce moment, notre champ de lutte est si vaste et nous intervenons sur tant de sujets qu'il est difficile de bien cerner sur quoi l'ACEF tra­vaille exactement».19

D'autres, particulièrement les militants-es et permanents-es du Nord, qui ont formé un groupe de recherche appelé le GRAV20, pensent que le champ de lutte de l'endettement fut mal analysé dans le mani­feste. Ce constat, qui origine de la pratique faite dans leur secteur, les amène à remettre en question «le pôle central du Manifeste: la cause principale de l'endettement est l'insuf­fisance de revenu»21. Dès lors, sans nier l'im­portance de travailler sur l'endettement pro­blématique, ils-elles proposent d'élargir le champ d'intervention à l'ensemble de la consommation et de remettre en question la société de consommation de masse.

«Dans un mouvement travaillant sur l'endet­tement, clairement identifié comme étant anticapitaliste et qui situe le système capita­liste comme cause de l'endettement (là-dessus nous sommes entièrement d'accord), il est fondamental de remettre en question la société de consommation de masse».22

Il y a aussi des difficultés à vivre la démocratisation amorcée concrètement par la formation, en 1978, d'un conseil d'admi­nistration composé de membres individuels-les. Les questions autour de la transforma­tion en organisation de masse se posent de bien des façons. Elles touchent le type d'or­ganisation:

«C'est quoi l'organisation de masse ACEF qu'on veut bâtir? Quel sera son travail quoti­dien? Quelle place devons-nous donner au service? Quelle place donnerons-nous aux luttes? (...) C'est quoi une lutte?»23.

Elles touchent le contrôle politique de l'or­ganisation:

«(...) pour moi, en ce moment, on se leurre si on pense que le C.A. dirige la boîte; par la force des choses et sans accusations à qui que ce soit, c'est les permanents qui vont jusqu'à faire des décisions politiques dans l'accom­plissement quotidien de leur travail»24.

 

Elles interrogent la nouvelle structure en place depuis septembre 1979, structure qui a ramené l'ACEF à quatre secteurs répartis aux quatre coins de la ville, tout en consolidant le travail de la coordination régionale. Certains se demandent, devant le renforcement et le développement rapide de la coordination régionale depuis 1977 (6 personnes), si, sans nier l'importance d'un régional, il ne faudrait pas plutôt mettre l'ac­cent sur le développement en quartiers pour renforcer la base et éviter de tomber dans le piège du professionnalisme.25

Le débat de la centralisation et de la décentralisation se pose donc, mais tout ce questionnement autour de la démocratisa­tion origine d'une constatation majeure: l'absence de membership et de participation active au travail de l'ACEF.

«nous pouvons dire qu'il existe de plus en plus de dossiers importants à piloter à l'ACEF de Montréal, mais que nous assistons à une baisse de plus en plus importante de membres et de militants».26

Les ACEF, à Montréal comme ailleurs, rejoignent beaucoup de monde mais c'est surtout par le service, et on en reste là. Le membership montréalais plafonne autour de 100. La participation active, bien qu'exis­tante, n'est plus ce qu'elle était autour du congrès: environ 25 personnes réparties à travers les quatre secteurs, en excluant les permanents-es. De plus les militants-es, à l'exclusion du secteur Est, sont essentielle­ment des personnes que nous pourrions qualifier d'intellectuelles27. Pierre Legros, dans son mémoire de maîtrise sur l'ACEF, déposé en 1980, disait ceci:

«En 1978, on est en présence d'un groupe rela­tivement homogène formé de jeunes intellec­tuels très scolarisés et membres de la petite-bourgeoisie. Ils forment un tout qui tente continuellement de se définir des positions collectives, qui se légitime par un discours qui se confronte en fonction des débats internes de la gauche».28

Donc l'on se retrouve avec un question­nement du champ de lutte, de la difficile transformation en organisation de masse, de la centralisation récente, accompagné de difficultés internes de communication entre les gens et de difficultés organisationnelles chroniques29.

79-80: une année tumultueuse

À l'automne 79, la FACEF entreprend une tournée des différents secteurs de l'ACEF de Montréal avec pour objectif d'analyser les problèmes internes qu'on y vit. Elle remet son rapport à la fin de l'au­tomne.30 Le rapport de la FACEF comporte essentiellement les conclusions suivantes: secteur Centre: planification et coordina­tion inadéquate; mais c'est compréhensible, compte tenu qu'il s'agit d'un nouveau sec­teur; secteur Sud-Ouest: des difficultés de communications avec les autres secteurs et une analyse des causes de l'endettement figée dans le ciment, puisqu'elle est toujours liée à l'insuffisance du revenu; secteur Est: le service est relégué au second plan au profit d'un travail de conscientisation contre le système capitaliste; il est incapable d'établir des liens entre sa pratique et la recherche fait dans le mouvement; secteur Nord: «Ce secteur a choisi de s'isoler pour mieux maxi­miser son développement»31. L'accent est mis sur le service, mais il y a une faiblesse au niveau du suivi.

Le rapport de la FACEF est donc parti­culièrement dur pour les secteurs Sud-Ouest et Est. Il propose pour le secteur Est une sorte de mise en tutelle par l'ACEF de Mon­tréal. Déposé le 10 décembre 1979, le rap­port de la FACEF occupera chaudement le temps des Fêtes. Les gens de Mercier refuse­ront la «tutelle» et menaceront de se retirer. Il faudra une médiation extérieure pour venir à bout du problème et permettre une sorte de «modus vivendi» entre l'ACEF de Montréal et le secteur Mercier, chacun fai­sant des compromis pour en arriver à conti­nuer à fonctionner.

Malgré ces conflits, le travail de l'ACEF continue: son quotidien allie service de première ligne et travail d'éducation populaire. La formation, bien qu'encore existante, prend des dimensions réduites avec les permanents-es et les militants-es dis­ponibles. Elle aborde principalement le côté technique du travail ACEF (ex.: apprendre à faire de la consultation budgétaire ou à donner un cours sur le budget). Elle se fait souvent dans le cadre de rencontres avec les autres ACEF (inter-ACEF). Toutefois, elle prend parfois une connotation plus politi­que, qui diffère d'un secteur à l'autre. Ainsi, la formation donnée à l'Est se rapprochera longtemps de celle de l'ADDS-OPDS Mer­cier.

«La formation que Ton a reçue à Test, c'était une formation avec l'ADDS; des rencontres avec l'ADDS qui parlaient des assistés sociaux, mais qui embarquaient aussi sur le système économique et politique»32.

Au Nord (Villeray), le discours porte plus sur une analyse des causes de l'endette­ment et un questionnement sur la surcon­sommation. Ces deux exemples de forma­tion plus politique sont à l'image de ce qui se dégage peu à peu comme courant de pensée à l'intérieur de ces deux secteurs.

Arrive l'assemblée générale de mai 1980, qui se bute plus particulièrement au problème de membership déjà souligné pré­cédemment. Sous l'impulsion d'un groupe de militants-es, l'assemblée générale adopte la question du membership comme une des deux priorités de travail pour l'année 80-81. La seconde priorité était la relance du dos­sier «action collective».

Terminons en soulignant qu'il y a à cette époque, au niveau de la FACEF, une tentative de mobilisation autour de revendi­cations concernant la faillite, les saisies et le dépôt volontaire. Il y a même des cahiers de revendications produits à cet effet. Compor­tant des erreurs parfois importantes, les cahiers resteront toutefois sur les tablettes.

Résumé de la première période: 1977-1980

  • Quelques revendications et actions, mais qui ne débouchent pas sur une mobilisation importante. Parallèlement l'on raffine et l'on étend le service.
  • Questionnements dès 1978, de l'orientation privilégiée en 1977, et ce, autant par rapport au champ de lutte que sur l'organisation de masse.
  • Dès 1979, différentes positions commencent à se polariser; le rapport de la FACEF, fin 79, en est une manifestation pour le moins éloquente.

Deuxième periode: 1980-1982 : dans le coin gauche pesant...

S'amorce la période de crise véritable de l'ACEF de Montréal. L'automne 80 est marqué par une assemblée générale aux allures de bilan historique des grandes orientations du mouvement depuis une décennie: la décentralisation et les décisions du Congrès de 197733. Il en ressort la difficulté présente de tout temps à mobiliser les personnes endettées sur la base du service. Ce même automne, la FACEF prend posi­tion contre l'abrogation de la loi fédérale sur les petits prêts et revendique son maintien et son élargissement34.

En février 81, face à une situation finan­cière précaire, le C.A. propose de couper dans le secteur information. La décision de réaménagement sera toutefois reportée à l'Assemblée générale de mai35. Entre-temps, l'ACEF continue son petit train-train quoti­dien; le service ACEF ne dérougit pas. En font foi les chiffres suivants pour l'année 80-81: 350 consultations budgétaires, une tren­taine de cours sur le budget d'au moins trois (3) rencontres chacun, le développement des liens avec les syndicats et les organisations populaires et un travail d'information important qui va du journal à la production d'un guide sur la loi 72 tiré à 5,000 exem­plaires.

Au-delà du service, un dossier d'action collective démarre en février et porte sur les compagnies de finance36. Deux rencontres publiques d'information seront organisées. Elles auront peu de succès; le dossier n'aura pas de suites. Le colloque de mars 1981 à l'UQAM sur «La Société de Consomma­tion: rêve et cauchemar» sera cette année-là la seule activité majeure. Environ 75 per­sonnes participeront activement à cette journée de réflexion.

L'assemblée générale de mai 1981

Cette période débouche en mai sur l'As­semblée générale. Le document prépara­toire37 constate un membership stagnant, composé moitié de personnes relativement «scolarisées» insérées dans le réseau mili­tant, moitié de travailleurs-euses moins sco-larisés-es qui sont généralement venus à l'ACEF par le biais du service. Le militan­tisme est lui aussi en baisse; il est essentielle­ment le fait d'intellectuels-les.

 Tentant d'identifier la source de ces dif­ficultés, le document préparatoire soutient que «le vrai débat ne doit pas se situer au niveau des structures, mais vraiment au niveau de la clarification des objectifs et de notre organisation»38. Deux hypothèses de travail pour les années à venir sont mises de l'avant: l ) l'une propose une ACEF «organi­sation de masse»; 2) l'autre prévilégie une ACEF «groupe coopératif d'intervention».

Le débat s'enclenche donc à l'assemblée générale autour de ces deux propositions: une trentaine de personnes participent acti­vement à la fin de semaine. L'hypothèse no 2 est rapidement écartée des débats qui se canalisent plutôt autour de certaines diver­gences concernant la première proposition.

Celle-ci propose une ACEF «organisa­tion de masse» ayant pour fonction essen­tielle de «défendre la population contre les agressions diverses de l'organisation capita­liste de la consommation»39. Ses activités iront du dépannage au travail d'éducation en passant par les actions collectives.

Elle devra, par souci d'efficacité, privi­légier «une formule plus décentralisée pour permettre une plus grande implantation dans les secteurs, une plus grande présence physique de l'ACEF sur le territoire de l'île de Montréal»40, sans nier la nécessité d'un minimum de coordination régionale. Une telle organisation favorise bien sûr un mem­bership large et fonctionne avec des struc­tures démocratiques (A.G., C.A.).

En fait, l'on s'entend globalement sur une organisation vouée à la défense des inté­rêts de la classe ouvrière et populaire par le biais du dépannage, d'un travail d'éducation et d'actions collectives, ce qui revient à l'es­sentiel de ce que l'on a adopté quatre ans plus tôt, au Congrès de 77!

Les gens sont aussi d'accord sur la nécessité d'avoir une structure démocrati­que de fonctionnement (C.A.) qui ne soit pas trop lourde et qui ne nie pas la place importante des permanents-es. Là où l'en­tente est impossible, c'est sur le rôle de la coordination. Certains privilégient une plus grande décentralisation, donc plus d'auto­nomie aux secteurs, pour mieux rejoindre la base; d'autres préconisent une coordination régionale forte pour assurer une bonne cohésion au travail et éviter les dédouble­ments de tâches. Notons au passage, comme nous l'avons déjà souligné, que le document préparatoire considérait que c'était là un faux débat. Finalement l'assemblée, faute de majorité absolue, ne sera pas en mesure de choisir une des deux orientations; c'est le statu quo.

Vers l'autonomie des secteurs

L'automne 81 verra le travail concentré en trois secteurs, Sud-Ouest n'étant plus opérationnel faute d'énergie et d'argent dis­ponibles. Apparaît alors le dossier de la «Mousse isolante d'urée formaldéhyde (MIUF). Ce sera le gros dossier d'action col­lective de l'année, bien qu'il soit carrément dans le champ de la consommation et non dans celui de l'endettement. Dès octobre, l'ACEF organise en collaboration avec des victimes des soirées d'information sur les problèmes causés par la MIUF.

Trois comités furent créés. Une coordi­nation pour la région est mise sur pied avec l'appui de l'ACEF de Montréal. Une impor­tante manifestation a lieu en novembre, dans le but de dénoncer l'incurie d'Ottawa sur cette question; plus de 1 000 personnes y participent41. Le travail ne s'arrêtera pas là; les comités fonctionnent bien, avec de nom­breux bénévoles, sous le soutien actif des permanents-es de l'association. Une soirée d'information sur l'état du dossier sera orga­nisée en février 82 et rejoindra encore une fois plus de I 000 personnes. La MIUF fut un dossier majeur pour la FACEF et l'ACEF de Montréal. Elle occupe beaucoup de place en 81-82, ne cédant du terrain qu'aux débats et conflits internes de plus en plus exacerbés. Elle sert elle-même d'exem­ple pour alimenter le débat, montrant que le

 terrain de la consommation est plus mobili­sateur que celui, plus restrictif, de l'endette­ment.

Le conseil d'administration de décem­bre 81 fait un bilan de l'état de l'organisa­tion: absence de militants-es sauf à l'Est; sentiment dans les secteurs d'être à la remor­gue du régional; simultanément, ce dernier se sent loin des secteurs. On constate une absence de perspective globale à cause du débordement du service et du travail en général. On y envisage la possibilité de créer quatre (4) ACEF autonomes, mais la propo­sition en reste là. À l'hiver, le temps des per­manents-es se partage surtout entre le ser­vice régulier et le dossier de la MIUF.

Parallèlement, il y a relance d'un vieux dossier portant sur les coupures de l'Hydro-Québec42. Puis le 7 février, paraît dans le Journal de Montréal un texte intitulé «Se transporter sans posséder de voiture et éco­nomiser $4,358 par an», et présenté comme étant une étude de l'ACEF. Le texte ques­tionne essentiellement la nécessité de l'auto­mobile dans un grand centre comme Mon­tréal et en explique le coût prohibitif. Ce texte soulève toute une controverse; pré­senté comme étant une position de l'ACEF. il s'avère que ce n'est nullement le cas; le texte vient de l'analyse d'un cas rencontré à Villeray. Ce n'est donc pas un texte issu d'une étude approfondie; de plus, il ne fut pas approuvé par l'ACEF de Montréal43.

Deuxièmement, il soulève encore une fois l'acuité des problèmes d'orientation et lève le voile sur des réflexions qui ne sont pas toujours débattues largement44. Le texte sur l'auto fait en quelque sorte office de déclen­cheur.

À l'intérieur, la tension est à son paroxysme; en fait foi le procès-verbal du C.A. du 11 mars 1982, C.A. qui sert à prépa­rer l'assemblée générale. Le C.A. y présen­tera une proposition qui, si elle est adoptée, déclenchera l'expérimentation d'un proces­sus d'autonomisation de chacun des trois secteurs alors en fonction (Centre, Nord et Est). La proposition du C.A., acceptée par 5 des 9 membres, privilégie l'expérience d'au­tonomisation, principalement parce que «les structures organisationnelles de l'ACEF de Montréal posent, depuis déjà fort long­temps, des problèmes de fonctionnement majeurs»45. L'autonomie permettra de mieux développer chaque ACEF et de débloquer au niveau du membership. Une ACEF autonome fera essentiellement le même travail qu'auparavant: consultation budgétaire, cours sur le budget, action col­lective, etc.

Les quatre (4) membres dissidents du C.A. présentent eux aussi leur proposition.

Ils identifient les problèmes de façon diffé­rente: «(...) les problèmes de fonctionnement sont liés à une conception différente de la démocratie plutôt qu'à nos structures orga­nisationnelles actuelles»46. De plus, ils consi­dèrent que rien ne fut tenté pour solutionner les problèmes. «(...) aucune énergie (entre autres à la coordination) n'a été mise pour régler certains problèmes à cause d'une non-volonté d'amélioration dans les structures actuelles»47.

Entre les deux propositions soumises, l'assemblée générale tranche par un vote lar­gement majoritaire en faveur de l'expérience d'autonomie.48 Les participants-es des sec­teurs Nord et Est votèrent en bloc pour l'au­tonomie. Elle sera évaluée en juin 83, et cette évaluation permettra de voir si elle doit être concrétisée légalement ou non. L'année s'achève sous le signe de cette nouvelle orientation. L'ACEF de Montréal participe quand même, en avril, au Sommet populaire II de Montréal. En réalité, toutefois, ce sont des militants-es et permanents-es du Centre qui y seront présents-es.

Résumé de la deuxième période: 1980-1982

Une grosse lutte, la MIUF, assez bien réussie, mais hors du champ de l'endettement; parallèlement, le service garde toute son importance en termes de priorités.

Les débats s'accentuent en 1981: centralisation-décentralisa­ tion, endettement-consommation, transformation en organisa­ tion de masse.

L'abcès crève en mars 1982; la question de la décentralisation semble à la base du problème, mais s'affrontent aussi des conceptions différentes de la démocratie dans une organisation populaire.

Troisième période: 1982-1983 chacun son jardin

Compte tenu que chacun des secteurs à partir de maintenant fonctionne de façon autonome, nous regarderons de façon sépa­rée leur orientation et leur travail pour 82-83. L'expérience d'autonomie s'avérant concluante, les secteurs deviendront officiel­lement autonomes à l'été 83.

ACEF de l'Est

Travaillant au développement de son autonomie, l'ACEF de l'Est se définit, dès le départ, comme étant une organisation qui veut «défendre, de façon critique, les intérêts des consommateurs devant les agressions toujours plus subtiles de la société de consommation»49. Elle considère qu'il faut critiquer «la société de consommation qui nous incite à consommer de façon irréflé­chie»50. Elle prend donc position pour «une redéfinition de la société dans le sens d'un socialisme autogestionnaire permettant un plus grand contrôle des travailleurs et des consommateurs sur leurs conditions de vie et surtout sur la qualité de vie»51. Pour ce faire, elle croit impérieux, comme tâche importante à court terme, «d'augmenter notre expertise et nos interventions dans le champ de la consommation».52

Son travail quotidien continuera d'être centré autour des activités traditionnelles de l'ACEF: consultation budgétaire, cours sur le budget, action collective. Elle croit en la nécessité d'élargir le membership «pour créer un rapport de force et être une force de pression efficace et crédible»53. Enfin, par rapport au contrôle démocratique, l'on parle d'un fonctionnement auto-gestion­naire avec une assemblée générale qui enté­rine les grandes orientations et les actions prioritaires. L'on souligne que l'on «veut éviter de recréer une «fausse démocratie», une organisation à côté de sa propre dyna­mique et réalité».54

L'année qui suivra se déroulera sans fracas et même parfois avec difficulté, accu­sant certaines faiblesses. Le service se conti­nue et le dossier de la MIUF garde son importance, même si la période chaude de la lutte est passée.

ACEF du Nord

L'ACEF du Nord, dans son bulletin d'octobre 82, définit son objectif d'avenir de la façon suivante:

«(...) nous voulons, à l'ACEF, travailler à jeter les bases d'un mouvement qui viendra favori­ser l'implication et la participation des consommateurs dans la recherche de nou­velles alternatives à cette société qui a fabri­qué de toutes pièces l'impasse dans lequel nous nous trouvons actuellement».55

Elle voit aussi le besoin de s'ouvrir à la consommation et de ne pas se laisser enfer­mer dans le seul champ de l'endettement56. Elle a les mêmes velléités de membership que l'ACEF de l'Est et s'oriente relativement vers les mêmes activités. Ses structures se veulent aussi auto-gestionnaires.

L'année qui suit verra l'ACEF du Nord au-delà de son service, aborder mille et un sujets d'intérêt public qui seront traités dans son bulletin mensuel. Elle travaillera aussi à élargir son membership.

ACEF du Centre

L'ACEF du Centre se relèvera sous cer­tains aspects plus difficilement des premiers pas de son expérience d'autonomie. Un peu isolée du Mouvement ACEF, elle devra engager de nouvelles personnes et l'année 82-83 sera surtout consacrée à roder son quotidien. Néanmoins, elle accomplit assez bien le travail ACEF habituel. Elle relance son journal «S'En Sortir» en avril 83, grâce à un projet gouvernemental. Elle redéfinit peu à peu ses orientations. L'ACEF du Centre aligne ses priorités vers «ceux qui n'ont plus les moyens d'arriver à vivre décemment dans une société où règne encore l'illusion de l'abondance».57

L'éditorial de S'En Sortir de juin 1983 questionne sérieusement les tenants du cou­rant de pensée auto-gestionnaire et écologi­que présents dans le mouvement à Montréal comme en province; on les qualifie de rêveurs et l'on souligne:

«La société de demain ne sera pas issue d'un rêve, si beau soit-il. Elle sera le résultat des contradictions qui existent aujourd'hui et de la lutte perpétuelle entre des intérêts diver­gents»58.

Puis, l'on ajoute:

«(...) le danger est grand de finir par s'isoler dans le confort d'une micro-société parallèle-autonome-autogérée et tout ce que l'on veut, une micro-société qui a toujours comme «clientèle» une couche sociale bien délimitée, qui n'est pas la plus démunie».59

L'automne 83 voit naître petit à petit une volonté de retour aux actions collec­tives: le journal lance en ce sens un dossier tout nouveau sur les méfaits potentiels de toute une panoplie de cours de relations humaines.60

Résumé de la troisième période: 1982-1983

Chacune des ACEF développe son autonomie de façon très différente.

La MIUF occupe encore un peu les locaux: de nouvelles préoc­ cupations et de nouveaux dossiers naissent au cours de cette année et demie.

Une nouvelle forme de démocratie, de type autogestionnaire, commence à prendre corps dans les secteurs Nord et Est.

Bilans

BILANS61

1977-1980

1980-1982

1982-1983

BILAN DE LA MOBILISATION

Au   congrès   de   1977, environ   200   personnes participèrent aux délibé­rations, dont une quaran­taine de Montréal.

- Rien au plan de la mobilisation large, mis à part la coalition contre les coupures de  l'Hydro-Québec en 1977.

- Le nombre de mili-tants-tes oscillera, durant cette période, entre 20 et 30. Une centaine de personnes  en  moyenne seront      membres de l'ACEF.

La MIUF fait office de lutte à succès. Toutefois, le   militantisme   est   en baisse (une quinzaine de personnes seulement); le membership,  lui, stagne en restant toujours autour de cent cotisants-es.

II n'y a pas de mobilisa­tion large, à part la MIUF sur son déclin à ce niveau (lutte maintenant plus légale). Le militantisme grandît cependant autour de cha­que local et le members­hip va jusqu'à doubler.

BILAN DE LA PRISE EN CHARGE PAR LA BASE

Le congrès de 1977 vote, ne l'oublions pas, la transformation en organi­sation de masse. Il y a un début de prise en charge en 1978 avec un premier C.A.; toute­fois, cette prise en charge reste surtout le fait de jeunes militants-tes intel-lectuels-les. Les «masses» ne sont pas regroupées et les gens des classes populaires et ouvrières qui sont mem­bres (50%) participent peu, sauf à l'ACEF de l'Est. La formation à caractère politique de l'époque 76-78 se perd peu à peu au profit d'une formation plus technique.

Les conflits entre le c.a. et les permanents-es sont constants durant cette période. Ce sont des conflits qui opposent essentiellement des petits-bourgeois entre eux/elles à cause de la composition de classe du c.a. et de la permanence (employés-es). Le mem­bership, issu du service, s'active peu, sauf quel­ques exceptions souvent encore issues de l'ACEF de l'Est. Il n'y a pas de formation politique pour les gens qui ont un peu de temps à donner; ça reste techni­que et parfois un peu «brouillon».

La prise en charge par la base dans le sens d'une organisation de masse n'est plus recherchée au Nord et à l'Est. Dans cha­que local, la participation plus «populaire», bien qu'existante, reste cepen­dant toujours assez miti­gée.

BILAN DE LA SOLIDARITÉ

Rappelons-nous que les ACEF sont issues de la CSN et que jusqu'en 75 à Montréal (et en 77 offi­ciellement) ce sont des organisations regroupant uniquement des organis­mes-membres. Après 1977, les groupes membres se font moins nombreux qu'avant. La solidarité se manifeste de bien des façons: appuis officiels et parfois tangi­bles (ex.: ligne de pique­tage) à des syndicats en grève (les permanents-tes syndiqués-es sont affiliés-ées à la CSN); mais aussi développe­ment rapide du service aux grèves.

Les groupes membres se font un peu plus nom­breux et participent plus aux A.G. Les appuis de toutes sortes et le service aux grèves se continuent, mais ils subissent une chute à mesure que la crise interne s'accentue.

Sans dire qu'il n'y a plus de lien de solidarité avec aucun groupe, il est clair que l'effervescence à ce niveau a complètement disparu. Chacune des ACEF à Montréal semble un peu plus isolée du milieu ambiant qu'aupa­ravant.

Analyse de la lutte

Nous essaierons de comprendre dans les pages qui suivent ce qui s'est passé à l'ACEF de Montréal entre 1977 et 1983. Nous traiterons de discours revendicatif, de l'organisation démocratique et de l'orienta­tion politique. Avant toutefois d'aborder ces questions de front, il nous semble important de clarifier au départ le fond du débat à l'ACEF depuis 1977.

Dans le préambule de la proposition concernant l'autonomie des secteurs, propo­sition présentée à l'assemblée générale du 29 mars 1982, nous avons vu que le pro­blème principal qui y est identifié concerne les structures de l'association. C'est à ce niveau, pour les tenants de la proposition majoritaire, que se situe le problème de fonctionnement cahoteux à l'ACEF de Montréal. C'est cela qui empêche le déve­loppement du membership et nuit aux sec­teurs:

«(...) il faut constater que, depuis 1978, nous avons connu principalement une baisse de membership et la fermeture de quartiers à cause, sans doute, d'un manque d'intérêt généralisé qui est au moins partiellement dû à la structure et à la faiblesse de l'équipe»62.

En situant, de prime abord, le problème principal au niveau de la structure organisa-tionnelle et de son incapacité à faire fonc­tionner l'association, il va de soi que la piste pour améliorer la situation passe par un changement de structure; d'où la volonté de changer cette dernière en déclenchant une expérience d'autonomie des secteurs. Souli­gnons toutefois que, à nos yeux, nous ne touchons là qu'à un aspect du problème. La proposition de mars 1982 ne sort cependant pas d'une boîte à surprise.

Un court rappel des événements antérieurs

Nous avons vu que, jusqu'à l'été 79, l'ACEF de Montréal était beaucoup plus éparpillée à travers la ville qu'en mars 82. Au moment du bilan historique de novembre 80, on relevait de cette expérimentation commencée en 1972 les acquis suivants:

«Cela a favorisé la création de liens avec les groupes du milieu et assuré la crédibilité de l'ACEF sur le terrain de l'endettement, cela a favorisé l'accès aux services ainsi que l'inté­gration des membres. En effet, la décentralisation a entamé un processus de déprofession-nalisation du travail pour en faire plus un travail avec le monde»63.

Dès 1979, certaines personnes s'inquiè­tent de la perte d'autonomie des quartiers (6 bureaux) par rapport à la coordination régionale qui compte déjà 6 permanents-es.

À l'assemblée générale de mai 1981, «l'assemblée du statu quo», les positions qui s'affrontent en plénière sont finalement très semblables; elles se démarquent sur l'impor­tance à accorder aux secteurs et à la coordi­nation régionale.

Deux conceptions de la démocratie

Toutefois, à nos yeux, derrière la pro­position d'autonomie se cachent des diver­gences de conception dans la structure démocratique de l'organisation. Ainsi, le document de travail du secteur Nord sur «L'importance des secteurs autonomes à Montréal», présenté à l'assemblée générale, considère que les instances démocratiques à l'ACEF sont trop grosses (A. G., C.A. et exé­cutif), il met donc de l'avant la structure de fonctionnement suivante:

«Les décisions seront prises par l'ensemble des permanents et des militants actifs, qui travail­lent au sein de l'organisation. Seule une démocratie nouvelle de type autogestionnaire peut assurer un fonctionnement qui tienne compte à la fois de la pratique quotidienne et d'un développement correspondant aux besoins exprimés par le milieu»64.

Le rôle de l'assemblée générale se limitera donc à «entériner les orientations à poursui­vre ou à modifier»65. C'est exactement ce qui s'est produit depuis la mise en place des sec­teurs autonomes, à l'Est comme au Nord. Ceci dit, à la lecture du contenu de ce texte, nous partageons l'analyse des tenants de la proposition dissidente qui situait le problème d'abord et avant tout au niveau de conceptions divergentes de la démocratie dans une organisation populaire. Il ne s'agit donc pas uniquement de décider de centrali­ser ou décentraliser mais bien de savoir ce qu'on veut comme organisation; car rien n'empêcherait d'y aller d'une démarche autogestionnaire dans une boîte centralisée. Nous dépassons donc largement la dimen­sion structurelle pour toucher à des ques­tions de fond concernant l'orientation et le type d'organisation désiré. Pour nous, c'est cette absence d'orientation claire qui a empêché d'avancer et de fonctionner à tous les niveaux. Voyons ceci dans les détails.

1. Un discours revendicatif piégé

En 1977, le mouvement des ACEF se dote d'un champ de lutte: l'endettement. Il en fait même un slogan: «Luttons pour le droit de vivre sans s'endetter». Les journaux témoignent, comme nous l'avons souligné, d'un discours essentiellement en lien étroit avec l'orientation de 77, un discours aux vel­léités de mobilisation teintées de racines idé­ologiques marxistes présentes dans le choix de l'orientation. Un discours qui, comme le soulignait Pierre Legros, montre que l'ACEF est «travaillée entre deux discours bien articulés, soit le dogmatisme des groupes marxistes-léninistes, soit l'illusion des sociaux-démocrates de pouvoir changer le système capitaliste par le jeu parlemen­taire»66. Ce discours n'a jamais réussi à mobiliser; pourquoi? Là-dessus, Pierre Legros arrivait aux conclusions suivantes:

Donc un discours qui plane au-dessus de la tête du monde, un discours issu d'une analyse d'intellectuel-le-s qui ne prend pas racine dans le quotidien des gens et ne leur offre rien d'intéressant comme solution d'avenir.

«Cette mobilisation est faible parce qu'on n'a pas présenté aux membres éventuels des pers­pectives concrètes de changement à court, moyen ou à long terme»68.

Il semble donc qu'on ne lui a pas donné des pieds et des mains, à ce discours, qu'on ne lui a pas donné une chance de se concrétiser. Lorsqu'on n'offre qu'un slogan, peut-on s'étonner d'avoir au bout de la ligne un bilan de service?

Depuis, il n'y a jamais eu à l'ACEF de revendications mises de l'avant autrement que pour réagir ponctuellement à des chan­gements de loi (Loi sur la protection des consommateurs, abolition de la Loi sur les petits prêts). Les seules autres tentatives tou­chant le dépôt volontaire, la faillite et les saisies sont restées lettre morte, les cahiers étant mal faits. De plus, ces tentatives se situaient au niveau de la Fédération et non de l'ACEF de Montréal.

Une fois cette constatation faite des questions surgissent: pourquoi n'a-t-on pas cherché à lancer des mots d'ordre plus concrets sur l'endettement? Est-ce parce qu'on n'y croyait plus? De fait, si l'on s'en tient à un document distribué par le secteur Nord en mai 1980 et intitulé: «Deux réalités d'endettement, deux fronts de travail à déve­lopper», il semble que certains-nes perma-nents-es et militants-es questionnent une part du discours officiel dès 1978, année de parution du Manifeste.

«C'est environ depuis deux ans que les mili­tants et les permanents du Secteur Nord de l'ACEF de Montréal ont commencé à remet­tre en question puis à relativiser l'analyse des causes de l'endettement véhiculée dans le Manifeste de l'ACEF»69.

Ce document remet sérieusement en question l'idée maîtresse du Manifeste, c'est-à-dire que la cause principale de l'endette­ment est l'insuffisance de revenu. Pour les militants-es du secteur Nord, bien des gens s'endettent par surconsommation d'abord et avant tout, et ce n'est qu'une minorité qui le fait par insuffisance de revenu. Le document propose de développer deux fronts de tra­vail à l'ACEF: celui de la consommation, où il serait alors possible de remettre en ques­tion la société de consommation de masse et de faire un travail d'éducation et de préven­tion; puis un second front portant essentiel­lement sur l'endettement problématique, ce qui équivaut au travail traditionnel de l'ACEF. Ce document exprime clairement la pensée d'un des courants les plus influents à l'ACEF, ces dernières années. Ce courant s'est développé et articulé à Montréal et en région très rapidement après le Congrès de 77 et ce pour trois raisons.

Premièrement, il y a l'évolution de la clientèle rejointe par certains bureaux, tel le Nord. Elle devient plus jeune et issue des classes moyennes (plus de $20,000 de revenu), ce qui n'est pas sans influencer l'analyse des causes premières de l'endette­ment. Deuxièmement, il y a le constat sui­vant:

«moi. je pense qu'il y a de quoi d'important dans notre champ d'intervention, finalement ce n'est pas un champ mobilisateur en soi»70.

C'est une opinion très défendable. L'en­dettement est, pour plusieurs, une situation temporaire dont ils espèrent sortir le plus rapidement possible. Ensuite, il y a un cer­tain malaise social: c'est mal vu de parler de ses dettes. Enfin, c'est un champ de lutte qui n'est pas spécifique à une classe sociale pré­cise (ex.: assistées sociales), et chaque cas d'endettement s'avère différent:

«ça ne touche pas un bassin de monde avec des conditions pareilles: t'as huit (8) cas de per­sonnes endettées, mais tu as aussi une variété de conditions d'endettement, de revenu, ce qui fait que t'as pas une revendication uni­forme au bout de la ligne»71.

Troisièmement, il se développe au sein du mouvement ACEF, comme dans beau­coup d'autres milieux, un courant écologi­que fort, de plus en plus politique, qui remet en question le système de production, la consommation de masse et tout le modèle

 actuel de société en se démarquant du marxisme traditionnel72. Ce courant grandit beaucoup en réaction au mlisme et il est majoritairement porté à l'ACEF par du monde qui n'était pas là en 77, au moment du Congrès.

Nous nous retrouvons donc devant un discours contesté au départ, pour des rai­sons liées à la pratique, mais aussi à une pen­sée idéologique qui diffère de celle qui a influencé les orientations de 77. À partir de ce moment-là, tout peut être questionné: l'orientation, le type d'intervention qui en découle, la structure et son fonctionnement démocratique. En soi, cela explique peut-être bien des chose; il est évident que si l'on ne croit pas à quelque chose, l'on ne cher­chera pas à y investir plus qu'il ne le faut, et l'on essaiera fort probablement d'orienter l'organisation dans le sens de ce que l'on croit le plus juste. La dimension revendica­tive fut donc à nos yeux essentiellement blo­quée par des divergences d'orientation.

2. Les hauts et les bas du fonctionnement démocratique

Dès que nous interrogeons le travail quotidien de l'ACEF de Montréal, dès que nous nous penchons sur son fonctionne­ment organisationnel, nous nous buttons à mille et une difficultés dont nous avons fait état plus tôt et que de nombreux témoi­gnages confirment:

«On doit aussi respecter davantage la réalité des membres plutôt que de viser seulement d'en avoir le plus possible. Encore une fois, on ne s'est pas donné les moyens de réaliser nos objectifs: pas de plan d'action, de stratégie, de travail planifié»73.

«On essayait d'aller chercher du monde, de se transformer complètement en organisation de masse, sauf qu'on a jamais pris le temps de s'asseoir pour dire c'est quoi la stratégie à prendre pour développer, se développer; le monde y est allé de façon très spontanée, très militante, mais y a pas eu de stratégie réflé­chie».74

Lorsque l'on essaie de saisir la source de ces difficultés, il y a confirmation que le pro­blème principal à l'ACEF tournait autour d'une absence de cohésion au niveau de l'orientation.

« La première constatation à faire est de recon­naître qu'il existe, effectivement des difficul­tés de fonctionnement et d'organisation du travail à l'ACEF de Montréal; on peut aussi avancer que ces difficultés de fonctionnement proviennent, en partie, d'un manque d'orien­tation claire et de l'impossibilité de limiter nos priorités».75

Il situe donc lui aussi le problème au niveau des difficultés d'orientation. Tout cela semble montrer de plus en plus que si le travail fut si difficile, c'est que personne ne s'entendait sur l'orientation de l'association et les priorités qu'il fallait lui donner.

Dès lors, avec de telles divergences, peut-on se surprendre de l'incapacité de l'ACEF à se transformer en organisation de masse? Devant l'incapacité d'avoir un seul discours le moindrement cohérent, devant les effets de cette incohérence sur l'organisa­tion du travail., peut-on se surprendre de constater un fonctionnement pour le moins boiteux à l'ACEF de Montréal? Et quand rien ne débloque, n'a-t-on pas tendance à s'asseoir sur l'acquis et à s'en tenir à ce qui est plus sûr? Dans ce contexte, le repli sur le service apparaît plus sécurisant et moins exi­geant:

«C'est bien plus tranquille et ben plus sécuri­sant de rester à faire ta consultation budgé­taire qui reste un travail essentiel; dans ce temps-là tu bouges pas trop d'affaires, c'est pas trop dangereux, t'écoeures pas trop de monde et les bailleurs de fond».76

Mais c'est avec un tel esprit que les ris­ques de «bureaucratie populaire» apparais­sent. L'ACEF ne serait-elle pas devenue avec les années, une belle boîte à service, un peu moins chromée que l'Office de protec­tion du consommateur (OPC), plus «cheap labor», plus accessible, mais une boîte à ser­vice tout de même?

Mais où sont passées les classes populaires?

Ceci dit, nous pensons que les pro­blèmes d'orientation ne justifient pas tous les problèmes de fonctionnement démocra­tique. Certaines tendances internes, sont plus du ressort, soit d'un fonctionnement intellectuel non adapté aux gens que l'on veut rejoindre, soit de l'antidémocratisme tout court.

Par rapport au fonctionnement intel­lectuel, pensons d'abord au problème de langage.

«On a de la misère à comprendre, à saisir sou­vent ce qu'ils disent dans leur langage; c'est pas notre langage habituel à nous autres de la classe ouvrière».77

au niveau de connaissance:

«Y a du monde qui ne tiennent pas toujours compte du niveau des militants pis qui ne voient pas tellement de place pour eux».78

Nous pourrions signaler mille autres petits détails qui vont de la sur-représentati­vité des intellectuels-les à la multitude de documents internes fort volumineux, en passant par les difficultés techniques de cer­tains aspects du travail. Rien donc pour favoriser activement cette présence popu­laire, et encore moins la prise en charge par la base sociale de l'organisation.

En ce sens, les intellectuels-les, au sein de l'ACEF, ont toujours eu beaucoup de dif­ficulté à jouer le rôle «d'intellectuel organi­que». Comme le soulignait Pierre Legros, «l'inaccessibilité de l'Association (...), sa déconnection de la réalité, sa privatisation en fait une organisation de militants plutôt qu'une organisation de niasse ouverte et enracinée dans la problématique qu'elle veut transformer».79

Bien sûr. les intellectuels-les de l'ACEF, qu'elle que soit leur orientation, n'ont pas défendu les intérêts capitalistes. Ils-elles ont joué, par leur tentative de com­préhension du terrain de l'endettement, une partie du rôle qui est dévolu à un «intellec­tuel organique». Mais ce lien est resté bien souvent lointain et superficiel, parce que jamais vécu en termes de formation politi­que, en termes de conscientisation véritable. Ce lien s'est arrêté au niveau du service et du discours large d'information: jamais il n'a pris racine au coeur même du quotidien, mis à part le travail fait à l'ACEF de Mercier, et avec certaines limites, là aussi. Jamais il n'a pu se vivre au coeur d'une lutte, puisqu'il n'y  a pas eu de lutte véritable, sous contrôle ACEF.

À quoi sert un C.A.?

Toutefois, si les gens de la classe ouvrière y ont toujours cherché leur place, cette difficulté ne leur est pas exclusive; en font foi des rapports permanents-es et mili-tants-es souvent tendus, même entre intel­lectuels-les. Qu'il s'agisse de structures d'ac­cueil déficientes, du contrôle de l'information dans les mains des perma­nents-es, du refus d'obtempérer à des déci­sions du C.A. de la part des permanents-es, tout y a passé, frisant parfois l'anti-démo-cratisme. Regardons de plus près. L'édito-rial de S'En Sortir de l'automne 80 est expli­cite sur bien des points:

«Depuis sa naissance, l'ACEF a été confron­tée à des problèmes de membership et entre autres choses la question du partage des pou­voirs. Une continuelle rotation au sein de l'équipe des membres militants a non seule­ment suscité des problèmes de cohérence (ou de continuité), mais aussi des difficultés dans la réalisation des priorités. Cette situation nécessite évidemment une transmission de l'information et une procédure d'accueil des membres des plus efficaces sinon l'orientation de l'organisation retombe inévitablement entre les mains de ceux qui détiennent l'infor­mation».80

Ce texte en dit long sur le roulement des militants-es, sur les procédures d'accueil inadéquates et sur le contrôle de l'informa­tion entre les mains des permanents-es. Les deux derniers aspects furent soulevés à maintes reprises. Ainsi, en mai 80, un certain nombre de militants-es se réunissaient pour préparer l'assemblée générale et, en préam­bule, pour appuyer leurs propositions de mettre les priorités de l'année sur le mem­bership et un débat sur le type d'organisa­tion, ils mentionnaient:

«Vu qu'il est. nous le croyons, impossible de développer le militantisme en raison des diffi­cultés actuelles d'intégration et de participa­tion et que le problème remet en cause la transformation en organisation de masse nous proposons que l'ACEF reconnaisse les priorités suivantes»81.

Les priorités qui furent finalement adoptées à l'Assemblée générale furent le membership et le développement de l'action collective. Rien n'y fit. Durant l'année qui suivit, le C.A. enregistra démission sur démission et termina l'année avec troisper­sonnes militantes au lieu de neuf. Les rai­sons invoquées, bien que jamais très claires, toujours un peu camouflées, touchent à la marge de manoeuvre, à la liberté d'action, au contrôle de l'organisation (C.A. vs per­manents), etc. Le procès-verbal de l'Assem­blée générale du 23 février 81 est, à ce titre, lui aussi très éclairant:

«Le Conseil d'administration a fait face à une fin de non-recevoir des permanents. Le Conseil d'administration est formé de gens qui n'ont pas le goût d'y être. 11 faudrait que les permanents acceptent que le C.A. existe et qu'ils fassent en sorte qu'il n'y ait pas de dis­tanciation entre eux et le C.A. Je demande un vote de confiance pour les membres restants du C.A.»82

Quatre mois plus tard, le bilan de l'an­née 80-81 souligne l'incapacité de mener à bon port les deux priorités votées à l'assem­blée de l'année précédente. Sur le membership: «le comité n'existe plus, la préoccupa­tion se manifeste différemment au niveau des secteurs»83. Sur l'action collective (le dossier des compagnies de finances): «on n'a pas réussi à mobiliser les gens encore...; le dossier n'est pas encore une préoccupation prioritaire pour tous les secteurs»84. En résumé, les deux priorités de 80-81 sont des échecs, ou presque, et l'on n'a à peine essayé de développer l'action collective. Le train-train quotidien du service est apparu plus facile et plus sécurisant. Pourtant on allait ainsi à rencontre de décisions adoptées à l'unanimité par l'assemblée générale.

Si les problèmes d'orientation ont joué un rôle déterminant dans les difficultés ren­contrées au niveau du fonctionnement démocratique, excusent-ils tout? Nous sommes portés à dire non, comme en témoi­gnent les exemples cités précédemment.

3. Quelle orientation politique?

Nous venons de voir combien l'absence d'une orientation commune, partagée par la majorité des participants-es d'une organisa­tion, peut s'avérer destructive pour un groupe populaire. Nous pensons que c'est essentiellement cette lacune qui a miné l'ACEF de Montréal. Ces divergences sur le sens à donner à l'association se situeraient à un double niveau: par rapport au champ de lutte et par rapport au type d'organisation.

Les aléas du champ de lutte

Que le champ de lutte ait été contesté dès le départ (1978), c'est une chose, en soi, un peu déconcertante; à quoi sert-il de se doter d'une orientation si elle est déjà jetée aux poubelles par certains-es au moment même où on la publicise (ex.: Manifeste)? Nous venons de voir que cela s'expliquait essentiellement au départ par un change­ment de clientèle amenant une compréhen­sion différente des causes d'endettement (surconsommation) dans certains secteurs (principalement au Nord), et par le dévelop­pement d'une pensée politique différente, portée par des gens venus après le Congrès. Le cul-de-sac de la non-mobilisation du champ d'intervention, lui,vient plus tard, avec les années d'insuccès.

Les choses étant ce qu'elles sont histori­quement, nous pensons que cette contesta­tion du champ de lutte n'a certes pas aidé à mobiliser sur ce terrain. Si l'on n'y croit pas, il sera plutôt difficile d'y travailler. Ceci dit, malgré certaines divergences présentes au niveau du champ de lutte au moment du déclenchement de l'expérience d'autonomi-sation, il ne nous apparaît pas que ce soit là le fond du problème. Plusieurs exemples le confirment.

Lors de l'assemblée générale de mai 81. tout le monde s'entend sur la nécessité d'élargir le champ de lutte et de travailler sur le terrain de la consommation. Par la suite, le travail sur la MIUF ne s'est pas fait uni­quement dans les secteurs qui privilégiaient depuis longtemps cette orientation. Tous y ont participé activement et pas par obliga­tion, loin de là. De plus, le travail de l'ACEF du Centre depuis l'autonomisation inclut largement les questions portant sur la consommation, la surconsommation ou la mauvaise consommation. Pensons au dos­sier des cours de relations humaines. La divergence majeure se situe donc à un autre niveau.

Deux conceptions de la mobilisation et de la démocratie

En 1977, en choisissant de s'orienter vers la transformation en organisation de masse, l'ACEF se donnait tout un défi. C'était le temps où l'on croyait encore que la révolution était aux portes et où le réfor­misme était dénoncé dès qu'il levait le petit doigt. Sur cette transformation, le bilan his­torique de novembre 80, nous l'avons vu. faisait ressortir des choses fort intéressantes.

Ce texte dit clairement que l'absence de mobilisation est d'abord due au fait que l'ACEF est restée collée au service et n'offre rien de plus aux gens. Il n'est donc pas sur­prenant qu'elle n'ait pas mobilisé.

En fait, la seule ACEF qui ait regroupé un tant soit peu de monde, c'est l'ACEF de l'Est à l'époque où sa principale permanente était de classe ouvrière. Or c'est l'ACEF qui, à ce moment-là, donne le moins bon service et s'en démarque le plus. Cela est loin de faire l'unanimité, comme le démontre le rap­port de la FACEF en 79. Pourquoi cette ACEF mobilise-t-elle plus que la moyenne? Est-ce dû à sont travail qui va dans le sens de la «conscientisation» et d'une dénonciation du système capitaliste, travail jugé simpliste par certains-es? Ou bien est-ce plutôt à cause de la présence d'une permanente de classe ouvrière à laquelle les personnes rejointes s'identifient?

Il est difficile d'avancer une réponse, mais nous pensons que les deux facteurs se complètent et sont loin d'être négligeables. Mais l'ACEF de l'Est, entre autres à cause de ses propres limites, surtout au plan de l'organisation, est très isolée tant dans l'ACEF de Montréal que dans la Fédéra­tion. Elle n'a pas les reins assez solides pour tenir le coup dans cette direction tout en raf­finant un peu son organisation et son ser­vice. Pourtant, son message est aussi clair que celui du bilan historique: ce n'est pas par le service qu'il sera possible de bâtir une organisation de masse.

L'ACEF n'en continue pas moins à développer son service, à revendiquer et lut­ter à temps perdu et, jusqu'en mai 1981, à proclamer la nécessité de véritablement se transformer en organisation de masse.

Contradictions? Sûrement, mais ces contra­dictions s'amenuisent et, à l'assemblée géné­rale de mars 82, qui adopta l'expérience d'autonomisation des secteurs, il n'est plus question d'organisation de masse. Les argu­ments qui entourent la proposition princi­pale sont d'un tout autre ordre, visant plus à faire des ACEF des organisations autogé­rées qu'autre chose. Rappelons que cette proposition reçut l'appui des secteurs Nord et Est.

Que s'est-il passé? Serait-ce que le cou­rant de pensée dominant a décidé de cesser de se donner une fausse image démocrati­que? Qu'il en est venu à la conclusion qu'il n'avait plus d'autre choix que de se donner une ACEF à son image, une ACEF de petits-bourgeois anti-surconsommation et auto-gestionnaires? Si c'est bien le cas, ce choix s'imposait-il, à défaut de pouvoir assumer vraiment les risques de la démocra­tisation? La réponse variera sûrement, dépendamment du courant politique dans lequel l'on s'inscrit. Chose certaine l'ACEF du Centre conserve son option d'ACEF vouée à la défense des intérêts économiques vitaux des classes ouvrière et populaire en élargissant son membership selon un modèle de démocratie «classique» (A.G. et C.A. décisionnels). Elle le fait tout en ten­tant de préciser son analyse critique de la société de consommation. Deux visions, deux conceptions de ce que doit être une ACEF s'affirment donc en ce début de 84. Seul l'avenir dira qui a raison. C'est à suivre.

En résumé :

 

RGL, RCLAL de 1978 à 1983

«Non aux augmentations, exigeons le gel des loyers»

Montréal, janvier 1978: c'est le début de la première campagne pour le gel des loyers; un regroupement se forme, le RGL. Le bulletin du comité-logement Saint-Louis, qui prend naissance avec la lutte, titre à la une: «Non aux augmentations de loyer.» Il en appelle au regroupement, à la mobilisation et à l'action directe (piquetages, boycottages, grève des loyers) de tous les locataires pour dénoncer et combattre les hausses qui s'annoncent. Une bonne quinzaine de groupes logements participeront à cette campagne, sans être nécessairement tous très actifs. Janvier 84, la revendication du gel n'existe plus. Pour la seconde fois de son histoire, elle est reléguée aux oubliettes. Malgré quelques succès au plan de la mobilisation, elle ne fut pas toujours à la hauteur des attentes. Néanmoins, le Regroupement existe toujours; il a changé son nom (RCLAL) et, en partie, sa vocation. Mais survivra-t-il encore longtemps? Pourquoi la revendication du gel en vient-elle à être petit à petit mise au second rang? Que s'est-il passé au sein du Regroupement au cours de toutes ces années? Nous essaierons de répondre le mieux possible à ces questions dans les pages qui vont suivre. 

Historique de la lutte

les luttes sur le logement avant le RGL

Des comités de citoyens des années soi­xante aux Comités d'action politique(CAP) du début de soixante-dix, en passant par certaines luttes de quartiers (Milton Park, Concordia, Linton-Barclay, etc.), voilà autant de manifestations différentes de la même réalité, celle du travail sur la question du logement à Montréal, il y a de cela quinze ans déjà1. Derniers en liste, les CAP de 70 et 71 en font leur cheval de bataille prioritaire, à Côte-des-Neiges, à Saint-Édouard, à Saint-Louis et dans bien d'autres quartiers.

Arrivent les fameux projets PIL, la manne salvatrice du début des années soixante-dix. Elle permet de donner une infrastructure au travail amorcé par les CAP, tout en créant de toutes pièces de nou­velles associations de locataires. Qu'il suf­fise, pour montrer l'ampleur de cette manne, de souligner que l'Association des locataires du Montréal Métropolitain (ALMM) obtiendra, pour une année, 108 postes-sa­laires pour différentes associations de quar­tier.

Ainsi naîtra, entre autres, l'Association des Locataires de St-Louis, ancêtre du comité logement Saint-Louis, avec à son service une dizaine de personnes. En 72, un regroupement québécois se forme, regrou­pement qui disparaît deux ans plus tard: la Fédération des associations de locataires du Québec (FALQ). Elle lutte conjointement avec les centrales syndicales et les ACEF contre le projet de Code du Logement pré­senté en 73 tout en revendiquant le bail-type. Dans les associations de locataires, créées de toutes pièces par les projets PIL, le travail s'oriente généralement vers le service et le dépannage des locataires en difficulté.

Puis, la très grande majorité des asso­ciations meurent vers 74, un peu comme elles sont nées, le robinet à piastres du Fédé­ral étant tout simplement tari. Cependant, quelques associations subsistent malgré tout. Nous pensons à Saint-Louis qui chan­gera de nom et deviendra le Comité Loge­ment Saint-Louis (1974), ainsi qu'à Côte-des-Neiges, à Centre-Sud et à Longueuil.

L'année 1975 marque le retour des luttes de quartier, dont certaines sont aujourd'hui célèbres. Il y a d'abord la rue St-Norbert (1975), lutte qui vise à empêcher la destruction d'un pâté de maisons pour y ins­taller une cour de voirie. Menée par le Comité Logement St-Louis, cette lutte se termina concrètement par un échec (des­truction des maisons). Mais elle permet à plusieurs militants de comprendre qu'une lutte dirigée par un petit groupe d'initiés, peut s'avérer intéressante, mais n'est pas, en soi, la meilleure façon de développer, de construire un véritable rapport de force. Dans les deux années qui suivirent, le Comité Logement St-Louis fut confronté à deux autres tentatives de démolition. Nais­sent deux autres luttes importantes: celle du parc-école Émile-Nelligan et celle contre Clermont Motors2.

Puis, suite à ce travail en quartier, prin­cipalement dans Saint-Louis, survint un retour aux tentatives de regroupement. Entre 76 et 78 naissent et meurent le Regrou­pement des locataires en lutte (réunissant des gens de différentes luttes, comme Cler­mont) et le Mouvement de lutte pour le droit au logement. Apparaît également le Front Commun des Associations de locataires de Montréal (FCALM), regroupement qui fera l'objet  de   vigoureuses  attaques  du  futur Regroupement pour le Gel des Loyers (RGL) pour ses attitudes soi-disant réfor­mistes.

Le RGL, sous les bons auspices des comités de logement Centre-Sud et Saint-Louis, amorce son travail en décembre 1977. Dès sa première campagne, il revendique, bien sûr, le gel des loyers. Nous y revenons. Se forme, en 1979, le Front d'action popu­laire en réaménagement urbain (FRAPRU), issu d'un colloque organisé en octobre 78 sur les Programmes d'amélioration de quartier (PAQ), qui rassembla des représentants de 36 groupes différents (dont des membres du Regroupement). Les participants dénoncent alors les politiques de rénovation urbaine et voteront la mise sur pied de l'éventuel FRA­PRU (mais aucun groupe du RGL n'en deviendra membre).

Parallèlement, en mai 79, est fondée l'Association Provinciale des Locataires de Logements Municipaux du Québec (APLLMQ), association qui finira par regrouper plus de soixante associations locales. Enfin, soulignons aussi des rappro­chements au niveau des coopératives d'habi­tation. Il existe maintenant, entre autres, un certain nombre de Fédérations régionales de coopératives et une sorte de Regroupement informel de groupes de ressources techni­ques pour l'ensemble du Québec3.

Les origines du Regroupement

C'est sous l'impulsion des comités-loge­ment Saint-Louis et Centre-Sud que se fonde en décembre 1977 le Regroupement pour le Gel des Loyers (RGL). Ce Regrou­pement vise deux objectifs immédiats: « (...) la lutte commune contre les augmentations de loyers et l'organisation d'une campagne pour obliger l'État à décréter un gel du prix des loyers»4. De cette façon le Regroupe­ment espère «appuyer le développement des organisations de locataires à la base en même temps que la création d'un mouve­ment de lutte large et unifié pour le droit au logement».5

Donc trois dimensions essentielles: I) une lutte commune, 2) contre l'État, 3) permettant de développer les organisa­tions membres. Ces trois éléments se tien­nent et semblent former un tout dans l'esprit initial du RGL.

Que devront être les organisations membres? Dans la mesure du possible des organisations de masse. Toutefois l'on n'a pas fait état de cette exigence avec autant d'insistance que dans le mouvement ACEF6. Les expressions «organisation de lutte et de défense» sont également employées.

Mais pourquoi revendiquer le gel? Essentiellement parce que la revendication du gel permettrait de porter la lutte pour le droit au logement sur le terrain politique. Pour marquer des acquis, pour aller plus loin que les luttes de blocs ou de quartier, pour espérer changer les règles du jeu, il faut faire intervenir l'État, ne serait-ce que pour exiger d'abord une loi d'urgence qui gèlerait les augmentations de loyer.

«Puisque c'est l'État qui s'occupe de gérer les affaires capitalistes, c'est à l'État que nous demandons un gel des loyers (...) Le GEL DES LOYERS, NOUS DEVRONS L'IM­POSER À L'ÉTAT, L'IMPOSER AUX CAPITALISTES».7

Le RGL vient donc «1. d'une identifi­cation plus claire de l'ennemi, l'État et ses politiques en matière d'habitation; 2. de la mise de l'avant d'une revendication qui est une des clés du droit au logement».8

Comment en est-on venu à une telle analyse de la réalité du logement? D'une part, à cause de l'influence directe ou indi­recte du courant politique de l'époque, qui privilégie la grille d'analyse marxiste, ml ou non,

«... il y avait un courant politique qui nous influençait beaucoup, même si on n'en faisait pas tous directement partie et qui disait que cette revendication-là, elle a l'avantage de porter la lutte des augmentations sur le plan politique, c'est-à-dire face à l'État»9.

Toutefois, si cette analyse traduit l'exis­tence d'apports théoriques issus des cou­rants de pensée dominants de l'époque, elle n'en a pas moins de profondes racines dans un travail à la base qui permit d'expérimen­ter de façon quotidienne comment se traduit la lutte de classe au niveau du logement dans une société capitaliste. Que ce soit au coeur des luttes de blocs ou de quartiers encore toutes récentes:

«C'est dans ces dossiers-là qu'on s'est fait les dents, c'est-à-dire qu'on a appris à connaître en pratique qui étaient nos ennemis, qui étaient nos amis pis à comprendre qui jouait quel rôle dans le processus d'aménagement et de réaménagement dans les quartiers».10

Ou dans le service quotidien aux locataires:

«... avec tous les téléphones, pis le monde qui se plaint, pis le monde qui pleure parce qu'y sont pas capables de subir des augmentations, on avait besoin de cette revendication».11

Le gel des loyers se veut l'expression nouvelle de cette expérimentation.

Ceci dit, comment s'y prendra-t-on? Il faut sortir les gens de leur isolement; les regrouper autour de leur association et les amener à participer aux différentes activités.

Les groupes, eux, se doivent de bâtir un front commun contre l'État, pour gagner le gel et de meilleures conditions de logement.

Manifestations devant les endroits à caractère symbolique (ex.: Régie des Loyers), affichage public, pétitions, porte à porte, piquetage et ateliers-logement (qui se veu­lent des rencontres publiques avec les loca­taires sur des thèmes précis: loi, discrimina­tion, etc.), voilà autant de moyens qui sont mis de l'avant pour faire connaître la reven­dication et regrouper les gens.

La dimension culturelle ne doit pas lais­ser sa place non plus, avec des fêtes, des piè­ces de théâtre, etc. Enfin, soulignons l'im­portance du travail auprès des médias d'information, bourgeois ou communau­taires. Qui vise-t-on? L'ensemble des loca­taires de chaque quartier, tout en mettant l'accent, bien sûr, sur un membership de classe ouvrière et populaire.

Première période: 1978-1980. Un départ satisfaisant

Au mois de juin 78, huit groupes loge­ments qui ont participé activement à la pre­mière campagne pour le gel des loyers se ren­contrent à deux reprises pour en faire le bilan. Malgré une participation moyenne aux activités (une assemblée publique de 350 personnes, une fête de 300 personnes et une pétition de 5,200 noms), les groupes sont satisfaits d'avoir brisé l'isolement et fait connaître la revendication du gel des loyers le plus largement possible12.

Le bilan aborde la polémique avec le Front Commun des associations de loca­taires, qui regroupe plusieurs associations de locataires dans l'Ouest de la ville (ex.: Côte-des-Neiges, N.D.G., etc.). Pour le RGL, l'orientation dominante à l'intérieur du Front Commun est considérée par plu sieurs comme étant «réformiste» et «collabo­ratrice»; on la suspecte de vouloir s'asseoir à la même table que l'État pour discuter13. Non pas que les leaders du Regroupement soient contre l'idée de tenter de changer favorablement les lois, loin de là; c'est plutôt la stratégie du Front Commun qui est ques­tionnée, l'illusion que le lobbying allait mar­cher avec le P.Q.

En octobre 78, nouvelle rencontre pour préparer la campagne de 79. Débuts des débats sur le sens de la revendication et le rôle du regroupement. Deux positions res-sortent: l'une favorise une plus grande unité d'action entre les groupes; l'autre préfère y aller préalablement d'un travail dans les quartiers. Au delà des divergences, il est décidé pour l'année 79 «que le regroupement devienne une organisation permanente et d'ajouter d'autres revendications et mots d'ordre à ses objectifs, soit des rénovations sans augmentations et la lutte contre toutes les formes d'éviction dans les quartiers populaires».14

Six groupes en sont membres: l'Asso­ciation des locataires de Villeray, le Comité logement Centre-Sud, le Comité opération-logement Hochelaga-Maisonneuve, le Comité Logement de Rosemont, le Regrou­pement des locataires de Mercier, auxquels se joindront, un peu plus tard, l'Association des locataires de Montréal-Nord et le Grou­pement des locataires du Québec métropoli­tain.

La campagne s'amorce sur une assem­blée regroupant plus de 300 personnes. L'en­semble de ses activités semble connaître plus de succès que l'année précédente. Parallèle­ment, les débats se continuent. Trois textes sortent, provenant de Saint-Louis, de Cen­tre-Sud et de Mercier.

Le texte du Comité logement Saint-Louis propose une nouvelle structure, plus centralisée. Saint-Louis veut sortir le Regroupement de l'esprit de «coali­tion» dans lequel il se trouve, esprit jugé néfaste à l'action. Il propose la création d'un organisme autonome avec une direction et une assemblée générale décisionnelle. Cen­tre-Sud, de son côté, mijote la création d'une véritable organisation de lutte sur le front du logement. Il parle même de tenir un congrès là-dessus dès l'automne. Enfin, Mercier y va d'un questionnement sur le sens et la portée de la lutte du RGL.

Sans remettre en question la revendica­tion du gel et l'attaque contre l'État qu'elle impose, il en questionne le caractère «politi­que». Conséquence de cette politisation: il faut, pour vaincre, créer un rapport de force politique avec les propriétaires. Or, en atten­dant d'avoir gagné le gel, ne néglige-t-on pas les effets concrets et économiques des aug­mentations que doivent subir les gens? Qu'a-t-on à leur offrir en attendant? Mercier va jusqu'à demander: «Serons-nous capables d'arracher le gel des loyers en restant uni­quement sur le terrain politique?»15.

Les débats seront tranchés, pour un temps du moins, en avril. Les groupes adop­tent la poursuite de la campagne pour le gel des loyers et la mise sur pied d'une organisa­tion permanente suivant le canevas proposé par St-Louis. Cependant la proposition de St-Louis, sur la structure plus centralisée, sera votée avec une seule voix de majorité.

Le Regroupement prendra en charge la publicité et la publication du Bulletin Loge­ment. Le texte de Mercier ne sera pas vrai­ment débattu. Simultanément, les activités de la campagne de 79 se déroulent, avec entre autres la manifestation du 28 mars, qui sera considérée comme un semi-échec, compte tenu des énergies investies. L'année se termine avec la première campagne «pas­se-moi ton bail»16 et une grande fête en juin (500 participants).

Les débats s'accentuent

À l'automne 79, le débat autour de la création d'une organisation de lutte englo­bant le plus grand nombre de groupes loge­ments est plus que jamais à l'ordre du jour.

À la même époque le comité de direc­tion mène une enquête auprès des groupes membres; de cette enquête ressort l'éternelle ambiguïté entre service et lutte. Pour cer­tains toutefois, le choix est clair. «C'est en mettant de l'avant principalement la lutte que nous pourrons servir les intérêts des exploités dans le logement».17

Le 31 octobre, trois délégués de Mer­cier écrivent à l'assemblée générale du Regroupement. Ils soulèvent les points sui­vants:

La lettre aura peu d'écho au moment de sa sortie. Toutefois, elle lève le voile sur des questions importantes qui, nous le verrons, seront reprises ultérieurement.

Il semble qu'il y a cette année-là une plus grande collaboration entre les diffé­rents groupes membres. Cette collaboration se manifeste de différentes façons: on réalise un diaporama commun à plusieurs groupes, une pièce de théâtre circule dans différents quartiers. Au printemps, la campagne «pas­se-moi ton bail» est reprise à nouveau. En mai. le bilan du comité de direction fait res­sortir, encore une fois, l'absence de pro­gramme de lutte à l'intérieur même du Regroupement. Aux yeux du comité de direction, il s'agit d'une lacune majeure. Il est donc proposé, en priorité, de débattre des orientations et des revendications du Regroupement, ce qui est loin de faire l'una­nimité:

« (...) je ne vois pas en quoi le programme de lutte est si prioritaire pour renforcer nos orga­nisations. Les locataires vont-ils se rallier au Regroupement parce que celui-ci s'est donné un programme de lutte clair alors que nous ne réussissons pas à les intégrer et du même coup, à leur donner du pouvoir. En fait, qui va discuter du programme de lutte lorsqu'il sera ramené à la base, sinon les permanents et les comités de coordination»19.

De plus, un fait nouveau surgit: cer­tains militants considèrent que la revendica­tion du gel a ses limites, et «que c'est une erreur de tenter de rattacher à la lutte pour le gel des loyers toutes les revendications et l'ensemble du travail des comités logements et des associations de locataires»20. Ce ques­tionnement, relativement neuf, se fera sentir de plus en plus au cours des années, au point d'être au coeur des débats tout récents du Regroupement.

Résumé de la première période: 1978-1980

La mobilisation, sans être époustouflante, n'en est pas moins réelle lors de certaines manifs, fêtes, assemblées, etc.

Les débats internes sont parallèlement fort nombreux: adoption d'une direction autonome et centralisée en 79 (le comité de direction); appel au regroupement de tous les groupes logement dans une seule organisation de lutte sur ce front; discussions autour d'un programme de lutte à construire etc.

Deuxième période: 1980-1982. Un changement de vocation

En octobre 80, le Regroupement convoque une conférence de presse à la veille de l'entrée en vigueur du projet de loi 107; pour le RGL, il est clair, comme le sug­gère le titre du communiqué de presse: «La loi 107: un pas en avant, deux pas en arrière», qu'il s'agit d'un net recul par rap­port à la loi précédente21. À l'automne, éga­lement, le RGL appuie la campagne du FRAPRU «Des quartiers où nous pourrons rester».

Deux assemblées générales, en décem­bre et en janvier, permettront de clarifier la place respective de la revendication du gel par rapport aux objectifs du Regroupement, les deux ayant été souvent fort confondus historiquement. Le RGL doit travailler à défendre les travailleurs dans le secteur du logement en développant une organisation de lutte forte qui soutiendra les groupes membres et le travail à la base dans les quar­tiers. Le développement de l'unité avec les autres groupes logements et avec l'ensemble du mouvement ouvrier et populaire est éga­lement à l'ordre du jour. Il n'est donc pas uniquement le promoteur d'une revendica­tion. Cette mise au point entraîne une cam­pagne d'hiver-printemps un peu différente. L'objectif premier de la campagne 81: regrouper les locataires autour de leur groupe logement et développer les groupes logements en organisant, entre autres, des activités dans chaque quartier. Pour la première fois, la revendication du gel est relé­guée au second plan.

Le Regroupement piétine avec cette seule revendication, qui ne donne pas les résultats escomptés; la clarification des objectifs du RGL permit de s'en démarquer et de travailler sur d'autres enjeux. Dans cet esprit apparaît entre autres, la lutte des «shops Angus»22. Oh! bien sûr, l'on cherche encore à lutter contre les augmentations de loyers et la campagne commune au FRA-PRU et au Regroupement aborde cette question; mais elle le fait tout en ayant d'au­tres objectifs clairement présents. Signe des temps, le RGL devient le Regroupement des comités logement et association de locatai­res (RCLAL) à la fin de 1980. C'est la con­firmation officielle de sa volonté de ne pas se restreindre au gel des loyers.

L'évaluation de la campagne de 81 n'est pas très rose; il ressort qu'il n'y a pas eu de mouvement perceptible dans la population autour de la campagne contre les augmenta­tions de loyer. «Nous avons fait principale­ment un travail d'information et de dénon­ciation. Ces deux aspects se sont côtoyés tout le long de la campagne»23. À l'interne, le programme de lutte brille toujours par son absence; d'autre part, il semble urgent d'organiser un débat sur le mode d'interven­tion des groupes logements. Le bilan du comité de direction fait ressortir son isole­ment et les difficultés de participation dans le Regroupement.

Un bon service

À l'automne 81, le Regroupement touche à plusieurs dossiers. D'abord, avec le FRAPRU et les groupes membres du front logement du Sommet Populaire, il revendi­que la construction massive de HLM. Au même moment, à l'instar de l'ensemble du mouvement populaire et syndical, il dénonce les coupures dans les services publics et attaque violemment l'idée du «ticket Modérateur».24

Puis s'amorce la campagne annuelle; le comité de direction du Regroupement pro­pose que les principales revendications pour janvier à mars soient:

«Pour un contrôle universel et gratuit des loyers; que la méthode de fixation des loyers tienne compte de: l'état du logement, la capa­cité de payer des locataires, les dépenses d'en­tretien et d'amélioration des locataires et l'augmentation de la valeur de l'immeuble».25

Le Regroupement met en place, avec d'autres groupes logements de la région, une infrastructure technique pour sa campagne: service téléphonique centralisé d'aide aux locataires, préparation et diffusion d'un guide de conseils pratiques, etc. Chaque groupe logement doit mettre sur pied un comité anti-hausse qui verra à préparer dif­férentes activités dans son quartier. Mentionnons aussi la campagne contre les agences de location26, principalement faite à partir de dénonciations publiques et de pres­sions sur des organismes gouvernementaux, tel l'Office de protection du consommateur (OPC).

Le bilan? Des hauts et des bas. Un tra­vail de sensibilisation qui semble fonction­ner, mais une organisation difficile au niveau des quartiers. Ainsi, les comités anti­hausse seront des échecs à peu près partout. L'information large fonctionne, mais il n'y a pas vraiment de mobilisation. Encore une fois, l'on note des difficultés de coordination entre les groupes et la direction du Regrou­pement; la participation n'est pas très forte aux tâches propres au Regroupement. L'ac­tivité qui fonctionne (avec le FRAPRU et d'autres groupes), à Montréal, comme en région, c'est l'occupation des bureaux de certains députés ou ministres. Ils sont une centaine à Montréal pour occuper le bureau du ministre Tardif.

De son côté, la lutte contre les agences de location s'avère un succès. Il n'y a pas eu de mobilisation large là-dessus, mais le tra­vail d'information publique et les pressions faites au niveau gouvernemental ont permis la fermeture de presque toutes les agences. Soulignons enfin la présence du Regroupe­ment au Sommet Populaire II (avril). Enfin les débats du congrès de mai se feront autour du programme de lutte et à propos du membership.

Résumé de la deuxième période: 1980-1982

La mobilisation se fait beaucoup plus sporadique et difficile. Le service aux locataires et l'information large passent la rampe, mais les actions manquent ou n'ont pas te succès escompté.

Il y a élargissement de la vocation première du Regroupement qui devient le RCLAL. L'un des problèmes criants de la période, c'est l'accentuation de l'isolement du comité de direction par rapport aux groupes membres qui participent de façon très inconsistante aux tâches du RCLAL.

Troisième période: 1982-1983. Une relance de mobilisation

L'année 82-83 s'ouvre sur de gros pro­blèmes de survie. Dix groupes logements sont menacés de perdre leur subvention de Centraide s'ils n'obtiennent pas un numéro d'oeuvre de charité. Ils ne peuvent obtenir ce fameux numéro, parce qu'on le leur refuse pour raison «politique». Ils ne correspon­dent pas, semble-t-il, à la description de neu­tralité politique propre théoriquement à tout groupe qui possède un numéro d'oeu­vre de charité. Centraide est intraitable et notifie son refus de subventionner si les groupes ne rentrent pas dans la légalité. Dure réalité qui mobilise bien des énergies dans les mois qui suivent: conférence de presse, assemblée publique (300 personnes), piquetage devant Centraide, tout y passe pour faire évoluer la situation en leur faveur27.

La campagne d'hiver se fait à l'intérieur du Front logement du Sommet Populaire et propose un moratoire d'un an sur les aug­mentations de loyers (pas de hausse durant cette période) et un contrôle universel des loyers. Un mot d'ordre est adopté pour les locataires: refuser toute augmentation de plus de 6%. Les activités proposées vont de la conférence de presse à l'occupation, en passant par l'assemblée publique. Malgré, ici aussi, une participation inégale, elles ont, pour la plupart, un certain succès, en com­paraison avec les années précédentes. Aux alentours de 600 locataires sont présents à l'Assemblée publique du 16 mars, assemblée où le ministre Tardif est invité et à laquelle il fait faux bond.

Les occupations de bureaux connais­sent aussi du succès: une cinquantaine de personnes à Centre-Sud, près de quarante à Villeray, comme à Rosemont. La fête d'avril pour la clôture de la campagne fut aussi un succès.

Durant les mois d'hiver, nous voyons poindre l'amorce d'une bataille contre les listes noires de locataires28. Cette lutte, sans avoir encore drainé de mobilisation, a un large écho dans le public grâce à une bonne couverture de presse et c'est un dossier qui n'est pas fermé, loin de là.

Au plan interne, l'année débute par l'adoption d'une nouvelle structure cher­chant à respecter l'expansion en région: soit un comité régional pour Montréal et un autre pour Québec et les autres régions, avec un comité provincial de coordination fai­sant le lien entre tous ces comités; l'on rédui­sit à deux les assemblées générales pour l'an­née, plus un congrès. La nouvelle formule a-t-elle été un succès? Oui et non; le coco aura de la difficulté à coordonner, mais le fonc­tionnement en comités régionaux semble être une amélioration. L'année se termine sur d'autres débats internes, telle la question des liens avec les autres groupes ou regrou­pements de groupes logements.

À son congrès, le RCLAL vote une pro­position qui cherche à renforcer l'unité d'ac­tion entre les différents groupes logements. Peu après, le FRAPRU votera lui aussi une proposition du même genre; cependant, cette proposition va un peu plus loin et en appelle à la maturité des groupes pour se lancer vers l'unité organisationnelle. Ces deux propositions entraînent la tenue d'un colloque en novembre 83 sur cette question. Les attentes étant différentes, la proposition visant une démarche d'unité organisation­nelle passe au niveau de l'ensemble des groupes présents au colloque, mais elle se retrouve minoritaire au sein du Regroupe­ment. Un comité est cependant élu pour continuer le travail et favoriser le débat dans les groupes pour l'année qui vient (83-84).

Compte tenu des divergences internes au Regroupement, l'avenir s'annonce incer­tain. Assisterons-nous à la mise en place d'une unité organisationnelles plus large (formée des groupes membres du RCLAL et du FRAPRU et d'autres groupes auto­nomes) ou à l'éclatement du Regroupement lui-même, dû aux divergences actuelles.

Seul l'avenir nous le dira. En attendant, on constate déjà de la part de plusieurs grou­pes-logement un manque d'énergie et peu d'enthousiasme à se coordonner ponctuellement pour la campagne habituelle de l'hiver à l'occasion du renouvellement des baux. Même le Front Logement du Sommet Populaire de Montréal semble menacé de disparition!

Terminons en soulignant qu'en 1983 sont aussi abordées les difficultés qu'ont de nouveaux groupes et de nouvelles personnes à s'insérer dans les débats et dans le travail du Regroupement, le niveau du discours étant parfois élevé et entre les mains d'une minorité articulée et souvent masculine. Ces critiques, provenant essentiellement de 2 lettres écrites au Regroupement par Montréal-Nord et Rosemont, seront reprises dans un document préparatoire au Congrès du printemps.

«Il n'y a rien de nouveau; il s'agit de difficultés dans les rapports entre intellectuels et non-intellectuels, entre hommes et femmes, entre nouveaux - les militants-tes et vieux-vieilles militants-tes. Ce que nous soulevons, ce que nous mettons sur la place publique, c'est les difficultés que nous vivons par rapport au Regroupement. Difficultés à suivre les débats... Difficultés à suivre les discussions... Difficultés à suivre le fonctionnement lors des A.G. du Congrès, peut-être parce que on voit ça comme un peu lourd»29.

Ces questions furent en bonne partie déjà soulevées au sein du Regroupement avec peut-être, en prime, cette fois-ci, la question des rapports hommes-femmes. Rappelons-nous la lettre de Mercier en octobre 79. Comme quoi parfois l'histoire se répète!

Résumé de la troisième période: 1982-1983

À l'hiver 83, le Regroupement renoue avec une participation de la base plus satisfaisante.

C'est la période des remises en question de divers ordres: struc­ ture de fonctionnement plus souple (comités de coordinations régionaux), débats sur le type de militantisme, rapprochement avec les autres groupes logements etc.

L'avenir du Regroupement et plus probablement de l'unité entre groupes-logement s'annonce comme très incertaine en '84 devant le peu d'enthousiasme et d'énergie des groupes à s'inves­ tir dans quelque structure nationale que ce soit.

Bilans

Bilan de la mobilisation

Nous avons affaire ici à une mobilisation très inégale. Essentiellement, la mobili­sation connaît un bon départ pour passer ensuite à une période creuse et rebondir en 1983.

La mobilisation, par rapport aux activités propres au Regroupement se fait pres­que exclusivement autour de la campagne pour le gel des loyers. Les autres champs de lutte n'ont pas mobilisé largement au niveau du Regroupement. Fait à noter, c'est lorsque la revendication du gel (sous une autre forme) est reprise en 1983, après deux années d'oubli relatif, qu'il y a relance de la mobilisation.

Ceci dit, il semble que nous pouvons quand même dire qu'avec les années et le travail des groupes-logement, la revendication du gel a rejoint beaucoup plus de gens qu'il n'en paraît au niveau de la mobilisation concrète.

Sous réserve de vérification plus officielle, c'est là un acquis non-négligeable.

Bilan de la prise en charge par la base

Nous avons vu combien furent difficiles les relations entre les groupes membres et la direction du Regroupement. Il est clair que la prise en charge fut surtout le fait d'un petit noyau de militants intellectuels parfois isolés de la base. Le Regroupement fut donc essentiellement porté à bout de bras, pendant plusieurs années, par quelques personnes.

Cette absence de prise en charge par des locataires potentiellement regroupés dans les groupes membres nous semble en partie le reflet de la faiblesse mobilisatrice de plusieurs de ces groupes.

Faiblesse due aussi, il nous semble, au discours très intellectuel qui foisonne au sein du Regroupement et qui rend difficile l'intégration des membres aux diverses activités de réflexion de l'organisation.

Mercier, et plus récemment Montréal-Nord et Rosemont ont fait ressortir avec jus­tesse ces difficultés.

Il va de soi que le travail de formation qui devrait accompagner la prise en charge se fait peu et, quand il se fait, il passe surtout par les groupes membres et aborde (du moins plus récemment) essentiellement l'apprentissage technique (comprendre la loi) au détriment d'un travail d'éducation plus large et plus politique.

Bilan de la solidarité

Les liens avec les autres regroupements de groupes logement furent, au début, très difficiles. Rappelons-nous la polémique avec le FCALM.

Par rapport au FRAPRU, les relations, pas toujours au beau fixe, s'améliorent avec les années, ce qui nous amène au colloque de 83.

Vis-à-vis les autres activités et les autres organisations extérieures au logement, le RGL-RCLAL a toujours été inséré dans le réseau des organisations de gauche et a, par le fait même, participé aux diverses actions et fêtes traditionnelles ou ponctuelles (1er mai, 8 mars, etc.) en plus d'appuyer officiellement - et parfois concrètement - d'au­tres groupes en lutte.

Analyse de la lutte

1. Un discours revendicatif qui n'atterrit jamais vraiment

Nous ne reviendrons pas en détail sur les origines de cette revendication. Elle est présente dès le début et elle est encore là en 1983; elle ne fait que s'estomper deux années durant. Il n'est pas question pour nous de véritablement remettre en cause la justesse de la revendication comme solution immédiate valable pour résoudre les pro­blèmes financiers de bien des locataires. Ce que nous contestons, à la suite des interroga­tions propres à de nombreux militants du logement, c'est tout ce qui l'entoure, ou plu­tôt ne l'a pas entouré. Toutefois, nous pen­sons qu'il faut aussi questionner la place de cette revendication dans une stratégie de lutte globale pour le droit au logement.

Rappelons d'abord que cette revendi­cation et le discours qui raccompagne sont typiques du courant de pensée «ml» dans lequel baignent les militants du RGL de l'époque. Nous avons vu qu'elle est issue d'une analyse qui s'inscrit dans ce courant, à partir d'une pratique sur le terrain qui fait ressortir des problèmes criants de beaucoup de locataires en période de crise capitaliste. Nous ne contestons pas l'ensemble de l'ana­lyse; ce que nous contestons, c'est comment elle s'est traduite en termes de discours, de stratégie revendicative, de travail à la base avec les locataires. Nous questionnons la compréhension des conditions d'aliénation dans lesquelles évoluent les locataires de classe ouvrière et populaire.

C'est une chose de comprendre et d'analyser les conditions de vie difficiles d'une population, et une autre de saisir son niveau de compréhension idéologique et politique de ces conditions. C'est à ce niveau que le passage n'est pas fait. Le bilan du Comité opération-logement d'Hochela-ga-Maisonneuve de 1978-1979 est fort ins­tructif à cet effet. Il est dit entre autres:

«Le point de vue qui nous guidait était le sui­vant. Les problèmes de logement sont graves et multiples dans le quartier, de sérieuses luttes sont menées, donc il est évident pour la majorité îles locataires qu'il est nécessaire de travailler à la construction d'un comité loge­ment qui défendra les intérêts des ouvriers par rapport aux problèmes de logement dans Hochelaga-Maisonneuve».30

Cette évidence, les militants d'Hoche-laga-Maisonneuve s'en sont rendus compte, n'allait pas de soi. Pas plus qu'il ne va de soi que les gens se regroupent autour du slogan: «Non aux augmentations; exigeons le gel des loyers». C'est oublier que, pour beau­coup de locataires, les propriétaires ont le droit d'augmenter les loyers de façon raison­nable, et que là où ils ne marchent plus, c'est lorsque ses propriétaires montent trop, au-dessus du coût de la vie, par exemple. Pour beaucoup, c'est normal qu'un propriétaire fasse du profit.

Dans un texte paru en janvier 77, avant la naissance du Regroupement mais au moment où se vivaient déjà des tentatives de regroupement, Jean-Guy Laguë citait Frances Fox Piven et Richard A. Cloward, deux analystes du mouvement populaire américain qui disaient ceci:

«Dans des circonstances ordinaires, les masses populaires ne sont jamais suffisam­ment indignées par le sentiment de l'injustice qui leur est faite pour remettre en cause la notion même de propriété, transgresser la(les) loi(s) et se dresser consciemment contre le pouvoir coercitif de l'État. Pour qu'une révolte prenne forme, il ne suffit pas que les gens soient victimes d'une attaque contre leur niveau de vie; encore faut-il qu'ils soient fer­mement convaincus que cette attaque est injuste et   sans fondement».31

Cette conviction, elle ne viendra pas du ciel; il faut la travailler et cela exige un tra­vail de conscientisation en profondeur avec la population. Or. il faut d'abord rejoindre cette population. L'histoire du Regroupe­ment nous montre qu'il fallait plus qu'un slogan. Déjà en 1979 le texte de Mercier apportait en ce sens des cléments intéres­sants. Il ne lut pas vraiment discuté. Rappe­lons-en cependant l'essentiel.

Du concret s.v.p.

Premièrement c'était une bonne chose de s'attaquer à l'État car, en s'attaquant seu­lement aux proprios, le Regroupement n'aurait disposé que de moyens légaux pour se battre.

Deuxièmement, compte tenu qu'il ne sera pas possible de gagner tout de suite la revendication, il faut trouver en attendant des moyens pour protéger les locataires contre les hausses de loyer.

Troisièmement, la revendication du gel est économique parce qu'elle a une incidence sur les proprios, mais la bataille, elle, se fera sur le terrain politique. Ce qui a pour effet de négliger les proprios individuellement, bien sûr.

Quatrièmement, en considérant les points mentionnés ci-haut, qu'est-ce qu'on a à offrir en attendant d'avoir gagné le gel? Les gens vont aller contester un à un. sans moyens collectifs d'action ou ils n'iront pas. jugeant le gain éventuel trop minime. Ce qui aura pour effet, de toute façon, de ne pas faire avancer grand-chose et nous obligera à recommencer à neuf d'année en année et ce. en n'offrant aux gens qu'une démarche léga­liste. Enfin, à partir de cela, n'est-il pas temps de chercher des moyens de lutte sur le terrain économique avec des moyens de pression concrets à caractère économique, à l'instar des comptes de taxe d'eau de l'ADDS? Car «L'État ne nous donne rien gratuitement, et le gel des loyers ne nous tombera pas du ciel. Sous avons donc recours à un des moyens qui nous mènera au gel des loyers».32

Le texte de Mercier touche à des élé­ments fort importants. Soulignons toutefois qu'il n'apporte pas de solutions concrètes pour étoffer sa critique. Ce qui démontre bien que s'il a raison de souligner que la revendication n'a ni pied ni main et que «c'est un peu comme si nous leur offrions une boussole sans leur fournir de moyen de transport»33 les recettes miracles en ce domaine ne sont le privilège de personne.

Il n'en demeure pas moins que si c'est une revendication qui a du sens, elle est res­tée à l'état de slogan; il y manque des actions motivantes, des mots d'ordre concrets, des luttes ponctuelles qui auraient pu donner des  gains intermédiaires. Cette revendication exige un rapport de force politique mais, pour ce faire, il faut se donner les moyens d'aller chercher ce rapport. Est-ce que les masses vont se regrouper uniquement au son d'une revendication parce qu'elle est juste et défend leurs intérêts? Il n'y a rien de mordant ici; c'est un slogan» et un slogan qui laisse libre cours aux abus des proprios.

Bien des éléments que nous venons d'énumérer furent repris au cours des années par des gens du Regroupement. Parlant de la revendication du gel et d'autres revendica­tions, Centre-Sud soulignait en 80 qu'il était impossible de «nier que ces revendications ont été réduites à l'état de slogan faute, de notre part, de pouvoir recueillir nos connaissances, d'étoffer notre analyse et de rendre claire l'explication de nos revendications. Une autre lacune importante qui, à notre avis, a joué dans le fait que nos reven­dications n'aient pas été reprises, c'est que jamais (ou trop rarement) le Regroupement, comme les groupes logements membres n'ont pris la peine d'offrir aux locataires des moyens concrets autres que ceux proposés par la Régie»34.

Essentiellement, Centre-Sud reprend ici la critique de Mercier en y ajoutant des éléments fort intéressants concernant la fai­blesse de l'analyse et du message gravitant autour de la revendication. Ce qui recoupe pleinement la phrase suivante: «Aucune revendication si claire soit-elle ne saura rem­placer le travail d'éducation et de mobilisa­tion qui doit être fait à la base»35.

Ces différents questionnements inter­nes rejoignent aussi l'analyse de Pierre Hamel sur les luttes de quartier à Montréal entre 1963-76.

«(...) même si les militants et les organisations étaient en mesure de véhiculer des mots d'or­dre plus offensifs, comptant avec un plus grand nombre d'éléments de rupture vis-à-vis l'idéologie dominante, ces prises de position ne faisaient pas nécessairement écho, ne ren­voyaient pas directement à un niveau de conscience politique. Dans ce sens, elles n'in­diquaient pas que. par exemple, l'on avait identifié les moyens de combler les écarts entre Pavant-garde et la base»36.

Il aurait été possible de combler l'écart entre le discours radicalisé de Pavant-garde (voir lexique) et une base sociale non-politi-sée grâce à un travail de formation plus important.

Résumons-nous: absence de moyens concrets d'actions à caractère économique permettant de combattre dès maintenant les problèmes de hausse; faiblesse dans le tra­vail d'information et d'éducation autour de la revendication. Cela nous amène à dire que la revendication du gel des loyers émanait plus d'une stratégie frontale que d'une stra­tégie de guerre de position.

 

Issue d'une analyse intelligente des pro­blèmes de logement, le discours a surestimé la capacité de lutte des travailleurs-loca­taires sur cette question. Pris dans l'acti­visme et le volontarisme de l'époque, se croyant encore à l'aube de la révolution socialiste, les militants du logement ont perdu de vue le fait que, si leur analyse avait du sens, il fallait d'abord permettre au monde de s'en convaincre. Ils ont négligé de prendre le temps de développer le niveau de conscience de classe des travailleurs-loca­taires. Ils ont cru que les gens se rallieraient spontanément au bien-fondé du mot d'or­dre, oubliant qu'eux-mêmes ne sont pas nés avec une analyse de classe.

La stratégie de la guerre de position qui aurait permis de privilégier ce niveau de tra­vail fut totalement absente.

Ce constat questionne l'intervention des intellectuels. Il nous amène à aborder la question de la prise en charge et des rapports intellectuels-base sociale. Toutefois, nous voudrions ajouter en terminant deux choses par rapport à la revendication du gel.

Effets et limites de la revendication

Premièrement, elle comporte des acquis non négligeables. Il y eut tout de même certains résultats quantifiables au plan de la mobilisation, surtout au début et la dernière année. Nous le répétons, nous ne pouvons en nier les effets idéologiques et politiques. De plus, cette revendication a servi à rapprocher les groupes logements et leur a permis d'avancer ensemble. Ne serait-ce que ça, c'est un acquis de taille, il nous semble.

Deuxièmement, quelle que soit la façon de travailler avec la revendication du gel, nous pensons qu'elle a en soi bien des limites, que tout le questionnement histori­que autour de la place de la revendication dans le Regroupement et la place d'autres revendications (ex.: logement social) sou­ligne avec acuité. Les débats du Colloque sur l'unité des organisations du logement de novembre 83 s'avèrent ici l'exemple le plus clair et le plus récent, en ce sens.

Ainsi, en admettant que le gel est acquis demain matin pour une année, en quoi cela change-t-il les rapports sociaux dominants sur ce terrain? Propriétaires et locataires existent toujours; les règles du jeu ne sont pas changées. Une bataille sera gagnée, ce qui aurait pour avantage de soulager les locataires d'un poids économique impor­tant. Mais, au-delà, ce gain remettrait-il en cause la logique même du système dans lequel s'inscrit ce rapport propriétaire-loca­taire? Ne serions-nous pas en face d'un «cataplasme» qui peut permettre de gérer la crise sans, pour autant, remettre en ques­tion, en soi, le système en crise? Lorsque des travailleurs en grève se battent pour de meil­leures conditions de vie, nous applaudis­sons, car il est normal de chercher à vivre le plus décemment possible. Mais si cette «décence» passe par une approbation tacite d'un système qui finalement ne les dessert pas si mal, avons-nous vraiment avancé?

Nous ne nions pas le droit et la nécessité pour les travailleurs, locataires ou non, de se battre pour des gains immédiats qui leur permettent de vivre décemment. Ce que nous questionnons, dans un cas comme dans l'autre, ce sont les objectifs latents: gérer la crise ou changer le système; à partir de là, les moyens diffèrent. Ceci dit, la sincé­rité des militants qui privilégient cette reven­dication n'est pas mise en cause. Encore une fois, nous en soulignons, malgré bien des limites, son lien historique avec le travail quotidien. Notre questionnement ne nie pas leur travail et leur volonté de changement social. C'est la stratégie révolutionnaire qui fait question ici comme dans bien d'autres domaines. Nous y reviendrons.

2. Un fonctionnement démocratique... ou presque

Nous chercherons maintenant à com­prendre comment s'est comportée la struc­ture de fonctionnement du Regroupement et dans quelle mesure elle a pu influencer le travail de mobilisation. La structure, votée en 79, fut abolie à l'automne 82 et remplacée par une structure plus souple, respectant mieux le développement en régions. Des quelques trois années et demie de fonction­nement de la structure centralisée, que peut-on dire?

Des difficultés organisationnelles chroniques

Nous ferons d'abord rapidement le point sur l'état des relations entre les groupes membres et le Regroupement en référant aux documents internes de l'organisation. Dès le bilan de mai 80, il est fait men­tion de difficultés de liaison et de coordina­tion entre les différentes instances et les groupes membres. Essentiellement, il sem­ble que le gros du travail repose continuelle­ment sur les épaules des mêmes personnes. L'année suivante, il y a constat d'une amé­lioration au plan technique mais, au plan des objectifs de travail, c'est toujours le cul-de-sac. Le comité de direction se plaint d'avoir été surchargé, isolé et peu appuyé par les groupes membres. Il ressort que «les groupes membres; en tant qu'entité, ne se sont pas impliqués dans la réalisation de l'une ou l'autre des priorités du Regroupe­ment exception faite toutefois de quelques individus»37.

Enfin, en 81-82, la même histoire se répète; les groupes membres traînent de la patte, ne participent pas aux réunions, etc. À l'automne, la structure changera. Que dire, sinon constater que la structure du fonctionnement du Regroupement n'arrive jamais à prendre sa vitesse de croisière? Les groupes ne suivent pas. Il n'y a pas de vérita­ble travail en commun, mais plutôt des actions ponctuelles où la dépense d'énergie est inégale. À ce titre, comment se surpren­dre que les actions du Regroupement aient obtenu un succès mitigé? Dès lors, une ques­tion nous brûle les lèvres: comment expli­quer pareille distance entre les groupes membres et le comité de direction? Est-ce dû à un manque d'organisation? À une mau­vaise orientation? Ou bien à autre chose? C'est à cela qu'il faut tenter de répondre. Procédons par étape.

Au plan organisationnel, il est clair que ça n'a pas toujours été très rose. En font foi les quelques exemples suivants: organisa­tion tardive ou abandon de certaines cam­pagnes, recrutement et participation pénible à la base, surcentralisation et surutilisation des mois d'hiver pour accomplir le travail à faire; l'impression continuelle de tout recommencer à neuf etc. C'est comme si, constamment, le Regroupement n'arrivait pas à se donner une façon de travailler plus efficace, plus intéressante pour tous.

Ceci dit, sans renvoyer la balle dans l'autre camp, nous sommes en droit de nous interroger si ce n'est pas aussi le reflet du niveau d'organisation des groupes mem­bres. Dans un regroupement, maître de sa structure décisionnelle, il est impossible de nier les responsabilités de cette structure vis-à-vis ses membres. Toutefois, les membres eux aussi ont une responsabilité vis-à-vis cette structure. C'est en quelque sorte un jeu à deux. Tout cela pose la question de la force des organisations à la base. Si le Regroupe­ment a éprouvé de la difficulté à fonctionner et à mobiliser autour des actions larges au niveau même du RGL, il n'en est probable­ment pas le seul responsable en tant qu'en­tité décisionnelle. La faiblesse organisationnelle et mobilisatrice des groupes membres a définitivement contribué à ces difficultés.

Une structure inadaptée

Constatant que la structure centralisée du Regroupement fut en butte à des pro­blèmes d'organisation majeurs, où situer l'origine de ces difficultés? Est-ce la struc­ture centralisatrice en elle-même qui en est la cause? Lors des débats d'avril 1979 sur le type d'organisation, deux conceptions s'af­frontaient: l'une favorisait une organisation souple, fonctionnant avec un comité où cha­que groupe serait représenté par un vote; l'autre privilégiait une direction élue et auto­nome.

La seconde l'emporta, mais par une seule voix. Cette conception se voulait cen­tralisatrice; elle témoigne, pensons-nous, d'une conception typique de l'organisation à l'époque où le «centralisme démocratique» (voir lexique) des mls est encore à l'honneur. Mais le «centralisme» a échoué parce que. nous l'avons vu, les groupes n'ont pas suivi; ils ne se sont pas impliqués comme tels dans le travail propre au Regroupement; pas suf­fisamment, en tout cas, pour permettre au Regroupement de prendre sa vitesse de croi­sière. Chacun, dans son quartier, fait son petit travail, participe ponctuellement aux activités régionales et utilise le matériel qui lui est fourni pour travailler sur ses propres bases. Le Regroupement est donc plus ou moins tenu à bout de bras par quelques mili­tants.

Les problèmes du Regroupement ne sont donc pas dus en tant que tels au centra­lisme parce que le centralisme, pris dans le sens d'une direction forte et autonome des groupes, n'a jamais vraiment existé. En conséquence, nous sommes amenés à nous demander si, constatant que les difficultés ne peuvent être dues à quelque chose qui n'est pas arrivé, elles ne viendraient pas plu­tôt de la simple tentative de créer une telle structure. En ce sens, rappelons-nous que la structure de 79 n'a été adoptée que par une voix de majorité. Elle est donc bien loin de faire l'unanimité. Rappelons-nous aussi que les organisations à la base ne sont pas très fortes, autant au plan du membership que de la structure.

Dès lors, ne court-on pas le risque de diriger à vide? Si les troupes sont faibles et plus ou moins convaincues, la coordination risque d'être difficile, sinon impossible. Un fonctionnement calqué sur le centralisme démocratique, ne peut marcher que s'il y a du monde à la base. Historiquement, c'est quand la base s'effrite et ne suit plus que ça ne marche plus. Or au Regroupement, on l'a vu, la base n'a jamais suivi; c'est justement là le problème.

La structure choisie ne semble donc pas adaptée à l'état des forces mobilisables. On a vu trop grand, trop vite. Il y a eu comme une sorte de surestimation de la capacité d'avan­cer de façon forteet organisée. Nous rejoi­gnons ce que nous disions un peu plus tôt sur les militants de l'époque. Ce comportement, malgré toutes les bonnes volontés du monde, pèche un peu par activisme et volon­tarisme. On a tenté de regroupé au moment où tout se brisait dans la gauche populaire, où la crise économique et la crise de la mobi­lisation s'élargissaient. C'était beaucoup demander dans une telle conjoncture.

Un avant-garde sans arrière-garde

Si la tentative d'imposer une structure centralisatrice a peut-être été une erreur compte tenu du contexte, nous ne sommes pas convaincus que c'est là le problème prin­cipal. Nous pensons qu'il vient plus de son corollaire naturel, c'est-à-dire les relations entre l'avant-garde et la base, et un décalage potentiel constant entre les deux. Qu'il y ait une direction solide ne nous semble pas en soi une mauvaise chose; c'est sa façon de tra­vailler qui fait problème.

Ici, la question des intellectuels, abor­dée précédemment, reprend toute son importance. Nous avons vu combien la façon d'intervenir au sein du Regroupement fut souvent déficiente, combien fut grand le décalage entre le discours revendicatif et la base sociale. Ce décalage s'explique par un fonctionnement très «avant-gardiste» mis de l'avant avec la structure de direction de 79. Ce fonctionnement touche plusieurs aspects qui vont des rapports intellectuels-non intel­lectuels aux liens anciens-nouveaux et fem­mes-hommes.

Le questionnement qui s'y rapporte res­sort petit à petit à mesure que le RGL évo­lue. Partons de 1979 et reprenons la lettre des trois délégués de Mercier à l'assemblée générale du Regroupement. Les faits qui ressortent de cette lettre que nous avons résumée n'ont rien pour donner le goût à des non-intellectuels ou non-super-militants de participer activement à la préparation des actions du RGL. Plus récemment, en 83, nous l'avons vu, Montréal-Nord et Rose-mont ont produit des textes sur des ques­tions similaires. D'une fois à l'autre se répète la même histoire; des militants ont peine à s'intégrer, à participer activement au Regroupement parce que c'est trop théo­rique, c'est trop vite etc.

Demandons-nous donc quel type de militantisme prédomine historiquement dans le Regroupement. Une discussion au sein du Regroupement sur les lettres de Montréal-Nord et de Rosemont aborde de front cette question. Rappelant un débat similaire en 81-82, on en conclut alors «que pour militer au Regroupement il faut déjà êtrebon militant (omission volontaire du féminin) que le Regroupement, c'est un train déjà en marche qui n'a pas le temps de s'arrêter pour embarquer du monde...»38. Plus tard, la discussion amène du monde à parler des militants-héros qui dirigent les luttes, des rapports salariés-non salariés, etc. Ce questionnement récent recoupe d'autres questionnements passés:

1°  sur le comité de direction:

«Trois réunions au comité de direction m'ont permis de constater qu'en n'étant pas à plein temps sur les comités de logement ou à l'affût de l'information, il devient très difficile de participer activement aux décisions du comité de direction(...) je suis des plus sceptiques sur l'intégration de «locataires-travailleurs» sur le comité de direction»39.

2°  sur le membership:

«(...) mettre le comité logement dans les mains des citoyens (...) ne signifie pas de passer d'une équipe d'animateurs petits-bourgeois à une équipe d'animateurs de la classe ouvrière. Donner le comité logement aux citoyens signifie beaucoup plus qu'un changement de personnes. Cela signifie une transformation radicale des structures et du fonctionnement du Comité logement. Cela signifie que nous devons chercher la participation large des résidents du quartier. En bref, nous devons passer d'un petit noyau à une organisation de masse qui lutte sur le front du logement»40.

À nos yeux, voilà des éléments qui nous éclairent sérieusement. C'est cet éclairage qui nous porte à dire que le Regroupement fut essentiellement un petit noyau de mili­tants, mâles de préférence, bien informés, intellectuels pour sûr, donnés à la cause, ayant l'assurance personnelle d'être dans la bonne ligne et d'être capables de mener le bateau à bon port; un petit noyau de héros forgés à ce fonctionnement dans les luttes de quartiers de la mi-soixante-dix et qui n'ont pu vraiment en sortir, une fois le Regroupe­ment en marche.

Comment se surprendre alors des fai­blesses du discours revendicatif? Toute approche plus typique de l'intellectuel orga­nique est donc absente ici: pas de travail de conscientisation, d'éducation véritable au coeur des enjeux. Les conséquences de tels oublis sont parfois désastreuses.

 

«On a eu une assemblée générale sur le gel des loyers; on était au moins 500 personnes dans la salle avec une tempête de neige; les per­sonnes dans la salle y pensait qu'on l'aurait tout de suite le gel; ils ont jamais pensé que c'était une affaire politique...; j'ai l'impression que le monde on les a tenu en erreur dans le sens qu'ils avaient l'espoir qu'on l'aurait vite (...); je me souviens de bien des locataires qui venaient qui disaient on va l'avoir le gel cette année»41.

Pour nous, le coeur du problème est là. Dès lors, comment se surprendre du peu d'intérêt des gens à quelque chose qui est loin d'eux, qui ne leur apporte pas grand-chose (sauf un soutien technique ponctuel) et qui cherche à sucer du temps? Car que faire et que dire devant «une avant-garde qui semble fort bien éclairée», sinon se taire ou faire autre chose?

3. L'orientation politique: le service d'abord?

Point n'est besoin de revenir en détail sur les difficultés du Regroupement à se doter d'un fil conducteur cohérent accepté par l'ensemble des groupes membres: les débats autour des revendications, du pro­gramme de lutte, de la structure et de l'unité en témoignent largement. À l'origine de cette situation, un fonctionnement démo­cratique mal adapté aux groupes membres qui provoque toutes sortes de problèmes d'organisation du travail. C'est sur les pro­blèmes concernant le travail quotidien que nous voudrions insister en terminant. Nous voulons simplement souligner les risques inhérents à une absence d'orientation claire qui rallie la majorité des adhérents d'une organisation. Ces risques ont pour noms: bureaucratie, institutionnalisation, etc.

Nous pensons que le cheminement du Regroupement et de ses groupes membres ne le met nullement à l'abri d'un tel piège; les années 80-81, entre autres, nous le prouvent amplement. Lorsque l'on ne sait plus où l'on en est, et pourquoi l'on travaille, les priorités sont confuses et l'on ne peut même pas iden­tifier les intérêts communs qui pourraient donner naissance à des luttes collectives. À ce moment-là, il y a fort à parier qu'on s'em­bourbe quelque peu dans la facilité du train-train quotidien. Lorsqu'il n'y a rien qui nous porte, qui nous commande, pourquoi se for­cer à faire plus que le strict nécessaire? C'est alors que le service et le dépannage prennent le pas sur la formation et la lutte. C'est à ce moment-là que le téléphone passe avant les ateliers logement, les visites de quartier et la recherche d'idées nouvelles propices à dépasser le service individualisé et légaliste.

Le travail du Regroupement et des groupes membres, suite aux difficultés de mobilisation des premières années, tend à s'empêtrer un peu dans cet état. Quand on ne sait plus où on en est, quoi de plus sécuri­sant que de s'asseoir sur ce qu'on sait faire? Dans un tel contexte, l'absence de structure représentative efficace peut s'avérer très dangereuse.

Si nous avons critiqué le fonctionne­ment de la première structure, nous ne nions point l'importance d'une bonne coordina­tion pour faire avancer des luttes. Or la structure actuelle du Regroupement, par région et sous forme très souple, peut, dans une situation où tout le monde se cherche, n'avoir aucune efficacité réelle. Dès lors le grenouillage de tout acabit a beau jeu et tou­jours de façon non-officielle; auparavant, au moins, les gens savaient qui critiquer. Un tel constat ne fait qu'accentuer les risques de s'enfoncer dans une situation chronique d'où il sera fort difficile de sortir. Et le drame ne réside-t-il pas justement dans le fait d'être incapable de remédier aujourd'hui aux erreurs du passé?

En résumé:

Issu d'une bonne analyse de la réalité, le discours revendicatif est resté ici aussi à l'état de slogan, arrivant peu à se concrétiser dans des revendications et actions mobilisantes. Le nécessaire travail d'éducation et de formation fut trop souvent absent. Nous noterons que la revendication n'élimine pas le rapport locataire- propriétaire.

Le RGL est constamment en butte au peu d'investissement des groupes membres, ce qui n'est pas sans faire ressortir la fai­ blesse relative de la mobilisation dans les groupes. Compte tenu de cette faiblesse, la structure centralisatrice ne répond pas aux espérances initiales. Les groupes ne suivent pas. Le fonctionne­ ment de type «avant-garde» est aussi questionné. À plusieurs reprises des gens soulèvent des problèmes liés à ce fonctionne­ ment: discours très intellectuel, difficultés d'intégration, pré­ pondérance du militantisme professionnel, etc. La faiblesse des mécanismes d'intégration, d'éducation et de formation se fait donc sérieusement sentir.

À mesure que  les années  passent,  l'apparente cohérence interne du début fait place à des divergences d'orientation qui pourraient entraîner l'éclatement du Regroupement. En atten­ dant, c'est souvent le service comme finalité qui y gagne au change, à défaut d'une orientation claire et partagée, propice à un travail plus offensif.

ADDS, OPDS de 1974 à 1983

«La taxe d'eau on la paie pas»

En janvier 1974, suite à des modifications à la loi de l'aide sociale, qui suppriment, entre autres, le paiement direct de la taxe d'eau par le ministère des Affaires sociales à la ville de Montréal, débute la célèbre lutte de la taxe d'eau. Pendant près de trois années, les assistées sociales de Montréal se battront intensivement avec succès pour conserver ce droit acquis. Dix ans et une promesse plus tard, la lutte de la taxe d'eau se continue. Jamais gagnée «légalement», cette lutte nécessite, avec les années, des réenlignements à la mesure des contre-attaques de la Ville. Elle permet toutefois d'assister au déploiement d'un des plus intéressants mouvements de masse que l'on ait vu à ce jour dans le mouvement populaire montréalais, mouvement qui permet aux groupes d'assistées sociales de gagner crédibilité et force de frappe. Que s'est-il passé exactement? Qu'est-ce qui a permis ce résultat, non sans failles, mais quand même des plus intéressants?

Présentation des groupes et historique de la lutte

Première période: 1974-1976 «la taxe d'eau, on l'a mangée»

Dans ce premier chapitre, nous présen­terons les grandes lignes de la lutte de la taxe d'eau. Nous le ferons en mettant en parallèle d'autres événements qui concernent directe­ment les assistées sociales de Montréal. De cette façon, il sera possible d'avoir une bonne vue d'ensemble du cheminement des groupes d'assistées sociales à Montréal depuis 10 ans, sous l'éclairage de ce qui fut longtemps leur cheval de bataille.

Du mouvement des avocats populaires, présents sur le terrain depuis déjà quelques années, naquit officiellement en 1972 l'Asso­ciation pour la défense des droits sociaux (ADDS). L'organisme se retrouve rapide­ment avec plusieurs locaux dans la région de Montréal, bénéficiant du déferlement des projets PIL. Au début, en continuité avec l'expérience des avocats populaires, les locaux de l'ADDS sont plutôt centrés sur le service, sur le cas à cas. Il faut attendre jus­qu'aux premiers jours de 74 pour voir appa­raître la première bataille importante de l'histoire des ADDS. Nous assistons alors au début de la lutte contre le paiement de la taxe d'eau.

L'ADDS est alors composée de 10 locaux et d'un bureau régional. Les locaux sont: Centre-Sud, Mercier, St-Henri, St-Louis, St-Michel, Lachine, Hochelaga-Maisonneuve, Pointe St-Charles, Petite-Bourgogne, Plateau Mt-Royal.

Cette lutte s'amorça à la suite d'une réforme de l'aide sociale annoncée au début de 1974 par le ministre Forget. Cette réforme voulait essentiellement réduire les besoins spéciaux (ex.: déménagement, diète, etc.), réajuster les prestations de façon à ce qu'elles soient toujours sous le salaire mini­mum et supprimer purement et simplement le paiement direct de la taxe d'eau par le Ministère à la Ville de Montréal. Le procédé alors en vigueur permettait aux personnes sur le bien-être, sur réception de leur compte de taxe d'eau, de l'acheminer au bureau de l'aide sociale, le Ministère s'occupant de rembourser la ville.

La réforme Forget, sous prétexte de laisser plus d'autonomie aux assistées sociales et de ne pas en faire une classe de citoyennes à part, propose une augmenta­tion du budget des loyers de 8.5% pour payer la taxe d'eau. Sauf que 8.5% réservé au loyer en période fortement inflationniste, ça s'avère une somme très dérisoire.

L'organisation interne

Rapidement, les assistées sociales réa­gissent. Le 26 février 1974, le local de Mer­cier lance l'idée de ne pas payer la taxe d'eau et une décision en ce sens est prise le 14 mars. C'est à partir de ce moment-là que tout s'en­clenche vraiment, que l'organisation de la lutte se développe et prend véritablement son envol.

Au plan économique, l'objectif de la lutte est clair: obliger le Ministère à défrayer, comme par le passé, la taxe d'eau des assistées sociales. Objectif qu'il importe de bien garder en vue, compte tenu des ten­tatives du MAS de désamorcer l'objectif économique en haussant de façon substan­tielle les prestations en janvier 75 et 76.

Au niveau politique, les objectifs sont aussi très clairs: utiliser cette lutte, cette revendication économique:

La réalisation de ces objectifs politi­ques nécessite un gros travail d'implantation et de mobilisation des assistées sociales.

Par le biais de cette lutte, l'ADDSMM veut amener les gens à un niveau de conscientisation plus élevé; pour ce faire, il faut au plan du contenu «D'abord insister sur la solidarité (Journal et première assem­blée), puis sur les ennemis: boss et gouverne­ment (2e assemblée), puis sur une solidarité avec la classe ouvrière (3e assemblée)»2. Cependant, ce sont là les objectifs larges de politisation pour l'ensemble des assistées sociales rejointes. Il y a aussi un autre objec­tif: développer des leaders:

«(...) il faut développer notre organisation en intégrant dans différents comités les gens les plus actifs. De plus, il est essentiel d'assurer la formation politique de ces personnes de façon à ce qu'elles comprennent contre qui elles luttent et pourquoi».3

Ce travail de conscientisation et de politisation est essentiel, compte tenu de l'importance de l'enjeu qui est en cause ici.

Cet enjeu, il est de taille. Il ne s'agit pas de se battre uniquement contre la perte d'un besoin spécial. L'enjeu véritable se situe au niveau de l'amélioration de l'ensemble des conditions de vie des assistées sociales.

«Pour nous, il devient clair que nous ne nous battons plus pour le maintien d'un besoin spé­cial; le refus de payer la taxe d'eau est devenu un moyen de pression pour faire hausser les prestations. (...) nous luttons contre cette politique qui oblige les assistés sociaux à vivre avec des revenus nettement insuffisants»4.

La taxe d'eau devient donc un moyen et non une fin; c'est le moyen de pression que possèdent les assistées sociales pour amélio­rer leur existence.

Assurer la prise en charge

Par rapport au leadership, mettons dès le départ cartes sur table; la lutte de la taxe d'eau fut d'abord une initiative des petits-bourgeois intellectuels (hommes et femmes) présents à l'ADDS; plusieurs de ces intellec-tuels-les devinrent très proches des organi­sations politiques montantes. Ce sont eux qui ont assumé, du moins durant un bon bout de temps, la direction de l'organisa­tion.

 

«la taxe d'eau à Montréal, c'est vraiment une lutte qui a été pensée par les petits-bourgeois du temps, même si, bien sûr, les assistés sociaux ont été beaucoup mobilisés autour de cette lutte; dans ce temps-là à l'ADDS, les comités de lutte étaient composés d'intellec­tuels; sur le comité à un moment donné, on était deux assistés sociaux et le reste c'était tous des petits-bourgeois des différents locaux; et c'est au niveau du comité de lutte que les décisions se prenaient»5.

Quels sont les moyens concrets mis de l'avant pour permettre le développement de la lutte dans la direction envisagée? D'abord, une organisation qui vise tant un travail local dans les quartiers qu'un travail de regroupement régional et d'information large dans la population. Au niveau des quartiers, il fallait prévoir des assemblées d'information, faire circuler une pétition, véhiculer dans les médias locaux toute l'in­formation pertinente pour aider et regrou­per les gens.

La pétition s'avère un moyen important pour briser l'isolement et vérifier le potentiel de mobilisation de la base. C'est aussi une façon de vaincre la peur et les préjugés.

«Signer la pétition proposée est significatif à double point de vue: chaque signataire s'iden­tifiait comme assisté social et, d'autre part, il adhérait à l'action d'un groupe qui se définis­sait comme une organisation en lutte contre une décision du gouvernement. S'identifier publiquement comme assisté social dans une société où la valeur du travail est primordiale et où vivre de prestations est communément réprouvé, est un geste lourd de sens»6.

Il y a aussi des sessions de formation sur la loi d'aide sociale. Lors des sessions sur l'aide sociale, il n'était pas question de rester uniquement à la compréhension générale de la loi. L'on y faisait aussi l'histoire des politi­ques sociales et des liens avec l'ensemble du système économique.

Ajoutons à tout cela des moments de formation plus théoriques, entre autres à partir des cahiers du Centre de Formation Populaire (CFP) sur le marxisme et de ren­contres de lecture des classiques du marxisme:

«Je me rappelle, dans le temps, on s'était tapé le «Que faire» de Lénine, tu sais le troisième chapitre: on apprenait des choses, pis on voyait nos erreurs, pis on recommençait»7.

Ce travail théorique ne nie pas toutefois la pertinence d'une formation plus pratique, plus technique sur, par exemple, la façon d'organiser une rencontre, une manifesta­tion, sur la manière de préparer un texte, un article de journal, etc. Une formation qui permet le développement, nous l'avons vu, d'une plus grande autonomie organisation-nelle à mesure que la lutte avance.

De son côté, le bureau régional doit préparer de grandes assemblées et de grandes manifestations devant différents lieux à caractère symbolique (ex.: Hôtel de Ville) ainsi que faire circuler l'information auprès des alliés, des médias, etc.

Ici aussi, le travail de formation et d'éducation a son importance. Prenons l'exemple des manifestations. La plupart des manifestations de l'époque chaude de la lutte de la taxe d'eau se font en trois temps. D'abord dans une grande salle, le sens de l'action est expliqué, les slogans et les chants répétés. Puis la manifestation comme telle se met en branle et l'on y brûle les comptes de taxe d'eau. Enfin, le retour à la salle; on dis­cute un peu des suites à donner à la lutte, la date de la prochaine activité est annoncée et le tout se termine par un chant, soit l'Inter­nationale, soit la chanson des assistées sociales. C'est un canevas qui, à n'en pas douter, possède bien des qualités: bonne préparation des participantes, geste symbo­lique concret durant la manifestation en brûlant les comptes d'eau, continuité dans la lutte annoncée une fois l'action terminée.

Le coeur de la lutte

Compte tenu de ce que nous venons de voir, les objectifs seront atteints dans la mesure où l'ADDS arrivera d'abord à rejoindre et à informer le plus grand nombre possible d'assistées sociales. Pour cela, des assemblées ont lieu dans les quartiers au cours des mois de mai et juin; on jase avec les gens, on cherche à briser la peur; on fait aussi circuler une pétition. Dans un quar­tier, l'on réussit à réunir plus de 300 per­sonnes au cours d'une seule soirée.

Au mois d'août, Claude Forget, le ministre des affaires sociales, après une ren­contre avec le maire de Montréal, Jean Dra­peau, annonce par le biais d'un communi­qué que la taxe d'eau a été payée avec le 8.5% supplémentaire donné avec chaque chèque. L'ADDSMM réplique en assemblée géné­rale: «le 8.5%, on l'a mangé». À partir de ce moment-là, la lutte se radicalise et atteint un premier sommet le 9 octobre 1974 avec une manifestation de 1,500 personnes. Pour la première fois, on brûle collectivement les comptes d'eau.

Dans la première étape de la lutte, la mobilisation est vraiment réussie. En fait foi l'augmentation de la participation entre mai et octobre 74: «de soixante-quinze en mai, on passa à mille cinq cents personnes mobi­lisées en octobre»8.

Peu après, le ministre Forget offrira de rencontrer l'ADDS M M, mais cette dernière refusera, persuadée de l'inutilité d'une telle action pour gagner la lutte.

Et la mobilisation se continue. Les assistées sociales se préparent dans chaque quartier à résister aux saisies. Le 19 décem­bre, on brûle le second compte d'eau, même si un gain économique intéressant pointe à l'horizon, une hausse des chèques de 10.4% au premier janvier. Durant la période qui vient de s'écouler, la motivation et la déter­mination est grande, comme en fait foi un extrait d'Hebdo Taxe d'O:

«Nous les assistées sociales et les assistés sociaux regroupés autour de FADDSMM. demandons à tous les assistées sociales et assistés sociaux de Montréal de se joindre à nous  pour exiger du  ministre des Affaires Sociales qu'il paie, non pas le 1/4, non pas la ½, non pas les ¾, mais la totalité de la taxe d'eau, sans diminution de nos prestations. Soli­daires, nous vaincrons»9.

Une première victoire

C'est à cette époque que l'ADDS reçoit l'appui du Conseil Central (CSN), du Conseil du Travail (FTQ), de l'Alliance (CEQ), du RCM, du P.Q., etc. Parallèle­ment cependant, les menaces ne dérougis­sent pas: mise en fiducie, saisie, etc. Une pre­mière victoire, le 4 mars, alors que la Ville annonce qu'elle ne poursuivra pas les assis­tées sociales; pour fêter ça, on brûle le 5 mars les comptes et les sommations de la Ville. Ce gain n'empêche toutefois pas la Ville de continuer à harceler les assistées sociales pour qu'elles paient les comptes.

Le 8 mars 1975, à l'occasion de la jour-née internationale des femmes, les assistées sociales de Mercier monteront une pièce de théâtre pour souligner leur capacité d'auto­nomie et de mobilisation. Une autre pièce suivra en juin; elle mettra en scène et confrontera ministres, financiers, travail­leurs et assistées sociales.

Après l'accalmie naturelle de l'été, la lutte reprend de plus belle à l'automne. Elle culmine en novembre, avec une seconde manifestation de près de 1,500 personnes. Entretemps, en octobre, à l'occasion de la grande manifestation contre les mesures Trudeau, les assistées sociales chanteront, pour la première fois, leur chanson: la chan­son des assistées sociales.

Durant toute cette étape de lutte inten­sive qui dure maintenant depuis plus d'un an, il semble qu'à mesure que la lutte pro­gresse, les assistées sociales commencent à prendre leur place, d'abord par des tâches plus techniques, puis, petit à petit, dans des rôles de porte-parole, d'organisation géné­rale. Il semble qu'il y ait une nette évolution en faveur d'une plus grande place aux assis­tées sociales. Le «leadership» se déplace donc petit à petit. À l'automne 1975, une assemblée générale sera entièrement prépa­rée et animée par des assistées sociales.

«Les assistées sociales ne faisaient pas juste suivre; je pense qu'il y a eu en même temps que la lutte de la taxe d'eau un travail énorme pour favoriser la prise en charge; quand tu vois une assistée sociale animer une assemblée générale, puis elle animait pas ça avec un papier qui avait été écrit par quelqu'un d'autre parce qu'elle était capable de contrôler ben ça, ça suppose tout un travail même si au niveau de la direction comme tel de la lutte c'était une lutte qui était plus dans les mains des intellec­tuels»10.

 

Naissance du Front commun

Parallèlement à la lutte de la taxe d'eau, d'autres événements importants survien­nent. En 1974, les groupes d'assistées sociales du Québec se donnent un lieu de regroupement; naîtra le Front Commun des assistés sociaux du Québec. Le nouveau Front Commun mène sa première grosse bataille, en 1976, suite à une refonte de la loi d'aide sociale. Cette refonte entraîne d'au­tres coupures dans les besoins spéciaux et réprime encore plus les droits des assistées sociales. La riposte ne se fait pas attendre.

Le 18 février, l'ADDS de Montréal exige, en conférence de presse, la hausse des prestations et le retrait des mesures répres­sives. Elle refusera une invitation à partici­per à la commission parlementaire sur la question, considérant qu'une telle commis­sion n'a aucun pouvoir et que le gouverne­ment sait très bien ce que veulent les assis­tées sociales.

Par la suite, le Front Commun organise une semaine d'activités à travers la province. C'est la semaine des assistées sociales. À Montréal une centaine de personnes de l'ADDSMM se réuniront sous le thème: «C'est en transformant le monde qu'on se transforme soi-même». La semaine se ter­mine avec la manif du 1er mai; l'on y brûle les comptes d'eau.

Vers le Congrès de démocratisation

En septembre 76, la lutte de la taxe d'eau prend une tout autre tournure, alors que la Ville de Montréal coupe l'eau à vingt (20) familles de Pointe-aux-Trembles parce qu'elles n'ont pas acquitté leur compte d'eau. Se tient alors une assemblée d'infor­mation qui regroupe 600 personnes. Trans­formant l'assemblée en assemblée décisionnelle, elles décideront d'organiser une manifestation devant l'Hôtel de Ville de Montréal et de rebrancher l'eau coupée chez certaines assistées sociales; décision lourde de conséquences, car il s'agit d'un geste illé­gal et engageant. C'est ainsi que, le 1er octo­bre, 400 personnes participent au rebran­chement et, le 7 octobre, 700 iront devant l'Hôtel de Ville de Montréal brûler les comptes d'eau.

Fin 76, c'est aussi le temps pour l'ADDS d'y aller de son Congrès de démo­cratisation. Pourquoi un congrès de démo­cratisation?

«Personne d'autre que les assistés sociaux ne devrait décider ce qu'il faut comme organisa­tion (...)Pour pouvoir lutter adéquatement à la réalisation de ses intérêts, il faut donc que tous les assistés sociaux qui luttent pour de meilleures conditions de vie commencent par prendre en main leur arme principale: le mouvement ADDS»11.

C'est ce qui se produit: les assistés sociales prennent officiellement seules le contrôle des instances démocratiques de l'organisation; un exécutif sera élu un peu plus tard, en avril 1977.

Résumé de la première période: 1974-1976

En 1974, une mobilisation qui grandit à mesure que la lutte s'or­ ganise; elle atteint un sommet avec la manifestation de l'au­ tomne. Elle restera importante tout au long des deux années qui suivent.

La prise en charge par les assistées sociales se développe elle aussi au travers de la lutte. Elle est due, entre autres, au travail de formation qui soutient la mobilisation. Elle culmine avec le congrès de démocratisation de 76-77.

La lutte n'est pas gagnée «officiellement», mais, dans les faits, le «Non, la Ville ne poursuivra pas les assistées sociales» de Dra­ peau peut être considéré comme une victoire.

Deuxième période: 1977-1983 : de la scission à la relance

Fin 1976, c'est aussi l'arrivée du P.Q. au pouvoir. Des changements à l'horizon? La position du P.Q. ne sera ni meilleure ni pire que celle du parti libéral. Le P.Q., une fois au pouvoir, refusera de répondre à la demande de la Ville de Montréal et d'y aller d'une mise en fiducie. Tranquillement s'ins­talle une situation d'attentisme et d'indéci­sion. Les gouvernements ne bougent ni dans un sens ni dans l'autre. Bien sûr, la mobilisa­tion baisse, car il n'y a plus d'événements majeurs à l'horizon pour motiver une conti­nuité à la mobilisation large. Sans être vrai­ment gagné, car le harcèlement continue et rien n'est légalement réglé, l'on peut dire que la balance penche carrément du côté des assistées sociales.

Durant les années 77-79, avec la lutte de la taxe d'eau un peu plus en veilleuse, d'au­tres luttes se vivent; pensons en 77 à de très fortes attaques contre le P.Q. et sa politique du silence et du «sourd d'oreille». Pensons à la lutte en 78 pour la hausse du barème de loyer et contre les coupures d'électricité de l'Hydro. Pensons à la dénonciation des nou­velles mesures du fédéral concernant les allocations familiales en 79.

Cependant, parallèlement à ces diffé­rentes actions, l'ADDS est en bute, dans les années 77 à 79, à des difficultés internes de taille: problèmes d'orientation, guérilla idéologique, conflits de personnalité, tout y passe. C'est l'époque où à peu près tous les groupes «ml» existants sur terre se sont retrouvés à l'ADDS à un moment ou l'autre (En Lutte, la Ligue, l'Union Bolchevique). Parfois, c'est par le biais de personnes para­chutées de l'extérieur; parfois c'est par le biais de militantes et militants déjà pré-sents-es dans le groupe depuis un bon bout de temps et qui ont rallié une organisation politique. Cela veut dire que les «ml» n'ont pas tous débarqués à l'ADDS un beau matin, mais que, là comme ailleurs, ils tra­vaillaient parfois depuis fort longtemps dans l'organisation.

Ces conflits internes ont évidemment contrecarré les actions externes menées par l'organisation. Il y en aurait long à dire sur cette époque noire pour les assistées sociales de Montréal; sur le rôle des «mls» dont cer­tains finissent par être exclus officiellement! (ce fut le cas de La Ligue au printemps] 1978); sur le leadership et le pouvoir des per­sonnes ressources; sur les difficultés de la démocratisation. Mais cela demanderait évidemment trop de temps et déborderait le cadre de notre étude.

La scission

Toute cette période trouble conduisit à une polémique qui polarisa une moitié du mouvement contre l'autre et qui se termina par une scission à la fin de 1979. Trois locaux fondent l'Organisation Populaire des Droits Sociaux (OPDS) au début de 1980 (Mercier, Centre-Sud, St-Michel).

L'ADDS, qui était alors composé de 6 locaux (certains étaient disparus, d'autres étaient devenus autonomes: ex.: Pointe St-Charles), se retrouve donc coupée en deux; resteront Hochelaga-Maisonneuve, Plateau Mt-Royal et Petite Bourgogne.

Fière de son autonomie, la nouvelle OPDS lance à l'hiver 80-81 la charte des droits sociaux, qui couvre tous les droits légitimes des assistées sociales. Peu après, elle pilote deux activités importantes: d'abord, la visite éclaire d'un Steinberg pour y acheter des Kraft Dinners, symbolisant les fins de mois difficiles des assistées sociales.

Une soixantaine de personnes participaient à cette action. Puis l'occupation, en décem­bre 81, pendant deux semaines, du local du ministre Claude Charron à Montréal en mettant de l'avant les revendications sui­vantes: hausse de 20% en janvier, indexation aux trois mois, hausse pour les moins de trente ans, arrêt des coupures. L'occupation s'avère un événement majeur pour les gens de l'OPDS.

«cette action apermis aux militants de l'OPDS de resserrer les liens de solidarité et de mettre en pratique ce qu'ils avaient appris dans leurs cours de formation. Après cette action, l'OPDS est devenue encore plus forte pour continuer la lutte»12.

Durant ce temps, l'ADDS cherche à se réorganiser. Elle tient un nouveau congrès en mars 1981 où les gens du secrétariat retrouveront le droit de parole perdu depuis le congrès précédent, sur tous les comités du mouvement. Elle est présente aux manifes­tations contre les coupures Pari/eau qui se succèdent à Montréal en 81-82. Faisant face à de sérieux problèmes de recrutement, elle en fait son cheval de bataille en 82-83, en axant surtout son effort de travail sur les jeunes de 18-30 ans. Elle instituemême un comité spécifique, le comité des 18-30 ans. Pour l'ADDS. l'enjeu de cette lutte est clair:

«Nous devons trouver de nouveaux moyens de recruter surtout cette année, car les 18-30 ans constituent le groupe le plus démuni parmi les démunis et actuellement sans espoir. C'est toute la vie et l'avenir d'un peuple qui est en jeu».13

L'année 1983 sera marquée de débats importants sur l'orientation du mouvement.

Parallèlement, la vitalité du Front com­mun va grandissante; il a livré quelques bonnes batailles ces trois dernières années. Nous pensons à la lutte pour l'indexation des chèques aux trois mois, à celle pour l'ar­rêt des coupures sur les chèques de bien-être et des coupures sur les besoins spéciaux, aux pressions pour que cesse le harcèlement auprès des bénéficiaires, etc.

Au printemps de 82, le Front Commun manifeste sur la colline parlementaire (700 personnes), marquant ainsi sa détermina­tion pour obtenir de meilleures conditions de vie. La riposte est également très vive vis-à-vis de la loi 30 qui veut couper et contrôler encore un peu plus les assistées sociales en donnant des pouvoirs arbitraires d'enquête aux officiers de bien-être. Enfin 1983, année où le Front Commun se concentre principa­lement sur la préparation et la mobilisation pour la Grande Marche de mai, pour l'em­ploi.

Taxe d'eau: dernier épisode

Terminons avec le dernier épisode de la taxe d'eau. Alors que la situation était tou­jours relativement stable, voilà qu'un règle­ment adopté par la Ville en 1981 change quelque peu l'aspect de la lutte. En obligeant les locateurs à percevoir directement les comptes d'eau des locataires d'immeubles ayant une valeur locative de plus de $ 19,999 par année, la Ville fait une brèche dans ce qui semblait être un triomphe presque com­plet pour les assistées sociales. La bataille annuelle de la taxe d'eau prend alors une nouvelle tournure. Chacun des regroupe­ments mène des actions pour dénoncer cette nouvelle situation.

En février 1981, en réaction à l'annonce du nouveau règlement municipal. l'OPDS organise une manifestation devant l'Hôtel de Ville. Elle bousille avec succès l'assem­blée du conseil. Peu de temps après les pro-prios annoncent qu'ils ne sont pas intéressés à percevoir les comptes d'eau. De son côté l'OPDS est bien décidée à défendre tous les cas qui se présentent.

En 1982, le règlement change et touche les immeubles de huit (8) logements et plus: il permet d'envoyer des états de comptes à d'anciennes assistées sociales devenues pen­sionnées ou qui sont retournées sur le mar­ché du travail. L'OPDS réagit et le mot d'or­dre de l'époque est de retourner son compte. De plus, à partir d'un cas particulier de retour au travail, elle demande à la Ville d'intervenir dans le dossier, lui soulignant que, si elle n'intervient pas, l'OPDS est prête à mobiliser là-dessus.

 Elle fera une démarche similaire en 83. La Ville reculera encore une fois. Une action aura lieu au printemps: 200 personnes venant de divers groupes d'assistées sociales de Montréal se mobiliseront pour manifes­ter devant l'Hôtel de Ville.

Résumé de la deuxième période: 1977-1983

Durant la première moitié de cette période (77-80), alors que la lutte de la taxe d'eau se continue tranquillement (les gens viennent porter leur compte), l'ADDS vit des temps difficiles et une scission se produit à la fin de 1979. De cette scission naîtra l'OPDS.

La lutte comme telle reprend vie en 1981 avec la première tenta­ tive de nouveau règlement de la Ville. La mobilisation sera moins forte que précédemment. La lutte de la taxe d'eau n'est plus le fer de lance des groupes d'assistées sociales de Montréal. Mais la réussite de la première époque donne du poids aux actions et aux pressions de ces dernières années.

Bilans

Bilan de la mobilisation

La mobilisation, prise dans le sens d'un déplacement concret des personnes, sera, nous l'avons vu, fort importante entre 1974-1976.

Toutefois, il faut ajouter à cela des gains d'autoréduction beaucoup plus impor­tants. Sans qu'il y ait des chiffres officiels en ce sens, l'on parle de $500,000 pour la pre­mière année et le nombre de 24,000 personnes est avancé. Donc, si la lutte a déplacé bien du monde, elle en a rejoint encore plus dans le geste d'autoréduction. Le déca­lage entre les deux niveaux de participation s'expliquant par les contraintes physiques (maladie, handicapées, etc.) et sociales (peur d'être vue, etc.) qui pèsent sur les assis­tées sociales de l'époque.

Par contre, depuis 1981, nous sommes loin de la mobilisation des «belles années», mais la lutte rejoint encore bien du monde qui autoréduit toujours. Si les gros mouve­ments de masse ont cessé, elle a toujours un effet chez les assistées sociales.

Bilan de la prise en charge par la base

Bilan de la solidarité

La solidarité fut une des manifestations importantes de la lutte entre 74 et 76. Une solidarité bilatérale, dans le sens qu'elle se manifesta par de nombreux appuis officiels et concrets aux assistées sociales, mais aussi parce qu'elle vit en de nombreuses occa­sions les assistées sociales descendre dans la rue pour soutenir d'autres groupes en lutte.

Si, plus récemment, il n'y eut pas de mouvement large de solidarité autour de la lutte de la taxe d'eau (il n'y en a pas de vraiment sollicité), les solidarités se vivent au coeur d'autres actions (ex.: l'occupation du bureau de Claude Charron par l'OPDS, la Grande Marche pour l'emploi).

Analyse de la lutte

1. Un discours qui a du mordant

Nous avons maintenant à nous deman­der ce qui a pu permettre cet étonnant mou­vement collectif.

Quels sont les éléments qui ont permis de mobiliser? D'abord 2 aspects: la dimen­sion économique et la perte d'un droit acquis. Du jour au lendemain, les assistées sociales perdent un acquis majeur, vital pour leur survie quotidienne. Compte tenu du niveau de vie où sont maintenues les assistées sociales, il est facile de comprendre qu'une perte comme celle-là fit réagir les gens, les choquant et les frustrant profondé­ment.

Cette dernière dimension nous apparaît importante. Comparée à une revendication à caractère économique comme l'indexation aux trois mois, il y a ici, un «moins» dans le budget; ça touche encore plus durement.

Le défi à partir de là est de trouver une façon de canaliser cette réaction et cette frustration. Voilà pourquoi à ces deux élé­ments il faut en ajouter un troisième:

«C'était assez facile parce que les gens avaient un moyen de pression dans leurs mains, le compte de taxe d'eau qu'ils pouvaient ne pas payer».14

La troisième dimension, c'est le moyen de pression, en l'occurrence le compte de taxe d'eau. C'est là nous semble-t-il la clé de la lutte et c'est cette clé qui a servi d'atout à l'organisation. D'une part, l'organisation a refusé de céder aux pressions et aux tacti­ques des gouvernements en place (provincial ou municipal); elle a répondu, coup pour coup et adéquatement. D'autre part, avec les comptes en main, elle possédait un vrai moyen de pression qu'elle a su utilisera bon escient. Nous pensons particulièrement au geste collectif des comptes brûlés. C'est sym­bolique,   bien   sûr,   mais   cela   permet   de détruire la peur individuelle et concrétise la solidarité entre les assistées sociales.

«On a amené du monde à aller brûler leur compte d'eau dans la rue symboliquement, le symbole de ne pas payer, c'était vraiment quelque chose».15

Pour nous, l'essentiel se résume ici à trois éléments: une perte à caractère écono­mique importante qui se concrétise dans un moyen de pression concret, palpable même, que l'on a su utiliser avec imagination. Voyons maintenant quel discours accom­pagne la lutte et la revendication.

Un discours radical

Lorsqu'on relit les numéros d'«Organi-sation Populaire» (le journal de l'ADDS) de l'époque, les documents internes, la recherche de Denise Ventelou, en plus des entrevues que nous avons réalisées, une chose nous frappe; le radicalisme du dis­cours au sein de l'organisation en lutte. Ce radicalisme est d'autant plus frappant qu'aujourd'hui, en réaction, entre autres, à la vague «ml», tous les mots sont pesés, dans bien des groupes populaires, pour ne pas effrayer les gens. Examinons ce point. D'abord dans «Organisation Populaire». Sur le 1er mai 1975:

«Nous ne sommes pas isolées dans notre lutte de la taxe d'eau parce que nous avons su reconnaître nos alliés, ceux qui luttent contre le même ennemi que nous (...)les travailleurs, travailleuses. C'est côte à côte que nous avons, le 1er mai, exprimé notre espoir et notre volonté de vaincre»16.

Dans le numéro suivant, celui de sep­tembre, l'on consacre les pages centrales à faire une analyse marxiste de la crise, tandis que le numéro de janvier-février 1976 se pen­chera sur «L'État aux mains des capita­listes».

Cette orientation idéologique très claire se retrouve, aussi, bien sûr, dans les discours:

«Le Bien-être fait partie d'une grosse machine qu'on appelle l'État. On sait que l'État n'est pas là pour répondre à nos besoins, mais à ceux des boss pour leur permettre de faire le plus de profits possible»17.

Dans l'expression culturelle, dans les chansons, les pièces de théâtre:

«A part ça, on le sait que le ministre pis le gou­vernement y sont pas là pour répondre à nos besoins, y font juste répondre aux besoins des boss, on le sait, pour eux autres, on est des inutiles, des pas bons, parce qu'on travaille pas dans leurs usines, parce qu'on leur fait pas faire des profits»18.

Nous pourrions continuer longtemps avec des exemples du genre. Une chose res­sort donc clairement: il y avait une orienta­tion anti-capitaliste très claire à l'ADDS au cours des bonnes années de la lutte de la taxe d'eau; et cette orientation a entraîné avec elle un discours radical comme nous n'en voyons plus aujourd'hui. Or ce discours radical n'a pas empêché de mobiliser, loin de là. Pourquoi?

L'hypothèse de réponse que nous avan­çons serait la suivante: tant et aussi long­temps que le discours fut porteur d'un réflexe constant de formation et de prise en charge de l'organisation par les assistées sociales, il a bien passé la rampe et semble servir le processus de radicalisation de la lutte.

C'est à partir du moment où le discours n'est devenu que l'expression d'une ou de plusieurs organisations politiques, en ne ser­vant que les intérêts de cette organisation, que tout a commencé à dégringoler à l'ADDS:

«Les journaux, le langage, la ligne qui était véhiculée, c'était très clair et ça n'a pas bloqué au début; là où ça a bloqué, c'est en 76 quand l'ADDS a eu son congrès; il y avait vraiment plus d'assistés sociaux qui militaient dans l'or­ganisation; il y avait les militants mls, qui étaient là, qui affichaient partout le journal En Lutte, La Forge et qui diffusaient ça aux assistés sociaux qui rentraient pour aller por­ter leur compte de taxe d'eau plutôt que de diffuser l'Organisation Populaire, notre journal»20.

Chanson des assistés sociaux 19

Revendication et éducation

Qu'est-ce qu'on peut apprendre de cette évolution? Premièrement, nous avons affaire à une revendication à caractère «frontal», mais à dimension très limitée: frontale parce qu'elle exige immédiatement et précisément quelque chose, mais sur un point très précis, peu coûteux. Si nous com­parons cette revendication à celle du gel des loyers par exemple, l'une et l'autre sont sans rapport.

D'un côté, nous avons une revendica­tion qui coûte quelques millions par année au gouvernement (prestations d'aide sociale), et de l'autre, nous avons une exi­gence beaucoup plus coûteuse économique­ment pour la société.

Il va de soi que le rapport de force alors nécessaire pour arriver à ses fins n'est plus le même. Cela nous amène à considérer la revendication de la taxe d' eau comme s'ins-crivant potentiellement plus dans une logi­que de guerre de position que dans une logi­que frontale.

Si la revendication de la taxe d'eau atta­que directement, elle le fait sur un point très précis, très circonscrit qui ne remet rien de plus en cause que le retour à un acquis perdu. Elle n'a pas la prétention de changer les règles du jeu du jour au lendemain. En fait, si le gouvernement n'avait pas attaqué ce droit, il n'y aurait jamais eu de lutte. Tou­tefois, le mal étant fait, une réaction s'im­pose; cette réaction, elle tape sur le bobo même et pas ailleurs.

 Jusqu'ici la revendication, très écono­mique, peut s'avérer très corporatiste. Nous sommes encore loin, dans les faits, d'une stratégie de guerre de position. Là où nous pouvons commencer à parler d'une telle lutte, c'est à mesure que se développe le tra­vail de formation et de conscientisation au coeur même de la lutte, travail qui permet d'élever la conscience de classe de beaucoup d'assistées sociales engagées à divers niveaux dans la mobilisation. La stratégie de la guerre de position exige une transfor­mation idéologique de ceux et de celles qui sont en lutte.

La revendication, c'est une chose; la façon dont se vit la lutte c'est autre chose. Pour nous, c'est essentiellement dans la façon de vivre la lutte que la stratégie de guerre de position prend tout son sens, car aucune revendication n'est par elle-même, gage de conscientisation et de transforma­tion idéologique.

Si le discours et l'analyse marxistes n'ont pas rebuté dans un premier temps, c'est parce que le leadership «marxiste» s'est développé d'abord dans le sens d'une vérita­ble praxis (voir lexique) alliant à la fois le vécu et le développement de nouvelles connaissances. C'est quand la praxis fut enterrée que tout a échoué.

La revendication et le discours qui l'ac­compagnait ont donc porté fruit pour toutes ces raisons; à la fois à cause du potentiel mobilisateur de la revendication, mais aussi parce que le discours a su coller à la réalité des gens et se concrétiser dans le développe­ment de leur potentialité, du moins pour une minorité plus active. Nous verrons, un peu plus loin, comment cela se traduit dans le fonctionnement du groupe. Juste avant, abordons l'étape plus récente de la lutte sur cette question.

La période récente

Ici, nous n'avons plus affaire à la même situation; les propriétaires de plus de 8 loge­ments doivent payer eux-mêmes la taxe d'eau, ce qui fait qu'ils l'exigent à même le loyer des assistées sociales. La variable éco­nomique reste, c'est bien sûr; de plus, il y a perte d'une acquis aussi, pour les assistées sociales qui avaient autoréduit depuis six ou sept ans et qui se voient maintenant pris pour payer par voie détournée. Mais les actions entreprises ont moins de succès que précédemment, du moins au plan de la mobilisation. Pourquoi? D'abord, parce que le moyen concret d'action de jadis n'est plus là. Il n'y a plus de moyen de pression tangible comme l'était le compte d'eau.

Mais ce n'est pas le seul facteur. Le règlement en lui-même a pour effet de briser la possibilité de résistance collective puisque chaque personne se retrouve face à face avec son propriétaire. Il remet chacun et chacune dans une relation d'individu à individu; il n'y a plus d'adversaire unique et commun. Accouplé à une conjoncture difficile et à des conjonctures internes pas toujours aussi idéales que souhaitées, ce facteur prend de l'importance. Il est d'ailleurs typiquement dans la foulée des mesures gouvernemen­tales actuelles qui tendent à diviser par mille et une lois et règlements la résistance des groupes d'assistées sociales.

2 le fonctionnement démocratique: des moyens pour prendre sa place

L'organisation

Dans un bilan d'étape de l'ADDS, pro­duit à l'automne 74, il est dit ceci:

«Concrètement, il faut d'abord se fixer des grandes étapes au niveau régional. Nous en avons déjà une de fixée: une assemblée régio­nale pour brûler les deuxièmes comptes d'eau. Il faudrait déjà songer à l'étape suivante: on pourrait, par exemple, voir la possibilité d'une action de masse pour contester «légale­ment» les avis de poursuite. Mais le gros du travail demeure l'organisation au niveau des quartiers (...) Il faut maintenir une liaison constante avec l'ensemble des assistés sociaux rejoints pour leur expliquer continuellement le déroulement de la lutte, (...) Comme moyen, on peut penser à des assemblées de cuisine, des assemblées de quartier, etc.»21.

Ce texte contient l'essentiel de la force organisationnelle de l'ADDS au cours de la première étape de la lutte de la taxe d'eau. Nous y percevons que c'est grâce à une orga­nisation forte et prête à répliquer que la lutte fut gagnée au plan régional, mais que cette force était d'abord et avant tout issue du travail en quartier, pierre angulaire de toute la démarche. Regardons cela de plus près.

Que se passe-t-il au niveau régional? D'abord, le bureau régional s'est doté d'un plan de lutte, ce qui lui permet de réagir rapi­dement aux attaques de ses adversaires en présentant tout de suite une riposte de qua­lité.

 «à la période de la lutte de la taxe d'eau, c'était clair que si ça ne marchait pas, il y avait tout de suite autre chose qui était prévu; alors on attendait pas d'être rendu à ce moment-là pour savoir ce qu'on allait faire; il y avait tou­jours deux ou trois possibilités; ce qui faisait que si les gens étaient pris à la dernière minute à réagir, ils étaient toujours prêts à réagir»22.

C'est donc là une des forces de la coor­dination régionale. L'autre force, c'est d'avoir été capable de réagir en tenant compte de la base dans les quartiers.

À ce titre, comme nous l'avons décrit plus tôt, l'organisation par étape des manifs est fort intéressante. Ainsi, la coordination tient toujours compte de la réalité des gens, qui sont souvent des femmes, mères de famille, pas toujours en bonne santé ou très jeunes, dans l'organisation technique de la manifestation (heure, durée). Il y a donc une bonne unité de pensée avec la base dans l'or­ganisation des grosses actions régionales.

Le reste du temps, ce sont les quartiers qui travaillent à mobiliser et à informer. Ce sont les quartiers qui mettent sur pied diffé­rents comités et services auxquels les gens peuvent se référer ou dans lesquels ils peu­vent s'insérer. C'est là qu'on diffuse la péti­tion, qu'on répond au téléphone, qu'on pré­pare les assemblées de quartier, en liaison avec la démarche de lutte régionale. C'est là que se fait la formation sur la loi d'aide sociale, première étape de conscientisation et démarche vitale pour développer des «lea­ders» assistées sociales.

En gros, donc, c'est la cohésion entre les deux niveaux qui a fait le succès de la lutte sur le plan de l'organisation du travail et de la répartition des tâches, cohésion qui pré­sume un très grand respect de ce que sont les gens et où ils en sont rendus.

La démocratie interne

Lorsque l'on dit: «pour mener une lutte, il est essentiel: d'être bien informé, de se regrouper et de s'organiser; il faut bien éva­luer contre qui on se bat, nos véritables ennemis et ceux qui sont nos alliés»23, c'est sous-entendre tout un travail de formation pour en arriver là. Nous avons vu quelle importance avait ce travail, à tous les niveaux de la lutte. Nous avons montré que, tranquillement, le «leadership» s'est dépla­cé vers les assistées sociales qui ont accen­tué leur prise en charge de l'organisation. Nous ne reviendrons pas là-dessus. Nous pensons simplement que le développement de la prise en charge a permis à l'organisa­tion de tenir le coup à tous les niveaux dans cette lutte. La base a suivi; son poids et son influence deviennent de plus en plus impor­tants tant dans les quartiers qu'au régional. Fruit du hasard? Il semble que non.

«Dans certains quartiers la politique d'inté­gration au local au plan du partage des tâches, de la formation, et des compensations, a été articulée de façon systématique; à cha­que nouvelle tâche correspond un processus de formation spécifique de type technique et politique, ce qui permet de s'assurer de l'apti­tude de chacun à assumer les responsabilités qui lui sont confiées»24.

La prise en charge, oui, mais pas à n'im­porte quel prix et n'importe comment. Il faut donner les moyens de prendre la place et non pas seulement laisser la place. C'est en cela que les intellectuels ont véritablement joué leur rôle d'intellectuels «organiques». La tâche d'un intellectuel organique dans une stratégie de guerre de position, c'est de permettre à la base sociale de se développer et de se conscientiser sous toutes les dimen­sions possibles. Sans que ce soit toujours parfait, nous pensons que, dans la période de 74 à 76, c'est dans ce sens que les intellec­tuels ou personnes ressources de l'ADDS ont travaillé. Ce n'est que par après, dépen­dant de leur orientation politique, qu'ils ont laissé ce type de travail au profit d'une autre stratégie révolutionnaire beaucoup plus éloignée de la réalité des gens.

Pour la période récente, il est plus diffi­cile d'y voir clair. Les données sont floues; on en reste souvent aux impressions. L'ADDS exprime ouvertement en 82-8325 des difficultés de fonctionnement interne qui minent son développement. La faible participation à ses assemblées générales, une cinquantaine de personnes en moyenne, en témoigne. Il faut noter la présence quasi constante dans l'organisation de personnes-ressources non-assistées sociales. Il faut aussi noter les liens étroits qu'entretiennent certains militants-tes avec le Parti des tra­vailleurs du Québec (PTQ).

Du côté de l'OPDS, il est clair que la mobilisation est meilleure. Il n'est pas rare de voir 200 personnes à une rencontre régio­nale. Par contre, les difficultés internes, les débats se font peu sur la place publique. Transpire cependant un questionnement récent sur le «leadership», sur un meilleur équilibre interne au plan de la «prise de parole», et sur la place que chacune doit occuper; personnes-ressources, assistées sociales expérimentées, nouvelles militan­tes, etc…

3. L'orientation politique: une cohésion nécessaire

En terminant, nous aimerions insister sur l'importance de cette cohésion minimale au plan politique qui transpire à l'ADDSMM au moment de la première par­tie de la lutte de la taxe d'eau. Bien sûr, tout le monde ne dit pas toujours la même chose. Il y a des variantes évidentes selon les quar­tiers. Elles se feront sentir plus tard.

Mais au moment où la lutte est à son apogée, il y a un fil conducteur qui rallie les gens autour d'une option nettement anti­capitaliste et au sein d'une démarche qui pri­vilégie le développement de l'autonomie de la base mobilisée. Cette cohésion, les objec­tifs, les textes, les journaux, les témoignages nous la confirment. C'est quand cette cohé­sion s'effrite que tout fout le camp. C'est quand les divergences politiques et idéologi­ques s'exacerbent, doublées de conflits de personnalité, que rien ne va plus et que la crise frappe l'ADDS au point que trois locaux en sortent.

L'histoire de la première étape de la lutte de la taxe d'eau s'avère donc très ins­tructive sur l'importance et le sens que peut avoir un minimum de cohésion politique dans une organisation populaire. Après la scission, chacune des organisations sera confrontée aux conséquences inhérentes à ce genre de crise politique. À l'OPDS, les trois locaux se retrouvent assez cohérents politiquement puisqu'ils ont fait front com­mun contre un type de fonctionnement pré­sent à l'ADDS. Toutefois, la peur de quel­que chose de trop politique (issue d'une organisation politique) est très présente. La formation politique se continue et le fil conducteur anti-capitaliste demeure. Mais il subsiste des limites qui se traduisent dans un quotidien qui allie lutte et service, mais aussi un certain «confort» dont il n'est pas tou­jours facile de sortir.

À l'ADDS, on se relève politiquement plus difficilement de la crise. Elle garde ses options elle aussi, mais elles ne transparais­sent pas toujours facilement dans le quoti­dien, sauf au niveau des leaders du groupe. Là aussi le risque du service fait son appari­tion et amène en 82-83 de gros conflits entre les locaux, très refermés sur eux-mêmes et leur service, et le régional, plus porté à pous­ser des luttes plus combatives.

Tant à l'ADDS qu'à l'OPDS les risques de petite bureaucratie sont donc présents; cependant ils varient d'une organisation à l'autre et, à l'intérieur de chacune des orga­nisations, d'un bureau à l'autre. Le danger est là. Il faudrait y remédier rapidement. C'est un des défis d'aujourd'hui.

En résumé:

Le discours revendicatif se concrétise autour d'une lutte dont l'enjeu est très proche de la réalité des assistées sociales; l'on touche à un acquis économique important. La radicalité du dis­ cours n'empêche pas la mobilisation, loin de là. Tant et aussi longtemps que la lutte est menée en restant collée à la réalité des assistées sociales et en les intégrant petit à petit à tous les niveaux de la bataille, le discours passe la rampe.

L'organisation du travail tient généralement compte des forces et faiblesses des gens à regrouper. Il y a une attention particu­ lière de portée à former des leaders qui assumeront la prise en charge. Cette prise en charge se perpétue avec les années mal­ gré des difficultés à trouver et à former la relève.

Au début, il y avait un minimum de cohérence politique. C'est quand les guerres de lignes surviennent que l'organisation patauge au point d'en arriver à une scission. Par la suite les orga­ nisations retrouvent une certaine cohérence qui n'élimine pas toutes les difficultés à ce niveau.

Synthèse et perspectives

Pour aller un peu plus loin

Des différences

Avant d'aborder de front cette partie nous aimerions prendre le temps de bien situer le cadre dans lequel s'insère la démarche comparative de cette synthèse. Nous venons d'analyser le travail de trois organisations populaires. Nous avons fait ressortir des forces et des faiblesses au sein des pratiques de ces organisations. Toute­fois, nous avons pu, à mesure que cette étude avançait, prendre conscience non seulement de différences au niveau des pratiques, mais également au niveau du champ d'interven­tion de chacune des organisations.

Nous présenterons donc, de façon suc­cincte, dans les pages qui suivent, les diffé­rents éléments qu'il nous semble important de faire ressortir au niveau de la différencia­tion des champs d'intervention. Cette pré­sentation, tout en nous permettant de ressai­sir des points déjà abordés nous amènera à relativiser notre comparaison entre chacune des organisations. Sans nier la pertinence d'une analyse comparative des pratiques et des facteurs de mobilisation, nous serons conduits à l'objectiver un peu plus.

A- Différences au niveau du budget familial

B- Différences au niveau des rapports d'oppression économique

C- Différences au niveau de la composante de classe de la base sociale potentielle

D- Différences au niveau des structures organisationnelles

0. Le débat service-lutte

Dans l'étude des trois champs d'inter­vention choisis, nous avons vu combien la question du service par rapport à la lutte fut présente et souvent débattue. Les organisa­tions analysées ont toutes cherché à un moment ou l'autre de leur histoire à donner priorité à la lutte; elles ont tenu un discours de lutte. Mais, malheureusement, mise à part celle de la taxe d'eau, il ressort que le service a pris souvent le dessus. Bien sûr, il y eut d'autres batailles plus ponctuelles, mais rien   de   vraiment   hors   du  commun.   Ce constat est d'autant plus pénible et dépri­mant puisque longtemps, au niveau du dis­cours tout au moins, le service a passé au second rang.

Un faux débat

Qu'en est-il, maintenant, de ce débat entre service et lutte? C'est le premier aspect que nous voudrions creuser dans cette syn­thèse. Personnellement, nous croyons qu'il s'agit d'un faux débat. Nous pensons que l'important n'est pas de savoir si le service doit être prioritaire à la lutte ou vice-versa, mais bien quelle peut être leur utilité respec­tive à l'intérieur du fonctionnement quoti­dien d'une organisation. Cette utilité, elle peut se présenter sous plusieurs facettes:

«Il arrive, dans les organismes populaires que l'on mette en opposition les activités de ser­vice et les activités de lutte. Cet axe nous invite, au contraire, à les lier l'un à l'autre et à saisir leur complémentarité dans l'optique de leur articulation à une stratégie à long terme. Le dépannage et l'information constituent d'excellentes occasions pour identifier des problèmes et inciter les gens à passer à l'action (...) En lien avec la stratégie à long terme, les luttes ponctuelles et les divers services sous contrôle populaire sont des lieux qui peuvent permettre l'expérimentation de nouveaux rapports sociaux».1

Le service peut donc s'avérer, dans bien des cas, le déclencheur, le fer de lance de tout processus de lutte. Il permet d'avoir un contact constant avec le vécu de la popula­tion.

«Il faut absolument avoir des services pour pouvoir faire nos luttes; si on fait nos luttes pis ça ne rejoint pas la masse des assistées sociales, nos luttes ne seront pas bonnes; ça tomberait dans le vide, on n'aurait pas d'ap­puis, les assistées sociales ne nous suivraient pas. Tandis qu'en allant chercher ce qu'ils ont vraiment besoin, c'est là qu'on peut faire des luttes, qu'on est le plus fort»2.

Il s'agit donc d'une part de répondre aux besoins immédiats et, d'autre part, de déclencher si possible une lutte sur un pro­blème plus essentiel ou généralisé. En ce sens, l'exemple de la taxe d'eau est probant. De plus, dans l'optique d'une démocratisa­tion maximale de l'organisation, le service peut être l'expression quotidienne d'un pou­voir populaire, entre les luttes.

Un service public à rabais?

Mais attention! Si le service doit être complémentaire aux objectifs de lutte de l'organisation, il importe de respecter cette dernière dimension. L'incapacité chronique d'amorcer et de développer des luttes impor­tantes peut s'avérer un piège fort dangereux pour une organisation populaire. Ce piège, il surgit souvent tant à la suite d'échecs répé­tés que lorsque le train-train quotidien ne permet pas de dégager une problématique porteuse d'un processus de lutte. Toutes les organisations étudiées y sont tombées à un moment ou l'autre de leur histoire, bien qu'i­négalement.

Quelles sont les principales consé­quences de cet enlisement possible? Elles sont nombreuses. D'abord, en étant ancrés, souvent par défaut, dans le service, les groupes font le jeu de l'État. Comment? En effectuant à bon marché un travail de sup­pléance aux organismes gouvernementaux, ce qui, à long terme, ne fait guère avancer la cause de la population visée. Ce problème a été bien identifié par des militants du loge­ment.

«Nous réalisons le travail de la Régie des loyers en donnant une information qu'elle se devrait de donner. B) Nous amenons les loca­taires à connaître leurs droits, ce qui est bien en soi, mais nous devons reconnaître que «leurs droits» ne résout pas leurs problèmes.

Nous pourrions multiplier par 10 le nom­ bre de contestations à la Régie des loyers, sans qu'aucune loi ne soit changée, sans que rien ne change dans la problématique du logement.

Nous jouons le jeu de l'État, qui, par les lois, individualise les problèmes et ne prend pas  en  considération   les   problèmes  de  la population»3.

Donc, un jeu de suppléance auquel il faut ajouter le risque d'individualisation et de légalisation des problèmes des gens. Indi­vidualisation et légalisation dans la mesure où le service ne propose bien souvent que d'adoucir, cas à cas, le bobo, sans en cher­cher la source, par une ou des actions légales, et ce en utilisant les rouages prévus à cet effet (Régie du Logement, Office de Pro­tection du consommateur, etc.).

Faut-il être avocat pour militer?

Un tel traitement légaliste et individua­liste du problème force les organisations à développer d'abord et avant tout de grosses compétences par rapport aux différentes dimensions légales des champs d'interven­tion. En soi, ce n'est pas mal de bien connaî­tre la loi sur l'aide sociale ou celle sur la pro­tection du consommateur; cette connaissance s'avère essentielle pour assu­mer une part du travail et être capable de réagir adéquatement aux attaques gouver­nementales. Mais là où le bât blesse, c'est lorsque les permanents-es et les militants-es sont d'abord des «spécialistes» avant d'être des animateurs-trices et des militants-es. À ce moment-là, les organisations perdent, en bonne partie, le sens même de leur existence et deviennent jusqu'à un certain point un instrument de l'État au coeur de la société civile.

«Nos organisations se sont donc spécialisées à un point tel que très souvent, la population ne les distinguait pas des services offerts par l'État. On ne faisait pas la différence entre une association de locataires et la Régie des loyers (...) à moins d'avoir les deux pieds dedans. C'était donc flatteur dans l'évaluation de la qualité de nos services... mais assez découra­geant en rapport avec nos objectifs de sensibi­lisation-mobilisation»4.

Cette spécialisation entraîne elle aussi de graves conséquences. Ainsi, pour remplir adéquatement des tâches au sein d'une orga­nisation qui atteint un haut niveau de com­pétence dans un domaine précis, il faut sou­vent, ou bien être scolarisé et ainsi avoir développé les habitudes intellectuelles qui permettent de se démêler rapidement à tra­vers les lois, les statistiques, etc., ou bien avoir appris sur le tas, ce qui demande aussi une bonne formation. Sauf que, pour qu'il y ait formation, il faut qu'il y ait participation. Or l'histoire et les analyses faites ici nous montrent que les gens de classes ouvrière et populaire ne participent pas spontanément à un groupe populaire, à moins qu'ils ou qu'elles n'aient possibilité d'y défendre des intérêts spécifiques.

Peut-on se surprendre alors que cette base, sans formation spécifique, ne trouve pas sa place pour y travailler et s'y exprimer puisqu'elle est incapable de répondre, aussi rapidement au travail de spécialisation qu'exige un engagement dans un groupe?

«Les conséquences de cette spécialisation se sont rapidement manifestées (...).Les perma­nents issus de la base (...)n'arrivent plus à remplir un mandat qui exige de plus en plus de connaissances spécialisées. Ils sont remis en question du fait de leur inhabileté à offrir les services (...). Les membres non-spécialisés sont confinés à des tâches bouche-trous et on les voit de moins en moins participer aux réu­nions, parce que d'une part, ils se sentent incompétents pour discuter du service, mais aussi parce qu'ils ne comprennent plus le lan­gage utilisé»5.

L'organisation devient donc l'apanage exclusif ou presque de militants-es et permanents-es intellectuels-les; elleproduit la même race de monde. Il n'y a pas de pro­blème à cela, bien sûr, sauf qu'en s'enlisant dans cette réalité, il va de soi que le mot «populaire»   perd   presque  tout  son  sens.

C'est alors l'institutionnalisation du groupe qui se confine dans sa petite bureaucratie. Ce constat se retrouve partout.

«Plusieurs groupes comme les associations de locataires, l'ACEF, les MAC et les syndicats sont devenus presque des institutions dans leur façon de fonctionner. Le service quoti­dien, la routine du cas à cas et le syndrome du pompier ont tendance à maintenir des groupes dans un fonctionnement bureaucrati­que»6.

Et la boucle de l'orientation «service» est alors bouclée; le groupe n'est plus un lieu possible d'intégration et de participation. Il est seulement une lourde structure, qui a perdu de vue tout le sens du projet initial et qui fait de toutes les nouvelles personnes qui s'y risquent de nouveaux bureaucrates.

À la recherche d'une alternative

Bien sûr, un tel constat peut paraître sévère. Il peut sembler négliger la réalité quotidienne et la forte demande de services qui alimente cette institutionnalisation. Il peut sembler négliger le fait que l'État n'a pas les mains propres dans cette affaire et qu'il a beau jeu, dans la conjoncture de crise, de voir des groupes le remplacer en répon­dant aux besoins pressants de la population. Nous n'écartons pas ces faits. Nous nous demandons simplement combien de temps encore, conscients du rôle de cataplasmes qui leur incombe, un grand nombre de groupes vont accepter de laisser le service inonder leur pratique au point de reporter, aux calendes grecques toutes tentatives de lutte? Quand les groupes arrêteront-ils de jouer involontairement à l'appareil d'État pour tenter de développer et devenir vérita­blement des organisations populaires? Bonne question!

Peut-on en sortir? Cette critique faite, à quelles conditions est-il possible d'éviter de tomber dans le piège du service? Il n'existe aucune recette miracle, mais bien quelques pistes. Par rapport au service, nous pour­rions peut-être développer des façons de tra­vailler qui privilégient la dimension collec­tive.

Les expériences en ce sens sont nom­breuses et s'avèrent souvent les temps forts et les moments les plus intéressants du tra­vail dans une organisation populaire, en dehors des temps de lutte; pensons aux ate­liers-logement dans les associations de loca­taires, à la session sur l'aide sociale chez les groupes d'assistées sociales, aux cours sur le budget dans les ACEF, etc. Il s'agit de ser­vices, sans doute, mais de services qui dépas­sent le dépannage téléphonique ou la consultation individuelle. Ils se vivent col­lectivement, ce qui crée une tout autre dynamique, rendant les gens plus à l'aise et affai­blissant, en partie tout au moins, le rapport spécialiste-citoyen-ne ordinaire.

De plus les éléments de réponses vien­nent souvent des personnes venues chercher de l'aide et qui font des liens entre leur situa­tion et celle des autres. Le service collectif a aussi l'avantage de favoriser une analyse col­lective d'un problème souvent perçu comme individuel, et de rompre avec l'isolement et la culpabilisation. Nous pensons ici spécia­lement aux personnes endettées ou aux assistées sociales. Ces rencontres permettent de voir déjà l'intérêt de regroupements et de solidarités.

Dire oui au service, ce n'est donc pas nécessairement dire oui à toutes les formes de service:

 «(...) je crois donc que ce que nous aurions dû surtout remettre en cause, c'est le service stric­tement «juridique» ou «légaliste» et non pas le service lui-même»7.

Avoir un contact avec la réalité, ren­contrer les gens du quartier pour connaître leurs problèmes et leur vécu, les dépanner aussi, tout cela n'a pas nécessairement son pendant de bureaucratisation et d'institu­tionnalisation. Il y a moyen, des expériences passées le prouvent, de travailler le service autrement afin qu'il ait sa place, mais pas toute la place. Le service collectif autant que possible à consonnance éducative s'avère donc une piste.

Nous ne nions, toutefois, qu'il faille parfois y aller d'un travail cas à cas. Mais pensons alors à un service plus combatif qui fait des liens entre la situation individuelle et le problème social; à un service qui offre des solutions qui débouchent, soit sur des res­sources communautaires, soit sur des groupes qui mènent des luttes sur ces pro­blèmes.

Un service combatif passe aussi par un esprit d'enquête qui est aux aguets de situa­tions qui ne sont pas uniques et qui pour­raient donner naissance à une lutte collec­tive. Cela exige une sensibilité et une analyse politique très proche du concret.

Ces alternatives doivent être vues comme une remise en question du «cas à cas» légaliste à tout crin. Éviter cette remise en question, c'est bénir à perpétuité l'enlise­ment de bien des organisations populaires.

Il faut oser sortir des chemins battus et tenter de nouvelles façons de travailler pour rejoindre et regrouper les gens.

1. Le discours revendicatif: le vécu d'abord

Au coeur du fragile équilibre entre ser­vice et lutte, où faut-il situer le discours revendicatif? Vient-il avec la lutte ou vice-versa? Un groupe de service peut-il mettre de l'avant des revendications? La revendication n'est pas en soi la solution. Théoriquement revendication et lutte semblent liées. Toute­fois, les trois analyses que nous avons faites ne le confirment nullement. Elles montrent bien qu'une revendication n'engendre pas automatiquement une action. Il est possible de revendiquer tout en étant au plus haut degré une organisation de service. Les orga­nisations étudiées confirment cette consta­tation,   ACEF  et   Regroupement  en  tête.

Souvent les revendications servent un dis­cours radical tout en masquant une pratique déficiente.

L'acte revendicatif n'est nullement un gage d'équilibre entre lutte et service. Si toute lutte est l'expression même d'une ou de plusieurs revendications, le contraire est faux. Donc, le revendicatif ne permet pas d'éviter l'enlisement et nous irions jusqu'à dire qu'il sert parfois à le camoufler. Tant et aussi longtemps qu'on a le bon discours... Ceci dit, il faut évidemment travailler le niveau revendicatif si l'on veut que la dimen­sion lutte transpire dans l'organisation. On aura beau y aller d'un service plus collectif et «conscientisateur» à ses heures, si l'organisa­tion ne porte pas de revendications et ne cherche pas à les canaliser dans des actions mobilisatrices, toutes les luttes rêvées reste­ront des voeux pieux.

Nous nous attarderons donc à dégager les éléments clés d'une revendication qui peut déclencher une mobilisation et peut-être une lutte. Lors de l'étude de la lutte de la taxe d'eau, nous avons isolé trois variables majeures qui permettent à une revendica­tion d'être vraiment mobilisatrice: la varia­ble «économique», la perte d'un droit acquis et, enfin, le moyen de pression.

Nous ne reprendrons pas tout cela en détail, mais nous insisterons à nouveau sur l'importance d'avoir une revendication qui touche le monde, non pas idéalement, mais de façon bien tangible. Les gens vont géné­ralement se mobiliser autour de quelque chose de concret. La variable économique est donc importante; seulement, ellerisque d'être insuffisante dans la mesure où elle n'est pas accompagnée d'une prise de conscience que quelque chose ne va pas, qu'on se «fait fourrer», qu'on perd des droits, etc.

«Il y a mobilisation quand il y a conscience de quelque chose «d'anormal» et que naît, est res­senti et se manifeste le sentiment vécu par une population - d'un manque ou d'une perte (...) - de menaces ou d'injustices (...) de dépossession d'un pouvoir»8.

De là, la variable «perte» qui renforce énormément la  possibilité de prise de conscience. De là aussi la nécessité de trou­ver les moyens de faire prendre conscience aux gens de cette «perte».

Il faut combattre le fatalisme

Pour cela, il nous semble essentiel que la revendication soit «perceptible». Nous entendons par perceptible un objectif reven­dicatif qui touche la réalité immédiate de la population visée, qui fait partie de son vécu, de son expérience quotidienne. Dans les luttes étudiées, nous retrouvons quelques exemples en ce sens. Bien sûr, il y a la bataille de la taxe d'eau, mais nous pour­rions ajouter l'exemple de la MIUF.

Dans chacune de ces luttes, les gens se sont butés à un problème qui les touchait de très près et sur lequel, parfois, ils se frot­taient quotidiennement (ex.: la MIUF et la santé des gens). Cette dimension nous appa­raît pratiquement comme un prérequis à toute mobilisation large, particulièrement lorsque l'on travaille avec une population démunie. Les échecs répétés des diverses tentatives de mobilisation autour de slogans creux style «bâtissons notre organisation» nous le confirment amplement. Un tel constat s'explique-t-il rationnellement? Il y aurait long à dire là-dessus. Contentons-nous d'avancer quelques bribes de réponses.

Premièrement, il y a le fait que toute revendication se bute à l'aliénation, (voir lexique) au contrôle idéologique des masses. Comment mobiliser avec des revendications sur l'endettement et le gel des loyers alors que dans un cas les gens se croient responsa­bles et, dans l'autre, croient normal que les propriétaires fassent un certain profit sur leur logement? Comment éveiller la conscience qu'il y a quelque chose d'anor­mal, alors que les gens trouvent ça normal? Deuxièmement, les expériences d'organisa­tion et de défense des droits sont encore fort peu nombreuses dans le vécu historique des québécois-ses francophones de classe ouvrière et populaire, longtemps sous le joug d'une pensée religieuse privilégiant le réflexe de la «tête baissée». Jusqu'à il y a vingt ans (au début des organisations popu­laires) le syndicalisme (souvent d'obédience catholique) fut la seule forme d'organisation de défense des travailleurs-euses qui attei­gnit le vécu d'un certain nombre de québé­cois-ses francophones.

Savoir se limiter

Toutes les revendications du monde se frapperont, à court terme, à ces difficultés. La seule façon de les contourner c'est de mettre d'abord l'accent sur quelque chose de restreint auquel les gens vont s'identifier. Cela nécessite, il va de soi, une bonne connaissance du vécu et de la réalité de la population ainsi qu'une bonne connaissance de la conjoncture. Ceci dit, il faut aussi s'as­surer d'avoir un objectif réalisable. Ce qui peut vouloir dire, si l'objectif est vaste, d'y aller avec des étapes qui permettront de le visualiser partie par partie:

«Avant de s'attaquer à des objectifs vastes, il faut d'abord qu'ils s'embarquent sur des objectifs concrets où ils peuvent obtenir quel­que chose de concret; il découle logiquement du point précédent qu'il faut qu'on obtienne des victoires (...). C'est par des gains réels qu'on prouve ainsi que collectivement on peut être une force»9.

Il faut du concret, du vécu, mais aussi des victoires.

C'est sur ces bases que doit être campé le processus revendicatif si on veut espérer mobiliser et mettre en branle un véritable processus de lutte en évitant de tomber dans des actions limitées de pression et d'infor­mation. Ceci dit, tout ce processus de lutte ne se mettra pas en plan tout seul. La reven­dication mise de l'avant par les membres déjà présents au sein de l'organisation doit permettre de regrouper du monde autour d'elle. Ce qui fait que la revendication n'est pas seulement un but à atteindre, mais aussi et peut-être bien plus un moyen pour rejoin­dre un autre objectif, celui de développer des organisations de masse, vraiment popu­laires.

Une fois qu'elle a permis d'amener un peu plus de monde aux activités du groupe, la revendication reste l'élément de base, la carrosserie du groupe en lutte. Par contre son moteur se trouve ailleurs, au coeur même de l'expression des masses à l'inté­rieur de l'organisation. En fait, amener du monde à une assemblée publique peut s'avé­rer une réussite de taille. Sauf que le défi ne se situe pas vraiment au niveau d'une telle mobilisation ponctuelle. Il est dans la capa­cité qu'aura l'organisation de transformer cette mobilisation d'un jour en lutte vérita­ble et durable. À partir de ce moment-là, c'est au coeur du fonctionnement démocra­tique que tout se jouera.

2.- fonctionnement démocratique: à chacun son rôle

Lorsque nous reprenons les faits domi­nants qui entourent le fonctionnement interne et démocratique des organisations étudiées, il est relativement facile de mettre l'accent sur la difficulté numéro un: les rap­ports entre des «leaders» souvent scolarisés et permanents et une base, plutôt peu scola­risée, et plus ou moins engagée dans l'organisation. Cette difficulté peut se vivre de façon très variable d'un groupe à l'autre. Elle prend la forme traditionnelle des rap­ports entre petite-bourgeoisie intellectuelle et les classes ouvrière et populaire à l'ACEF et au Regroupement, alors qu'au niveau des assistées sociales, elle toucherait plus la question des rapports entre les personnes formées de longue date sur le terrain et les militantes plus nouvelles. Nous aborderons essentiellement cette question dans les pages qui suivent, sans négliger toutefois, au pas­sage, d'autres aspects du fonctionnement interne.

2.1. Une identification mutuelle

 Nous avons vu que les pages sur le dis­cours revendicatif nous indiquent l'impor­tance de pouvoir mettre l'accent sur une revendication précise à laquelle les gens peu­vent s'identifier. Cette identification à un objet passe par un second niveau d'identifi­cation, une identification à ceux et celles qui mettent de l'avant la revendication. Concrè­tement, cela veut dire que si une revendica­tion peut, à ses débuts, être portée par des permanents-es et des animateurs-trices, il n'y a pas de lutte possible si elle reste unique­ment entre les mains des initiateurs et initia­trices. À ce titre, la lutte de la taxe d'eau est exemplaire: une revendication très près de la réalité, poussée par des personnes res­sources intellectuelles proches de cette réa­lité, qui fut petit à petit reprise et promue par des femmes assistées sociales.

Une revendication solide et claire peut donc mobiliser un certain temps, mais il serait très surprenant que cette mobilisation dure s'il n'y a pas appropriation de la reven­dication par les gens initialement concernés. C'est là, il nous semble, la clé de voûte qui permet de transformer une simple revendi­cation en lutte véritable.

Mobilisation = pouvoir

Le constat d'une mobilisation plus forte, proportionnelle au contrôle que les gens ont sur l'organisation et la lutte n'est pas d'hier. Il y a dix ans, c'était la même chose:

«C'est aussi dans les organismes contrôlés par les citoyens qu'on observe la capacité de mobilisation la plus élevée; nous avons déjà remarqué ce phénomène dans l'étude de l'implantation des CLSC; (...) la capacité de mobilisation d'un organisme est plus reliée au fait que les résidents du quartier y jouent un rôle important qu'à la présence d'animateurs dont c'est pourtant la profession de mobiliser les individus»10.

Les gens de classe ouvrière et populaire vont donc se mobiliser principalement là où ils retrouvent des gens de la même classe, qui défendent leurs intérêts. Il faut qu'ils sentent que c'est leur affaire, et non pas l'affaire des autres. Comme disait Henri Lamoureux «le prolétariat a le nez fin. Il dételle lorsqu'il s'aperçoit qu'on l'utilise pour promouvoir les intérêts d'une bourgeoisie, petite ou grande, dont les préoccupations sont trop souvent à cent lieues des siennes»11. Cette attirance, cette identification, nous la retrouvons clairement exprimée dans deux entrevues:

«Non, franchement s'il n'y avait pas eu quel­qu'un de la même classe que moi, je n'aurais pas été attirée du tout: elle vivait à peu près les mêmes problèmes; je pense que ça aurait pris beaucoup plus de temps à m'intégrer si elle n'avait pas été là»12.

«Un jour, une madame arrive avec son compte d'eau; elle discute un bon moment avec quelqu'un qui n'était pas une assistée sociale. Elle ressort avec son compte d'eau; mais en sortant elle croise deux madames qui entrent en chantant, qui disent «cette année on le brûle-tu le compte d'eau, pis on brûle Drapeau avec». Elle les a regardées, elle a viré de bord et elle est venu porter son compte d'eau»13.

Pour que les classes ouvrières et popu­laires se mobilisent, il faut qu'elles cessent d'être des figurantes et puissent avoir accès au pouvoir, au contrôle démocratique des organisations. Comme le soulignaient God-bout et Collin, «le pouvoir aux usagers, est une condition nécessaire à la capacité de mobilisation des citoyens»14. Les exemples étudiés illustrent bien que mobilisation et contrôle populaire vont souvent de pair; la mobilisation est proportionnelle au pouvoir populaire et vice-versa.

C'est entrer ici de plein fouet dans le mythe de plus en plus révolu, mais encore vivace par endroits, de l'avant-garde. Nous avons à l'intérieur de l'analyse des luttes étu­diées mis à mal le concept d'avant-garde, en faisant ressortir le cul-de-sac dans lequel il a amené le Regroupement et l'ACEF de Mon­tréal; bien que, dans ce dernier cas, ce fut plus une guerre de lignes entre intellectuels-les  que l'expression du pouvoir entre les mains d'une unique avant-garde.

Nous employons à dessein l'expression avant-garde «intellectuelle», car l'avant-garde au Québec, sous toutes ses formes et dans tous les milieux, fut essentiellement l'apanage d'intellectuels-les. À l'ADDS, jus­qu'en 76, les intellectuels-les ont joué un rôle déterminant, mais ils et elles ont su (et on leur a parfois fait savoir) travailler différem­ment, du moins durant cette période. Par la suite, surtout après le congrès de démocrati­sation, l'ADDS ne fut pas épargnée par l'avant-garde «ml». Après la scission, tant à l'ADDS qu'à l'OPDS, la question des intellectuels-les fut encore parfois source de diffi­cultés et de déchirements. Nous pensons qu'il faut définitivement dépasser, une fois pour toutes, la notion d'avant-garde éclai­rée, sans y voir cependant la source de tous les maux.

2.2 l'avant-garde sous toutes ses facettes

Cette notion d'avant-garde intellec­tuelle s'est manifestée de bien des façons, sous des bannières fort différentes. Le «mlisme» en fut une, ainsi que tous ses déri­vés qui s'inspirent du centralisme démocra­tique (pensons au Regroupement). Il a permis de renforcer le pouvoir de classe petit-bourgeois sans problème de conscience; cela peut expliquer, du moins en partie, le pour­quoi de son développement rapide:

«À notre avis, ce développement s'explique, en partie du moins, et aussi paradoxalement que cela puisse paraître, par le fait que cette idéologie renforce le pouvoir de classe des intellectuels petits-bourgeois»15.

Mais si le «mlisme» fait office de mani­festation la plus marquante historiquement de la notion d'avant-garde, il n'en possède pas l'exclusivité. D'autres avant-gardes se sont aussi manifestées.

Nous pensons à certains courants s'inspirant de l'écologie et de l'anti-consomma-tion, qui sont parfois porteurs de nouvelles vérités petites-bourgeoises. Nous en trou­vons des manifestations entre autres à l'ACEF de Montréal.

«Je dirais que les intervenants présentement à l'ACEF veulent que les gens fassent une réflexion active sur la consommation dans le sens qu'ils réfléchissent pis qu'ils agissent dans leur vie à eux autres, qu'ils se créent des réseaux communautaires; c'est quand même le propre ça, pour moi, d'une certaine popula­tion de petits-bourgeois, avec des valeurs autres; ça attire du monde un petit peu pour l'écologie et pour le développement d'une qualité de vie»16.

La différence avec le «mlisme», c'est que cette seconde forme d'avant-garde ne se cache point derrière un discours «proléta­rien» au service de la révolution et des masses; elle cherche plus une transforma­tion communautaire et locale dans laquelle elle s'insère. Le discours est moins ambi­tieux, mais tout aussi porteur d'une vérité petite-bourgeoise, dont l'on cherche de moins en moins à limiter l'influence.

À ces deux formes d'avant-garde, nous pourrions ajouter certaines manifestations du courant gravitant autour des «politisés-es chrétiens-nes», très actifs-ives historique­ment dans les locaux de l'OPDS. D'une avant-garde à l'autre, l'on retrouve les mêmes prétentions d'éducation et de direc­tion des masses. Du «mlisme» au «commu-nautarisme», en passant par les «politisés-es chrétiens-nes», l'effet est souvent le même; ce n'est que le style et l'ambition qui varient. Ceci dit, nous tenons à faire une mise au point. Nous ne nions nullement la sincérité et la qualité du travail passé et présent des militantes et militants qui peuvent s'identi­fier à ces courants. Nous soulignons simple­ment les limites passées ou présentes de pra­tiques qui s'apparentent à la notion d'avant-garde. Pour nous s'impose ici une remise en question globale qui ne se limite pas unique­ment au discours politique. Ce qui apparaît plus important, c'est «de remettre en ques­tion les pratiques de domination de la petite-bourgeoisie plutôt que de les dissimuler sous des diseussions sur les «erreurs» de ligne politique»17.

Savoir quitter sa place

Si notre critique de la petite-bourgeoi­sie intellectuelle peut sembler radicale à plu­sieurs, elle n'en nie cependant nullement les apports historiques au plan de la formation, de la capacité d'analyse, etc. Ce que nous questionnons, c'est la petite-bourgeoisie comme maître d'oeuvre des organisations populaires.

Les intellectuels-les qui assument en solo le leadership dans les organisations populaires ne peuvent pas faire de leur orga­nisation une organisation populaire sans déplacer petit à petit leur influence d'une position dominante vers une position de soutien. C'est ce qui s'est passé à l'ADDS; nous ne voyons pas pourquoi c'est impossi­ble ailleurs, même si les conditions sont peut-être plus propices à une mobilisation sur ce terrain, à cause de la similitude de conditions des assistées sociales. Sinon, toute organisation s'enlise dans son petit pouvoir; elle devient une organisation qui, tout en défendant les gens de façon décente, s'avère très proche des institutions gouver­nementales officielles qui «servent» elles aussi la population. Donnons alors à l'orga­nisation le crédit de le faire mieux, avec un discours plus radical, sans plus.

Une organisation populaire ne devient populaire que lorsque son contrôle quoti­dien passe entre les mains de la base. Mais attention! Ça n'élimine pas toutes les contradictions et les difficultés. De nou­veaux pouvoirs d'«establishment» populaire peuvent aussi se créer. Bien sûr, et nous sommes conscients, c'est un idéal vers lequel l'on tend sans qu'il soit nécessairement pos­sible de l'atteindre parfaitement. Mais, à nos yeux, les organisations populaires doivent tendre à être « des lieux où des hommes et des femmes du peuple peuvent faire l'expé­rience d'une démocratie plus vivante. Ils peuvent et doivent être des centres d'éduca­tion où, à travers les services et les luttes qu'ils mènent pour une amélioration des conditions de vie, s'élève le niveau de conscience des membres. Les groupes et organisations populaires devraient être aussi des lieux où se développe la solidarité et où se bâtit l'unité la plus grande entre toutes les couches du peuple»18.

Difficile défi, auquel rêvent à tort ou à raison encore bien des militants et mili­tantes.

Nous pensons que Gramsci peut nous permettre d'avancer sur ce terrain difficile. Gramsci a élaboré le concept d'«intellectuel organique». Que dit au juste Gramsci à ce sujet? Il soutient qu'il est impossible d'envi­sager un progrès social quelconque s'il n'y a pas un travail conjoint entre les masses et les intellectuels-les.

2.3. Des pistes pour une meilleure démocratisation

Les éléments que nous venons de pré­senter ne sont pas sans exiger des transfor­mations réelles de la réalité de bien des orga­nisations. Il nous semble important de tenter de tracer les voies qui permettent une relance et un renouvellement des pratiques. Pour les organisations étudiées, cette relance passe, bien que de façon différente, par une redéfinition des rapports intellec­tuels-base. Il nous apparaît essentiel de tra­vailler dans cette direction à partir de la pré­sente réalité des organisations. Dénoncer des attitudes, c'est une chose, tracer des pistes de travail en est une autre.

La rencontre de deux savoirs

Le fer de lance de toute transformation sociale, c'est la rencontre de ces deux savoirs, qui se complètent.

«L'élément populaire «sent», mais ne com­prend pas ou ne sait pas toujours; l'élément intellectuel «sait», mais ne comprend pas ou surtout ne «sent» pas toujours. (...) L'erreur de l'intellectuel consiste à croire qu'on peut savoir sans comprendre et surtout sans sentir et sans être passionné»19.

C'est donc uniquement dans la mesure où l'intellectuel-le prend option pour une démarche qui lui permette de lier sa connais­sance au vécu et à la connaissance populaire que son savoir peut servir à faire avancer la libération des masses. À défaut d'un tel rap­port, il s'isole et devient plus un bureaucrate qu'autre chose.

«En l'absence d'un tel lien, les rapports de l'in­tellectuel avec le peuple-nation se réduisent à des rapports d'ordre purement bureaucrati­que, formel; les intellectuels deviennent une caste ou un sacerdoce»20.

L'histoire, ici comme ailleurs, nous confirme la pertinence de tels propos. Voilà donc ramassé l'essentiel du rapport intellec­tuel-masse que privilégie Gramsci. C'est uni­quement dans ce cadre que le concept d'«in-tellectuel organique» s'applique. Toutefois, ne devient pas «intellectuel organique» qui veut. Il faut que les intellectuels-les de formation «réalisent une révolution radicale dans leurs idées: ré-éducation longue, dou­loureuse, difficile. Une lutte sans fin, exté­rieure et intérieure»21. L'«intellectuel organi­que» issu des masses fait face lui aussi à mille et un défis, d'un ordre différent.

Nous pensons que de tels propos réac­tualisent la nécessité d'une rencontre entre le savoir intellectuel et le savoir populaire. Nous pensons que «c'est par l'apprentissage du respect des autres «compétences», ne serait-ce qu'à des fins pédagogiques, que doit passer le renouvellement de la gauche québécoise. En un sens, les intellectuels de gauche doivent apprendre à servir l'expres­sion des autres plutôt qu'à «planter» du haut de leur logique»22.

Si «ces savoirs (...) ont à se reconnaître mutuellement et à maturer ensemble afin de se féconder»23, quels sont les mécanismes qui permettront cette rencontre. Nous pen­sons qu'au sein des organisations, cette transformation passe par un nouveau lea­dership, un travail de formation différent, une démarche d'analyse renouvelée de la part des intellectuels-les qui tendent à deve­nir plus «organiques».

2.3.1. Vers un nouveau leadership

Une remise en question du fonctionne­ment de type «avant-garde» ne nie cepen­dant pas la nécessité d'un leadership au sein de toute organisation et au coeur de toute lutte. Tout processus de démocratisation, qui passe nécessairement par une prise en charge de la base, ne doit pas évacuer cette dimension.

Ce qui fait la force de l'ADDS, c'est sa capacité d'intégrer les assistées sociales à la lutte par différents niveaux de participation et d'établir un équilibre et un contact entre le travail de quartier et celui de secrétariat qui assume la direction de la lutte. Il est clair que la démocratisation d'un groupe en lutte ne nie pas du tout l'existence d'une direction à la lutte. Il est clair que, si la démocratie exige une participation et un contrôle maximal de la base, il va sans dire qu'elle n'enlève pas la possibilité de mandats révisables régulière­ment. Comme on doit souvent prendre des décisions très rapides qui ne permettent pas toujours une consultation large, surtout en temps de lutte, il faut prévoir des mandats, entre les assemblées de quartiers ou les assemblées régionales, et «plus le mandat des membres est clair et fondé sur la confiance, moins il est besoin d'alourdir le processus d'action à chaque étape»24.

Ceci dit, mandat clair ne veut pas dire mandat aux intellectuels-les, initiateurs-trices de la lutte ou autres; à ce niveau-là comme dans toutes les autres tâches de tra­vail, il faut faire de plus en plus de place aux participants-es issus-es de la population. Bien sûr, il n'y a pas de loi et il faut tenir compte du degré de démocratisation de l'or­ganisation. Au début de la lutte de la taxe d'eau, le comité de lutte n'était pas sous contrôle des assistées sociales. Il a fallu trois années avant que la démocratisation se fasse officiellement. À lire les témoignages de gens qui ont vécu l'époque, il est clair que les assistées sociales n'auraient pas pu assumer seules la lutte, du moins à ses débuts.

Les intellectuels-les avaient donc effec­tivement une place dominante et ils se devaient d'assumer le leadership tant et aussi longtemps que la relève n'était pas apte à les remplacer adéquatement. Cette expé­rience nous enseigne que le développement de nouveaux rapports entre les intellectuels-les et la base passe par des étapes qui permettent le développement d'un leadership auto­chtone. Il n'est donc nullement souhaitable que les «petits-bougeois» sortent en vrac et partent sans laisser d'adresse. Malheureuse­ment, c'est pourtant ce qui s'est fait parfois:

«un bon matin, ils sont arrivés au local; il y en avait quatre qui avaient démissionné pour aller fonder le parti; ces gens-là ont fait un bon boulot, mais les assistés sociaux se sont retrouvés du jour au lendemain à ne pas savoir ce qu'il y avait dans les filières»25.

La montée d'un leadership véritable­ment populaire nécessite donc que les intel-lectuels-les, dans un premier temps, assu­ment ce leadership, avec toutefois la conviction politique de ne pas en faire en soi une finalité. Cette façon de concevoir le développement de la prise en charge évite le piège d'un «populisme» extrême, qui nierait les étapes de transition nécessaires à une telle démarche.

Les organisations étudiées (pensons surtout à l'ACEF et au Regroupement) sont dirigées par des intellectuels-les. Nous pen­sons que c'est à partir de cette réalité que ces organisations doivent travailler à se trans­former, si la volonté politique d'une telle transformation s'avère présente. Et c'est à travers tout le travail d'éducation populaire et de formation que cette transformation peut prendre tout son essor. Avant d'abor­der cette dimension, soulignons que pour des groupes d'assistées sociales, le défi actuel se situe plutôt au niveau du développement d'une relève de qualité, de façon à éviter que ce soit toujours les mêmes assistées sociales qui assument la direction de l'organisation.

2.3.2 pour une formation totale

Tout ce qui entoure la question de la formation s'avère bien souvent au coeur du questionnement des groupes, qu'ils soient aux prises avec des difficultés internes ou non. En fait, c'est fort compréhensible, compte tenu de l'importance de cette dimen­sion pour tout groupe qui cherche à être autre chose qu'un dispensateur de services. Il en fut question au Regroupement:

«Nous devons aussi avoir la préoccupation continuelle d'expliquer à nos membres les limites de nos luttes dans le système actuel et de favoriser la prise de conscience de leurs intérêts de classe et d'intérêts divergents des classes de la société»26.

À l'ADDS:

«La façon la plus efficace de faire en sorte que tous les membres se sentent impliqués, c'est de leur assurer une bonne formation. Des cours de formation bien structurés sur la loi d'aide sociale, sur l'organisation de notre mouve­ment ainsi que sur les raisons politiques de nos conditions de vie déplorables, nous aide­raient à mieux saisir le pourquoi de notre situation et à mieux comprendre et articuler nos revendications et nos luttes»27.

Nous pourrions aligner longtemps ce genre d'exemples. Tous sont bien conscients de l'importance de la formation pour déve­lopper un groupe et une lutte. La lutte de la taxe d'eau nous en confirme bien, de façon pratique, toute la portée idéologique et mobilisatrice. De plus, si la formation est importante pour le développement du groupe, elle l'est aussi pour les personnes rejointes par le groupe.

«Venir dans le groupe ça me rapporte beau­coup; ça me réveille à plein de choses, ça m'oblige à changer des habitudes»28.

«Ce que j'ai appris m'a beaucoup aidé: main­tenant je vais en aider d'autres; mais là aussi j'apprends; j'apprends des autres qui vien­nent»29.

La formation, ce n'est pas juste une idée farfelue de militants-es; les gens ne sont pas des «nonos». S'ils font quelque chose, ils veulent que ça leur rapporte. Ils veulent apprendre, avancer, connaître de nouvelles choses. Il ne faut surtout pas perdre de vue cet aspect.

Dans les extraits que nous venons de citer, nous mettons le doigt sur les diffé­rentes facettes d'une formation; le côté tech­nique, mais également la dimension politi­que. Car une formation n'est pas qu'un ramassis d'éléments techniques à ingurgiter rapidement  pour être capable de faire la «job» adéquatement; c'est bien plus que cela, du moins lorsque l'on se démarque du ser­vice et de sa spécialisation. Nous ne ferons pas ici le tour des modalités concrètes de for­mation. Nous nous arrêterons plutôt sur l'esprit inhérent à toute démarche de forma­tion à caractère plus «politique». Il est très clair, à ce stade-ci, que toute formation devra s'enligner sur une volonté clairement affirmée à tous les niveaux, que la lutte qui se vit et se développe soit prise en charge et contrôlée de plus en plus par la base. Elle doit donc permettre aux gens de se battre adéquatement par leurs propres moyens.

La «conscientisation»

Pour nous, c'est le courant de la «conscientisation», dont nous avons déjà mentionné l'existence, qui semble apporter les meilleures réponses, basées sur un mini­mum de pratiques et de bases théoriques. Mais attention! Il n'y a pas de modèle par­fait. Nous voyons toutefois dans ce courant, inspiré des travaux de Paulo Freire, des élé­ments fort intéressants. Dans l'esprit de ce courant, toute formation doit tendre à se faire de façon essentiellement dialogique. Qu'est-ce qu'une relation dialogique?

« (...) c'est l'échange égalitaire entre les indivi­dus sur leur perception du monde. C'est une façon différente de concevoir l'acquisition de connaissance, au lieu d'emmagasiner un savoir préparé à l'avance par un expert, les individus sont invités à acquérir des connais­sances en analysant ensemble la réalité vécue»30.

L'éducation dialogique porte en elle des prérequis. Freire en identifie cinq: l'amour, l'humilité, la confiance, l'espérance et une pensée authentique et critique. Elle est tout le contraire d'une éducation «bancaire» où le savoir passe de haut en bas, de celui qui sait à celui qui doit tout apprendre. Cette forma­tion et éducation dialogique «interdit dès Je départ, toute pratique d'endoctrinement et de manipulation, toute attitude dogmatique et autoritaire»31. Freire est très radical là-dessus, allant même jusqu'à dire que «dans le processus révolutionnaire, le leader ne peut être «bancaire» dans un premier temps et ne plus l'être ensuite»32.

La formation, essentielle à tout proces­sus de lutte, doit donc se vivre à travers des rapports les plus égalitaires possibles. Mais ne nous leurrons pas. À nos yeux, même si nous rejoignons l'esprit général du courant de la conscientisation, il n'y a jamais de rap­ports d'éducation totalement égalitaires. Tous ceux et celles qui se retrouvent dans une position de formateurs-trices se situent du même coup dans une position domi­nante.

Le leader «intellectuel organique», quelle que soit sa formation initiale (haute scola­rité ou non) peut tendre à être le moins dominant possible, mais ce ne sera jamais réalisable à 100%. Il possède un savoir et désire transmettre un contenu, ce qui lui confère un pouvoir. Ce pouvoir n'est pas négatif en soi; c'est plutôt la façon de l'assu­mer qui peut faire problème. De là, la néces­sité d'établir des formes de transfert d'infor­mations et de connaissances qui permettent un maximum d'échanges et qui évitent de conférer à l'éducateur-trice un statut de supériorité évident.

Dans son ensemble, cette approche de la formation et de l'éducation populaire, bien que soumise elle aussi à des limites, nous apparaît porteuse des bases idéologi­ques nécessaires à l'application concrète du concept de «guerre de position». Nous avons déjà signalé, dans notre analyse de la lutte de la taxe d'eau, le développement d'une straté­gie de formation orientée en ce sens. Le tra­vail des «intellectuels organiques» présents à l'ADDS s'inscrivait dans une démarche qui s'apparentait à la «guerre de position». C'est une stratégie de pénétration idéologique de la société civile par les forces progressistes d'une société donnée. Ce travail idéologique passe donc par tout un travail de conscienti­sation, de développement de la «conscience de classe».

C'est cette forme d'intervention au coeur de la société civile que nous privilé­gions nous aussi pour transformer les rap­ports sociaux dominants. Le rôle des «intel­lectuels organiques» devient alors prépondérant.

Pour assumer cette tâche, les intellectuels-les scolarisés-es ou formés-es sur le ter­rain doivent être en mesure de comprendre et d'analyser adéquatement les enjeux pré­sents dans une société et travailler à les transmettre dialectiquement aux masses populaires. Nous entrons dans un dernier point, celui de la transformation du savoir intellectuel.

2.3.3. Utiliser différemment le savoir intellectuel

Le déroulement de cette recherche ne nous permet pas de nous étendre à fond sur cette question. Nous voudrions simplement terminer ce chapitre en soulignant qu'à nos yeux, il est important de développer un savoir intellectuel qui puisse s'articuler au développement des luttes populaires et ouvrières. Attention! Nous n'entendons pas par là que tout ce qui se pense à gauche doit nécessairement avoir une application directe dans un milieu donné. Ceci est par­fois souhaitable et c'est une avenue qui reste encore à explorer amplement.

Ceci dit, une réflexion purement théori­que a aussi, nous ne le nions point, sa valeur propre. Ce que nous questionnons, c'est la pertinence de la réflexion théorique pour initiés-es seulement. À quoi sert-il de discou­rir sur la crise économique et la crise de l'État si ce discours se restreint aux cercles intellectuels et fermés d'un quelconque milieu?

Devant une telle approche, nous sommes naturellement portés à nous demander où réside la différence entre ce type d'échanges intellectuels et ceux que l'on retrouve dans certaines revues scientifiques. Parfois, nous avons la forte impression que c'est l'objet qui diffère, sans plus. Gramsci, s'il soulève la nécessité que des intellectuels-les se fondent au sein du prolétariat en tant qu'«intellectuels organiques», n'en souligna pas moins la nécessité pour les intellectuels-les de pénétrer leur propre classe.

 « (...) il est aussi important et utile que dans la masse d'intellectuels se détermine une rupture de caractère organique, historiquement caractérisée; que se forme comme formation de masse une tendance de gauche, au sens moderne du terme, c'est-à-dire orientée vers le prolétariat révolutionnaire»33.

Mais cette hégémonie, nous l'avons vu, ne peut se vivre uniquement de façon théori­que. Elle nécessite un minimum de liens, de connaissances, de contacts. Elle exige un mouvement, un échange régulier entre les deux classes représentatives des deux savoirs. En ce sens, si la recherche à gauche nous apparaît fondamentale, sa transmis­sion et sa vulgarisation le sont aussi. Mal­heureusement, ce travail de vulgarisation se fait souvent attendre. De plus, pour que cette recherche soit pertinente, il faut qu'elle ait un minimum de liens avec ce qui se vit à la base en milieu ouvrier et populaire.

Dans notre esprit, c'est essentiellement dans cette voie que le savoir intellectuel de gauche doit se développer s'il veut véritable­ment jouer le rôle qui lui incombe. Car c'est de cette façon que les intellectuels-les pour­ront «aider le mouvement de masse à clari­fier des perspectives que la crise théorique actuelle rend obscures, en incorporant pro­gressivement les développements théoriques et pratiques des divers mouvements sociaux afin de parvenir à une compréhension tou­jours meilleure du monde»34.

3. L'orientation politique: un fil conducteur essentiel

Dès le départ, nous affirmerons que la question de l'orientation politique fut au coeur des enjeux passés et présents de cha­cune des organisations étudiées. Elle se pré­sente différemment d'un groupe à l'autre, mais elle fait sa marque partout. À l'ACEF, cette dimension tue dans l'oeuf toute velléité de travail concerté et plus offensif. Au Regroupement, le décalage, à ce niveau, entre la direction et les groupes membres bloque le développement du travail concerté et crée une situation pour le moins caho­teuse entre les différents actrices et acteurs.

À l'ADDS, à l'époque de la première étape de la lutte de la taxe d'eau, c'est un minimum de cohésion et de volonté politi­que similaire qui permet le développement de la lutte et de l'organisation. À partir de 1976, ce sont des divergences profondes à ce niveau qui entraînent la crise de l'organisation. Plus récemment, tant à l'ADDS qu'à l'OPDS, les débats qui marquent chacun des groupes touchent, pour le fond, à cette dimension. Nous pensons, entre autres, à cette peur, présente principalement dans les locaux de quartiers, de sortir du petit train-train quotidien, de prendre des risques, etc. Ce tour d'horizon qui saisit l'essentiel des propos élaborés précédemment sur cette question nous porte à conclure que, quel que soit le «visage» qu'elle prend, la dimension politique est toujours présente dans un groupe populaire. C'est aussi politique de choisir délibérément de faire d'abord du ser­vice pour mieux soulager une population dans le besoin que de travailler à mettre en place la lutte du siècle pour renverser la bourgeoisie. Bien sûr, l'objectif immédiat et de fond, ainsi que les moyens mis de l'avant peuvent être à cent lieues de distance. Mais l'effet, le résultat, à l'intérieur comme au niveau  social, est carrément  politique.  À l'interne, le choix orientera la façon de tra­vailler, le type de participation, etc. Au niveau social, il touchera la façon de rejoin­dre la population, les rapports à l'État et au système politique en place, les rapports aux bailleurs de fonds, etc.

Si l'on admet que tous les actes posés sont politiques, une déduction s'impose d'emblée, amplement confirmée par l'en­semble de cette recherche: la nécessité d'une cohérence interne à ce niveau. Sinon, l'inef­ficacité et l'anarchie seront maîtresses, mal­gré toutes les bonnes volontés du monde. Pour des organisations populaires de gauche, qui cherchent à regrouper, à organi­ser et à défendre les droits de certains sec­teurs de la population dans une perspective progressiste et anti-capitaliste, c'est le risque que se superpose alors le réflexe normal de retrait sur les acquis, sur ce que l'on connaît, sur ce qui ne fait pas trop de problème. Ce risque, il a un nom: le service, le service non pas comme moyen, mais comme finalité. Toutes les organisations analysées sont tom­bées à un moment ou l'autre dans ce piège à cause de l'absence de fil conducteur, de cohérence, de vocation première admise, comprise et transmise.

Pierre Hamel, dans son analyse des luttes sur le logement à Montréal entre 1963 et 1976, faisait le même constat et estimait que ce manque avait un impact sur la mobi­lisation.

« (...) en l'absence d'une contre-idéologie sys­tématisée, en l'absence d'un modèle alternatif structuré, il demeure souvent difficile de pro­duire instantanément sur le coup, dans le feu de l'action, à la fois les points de référence, les points d'appui nécessaires à la dynamique de la mobilisation et les horizons politiques, les lignes idéologiques, par rapport auxquelles la mobilisation prend une signification»35.

Cette absence d'orientation politique minimalement structurée nuit donc sérieu­sement à l'identification potentielle de la population-cible aux objectifs de l'organisa­tion en lutte. Sans cette identification à caractère plus «global», c'est l'appareil qui prend alors le dessus. Un appareil qui porte souvent à développer des compétences «d'appareil» dans lesquelles il est possible d'être «ben» pour autant que personne ne vienne déranger cette situation figée. Mais toute organisation dont la finalité est autre, comme le sont théoriquement les groupes analysés, ne peut en rester là. Elles se doi­vent de faire les débats avec les risques que cela comporte. Mais est-ce plus risqué de les faire que de les éliminer?

Si, à court terme, l'exigence est grande, elle ne peut qu'être généralement salutaire à plus longue échéance, puisque, de toute façon, les débats sont latents. La question du leadership reprend ici toute sa place, leadership plus politique qui passe par un respect du monde et de la composante prolé­taire du groupe, qui cherche à ménager, plus dans le style que dans le contenu; un leader­ship qui s'identifie à la définition d'intellec­tuel organique. Un leadership politique qui s'avère fondamental pour «forcer» un tant soit peu aux débats. Un leadership qui ne nie nullement la dimension dialogique précé­demment avancée.

«Les militants qui proviennent des différents appareils idéologiques, (...) au contact de la population qu'ils désirent mobiliser, convertir à leurs idéologies respectives, sont obligés de (…) déjà structurée, bien que non organisée »36

Telle est la rançon de toute volonté politique d'insérer sa démarche au coeur des masses, sans en nier les difficultés et contra­dictions; c'est la position qui nous apparaît la plus porteuse de potentialité véritable­ment révolutionnaire.

Conclusion: quelle voie?

Nous aimerions en terminant tenter de dégager les voies qui, selon nous, s'offrent aujourd'hui au mouvement populaire et en partie à son allié naturel historique le mou­vement ouvrier. Nous en voyons essentielle­ment trois: celle de la concertation, de l'au­togestion alternative, et enfin celle d'un nouveau projet politique à construire en marge des deux précédentes avenues. Compte tenu qu'il s'agit d'une conclusion, nous convenons que notre démonstration sera très succincte et sûrement incomplète. À chacun-e de continuer le débat dans son milieu.

La voie de la concertation

La voie de la concertation nous semble être la voie choisie par une partie tout au moins du monde syndical: la FTQ en est un bon exemple, sans parler de l'inénarrable CSD. La création récente par la FTQ du Fonds de solidarité nous apparaît comme un exemple éloquent de concertation tripar-tite. Le syndicalisme doit être alors consi­déré comme étant un véritable «agent social» afin de parvenir à ce «que les discus­sions qui se tiennent avec les autres agents sociaux au Québec, dont le patronat et le gouvernement, se fassent dans le cadre d'une volonté bien assistée de mettre en commun nos énergies et nos ressources pour le mieux-être de la collectivité»1.

Ce type de sortie de crise nous apparaît en parfaite cohérence de pensée avec celle que tient actuellement le pouvoir dominant. Si les dernières années ont frappé durement les travailleurs-euses organisés-es, il semble maintenant que le discours dominant en appelle à une nouvelle approche au niveau des relations de travail. Après avoir constaté l'impossibilité flagrante de sortir de la crise avec des politiques conservatrices à la Rea­gan, la concertation apparaît comme le «new deal» des années 80.

Cette voie fait carrément le jeu des forces dominantes de notre société. Elle ne permet en aucun cas de trouver des alterna­tives vraiment viables à long terme pour les travailleurs-euses. Elle n'est que panacée aux difficultés actuelles. Il y a dix ans, per­sonne ne parlait de «concertation» au niveau patronal et gouvernemental. Tout simple­ment parce qu'ils n'en avaient pas besoin pour rentabiliser le système. Ce n'est que quand le système trébuche que la concerta­tion devient intéressante, car c'est une des pistes qui permet peut-être, pour un temps tout au moins, de relancer l'économie.

Pour le mouvement populaire, cette voie ne mène nulle part. Généralement pas assez important économiquement, il ne sera pas appelé à se concerter très souvent. Et nombreux sont les exemples historiques ici comme ailleurs qui marquent rapidement les limites de ce petit jeu. Le risque le plus grand pour la gauche populaire et syndicale, c'est que le mouvement syndical se concerte avec l'État et le patronat au détriment de son partenaire populaire, plus petit et plus isolé. Dès lors, n'est-il pas envisageable qu'une portion importante du mouvement ouvrier, choisissant cette voie, devienne partie pre­nante d'un nouveau «contrat social» qui isole un mouvement populaire limité et affaibli? Le mot «corporatisme» nous appa­raîtrait bien faible pour qualifier une telle situation.

La voie de l'autogestion alternative

Un second courant, à première vue tout à fait à l'opposé du premier se développe de façon sensiblement rapide depuis quelques années. Nous l'appellerons «autogestion­naire», même si ce terme est très large et n'en rend pas toutes les nuances. Cette piste alter­native a ses penseurs: le plus connu de tous étant André Gorz. Pour lui la société de demain doit reposer sur une double struc­ture, l'hétéronomie et l'autonomie.

«La première assure la production program­mée, planifiée, de tout ce qui est nécessaire à la vie des individus et au fonctionnement de la société, le plus efficacement (...). Dans la seconde, les individus produisent de façon autonome, hors marché, seuls ou librement associés des biens et services matériels et immatériels, non nécessaires mais conformes aux désirs, aux goûts et à la fantaisie de cha­cun»2.

Pour Gorz, ce qui est essentiel, c'est la possibilité de développer le travail auto­nome, donc libre de toutes contraintes de production. Cette possibilité d'occuper à sa guise une vaste période de temps libre, vien­drait de l'assurance d'un revenu garanti à vie originant d'un travail minimal au niveau hétéronome.

Nous pourrions nous étendre long­temps sur les thèses de Gorz et du courant qui s'en inspire. Dans le même sens le mini-manifeste accompagnant le premier numéro de la revue québécoise «Idées et pratiques alternatives», propose essentiellement ceci:

« (...) il s'agit donc de ne plus confondre la société avec l'État, ses dirigeants et sa bureau­cratie pour créer, dès aujourd'hui, les condi­tions sociales et culturelles qui rendent possi­ble l'avènement d'une société autonome»3.

Pour eux, «le droit à l'autonomie est universel» et constitue l'esprit de fond qui doit orienter ce nouveau mouvement alter­natif. Cette prise en main par les individus, les groupes, les communautés locales, passe par la voie large de l'autogestion qui peut se vivre de différentes façons: coopératives de production, d'alimentation, de logements; petites entreprises de récupération, d'auto-construction; concertation entre les diffé­rents intervenants-es dans une communauté donnée, etc. Ce courant nous est sympathi­que sous certains aspects: prise en charge locale, autonomie, alternatives, etc., autant de mots-clés avec lesquels nous nous accor­dons bien.

Là où nous décrochons, c'est première­ment au niveau de la naïveté politique du courant autogestionnaire. La thèse implici­tement derrière, c'est de transformer par l'intérieur la société dominante; l'on ne veut surtout pas gouverner. Or l'histoire ne nous enseigne-t-elle pas le cul-de-sac prévisible d'une telle orientation?

« (...) il n'est pas mauvais de rappeler que toute l'expérience historique est là pour démontrer qu'un autre mode de croissance ne parvient jamais à s'affirmer à partir d'un sec­teur ou d'îlots au milieu d'une société qui, glo­balement, fonctionne selon une autre logi­que»4.

Deuxièmement, nous questionnons sérieusement la composante de classe et les alliances de classe qui se dégagent de ce cou­rant. Y a-t-il place dans une véritable alter­native de gauche pour un côtoiement aussi boiteux que celui qui met dans le même panier le pdg de RONA et le travailleur-euse membre d'une coopérative d'habitation5?

Troisièmement, ce courant fait essen­tiellement le jeu du pouvoir dominant:

«Des gens comme André Gorz donnent une sorte de légitimation «de gauche» à des thèses technocratiques et à partir des mêmes argu­ments»6.

Globalement cette alternative s'inscrit par­faitement dans les visées étatiques actuelles:

«Ils imagineront alors peut-être «prendre leurs affaires en main» sans s'apercevoir que ce sont, en réalité, celles que l'État leur aura confiées»7.

Quelle logique derrière tout cela?

«L'abandon du projet de destruction du rap­port de production capitaliste donne lieu à une intense production «théorique» destinée tout à la fois à consoler les néo-petits-bour­geois (...) et à présenter aux foules les diverses solutions de rechange qui aident la bourgeoi­sie à perpétuer son règne par nouvelle petite-bourgeoisie interposée»8.

Serions-nous encore devant un nou­veau «trip» de petits-bourgeois intellectuels dont le projet néglige la transformation des conditions de vie des classes ouvrière et populaire?

Une troisième

Sortir de l'isolement

La première chose qui nous semble essentielle pour qu'une autre avenue soit viable, c'est que les groupes sortent du «cha­cun pour soi» dans lequel ils se referment parfois et ce, dans beaucoup de milieux. Dans un contexte de crise, le réflexe premier d'individus c'est de tenter de s'en sortir soi-même avant tout. Ce réflexe est souvent emprunté par les groupes à l'heure actuelle. Sous prétexte que rien ne fonctionne, tant localement que nationalement, l'on préfère le repli sur soi y voyant une possibilité de refaire ses forces afin de mieux repartir.

Nous avons souligné dans la synthèse l'importance d'une cohérence minimale au sein du groupe. Cependant, cette recherche d'orientation ne doit pas nécessairement se faire en vase clos. Le localisme à tout crin n'arrangera rien. Ainsi, est-il paradoxal que bien des organisations se méfient des regroupements alors même qu'elles propo­sent aux gens de se regrouper pour défendre leurs droits! Les groupes dans leur fonction­nement renverraient-ils une image contraire au message véhiculé?

Nous pensons que malgré les faiblesses des coalitions existantes, qu'elles soient locales, régionales ou nationales, il en va de la survie même du mouvement populaire que les groupes investissent en leur sein, sans nécessairement le faire aveuglément. Sortir du localisme ne veut pas dire aller se noyer dans un regroupement qui écrase et détruit le spécifique de chacun. Au même titre qu'un groupe doit permettre à chaque mem­bre de développer ses capacités et ses forces, dans le respect de son identité, l'unité doit passer par les mêmes voies. Ce qui nous amène à dire que «la solution populaire est donc dans l'articulation contradictoire de la diversité et de l'unité»9.

Passer à l'offensive

Le second point qui nous apparaît criant à l'heure actuelle, c'est d'être capable de dépasser les perspectives défensives de lutte. Attention! Nous n'avançons pas par là qu'il faille balayer du revers de la main toutes les revendications à caractère défensif (ex.: taxe d'eau). Que non! Nous avons vu combien ces revendications peuvent être mobilisatrices et les négliger serait nier le sens même de l'existence des groupes. Ce que nous disons, c'est qu'il faut avoir autre chose à offrir dans le quotidien et dans les luttes qu'un discours de dénonciation.

 Le rapport du colloque de l'ICEA sur «La continuité dans les organisations popu­laires» souligne que, particulièrement chez les jeunes, il y a recherche chez beaucoup de monde de quelque chose de «constructif»10 qui puisse leur permettre d'espérer un chan­gement véritable.

Dans son étude sur les luttes sur le loge­ment, Pierre Hamel avance que «les organi­sations n'arrivent pas à dégager de solutions viables à court terme, de réponse satisfai­sante, permettant d'entrevoir que tous ceux qui ont été mobilisés sont en mesure, collec­tivement et à coup sûr, de renverser les rap­ports de forces en faveur de la base sociale, dans le sens des intérêts de ceux qui luttent. Autrement dit, la perspective d'action que les organisations, les comités de lutte offrent à la base sociale manque de crédibilité»11. La construction de cette crédibilité, de cette confiance passe donc par des alternatives sérieuses et articulées au coeur même des luttes. Des alternatives compréhensibles, non utopiques, qui peuvent s'enraciner dans le vécu des gens. C'est toute une commande!

Un projet de société

Ceci nous amène à notre troisième point. La nécessité de développer, à partir des deux premières pistes avancées, un pro­jet de société articulé. En fait tout se tient. Si le localisme et la perspective défensive de lutte «s'expliquent finalement par la fai­blesse de l'articulation de ces luttes à un pro­jet de société»12, pour construire cette alter­native, il faut en sortir.

Dans le contexte de crise que nous vivons, il nous apparaît impérieux de passer à l'éducation et à l'action politique d'une façon plus réfléchie et concertée. Allons-nous pendant dix ans encore claironner que la politique plus organisé nous fait peur parce que les «mls» nous ont marqué? Nous ne pensons pas qu'il faille ici se lancer dans l'organisation politique, en y voyant là le salut à tous les maux. Nous pensons qu'il est temps cependant d'accélérer le questionne­ment sur les alternatives à la société actuelle.

Paradoxalement encore une fois, il y a 10-12 ans, en période de prospérité, le dis­cours dominant dans la gauche en était un de brisure avec le système; rappelons-nous le Front commun de 1972. Puis, au coeur même de la crise, alors que le même système éclate de partout, nous en réclamons prati­quement  le  retour  pour mieux vivre.  La majorité des revendications des organisa­tions ne tournent-elles pas souvent autour de la relance de l'économie capitaliste? Alors que c'est le temps ou jamais de travailler à autre chose, l'on travaille à réparer, dans certains cas avec le gouvernement et le patronat, les pots cassés.

Nous pensons qu'il est grandement temps de passer à autre chose. Cette autre chose, cette troisième voie (ou quatrième, si l'on  veut),  elle  doit,   sans  sectarisme,  se démarquer de la «concertation» et de «l'au­togestion alternative» qui ne sont qu'avenue de gestion de crise. Elle doit aussi garder en mémoire le cul-de-sac «ml» des dernières années. C'est à travers tout de dédale qu'il faut avancer. De toute façon, avons-nous le choix?... Il ne faut pas brûler les pancartes...

Quelques références

Nous vous soumettons, brièvement commentés, quelques ouvrages pour ceux et celles qui auraient le goût d'en savoir plus long ou d'aller un peu plus loin sur certaines questions. Il va de soi qu'il y a bien d'autre titres qui sont aussi fort intéressants.

D'abord, 2 compte-rendus de rencontres entre militants-es du mouvement popu­laire.

Deux textes de base porteurs du questionnement récent de militants-es du mouvement populaire au Québec.

Puis, sur les techniques d'intervention communautaire:

Sur le courant de la «conscientisation»:

Enfin, sur Gramsci:

Il n'y a pas actuellement en français de textes facilement abordables sur la pensée de Gramsci. Nous suggérons tout de même:

Le point de départ de cette brochure se trouve au coeur des préoccupations de bien des militants-es du mouvement populaire: quels sont les facteurs qui peuvent faciliter le regroupement et la mobilisation de certains secteurs de la population autour d'un enjeu qui les touche directement? Comment amener les gens à défendre leurs droits de façon collective?

Afin de dégager quelques pistes, de tirer des éléments de compréhension qui permettraient de répondre à ces ques­tions, cette étude reprend l'histoire de trois luttes populaires telles que vécues à Montréal: 1- la lutte contre l'endettement de l'Association coopérative d'économie familiale (ACEF) de Montréal; 2- la lutte pour le gel des loyers du Regroupement des comités logement et associations de locataires (RCLAL - ancien Regroupement pour le gel des loyers-RGL); 3- la lutte de la taxe d'eau de l'Association pour la défense des droits sociaux du Montréal-métropolitain (ADDSMM) et de l'Organisation populaire des droits sociaux (OPDS) de Mon­tréal. Quels furent les succès et les échecs de ces démarches? Quels acquis peut-on en tirer? Quelles pistes se dégagent pour l'avenir?

Ce travail, qui fut mené en collaboration avec des mili­tants-es de ces groupes, vise, par un regard sur le passé, à jeter un peu de lumière sur l'avenir... sur cet avenir que nous voudrions bâtir dans la perspective d'une société nouvelle. En ce sens, cette recherche trouve sa pertinence non seulement dans le mouvement populaire, mais aussi partout où de tels objectifs sont portés: le mouvement ouvrier, le mouvement étudiant, le mouvement des femmes, le mouvement pacifiste. Nous faisons le souhait que cette contribution soit reprise et débattue le plus largement possible.

Les auteurs, Jean Panet-Raymond et Jean-François René, militent dans le mouvement populaire depuis plusieurs années. Leur regard critique reste collé à une réalité qu'ils connaissent bien. Leur démarche, quoiqu'autonome au niveau du contenu, se veut solidaire d'un mouvement dans lequel ils croient toujours.

Notes

1 Pierre Hamel notait ceci clans son étude sur les luttes urbaines montréalaises de 1963 à 1976:

«(...) même si les militants et les organisations étaient en mesure de véhiculer des mots d'ordre plus offensifs, comptant sur un plus grand nombre d'éléments de rupture vis-à-\is l'idéologie dominante, ces prises de positions ne taisaient pas nécessairement écho, ne ren­voyaient pas directement à un niveau de conscience politique. Dans ce sens, elles n'indiquaient pas que. par exemple, l'on avait  identifié les moyens de combler les écarts entre l'avant-garde et la base. En même temps que les militants les plus avancés semblaient être mieux articulés sur le plan politique, l'on assistait à un désistement de la base. Ceci (...) pour montrer que le discours et les contenus idéologiques ne traduisent pas ouvertement le champ de pratiques». (Voir Hamel. Pierre. "Logement et luttes urbaines à Montréal». Cahier de recherche. I acuité de l'aménage­ment. Université de Montréal.  1983. pp. 276-277).

2 Panet-Raymond. Jean, extrait de propos tenu à l'occa­ sion du colloque sur «La continuité dans les organisa­ tions populaires». ICEA. octobre 82. p. 6.

3 Che/Gramsci.

"L'intellectuel organique a pour mission d'entrepren­dre et de promouvoir la réforme intellectuelle et morale qui fait accéder la masse tout entière au statut d'intellectuel, en brisant l'ancienne subordination du peuple à la culture traditionnelle et en le réconciliant a\cc sa propre culture». (Macciochi. Maria-Antonietta. «Pour Gramsci». Paris. Seuil.  1974. p.  165.)

4 Hamel. P.. op. cil., p. 72.

5 Ampleman. Gisèle. Doré. Gérald. Gaudreau. lorraine. Larose.   Claude,   Leboeuf,   Lucie.   Ventelou.   Denise. «Pratiques de conscientisation». Montréal. Éd. Nouvelle Optique. 1983, p. 291.

___________________________

1 Giguère, Maria. «L'ACEF arrache la première loi sur la protecton du consommateur» in S'En Sortir, vol. 6. no 4. nov. 83. pp. 19 et 20.

2 La CMC fut en quelque sorte un projet fédéral d'interven­ tion communautaire;

3 Entrevue no 19. p. 17.

4 Idem. p. 7.

5 «Les ACEF depuis 1962». FACEF. in Luttes Urbaines, vol. 2. no 2, p. 18.

6 «Il est proposé que l'ACEF se développe en une organi­sation de masse, i.e. une organisation où les masses déci­dent des luttes ainsi que des moyens de mener ces luttes à bien pour défendre leurs intérêts». Extrait du procès-ver­bal de l'Assemblée générale annuelle de la FACEF. mars 77. p. 8.

7 Dès le départ, l'on cherche à expliquer la teneur du champ de lutte:

«c'est l'endettement, causé par l'insuffisance de revenu et accentué par quatre mécanismes de production et de distribution: 1- la désuétude planifiée (l'usure préma­turée des produits et la mode qui impose le change­ment de biens); 2- la publicité; 3- le crédit; 4- les méthodes de vente». Panet-Raymond. Jean. «Le Manifeste du mouvement ACEF» in Revue internationale d'actions communau­taires no 2. automne 79. p. 90.

8 «Le Québec: de l'illusion de l'abondance à la réalité de l'endettement». FACEF. juin 1974. 658 pages.

9 Les ACEFs depuis 1962. op. cit. p. 19.

10 «Manifeste du mouvement ACEF», FACEF, mai 1978.

11 «L'avenir du Mouvement ACEF». position de l'équipe FACEF. janvier 1977. p. B-12.

12 Idem.

13 S'En Sortir, vol. 1, no 4. p. 2 (le suivi).

14 Idem. p. B-18.

15 Procès-verbal de l'Assemblée Générale de mars 1977. p.17.

16 L'avenir du mouvement ACEF. op. cit.. p. B-21.

17 «Cours sur le budget», texte de base pour l'assemblée générale du 25 juin 1980. p. I.

18 L'ACEF déposa un mémoire en novembre 78 devant la commission parlementaire qui étudiait cette question. Ce mémoire s'intitulait: «Laprotection des consomma­ teurs,  le mouvement ACEF se prononce».   Parallèle­ ment. l'ACEF publiera un dossier dans S'En Sortir à la fin de l'année 78 (vol. 2, no 2).

19 Kingsley, Nina, « Texte de réflexion sur l'organisation de masse». ACEF, février 1979. p. 3.

20 Groupe de recherche de l'ACEF de Villeray.

21 Idem. p. I.

22  «Deux réalités d'endettement, deux fronts de travail à développer», secteur Nord, mai 1980. p. 7.

23 Texte de Louise Miller et Nina Kingsley. «Qu'est-cequi ne va pas à l'ACEF?». p. 5.

24 Kingsley, Nina. op. cit., p. 3.

25 Idem. p. 4.

26 Idem. p. 6.

27 La question de la participation largement majoritaire des intellectuels à l'ACEF de Montréal à cette époque sera abordée amplement  par  Pierre  I.egros dans son mémoire de maîtrise en service social, intitulé«Partici­ pation et discours de mobilisation à l'ACEF de Mon­ tréal». Université de Montréal, mars 1980. entre autres pp.  141 et suivantes.

28 Idem. p.  14.

29 Nous référons aux textes de Nina Kingsley et à celui de N. Kingsley et de Louise Miller déjà soulignés.

30 «Compte-rendu de la tournée conjointe A CEF/FACEF des secteurs de l'ACEF de Montréal», 7 décembre 1977.

31 Idem. p. 27.

32 Entrevue no 20. p. 6.

33 S'En Sortir, vol. 4. no 2. janvier 1981. p. 3.

34 S'En Sortir, vol. 4. no I. automne 1980. p. 6.

35 Procès-verbal de l'assemblée générale de février 1981.

36 «Dossier No I, compagnies de finance». ACEF de Mon­ tréal, février 1981.

37 Document  préparatoire. Assemblée générale annuelle. ACEF de Montréal, mai 1981. p. 16.

38 Idem. p. 20.

39 Idem. p. 21. Un document de la FACEF sur l'organisa­ tion de masse fit office de référence «L'ACEFune orga­ nisation de masse pour défendre les intérêts des travail­ leurs     devant    les    agressions    capitalistes    de    la consommation». Exécutif de la FACEF, mai 1981.

40 Idem, p. 21.

41 S'En Sortir, vol. 5. no 2. février 1982. p.  1.

42 Idem. p. 6.

43 Procès-verbal du C.A. du 11 février 1982. pp. 3 et 4.

44 Idem.

45 Proposition de développement, relance de l'ACEF de Montréal, mars 1982. La proposition sera accompagnée d'un document de travail issu du secteur Nord sur «L'importance des secteurs autonomes à Montréal»,  mars 1982.

46 Proposition présentée aux membres du l'ACEF de Mon­ tréal par les quatre (4) membres dissidents du C.A.

47 Idem.

48 Procès-verbal de l'assemblée générale du 29 mars 1982, p. 4.

49  «Pistes d'orientation de l'ACEF de l'Est de Montréal». document de travail, juin 1982. p. 2.

50 Idem.

51 Idem.

52 Idem, p. 2.

53 Idem, p. 6.

54 Idem, p. 8.

55 Bulletin de l'ACEF du Nord de Montréal, octobre 1982. p. 2.

56 Voir plan de travail 82-83. «ACEF du Nord de Montréal», p. 2.

57 S'En Sortir, vol. 6. no 1, avril 83. p. 5.

58 S'En Sortir, vol. 6. no 2. juin 83. p. 6.

59 Idem.

60 S'En Sortir, vol. 6. no 3. septembre 83.

61 Nous empruntons ici les catégories du bilan à une grille d'évaluation créée par le Groupe de Recherche en Action Populaire (GRAP). et expliquée dans le cahier no. 3. «Pour faire le bilande nos luttes», par Gérald Doré.

62 Procès-verbal de l'assemblée générale spéciale de mars 1982. p. I.

63 S'En Sortir, vol. 4. no 2. janvier 1981. p. 3.

64 Document de travail du secteur Nord sur «L'importance des secteurs autonomes à Montréal», op. cit.. p. 8.

65 Idem. p. 9.

66 I.egros. P.. op. cit.. p.  142.

67 Idem. p. 143.

68 S'En Sortir, janvier 1981. p. 3.

69 Deux réalités d'endettement, op. cit.. p. 1.

70 Entrevue no 19. p. 15.

71 Idem. p. 17.

72 Nous pensons entre autres à André Gorz   Michel Bos­ quet, qui questionne au travers de ses derniers ouvrages la société productiviste et consommatrice actuelle et les sorties de crise socialistes traditionnelles. (Écologie et Politique en 1975. Écologie et liberté en 1977.Adieux au prolétariat en 1980). Ce courant que l'on pourrait quali­ fier «d'écologie politique» s'avère de plus en plus impor­ tant ici comme ailleurset ne se limite pas à André Gorz. loin de là.

73 S'En Sortir, janvier 1981. p. 3.

74 Entrevue no 19. p. 120.

75 Document préparatoire, op. cit.. p. 20.

76 Entrevue no 4. p.  15.

77 Entrevue no 3. p. 9.

78 Entrevue no 20. p. 15.

79 I.egros. P.. op. cit.. p.  142.

80 S'En Sortir, automne 1980. p. 2.

81 Extrait d'un rapport de réunion préliminaire de mili- tants-es tenue le 29 mai 1980; les soulignés sont de nous.

82 Extrait du procès-verbal de l'Assemblée générale du 23 février 1981. p. 6.

83 Document préparatoire, idem, p. 13.

84 Idem.

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1 Même si plusieurs textes ont, par le passé, abordé dilïé- rents aspects des luttes urbaines à Montréal, nous pen­ sons que la recherche de Pierre Hamel, intitulée «Loge­ ment    et    luttes    urbaines   à    Montréal».   Cahier   de Recherche.  Faculté de l'Aménagement.  Université de Montréal. 1983. s'avère présentement la référence la plus complète sur la question. Elle a le défaut toutefois, d'être la reproduction quasi intégrale de sa thèse de doctoral sur la question, ce qui rend le texte peu accessible. Nous nous y référons régulièrement dans les premières pages de ce chapitre.

2 Dans le premier cas. la Ville envisageait de détruire une soixantaine de maisons, à côté de la polyvalente Emile- Nelligan; objectif: aménager un parc. I es gens concernés se mobilisent et marquent leur détermination. La Ville propose alors des négociations afin que le parc soit relo­ calisé. Puis faisant fi des négociations, elle démolira la moitié des maisons afin de réaliser son projet.  Par la suite, de mars 76 à février 77. s'enclenche la lutte contre Clermont Motors, qui projetait de démolir près d'une cinquantaine de logements pour agrandir son garage. La mobilisation fut  importante chez les résidents-es.  La lutte dura un an et obligea la Ville à changer son règle­ ment de zonage pour interdire l'agrandissement de Cler­ mont. Mais Clermont revint à la charge et finit par avoir gain de cause (par épuisement de l'adversaire et harcèle­ ment). Il installa un «beau parking» après avoir démoli la moitié des logements.

3 Ici aussi de nombreux textes furent écrits sur les diffé­ rents regroupements que nous venons d'énumérer. Une synthèse, qui date un peu cependant, fut faite par Robert Potvin dans Interventions critiques en économie politi­ que, no 7. sur l'Environnement. printemps été 81. pages 127 à 148. Le texte s'intitule:«Logement et aménage­ ment urbain: un Iront de lutte en perspective».

4 Les objectifs du Regroupement, document préparatoire au Congrès, no 3. printemps 82.

5 Idem.

6 Voir à ce sujet le bulletin du Comité logement St-Louis. janvier 1978. vol.  I. no I. p. 8.

7 Idem. p. 2.

8 S. Rapport d'activités du comité de coordination du Regroupement pour le Ciel des loyers, présenté à l'As­semblée générale du 21 avril 1979. p. 4.

9 Entrevue no 9. p. 10.

10 Idem. p. 5.

11 Entrevue no 17. p. 15.

12 Voir le BulletinLogement de septembre 1978. vol. I. no 4. p. 7.

13 Idem.

14 Les objectifs du Regroupement, document annexé: brel historique, p. 2.

15 Texte de réflexion sur la lutte pour le gel des loyers: la situation actuelle, nos moyens de lutte, nos limites et perspectives, par des locataires du Regroupement des locataires de Mercier, p. 9.

16 La campagne «passe-moi ton bail» consiste à demander aux anciens locataires de remettre d'une façon ou d'une autre leur bail finissant aux nouveaux locataires pour que ces derniers soient en mesure de comparer la hausse des coûts et de contester s'ils le désirent.

17 Bulletin Logement, avril 1979. p. 3.

18 Un membre du Comité logement St-Louis in Bulletin Logement de novembre 1979. p. 12.

19 René. Lucie. «Bref bilan de ma participation au comité de direction». 1980. p. 2.

20 Les objectifs du Regroupement, op. cit.. p. 4  

21 Elle vulgarise sa position dans un supplément du Huile-lin Logement en février-mars 1981.

22 Le terrain des «Shops Angus» dans l'est de la ville, inuti­ lisé depuis plusieurs années, fait l'objet, depuis un bon bout  de  temps, de  spéculations diverses.   Le Comité Logement  Rosemont avec l'aide de l'Association des locataires      d'Hochelaga-Maisonneuve   revendique, depuis trois (3) ans déjà que sur ce site, soit érigé du loge­ ment social (HLM. coops). La campagne a eu un excel­ lent impact dans le secteur (11 000 noms sur une péti­ tion).  Pour les personnes intéressées à en savoir plus long, le Comité logement Rosemont a produit une bro­ chure sur l'histoire du site des «Shops Angus» intitulée «Ça va faire du train».

23 Entrevue avec le responsable de la Campagne contre les augmentations de loyer.   1981. in Bulletin Logement. juillet 1981. p. 4.

24 Léger paiement pour l'utilisation d'un service gouverne­ mental applicable autant à la Régie du Logement qu'à d'autres   services   gouvernementaux,   tel   les   urgences d'hôpital.

25 Bulletin Logement, février-mars 1982. p. 2.

26 Les agences de location étaient en quelque sorte des ban­ques de logements et elles obligeaient les locataires à débourser une somme d'argent importante pour avoir accès à la banque. De nombreuses irrégularités, suivies de plaintes, s'accumulèrent à leur sujet au printemps de 1982.

27 Un numéro spécial du Bulletin Logement fut publiée à cet effet à l'hiver1983.

28 Sortes de banque de données entre les mains des associa­ tions de propriétaires pour connaître quels sont les bons et les mauvais locataires.

29 Nous faisons ici référence aux lettres de Montréal-Nord et de Rosemont sur lesquelles nous reviendrons un peu plus loin.

30 Bilan du comité opération logement d'Hochelaga-Mai- sonneuve (1978-1979). RGL. p. 5.

31 Cloward.   Richard.   A..   Pivens.   Fiances   Fox.   in  Le Monde Diplomatique, avril1976. cité par Laguë. .Jean- Guy in «Face à un style d'intervention», janvier1977. p. 10.

32 Texte de Mercier, op. cit.. p. 8.

33 Idem. p. 6.

34 «Notre style d'intervention», texte du Comité Logement Centre-Sud. 1980. p.  12.

35 Les Revendications du Regroupement, texte prépara­ toire au congrès de 1982. p. 2.

36 Hamel. P.. op. cit.. p. 277.

37 Bilan du comité de direction, op. cit.. p. 2.

38 Extrait du procès-verbal de la réunion du 5 mai 1983 du Conseil Régional de Montréal du RCLAL . p. 2.

39 René. L... op. cit., p.  I.

40 Réflexion sur le Recrutement. Comité logement Centre- Sud, février 1980. p. 3.

41 Entrevue no 17. p.  15.

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1 Lutte de la taxe d'eau, bilan d'étape. 12 avril 1974. p. 1.

2 Idem. p. 3.

3 ADDMM. novembre 74. texte non titré, p. 9.

4 Idem. pp. 3 et 4.

5 Entrevue no 7. p. 10.

6 Ventelou. Denise. «Le Point de départ: une lutte», tiré de «Pratiques de conscientisation». Édition Nouvelle Opti­ que. Montréal. 1983. p. 19.

7 Entrevue no II. p. 4.

8 Ventelou. Denise. «La lutte des assistés sociaux de Mon­ tréal contre la taxe d'eau». Cahierdu GRAP no 8. 1983. p. 17.

9 Hebdo Taxe d'O. p. 3.

10 Entrevue no 22. p. 7.

11 Organisation Populaire, septembre-octobre 1976. vol. 2. no 5. p. 5.

12 Journal OPDS en direct, printemps 82. p. 9.

13 Organisation Populaire, novembre 82. Édito. p. 2.

14 Entrevue no 1 1. p. 4. Le souligné est de nous.

15 Entrevue no II. p. 3.

16 Organisation Populaire, mai 1975. p. 5.

17 Discours de la représentante d'Hochelaga-Maisonneuve à la manif d'octobre 75. Tiré de l'Organisation Populaire d'octobre-novembre 1975. p. 41.

18 Extrait de la pièce de théâtre présentée à l'assemblée du 11 juin 1975. p. 6.

20 Entrevue no 7. p. 12.

19 Deuxième couplet de la chanson des assistées sociales

21 ADDS. Bilan d'étape, automne 74.

22 Entrevue no 22, p. 6.

23 Organisation Populaire, septembre 1975, p. 3.

24 Ventelou. D.. in Pratiques de Conscientisation. op. cit.. p. 28.

25 Nous référons entre autres à tout un questionnement sur la structure de l'ADDS dans l'Organisation Populaire du printemps 83.

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1 Ampleman. Gisèle et autres dans Pratiques de Conscientisation. op. cit.. p. 276.

2 Entrevue no 10. p. 17.

3 Notre style d'intervention. Comité Logement Centre- Sud. 1980. p. 8.

4 Propos  tenus  par  Louise Miller au colloque sur «La continuité dans les organisations populaires». Tiré du Rapport d'un colloque tenu le 16 octobre I9K2 par l'Ins­ titut Canadien d'Éducation aux Adultes (ICEA). 1983. p. 8.

5 Idem. pp. 8 et 9.

6 Propos   tenus   par   Jean   Panet-Raymond.   Colloque ICEA. op. cit.. p. 4.

7 La Base du Regroupement, op. cit.. p. 7.

8 Séguier.   Michel.  Mobilisation  Populaire,  Éducation Mobilisante, INODEP. Document de travail no 7. Édi­ tion de l'Harmattan. 1983. p. 62.

9 Tiré  du   compte   rendu   d'une   Rencontre   Populaire. «Luttes sur l'espace urbain et rural», Montréal, mars 1975. pp. 76-77.

10 Godbout. Jacques. Collin. Jean-Pierre. Les organismes populaires en milieu urbain. INRS Urbanisation. 1977. pp. 137-140.

11 Lamoureux. Henri «À propos des groupes populaires». in Offensive, vol. no 2. p. 15.

12 Entrevue no 3. p. 12.

13 Entrevue no 22. p. 10.

14 Godbout. J.. Collin. J.-P.. op. cit.. p. 263.

15 Huston.  Lorne. «La petite-bourgeoisie et les groupes (pas très)  populaires,   un  conte de fée pour militant averti», in Possibles, automne 78. p. 152.

16 Entrevue no 19. p. 22.

17 Huston. L.. op. cit.. p. 153.

18 Lamoureux, H., op. cit., p. 17.

19 Ciramsci.   A..   «Gramsci   dans   le   texte»,   Paris.   Éd. Sociales. 1977. p. 301.

20 Idem. p. 302.

21 Macciocchi. M.-A.. «Pour Gramsci». op. cit.. p. 212.

22 Deniers. François. «Le leadership dans la perspective de la nouvelle gauche», in Crise et leadership. Montréal. Boréal Express. 1983. p. 284.

23 Offredi, C. La recherche-action: l'intellectuel et son rapport à l'action in Revue Internationale d'action communautaire, no 5. printemps 81. p. 83.

24 Raymond. Jean-Paul. «La continuité dans les organisa­ tions populaires», op. cit., p. 15.

25 Entrevue no 22. p. 15.

26 L'orientation du Regroupement, chapitre 4. Texte pré­ paratoire au Congrès de 1982. p. 6.

27 Organisation Populaire, printemps 83. p. 6.

28 Entrevue no 1. p. 27.

29 Entrevue no 2. p. 16.

30 Ampleman. G. et autres, op. cit.. p. 266.

31 Idem.

32 Freire, Paulo. «Pédagogie des opprimés». Paris. Mas- pero. 1974.

33 Gramsci. A., op. cit.. p. 123.

34 Hubert, Daniel. Robillard.. Claude, «En lutte! grandeur et décadence» in Les cahiers du socialisme, no 10   11. automne 1982. p. 385.

35 Hamel. P.. op. cit.. p. 257.

36 Duc Nhuan. Nguyen. «Revendications urbaines. Étude sur les luttes urbaines menées par les groupes sociaux résidentiels», cité par Godbout. Jacques. «La participa­ tion contre la démocratie».  Montréal. Édition Saint- Martin. 1983. p. 89.

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1 Sliger. Raymond, «Pour un syndicalisme responsable». in Le Devoir. 20 avril 1983.

2 Gorz. André. «Adieux au prolétariat». Éd. Galilée. 1980. p. 145.

3 «Pour un mouvement alternatif au Québec», mini-mani­ feste in «Idées et pratiques alternatives», vol.  I. no 1. automne 1983. p. 18.

4 Dalbert. François. «De la croissance duale à l'expéri­ mentation sociale». Revue internationale d'action com­ munautaire no 3. printemps 80. p. 163.

5 Voir le premier numéro de la revue Idées et pratiques alternatives, page 25 et suivantes.

6 Coriat. Benjamin, entrevue dans Le Temps fou. décem­ bre-janvier. 1981-82. p. 28.

7 Garnier. Jean-Pierre. «Vers la local-démocratie». Revue internationale d'action communautaire no 4. automne 80. p. 157.

8 Idem. p. 158.

9 Lacroix.  Jean-Guy.  «L'unité  au  sein du mouvement populaire»   in   Les  Cahiers  du   socialisme   no   10-11. automne 82. p. 116.

10 «La continuité dans les organisations populaires», op. cit.. pp. 33-34.

11 Hamel. P.. «Logement et luttes urbaines à Montréal», op. cit.. p. 280.

12 Hamel. P.. Léonard. .I.-K. Mayer. R.. «Les mobilisa­tions populaires urbaines». Montréal. Nouvelle Opti­que. 1982. p. 25.

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